1 septembre 1995 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. Jacques Chirac, Président de la République, accordée au journal "Le Point" le 1er septembre 1995 et parue le 2, sur la lutte contre les déficits publics et contre les privilèges, sur la réduction de la fracture sociale, sur le calendrier des réformes, le terrorisme, les essais nucléaires et le Front national.

QUESTION.- Votre jugement sur l'état de la France s'est-il modifié depuis que vous êtes Président de la République ?
- LE PRESIDENT.- Non. Au contraire tout confirme mon diagnostic. La fracture sociale est là. Elle est notre combat de chaque jour pour des raisons qui sont à la fois morales et économiques. Je constate d'ailleurs que ce diagnostic n'est plus contesté sérieusement par quiconque. Plus personne n'affirme que le chômage est une "variable d'ajustement". Et l'augmentation de la dépense publique n'est plus considérée comme une réponse au chômage dans une période de fort endettement et donc de taux d'intérêt très élevés. Plus que jamais le changement s'impose.
- QUESTION.- Après cent jours à l'Elysée, le volontarisme que vous avez manifesté pendant la campagne ne bute-t-il pas sur les réalités de la situation du pays, de la vie gouvernementale et sur les blocages de tous ordres.
- LE PRESIDENT.- C'est vrai qu'un certain scepticisme est à la mode. C'est vrai que les Français ressentent quelque impatience et que le changement souhaité leur paraît se faire attendre. Mais je leur demande de lutter contre la tentation du pessimisme. Notre pays a de grands atouts, et nous avons les moyens de les mobiliser. Rien, ni personne ne condamne la société française à glisser inexorablement comme elle le fait depuis quinze ans, vers plus de chômage, plus d'exclusion, plus d'injustice, plus d'assistance... Mais le volontarisme, ce n'est ni l'improvisation, ni la précipitation, ni la méthode Coué. C'est la mobilisation de l'ensemble du pays derrière un projet compris et admis par tous. Les Français, c'est vrai, sont inquiets et l'inquiétude renforce toujours le poids des conservatismes et avive la crainte du changement. Mais il n'y a pas de perspective dans les solutions traditionnelles. Il faut, je le répète une fois de plus poser un oeil neuf sur les problèmes et imaginer les solutions nouvelles qu'on peut leur apporter. C'est dans cette logique que, depuis trois mois, le gouvernement s'est efforcé d'enrayer l'esprit de fatalisme et d'abandon pour retrouver, à l'intérieur comme à l'extérieur, les marges de manoeuvre et de souveraineté indispensables. De la lutte contre l'exclusion par le contrat initiative-emploi, à la résistance en Bosnie, c'est le même esprit qui s'affirme.
- QUESTION.- Comment expliquez-vous ce scepticisme persistant des Français ?
- LE PRESIDENT.- Je crois qu'ils sont inquiets, d'abord parce qu'ils ressentent depuis trop longtemps la dégradation de la situation et l'affaiblissement de la France. Ils sont de plus en plus nombreux à vivre dans un climat d'insécurité. Surtout, ils ont le sentiment que tout a été essayé, et sans résultat. Je suis persuadé qu'avec les premiers changements perceptibles, ils retrouveront confiance.\
QUESTION.- Vous vouliez faire "table rase de vieux réflexes" et Alain Madelin vous avait rejoint pour accomplir cette "révolution". Sa démission spectaculaire n'est-elle pas le signe que cette révolution a déjà avorté ?
- LE PRESIDENT.- Je suis profondément attristé du départ d'Alain Madelin. C'est un homme qui a des idées et du tempérament. Je n'oublierai pas qu'il m'a été fidèle dans des circonstances difficiles. Mais il faut comprendre que rien n'est plus préjudiciable à la réforme que les effets d'annonce intempestifs. On ne réforme pas en opposant les actifs aux inactifs, les salariés aux fonctionnaires, les patrons aux syndicats, les jeunes aux vieux, les villes aux campagnes...
- QUESTION.- "Sans Madelin, adieu les réformes" s'exclame le Wall Street Journal...
