14 avril 1995 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, accordée à M. Bernard Pivot sur France 2 le 14 avril 1995, sur les grands travaux, sur son enfance, sa philosophie, ses croyances.

QUESTION.- Merci, Monsieur le Président, d'avoir accepté cette invitation, qui me fait d'autant plus plaisir qu'elle me rappelle de très bons souvenirs. Car, en effet, vous étiez venu à la cinquième émission d'"Apostrophes" pour présenter votre livre "La paille et le grain", c'était le 7 février 1975, il y a donc 20 ans et puis trois ans après, vous étiez venu pour présenter "L'abeille et l'architecte". Donc je suis très content dix-sept ans après de vous accueillir de nouveau. Alors d'abord, Monsieur le Président, une question que l'on se pose, que se posent tous les Français : l'état de votre santé ?
- LE PRESIDENT.- Jusqu'au mois de mai prochain, ce n'est pas loin, c'est en effet une question d'Etat, après le 7 mai cela deviendra une question privée, j'en serai bien content, donc j'essaierai de tenir jusque-là.\
QUESTION.- Cette émission sera dans sa première partie consacrée à ce que l'on a appelé les grands travaux du Président. Ils ont été très nombreux au cours de ces deux septennats. Il y a notamment, le grand Louvre dont on voit la pyramide de M. Pei, qui est derrière moi, dans la cour Napoléon, il y a aussi la Bibliothèque Nationale de France, l'opéra Bastille, la Cité de la musique, et en province aussi à Grenoble, Lyon, Saint-Etienne, Angoulême et à Arles. Et puis dans une deuxième partie nous parlerons de ce livre qui vient de sortir cette semaine aux éditions Odile Jacob, que vous co-signez avec Elie Wiesel, qui est lui même écrivain et prix Nobel de la paix. C'est une conversation, c'est un livre qui est particulièrement intéressant parce que vous publiez alors que vous êtes encore Président de la République, ce qui est quand même, tout à fait exceptionnel, et d'autre part parce que vous y abordez des thèmes très privés, comme votre enfance, comme la foi, qui est un chapitre tout à fait étonnant, la guerre, le pouvoir, l'écriture, la culture etc. Sur la fin on terminera sur quelques questions du traditionnel questionnaire. Alors venons-en aux grands travaux. Ce qui frappe, c'est leur nombre considérable durant les quatorze années de votre présidence. J'ai eu la curiosité de me reporter aux fameuses 110 propositions du candidat François Mitterrand en 1981. Or, je n'ai vu que la création d'un centre international pour la musique, c'était tout ce qui était annoncé. Est-ce à dire que vous n'aviez pas de projet avant ou que vous n'aviez pas voulu les mettre dans les 110 propositions ?
- LE PRESIDENT.- Le programme que j'ai développé en 1981 avait été mis au point par une commission du Parti socialiste, que je dirigeais précédemment £ c'est Lionel Jospin qui m'avait remplacé, et, de ce fait c'était un travail tout à fait collectif. Moi-même je n'y avais pas beaucoup pensé, parce que je n'avais pas mesuré les moyens offerts au président de la République, grâce à la durée de son mandat et grâce aussi aux pouvoirs qui existaient sous la Vème République et qui n'existaient pas sous les régimes précédents.\
QUESTION.- Alors ce qui apparaît, c'est que dès le début de votre premier septennat, vous créez à l'Elysée un petit comité, de quatre personnes, qui était chargé de réfléchir à ces grands travaux et parmi eux, il y avait un ami à vous qui est l'écrivain Paul Guimard, et qui a dit, dès cette époque, qu'avec ces monuments, vous vouliez, je le cite : "griffer le temps".
- LE PRESIDENT.- Oui, mais enfin c'est une jolie histoire, c'est une belle expression ! D'ailleurs, en général, ce qu'il écrit est bien écrit. Ce n'est pas le problème, Paul Guimard m'a beaucoup aidé, comme quelques autres, mais j'avais une obsession ou plutôt j'en avais deux. J'habite Paris depuis déjà longtemps, quoi que je sois un provincial invétéré, j'étais choqué par la manière dont était organisé le Louvre. J'en ai parlé avec un de mes amis, qui lui-même était aussi passionné que moi, même peut-être plus encore pour ces choses, Louis-Gabriel Clayeux qui fait partie du petit groupe en question et il m'a dit : "il faut absolument que le ministère des finances quitte les locaux du Louvre. Il faut faire un vrai, un grand et un seul musée, il faut récupérer des milliers de mètres carrés, il faut en faire un des plus beaux musées du monde". J'étais acquis à cette idée déjà depuis longtemps naturellement, puis voilà que soudain j'en avais la possibilité ! C'était ma première décision en vérité, et l'autre, dont on ne parle jamais d'ailleurs, mais que l'on remarque souvent comme passant dans les rues de Paris chaque fois que je regardais le dôme des Invalides, et je me disais : "comme c'est triste que le dôme initial qui avait été prévu pour être doré soit si gris, si terne au milieu de cette si belle ville, pour un monument qui est peut-être le plus beau de tous". Alors si j'en avais la possibilité, - je ne pensais pas à celle qui s'offrirait à moi à l'époque - je le ferais arranger. Donc c'était ces deux idées là que j'avais, d'ailleurs je les ai menées à bien toutes les deux et puis s'en sont ajoutées quelques autres : onze projets réalisés à Paris et trente-six en province.