- LE PRESIDENT.- Je vous rassure tout net. L'ardeur pour la réforme reste intacte. Mais pour réformer, il faut changer les mentalités, notamment au niveau de l'Etat. Les administrations doivent contribuer à la réforme et non la freiner. La dépense publique doit être réduite et rendue plus efficace. Il faut encourager les forces vives sur qui repose l'essentiel de nos perspectives de croissance, demander plus à ceux qui ont les moyens, réduire les injustices, s'attaquer aux privilèges sans les confondre avec les acquis sociaux. Mais la volonté de réformer, seule, ne suffit pas : le gouvernement doit aussi se donner la capacité de le faire, et pour cela, une certaine pédagogie des réformes est nécessaire. C'est la voie qu'a justement choisie Alain Juppé.\
QUESTION.- Alain Juppé veut, dit-il, prendre l'initiative d'une réforme structurelle de la protection sociale. En privé, il soulevait les mêmes questions qu'Alain Madelin. Est-ce plus une question de méthode ou de rythme du changement qui opposait le Premier ministre et le ministre des Finances qu'une divergence de fond ?
- LE PRESIDENT.- Notre protection sociale vit à crédit : 180 MdsF de déficit en trois ans. Elle coûte de plus en plus cher et les Français sont de moins en moins bien protégés, les plus défavorisés surtout. L'égalité devant la protection sociale qu'il s'agisse du chômage, des retraites, de la maladie, n'est plus garantie. De tous ces sujets, il faut aujourd'hui débattre. Les choix qui devront être faits ne sont pas seulement des choix techniques de simple gestion, ce sont aussi des choix de société. Le Premier ministre a défini sa méthode, qui est la concertation avec les partenaires sociaux, les grandes associations, le Parlement, sur les sujets en cause : la réinsertion des exclus, l'avenir des retraites, l'accès aux soins de qualité, l'importance des prélèvements obligatoires... Il ne doit pas y avoir de sujets tabous. Au terme de ce débat, dès la fin de cette année, les réformes nécessaires seront décidées et aussitôt mises en oeuvre.
- QUESTION.- Beaucoup pensent qu'aujourd'hui Alain Juppé adopte un rythme de réforme tranquille alors que le candidat Chirac souhaitait une réforme audacieuse de la société française...
- LE PRESIDENT.- L'audace dans les solutions n'exclut pas la sérénité de la réforme. Le changement en profondeur n'est pas le changement précipité.
- QUESTION.- Vous parlez de "changement maîtrisé". Le changement peut-il s'accommoder de qualificatifs ?
- LE PRESIDENT.- Ne faisons pas semblant de découvrir qu'on parle de "changement maîtrisé". C'est la définition que j'ai donnée du changement pendant toute la campagne. Il ne faut pas confondre hâte et précipitation, je l'ai dit cent fois...
- QUESTION.- On a tout de même le sentiment que ces cent premiers jours sont passés très vite et que la réforme s'impose, elle, lentement.
- LE PRESIDENT.- Ne faisons pas de procès d'intention. Ce n'est pas sur cent jours qu'on juge un gouvernement qui a le temps pour lui et inscrit son action dans un septennat qui commence.\
QUESTION.- Le Premier ministre pourra-t-il tenir les promesses du candidat Chirac ?
- LE PRESIDENT.- Au cours de la campagne présidentielle, j'ai posé un diagnostic et j'ai défendu une conviction qui est aujourd'hui partagée, je le disais tout à l'heure, par une très large majorité des Français : la nécessité du changement. J'ai pris des engagements qui seront tenus. Je veux que la France retrouve les voies du progrès social et que dans sept ans, on ne puisse plus parler de fracture et que notre pays ait retrouvé son dynamisme. Ce changement est d'ailleurs engagé. Les mesures d'urgence ont été prises par le gouvernement d'Alain Juppé. Le Contrat Initiative Emploi, la revalorisation du SMIC, le triplement de l'allocation de rentrée scolaire pour les familles, les logements d'urgence pour les plus démunis, un premier assainissement des finances de l'Etat, la réforme constitutionnelle... En cent jours, ce n'est pas si mal ! Contre l'exclusion et le chômage, nous entamons des réformes de structure qui déboucheront dans les prochaines semaines telles que les prêts à taux zéro pour l'accession à la propriété, la prestation autonomie pour les personnes âgées dépendantes, le statut de l'étudiant, le plan de réhabilitation des banlieues, la loi cadre sur l'exclusion, le plan en faveur des petites et moyennes entreprises et de l'artisanat, la lutte contre la drogue et contre le sida. Bref, il y a du pain sur la planche.
- QUESTION.- Vous faites donc toujours vôtre la citation de Napoléon à ses généraux : "Je suis prêt à vous donner tout ce que vous voudrez, sauf du temps "
- LE PRESIDENT.- Vous savez, il faut aller vite mais il faut aussi donner toutes ses chances à la réforme. Il y a un temps pour la concertation : il doit être suffisant. Il y a un temps pour la décision et pour l'exécution : il doit être court. N'oublions pas également que la France est une des rares démocraties occidentales à disposer - d'ici aux prochaines échéances électorales - du temps et de la stabilité nécessaires pour se réformer.
- QUESTION.- Peut-on concilier la lutte contre les conservatismes et le respect des acquis sociaux ?
- LE PRESIDENT.- Les conservatismes s'expriment dans des mentalités et des comportements qui s'opposent aux évolutions nécessaires. Mais, je le répète, il ne faut pas confondre les acquis sociaux qui participent d'une société de progrès et les privilèges qui participent d'une société d'inégalité.
- QUESTION.- Vous évoquiez les conservatismes de certaines structures £ lesquels vous choquent le plus ?
- LE PRESIDENT.- Il faut réformer l'Etat, c'est évident. C'est l'intention du Premier ministre et j'attends des propositions concrètes du séminaire gouvernemental sur la réforme de l'Etat qui va se tenir en septembre.\
QUESTION.- Aussitôt après votre élection, vous avez voulu marquer votre présence sur la scène internationale. N'avez-vous pas, de ce fait, trop délaissé le terrain de la politique intérieure et par là même un peu déçu l'attente des Français ?
- LE PRESIDENT.- La place de la France dans le monde, c'est bien l'affaire de tous les Français. La scène internationale a ses exigences et le Président a ses responsabilités. Les grands rendez-vous internationaux, la construction de l'Europe, la gestion des crises imposent leur calendrier. J'ai fait face, avec le souci de défendre les intérêts de la France et de faire entendre notre voix. Mais la force de la France dépend, avant tout, de son unité donc de sa cohésion sociale et il n'y a pas eu de jour, sachez-le, où je ne m'en sois préoccupé.
- QUESTION.- N'avez-vous pas sous-estimé l'ampleur des réactions, tant en France qu'à l'étranger, suscitées par votre décision de reprendre les essais nucléaires ? Fallait-il l'annoncer aussi vite ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai ni surestimé, ni sous-estimé ces réactions. Responsable devant la nation de la sécurité de notre pays, après avoir largement consulté les experts compétents, j'ai considéré qu'il était indispensable d'achever le cycle prévu pour nos essais nucléaires et prématurément interrompu en 1992. Il y va de la fiabilité, de a sécurité, de la sûreté de nos forces de dissuasion, dans un monde qui reste dangereux et incertain. En toute hypothèse, ces réactions, largement médiatisées, restent assez limitées et traduisent un très grand amalgame de craintes irrationnelles et de calcul politiques. Face à ces manifestations, la France a joué la carte de la transparence et du dialogue. Aucun pays n'a jamais été aussi loin dans l'ouverture de son site d'expérimentation à la presse, aux politiques, et surtout aux scientifiques, prouvant ainsi que nos essais sont totalement inoffensifs et n'ont aucune conséquence sur l'environnement.
- QUESTION.- Craignez-vous les manifestations à Mururoa, dans les semaines à venir ?
- LE PRESIDENT.- J'ai donné des instructions pour que les manifestants soient accueillis avec un maximum de cordialité tant qu'ils ne portent pas atteinte aux exigences de la sécurité. Je pense que les choses se passeront bien, quelle que soit la recherche systématique du spectaculaire qui habite l'esprit de quelques-uns.