- QUESTION.- Oui, mais alors, on sent très bien que quand Paul Guimard dit que vous voulez "griffer" le temps, cela veut dire laisser votre griffe, laisser votre marque de bâtisseur.
- LE PRESIDENT.- L'expression risquerait d'être un peu impropre. C'est certain que j'ai décidé cela, mais avec l'accord du gouvernement, des ministres compétents, et en particulier l'aide du ministre de la culture qui était Jack Lang. Donc, tout cela, oui, c'est vrai ! Mais en vérité, les choses ne se passent pas exactement comme cela. Je ne suis pas l'auteur de ces monuments. J'ai fait ce qu'il fallait pour les concevoir, pour les financer, pour les mener à bien. Mais en réalité, sauf pour le grand Louvre et pour le dôme des Invalides, les décisions ont été prises par des jurys. Il y a des règles très strictes, jurys nationaux, ou jurys internationaux. On ne peut pas réunir parmi les trente-cinq, quarante personnes parmi les plus réputées du monde pour choisir parmi des projets, (car pour l'Opéra Bastille, il y avait quelque 750 projets) et ensuite faire fi de leurs propositions ! Donc j'étais contenu par leur sélection, leur dernière sélection c'est-à-dire de quatre à dix projets et donc, sur les 750 présentés, il y en avait au moins 740 qui m'échappaient complètement. Donc, on ne peut pas dire qu'il y ait un style Mitterrand.\
QUESTION.- Il n'y a pas de style Mitterrand ?
- LE PRESIDENT.- Il ne peut pas y en avoir dans ces conditions.
- QUESTION.- Est-ce que ce n'est pas dommage ?
- LE PRESIDENT.- Cela m'est arrivé de le regretter, c'était des sursauts d'orgueil ou de vanité ! Mais je ne pouvais pas faire comme Louis XIV ou Louis XV ! On en entend déjà beaucoup dire, n'est-ce pas ? Alors je n'en avais pas les moyens, et ce n'était pas conforme à la loi, c'était des sommes importantes, je n'avais pas à décider tout seul de tout ce que l'on en ferait. Donc c'est le style d'une époque, car les jurys n'étaient pas les mêmes. Au total si vous regardez ce qui a été produit, bien, mal, c'est à chacun d'apprécier, c'est le style d'une époque, décidé par des gens généralement venus de tous les coins du monde, généralement par de grands architectes, de grands urbanistes. Voilà la réalité, si bien que lorsqu'on me dit, vous avez fait ceci, cela, oui c'est vrai j'ai ma part de responsabilité.
- QUESTION.- C'est vous qui avez décidé quand même ?
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas moi qui ai décidé vraiment les projets qui ont été retenus, sauf pour le Louvre et pour les Invalides, car ce n'était pas une construction, mais une restauration, donc je n'étais pas tenu aux mêmes règles.
- QUESTION.- Nous y reviendrons. Mais ce qui est vrai, c'est que, on l'a fait remarquer, c'est que dans cette expression "Les grands travaux du Président"...
- LE PRESIDENT.- C'est vrai, on peut le dire, parce que si je n'avais pas été là...
- QUESTION.- On s'est dit, il y a quelque chose d'un peu pharaonique, est-ce qu'il n'y a pas aussi quelque chose qui relève du droit régalien ?
- LE PRESIDENT.- Non, je suis Président de la République, cela représente un certain coût, bien entendu, tout n'a pas été fait à la fois, j'ai été élu deux fois, et il faut tenir compte des trois éléments. D'abord quatre de ces onze projets parisiens ont été décidés par mes prédécesseurs.