- QUESTION. Que répondez-vous à ceux qui s'inquiètent de l'isolement de la France ?
- LE PRESIDENT.- Dans quelques mois, à l'issue de cette dernière série d'essais, la France signera, comme je l'ai annoncé, le traité d'interdiction totale et définitive des essais nucléaires. Les craintes irrationnelles seront alors dissipées et, j'en suis sûr, la raison l'emportera. J'ajoute qu'une force française de dissuasion sûre et crédible est, à l'évidence, un atout important pour la défense européenne.\
QUESTION.- La France, avant l'été, a pris sous votre impulsion, une position forte, de leader dans le conflit de l'ex-Yougoslavie. Or, les Américains semblent avoir repris en main l'action diplomatique sur le terrain. La France a parlé d'une voix forte mais n'a-t-elle pas peu de moyens pour se faire entendre ?
- LE PRESIDENT.- Ne soyons pas masochistes ! Aucun pays ne fait davantage que la France pour la recherche d'un règlement de paix dans l'ex-Yougoslavie. Aucun. Les événements de cette semaine en portent témoignage.
- C'est parce que la France a pris l'initiative de créer la Force de Réaction Rapide que la posture militaire des Nations unies en Bosnie a changé. C'est à notre demande que la conférence de Londres à tracé des lignes rouges autour des zones de sécurité protégées. C'est en application de cette nouvelle règle qu'une opération de grande envergure a pu être conduite conjointement par nos canons et les avions de l'Alliance atlantique, en réaction aux bombardements bosno-serbes contre la population civile de Sarajévo.
- Cette crédibilité nouvelle sur le plan militaire doit absolument être accompagnée d'une relance des négociations de paix. Je suis heureux de l'engagement américain, récent et déterminé. Mais là encore, le rôle de la France est décisif : c'est à mon initiative, à Paris, à l'occasion de la visite du Président de la Bosnie, que tous les pays engagés dans la recherche d'un règlement se sont retrouvés pour définir une position commune.
- Aujourd'hui, j'en suis convaincu, une percée vers la paix est possible. Vous pouvez compter sur la France pour agir sur le terrain diplomatique avec autant de détermination et d'énergie qu'elle en a déployées dans le domaine militaire.\
QUESTION.- Par delà les définitions de la Constitution, comment concevez-vous votre rôle ? Que doit être le président de la France qui se prépare à l'an 2000 ?
- LE PRESIDENT.- Le Président est d'abord un rassembleur. Il ne peut pas être partisan. Il doit privilégier ce qui unit les Français et combattre ce qui les divise. Il est le gardien de la cohésion nationale, il garantit le pacte républicain qui unit nos concitoyens. Le Président de l'an 2000 doit à la fois être proche des Français, les écouter et les comprendre, mais aussi avoir le recul et la vision nécessaires pour montrer le chemin, définir et faire vivre une ambition commune.
- QUESTION.- Comment concevez-vous votre relation institutionnelle avec le Premier ministre.
- LE PRESIDENT.- Telle qu'elle est définie par la Constitution et dans un esprit de confiance et d'amitié réciproques. Je veux revenir sur la dérive monarchique qui a caractérisé notre pays pendant trop longtemps. Ce qui suppose, dans la pratique, un meilleur équilibre des pouvoirs entre le parlement, le gouvernement et le président.
- QUESTION.- Avez-vous le sentiment d'avoir déjà limité cette dérive ?
- LE PRESIDENT.- Oui. Notamment avec la réforme de la Constitution qui donne au parlement les moyens d'exercer un contrôle plus efficace de l'action gouvernementale. Je suis également très attentif à ce que le gouvernement puisse exercer la plénitude de ses pouvoirs, tels qu'ils résultent de l'article 20 de notre Constitution. J'ai souhaité, et je mets en pratique un protocole allégé et moins cérémonieux. J'ai dit que l'Etat devrait être modeste, et cela s'applique bien sûr aussi à la présidence.
- QUESTION.- Pouvez-vous être une instance d'appel pour vos ministres ?
- LE PRESIDENT.- Ah non ! L'Elysée n'est en aucun cas une instance d'appel à l'égard des décisions qui sont prises par Matignon.
- QUESTION.- Certains ministres en ont sans doute la tentation ?
- LE PRESIDENT.- Ils l'ont déjà perdue ! Des ministres j'attends qu'ils soient solidaires de l'action du gouvernement et qu'ils repensent notre façon de voir et de combattre les maux de notre société. Etre ministre ne crée pas des droits mais des devoirs.\
QUESTION.- Dans un livre à paraître dans quelques jours, Laurent Fabius écrit : "Avec un culot d'enfer, Chirac propose les dépenses de la gauche, les impôts de la droite et les déficits de personne". Ne décrit-il pas, sur le mode polémique la contradiction dans laquelle vous vous trouvez ?
- LE PRESIDENT.- Vous savez, j'ai observé qu'en matière de finances publiques ceux qui donnent des leçons sont souvent ceux qui ont le plus alourdi les impôts, laissé dériver les dépenses et accru les déficits.
- QUESTION.- Pendant la campagne vous avez expliqué que trop d'impôt tuait l'impôt. Or, la réforme fiscale est retardée, la TVA a déjà augmenté et on annonce une hausse de la CSG. Pourquoi ne pas avoir fait le pari d'une baisse drastique de l'impôt comme l'ont fait d'autres pays ?
- LE PRESIDENT.- Depuis des années, les déficits publics, qui creusent la dette, ne cessent d'augmenter dans notre pays. La conséquence est double : des taux d'intérêt très élevés qui asphyxient les entreprises et les ménages, et l'augmentation continue des prélèvements obligatoires. C'est la première explication d'un chômage qui touche la France davantage que les autres pays.
- En réduisant les déficits pour peser sur les taux d'intérêt, c'est bien le combat pour l'emploi que conduit le gouvernement. C'est aussi le moyen de réduire à terme les prélèvements obligatoires et d'encourager les forces vives du pays. La réforme fiscale est donc bien d'actualité et sera soumise au Parlement dès cette année pour être progressivement mise en oeuvre.
- QUESTION.- Sur quoi portera-t-elle ?
- LE PRESIDENT.- Le gouvernement va en proposer les modalités. Je lui ai fixé trois objectifs : favoriser l'initiative et l'emploi, simplifier la fiscalité directe pour la rendre plus juste et plus transparente, et enfin, dès que la situation de nos finances publiques le permettra, réduire les prélèvements obligatoires.
- QUESTION.- Vous n'avez pas le sentiment que ce délai annoncé peut décevoir les Français ?
- LE PRESIDENT.- Les Français sont des gens de bons sens, qui comprennent parfaitement qu'il n'y a pas de baguette magique pour transformer les choses instantanément, et qu'une aussi vaste entreprise doit s'inscrire dans une durée raisonnable.\
QUESTION.- Vous vous étiez également engagé à libérer les forces vives : comment répondez-vous à l'impatience des chefs d'entreprises ?
- LE PRESIDENT.- Des mesures ont déjà été prises à l'occasion du collectif budgétaire. Le gouvernement ira plus loin en présentant en novembre prochain, un plan ambitieux pour relancer l'activité des petites et moyennes entreprises et de l'artisanat, sans oublier l'artisanat d'art. C'est là que s'expriment le mieux nos capacités de création, d'innovation, d'emploi et d'exportation.
- QUESTION.- Estimez-vous que le pays va mieux aujourd'hui, alors que la mauvaise rentrée de l'impôt est considérée comme un signe de mauvaise santé ?
- LE PRESIDENT.- Ce phénomène a des explications conjoncturelles. Ce qui, en revanche, est plus intéressant, c'est de constater la baisse engagée des taux d'intérêt. Baisse qui est due, principalement, à la détermination du gouvernement de poursuivre la réduction des déficits publics. Je pense que nous sommes sur la voie de l'amélioration.