- Nous sommes plusieurs pharaons ! Ensuite ce qui a été fait à Paris, a été fait sur deux septennat, donc je n'ai pas décidé d'un coup que l'on ferait tout cela, mais quand j'ai été réélu, on a continué et c'est comme cela que j'ai engagé la construction de la nouvelle Bibliothèque de France, du Muséum d'histoire naturelle et différentes choses. Cela me fait plaisir de savoir que cela a été fait.
- QUESTION.- Est-ce que ce n'est pas un peu grisant pour vous aujourd'hui de dire : "grâce à moi, il y a le Louvre qui a été restauré tel qu'il était, il y a cette grande bibliothèque.." ?
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas grisant.
- QUESTION.- Moi, je serais grisé à votre place.
- LE PRESIDENT.- Peut-être mais moi je ne suis pas facile à griser ! Mais je suis très content d'avoir pu le faire, et même assez fier.\
QUESTION.- Mais, est-ce qu'il n'y a pas plus de chance que vous restiez dans la mémoire des Français avec le Louvre et la grande bibliothèque de France, plutôt qu'avec des lois si importantes, je pense à la loi sur la suppression de la peine de mort ainsi que des lois que vous avez fait voter pendant vos deux septennats ?
- LE PRESIDENT.- Qui le sait ? Mais vous avez sans doute raison.
- QUESTION.- Si on se dit cela, est-ce que ce n'est pas un peu frustrant pour le politique et l'intellectuel que vous êtes, de se dire que finalement votre nom restera plus longtemps attaché à des murs qu'à des lois ?
- LE PRESIDENT.- La réponse n'est pas donnée. C'est la postérité qui décidera, elle dira sans doute, le grand Louvre c'est une très belle chose, elle dira aussi l'abolition de la peine de mort, ou la décentralisation c'est-à-dire la transformation à terme des structures françaises depuis Louis XI, ce n'est pas mal non plus. La postérité décidera, ce ne sera ni vous, ni moi.
- QUESTION.- Oui, mais c'est plus facile de se rappeler des murs, parce que les idées et les lois, elles se font dans le train-train de la vie, on oublie, alors que les murs eux sont toujours là.
- LE PRESIDENT.- Vous avez raison. Mais cette histoire de pharaon m'a toujours intrigué. D'ailleurs je trouve les pharaons plutôt intéressants. Mais c'est peut-être à cause de la pyramide du Louvre, il y a peut-être un petit rapport ?
- QUESTION.- Il y a une autre constante dans tous ces bâtiments, c'est leur dimension culturelle. Ils sont tous culturels à part peut-être l'Arche de la défense qui est vouée à la communication...
- LE PRESIDENT.- C'est davantage de l'urbanisme.
- QUESTION.- Mais, tout est culturel, pourquoi ?
- LE PRESIDENT.- Parce que j'ai trouvé que nous manquions en France à Paris et en province, j'insiste beaucoup là-dessus, d'équipements culturels. Et comme j'avais fait décider que le budget de la culture serait accru, il a été je crois multiplié au moins par trois, l'objectif était déjà le fameux 1 % dont on reparle aujourd'hui. Il y avait là, le ministre Jack Lang qui était audacieux et plein d'initiatives, qui cherchait lui aussi à faire de grandes choses, cela s'est bien trouvé, et de ce fait l'élément culturel l'a emporté sur les autres. Il y a quand même aussi quelques éléments culturels scientifiques.
- QUESTION.- Oui, tout cela relève de la culture au sens large. Alors, dans le livre, dont nous parlerons tout à l'heure avec Elie Wiesel, à un certain moment il vous pose une question et vous répondez à propos justement de ces grands monuments : "cela donne un sens à mon action, en tout cas cela insuffle une poésie que je ne trouve pas toujours dans la loi".
- LE PRESIDENT.- Oui, c'est vrai. Pour employer une expression qui n'est pas très adaptée, parce que ce n'est pas toujours avec des pierres que l'on construit des bâtiments aujourd'hui, mettre une pierre l'une sur l'autre, cela a pour moi beaucoup de sens. J'ai souvent raconté, peut être me répété-je, cette histoire qui m'avait beaucoup frappé, que l'on a retrouvée dans beaucoup de journaux, celle d'un étranger qui passe comme cela à Paris, - à Lutèce on peut dire, mais enfin c'est déjà Paris - qui voit des ouvriers mettre des pierres les unes sur les autres et il dit : "qu'est-ce que vous faites là ?" Ils disent : "vous voyez bien on met des pierres les unes sur les autres" un peu plus loin il voit un autre chantier, le même étranger, pose la même question et ils lui répondent : "On bâtit une cathédrale". C'est toute la différence !\
QUESTION.- Vous avez dit quelque part que l'architecture était pour vous le premier des arts, pourquoi ?
- LE PRESIDENT.- Parce que c'est le plus complet, il fait appel à tous les autres ou presque.
- QUESTION.- Et peut être aussi parce qu'il est le plus proche de la vie des hommes.
- LE PRESIDENT.- Il partage leur vie constamment.
- QUESTION.- Est-ce que vous avez évolué dans vos goûts ?
- LE PRESIDENT.- Oh ! J'ai évolué, c'est certain. J'ai évolué personnellement. Ce qui est frustrant c'est que finalement ce ne sont pas toujours les projets qui m'avaient plu qui ont été adoptés, je ne jette la pierre à personne, les jurys ont été très consciencieux et certainement plus compétents que moi.
- QUESTION.- Oui, mais moi ça m'embarrasse que vous disiez ça, parce que je me dis quand même, vous avez pris l'initiative de ces projets et, il y avait un comité qui au dernier moment... Il me semble qu'il y aurait une unité dans tous ces travaux si on avait dit : "eh bien c'est le goût du président qui au dernier moment l'emportera "
- LE PRESIDENT.- Ce n'était pas des comités, c'était des jurys...
- QUESTION.- Oui, mais des jurys...
- LE PRESIDENT.- Des règles internationales président à la constitution et au fonctionnement des jurys. On ne voit pas très bien un homme soudain se substituer à eux cent pour cent. On peut dire non, je préférais celui-là... discuter... Ce sont des gens très obligeants mais c'est difficile de faire plus. Et dites-moi, avec tout ce que l'on répète sur mon compte, sur la dérive monarchique, alors que n'aurait-on pas entendu ?
- QUESTION.- On aurait dit, à ce moment là, il y a un style Mitterrand comme on dit, il y a un style Louis XIV, Louis XV ou...
- LE PRESIDENT.- Eh bien on ne le dira pas ! J'espère qu'on le dira pour le Louvre bien que ce soit M. Pei l'architecte qui ait le mérite principal.
- QUESTION.- Au fond, je me dis que vous avez, à propos de ces grands travaux, exercé une sorte de droit régalien largement tempéré par la démocratie.
- LE PRESIDENT.- Pourquoi dire ça ? Tout s'est passé dans les formes normales.
- QUESTION.- Je veux dire que l'initiative venait de vous chaque fois.
- LE PRESIDENT.- Si le Président de la République ne prenait pas d'initiatives, où en serait-on ?\
QUESTION.- Bon alors vous disiez tout à l'heure qu'effectivement, il y a deux sortes de grands travaux, il y a ceux que vous avez hérités de vos prédécesseurs et ceux dont vous avez eu l'initiative, dont vous avez ouvert les chantiers. Alors effectivement d'abord les travaux que vous avez reçus de vos prédécesseurs, il y a d'abord l'Arche de la Défense.
- LE PRESIDENT.- Non, pas l'Arche, la "Tête défense". Le projet, c'était d'avoir quelque chose là. M. Pompidou avait arrêté un projet. C'était je crois le projet d'Ailleau qui n'a pas plu ensuite à M. Giscard d'Estaing, qui y a donc renoncé et en a choisi un autre. Mais il n'a pas eu le temps non plus de l'édifier de telle sorte que quand je suis arrivé l'idée était retenue et moi j'ai choisi un troisième projet.
- QUESTION.- Un troisième ! Au fond, cela indique qu'il faut quand même avoir de la durée en matière de politique !
- LE PRESIDENT.- Voilà un point sur lequel je n'ai pas assez insisté, mais c'est vrai qu'il faut insister.
- QUESTION.- Le quinquennat ce n'est pas bien ?
- LE PRESIDENT.- Le quinquennat...
- QUESTION.- Pour les grands travaux.
- LE PRESIDENT.- Le quinquennat est un peu difficile pour beaucoup de choses si le Président de la République a la même durée de mandat que celui de l'Assemblée nationale. C'est peut-être un peu difficile. Ce qui compte, surtout actuellement, c'est la durée. Et les grands travaux n'ont été possibles, qu'à cause de la durée. Il faut imaginer ce que c'est que le travail d'un gouvernement avec un budget annuel. Il lui manque toujours quelques milliards ! Toujours ! Et pour récupérer un peu de ces milliards ! Quelles sont les premières victimes ? Les dépenses qui apparaissent comme somptuaires. Je vous dirai que moi, je ne les considère pas comme somptuaires, mais elles sont généralement considérées comme telles. Si bien qu'il ne s'est pas fait grand chose, pendant les troisième, quatrième, et cinquième Républiques, sauf Beaubourg que M. Pompidou a réalisé.\
QUESTION.- Il y avait effectivement un retard à rattraper, mais pourquoi dites-vous que pour vous ce ne sont pas des dépenses somptuaires alors que ça l'est pour beaucoup d'autres gens ? Est-ce parce que pour vous, la culture c'est la vie, l'ouverture à tout le monde des chefs d'oeuvre... ?