- QUESTION.- Vous avez dénoncé la fonctionnarisation excessive de notre société. Jean Puech a annoncé qu'on ne diminuerait pas le nombre des fonctionnaires. Alain Madelin avait réclamé qu'on le fasse £ il a quitté le gouvernement. Avez-vous donc renoncé à faire respirer à la France un autre air que celui de la technocratie ?
- LE PRESIDENT.- De grâce, ne dressons pas une France contre l'autre ! Et ne désignons pas des boucs émissaires. En fait, c'est le rôle et la place de l'Etat qui est en cause. Tel que je le conçois, l'Etat doit être modeste, efficace, et à l'écoute des Français. Un Etat qui garantit les solidarités et stimule les énergies au lieu de les brider.
- QUESTION.- Cette question du nombre des fonctionnaires vous semble subalterne ?
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas tant un problème de nombre qu'un problème d'efficacité du système au service duquel ils se trouvent. Il y a des priorités £ elles exigent davantage de moyens, je pense aux quartiers difficiles et aux zones rurales. Dans d'autres secteurs, au contraire, l'Etat doit se désengager progressivement. Dans tous les cas, l'Etat doit simplifier la vie des gens.\
QUESTION.- Ne redoutez-vous pas une banalisation des thèses du Front national - notamment sur l'immigration - si vous ne réduisez pas "la fracture sociale".
- LE PRESIDENT.- L'extrémisme cherche toujours à tirer profit des difficultés des gens. C'est un fait. Mais les démarches politiques fondées sur la peur et le rejet de l'autre sont inacceptables, dangereuses et contraires à nos traditions et au génie de la France. La meilleure réponse, c'est d'être très offensif sur les problèmes concrets qui se posent : l'insertion des jeunes, la situation qui est faite aux femmes, la vie et la sécurité dans les quartiers difficiles, la capacité de l'école à assumer ses missions, l'immigration clandestine qui doit être traitée sans complexe et sans faiblesse. Chacun à un rôle à jouer.\
QUESTION.- Vous avez dénoncé les intégrismes de toute nature. En redoutez-vous la montée dans les années qui viennent ?
- LE PRESIDENT.- Oui, c'est une menace dans le monde d'aujourd'hui parce que l'intégrisme fait son miel de la crise économique, de la perte de sens, de la perte de repères.
- QUESTION.- Comment le combattre ?
- LE PRESIDENT.- On ne peut pas accepter que sur notre territoire des actions tendant à implanter des mouvements intégristes ou à leur servir de base se développent. Nous réagissons en mobilisant tous les moyens nécessaires. QUESTION.- Comment affronter le risque terroriste aujourd'hui alors que l'on vit sous la menace de nouveaux attentats chaque jour ?
- LE PRESIDENT.- D'abord, en évitant tout ce qui peut alimenter une psychose dans la population. Car c'est là le but et l'espoir des terroristes. Ensuite, en agissant de façon telle que les terroristes sentent une pression constante à laquelle ils ont peu de chance d'échapper. Enfin en mobilisant tous les moyens d'information, de prévention, de répression. Chacun doit aussi comprendre que sa vigilance propre est indispensable.
- QUESTION.- Pouvez-vous dire que cette pression qui s'exerce depuis le premier attentat dans le RER, a déjà donné des résultats ?
- LE PRESIDENT.- Pendant cette période douloureuse, l'action du gouvernement a été tout à fait exemplaire. Il a su mobiliser, unir les efforts de la police et de la justice, et créer des conditions qui devraient permettre de retrouver les auteurs de ces attentats.\
QUESTION.- Jacques Attali, qui fut l'un des principaux collaborateurs de François Mitterrand, estime qu'un président doit "savoir s'ennuyer sous peine de casser les pieds des Français". Savez-vous vous ennuyer ?
- LE PRESIDENT.- Un Président doit mettre le temps de son côté. En faire, en quelque sorte, un allié substantiel. Il doit résister aux impatiences ou accélérer le mouvement des choses selon les circonstances, tout en restant fidèle à l'objectif primordial de respect de son contrat avec le peuple qui l'a élu. Mais avant toute chose, un Président doit être à l'écoute et au contact des Français. Il n'y a pas là place pour l'ennui.\