- LE PRESIDENT.- Toutes ces raisons sont bonnes. La culture ne doit pas venir en queue de peloton. Et même doit être située avec la recherche et en particulier l'éducation, en tête. Ensuite je pense que ce qui a été fait, l'a été dans des conditions raisonnées. Le débat qui continue toujours aujourd'hui : l'emploi ou les salaires, dans lequel je n'entrerai pas, était déjà capital. Les deux derniers présidents de la République, M. Giscard d'Estaing et moi, avons affronté la pire crise que le monde industriel occidental a connue depuis 1929. Or ce qui était fait avec les grands travaux a permis, j'ai là le chiffre sous les yeux, 55 millions d'heures de travail ! On a pu avoir en permanence, pendant quinze ans, près de 3000 emplois, qui n'auraient pas été créés sans cela... D'autre part, il faut bien se rendre compte que c'est un élan. Si on investit pour créer, cela donne à un pays une sorte de force. On ne compte pas dans les grands travaux parce que ce n'est pas l'usage le tunnel sous la manche que j'ai décidé avec Mme Thatcher ?
- QUESTION.- C'est l'un des grands travaux ou pas ?
- LE PRESIDENT.- Mais naturellement !
- QUESTION.- Et pourquoi on ne le met jamais dans les travaux ?
- LE PRESIDENT.- Il ne figurait pas dans ce budget, ce sont des sociétés privées qui ont été chargées de l'édifier. Mais enfin. Vous me ferez plaisir si vous l'ajoutiez. C'est quand même un des plus grands travaux du siècle. Ca a sauvé, pour une large part la région Nord-Pas-de-Calais en France et toute l'Europe de cette région se trouve reliée à la Grande Bretagne et devient un grand lieu de communication. Bon, eh bien on peut dire que c'est une grande dépense £ mais tout de même cette dépense totale pour les grands travaux qui représente à peu près deux milliards de francs par an, sur quinze ans, (car en réalité ça dépassera légèrement mon propre mandat, parce qu'il y a des choses qui ne sont pas finies). Comparez-là au budget annuel du logement est de 130 milliards ! En faisant ces grands travaux, j'ai sauvé ou créé beaucoup d'emplois. J'ai sauvé beaucoup de professions, celles des artisans d'art : l'ébénisterie, les doreurs, les restaurateurs, les peintres qui sont des hommes et femmes de très grande qualité. C'était merveilleux de savoir que l'on a de tels talents dans un pays comme la France. Généralement on s'adresse à des Polonais qui ont admirablement reconstruit Varsovie ou Cracovie. J'ai désiré que la France fut dotée elle-même d'équipes capables de créer, de construire et de réussir dans des métiers extrêmement difficiles qui se perdent, qui se seraient perdus, s'il n'y avait pas eu tous ces travaux. Sans eux, ces métiers n'auraient plus de représentants en France. Il y a beaucoup de raisons à caractère économique, ou social qui font qu'on ne peut pas faire une comparaison sèche, en disant, au fond c'était de l'esthétique, c'était de la culture, cela ne servait pas à grand chose par rapport à tant d'autres nécessités.\
QUESTION.- Alors, parce que vous parliez d'argent, est-ce que c'est facile pour un Président de dire : "hop, je fais des grands travaux, et toc, j'ai l'argent " C'est facile ou pas ?
- LE PRESIDENT.- Très difficile...
- QUESTION.- Ah bon ? Vous êtes le patron !
- LE PRESIDENT.- Les deux principaux ministres des finances avec qui j'ai eu à faire, et qui étaient deux amis personnels, étaient Jacques Delors et Pierre Bérégovoy. Il y en a eu d'autres, mais ils sont venus plus tard, je pense en particulier à Michel Sapin. J'étais obligé de rattraper chaque trimestre un certain nombre de millions, pour ne pas dire quelques milliards ! Le ministère des finances était là, veillait... enfin, là j'exagère, je ne voudrais pas reprendre un thème déjà employé au cours de cette campagne. Le ministère des finances est bien utile et il a des fonctionnaires souvent remarquables, mais difficiles à diriger. Le ministère des finances considère souvent que ce qui touche à des choses nouvelles : la culture, le sport, même le ministère du travail qui était créé au 20ème siècle, parait un peu roturier par rapport aux grands ministères traditionnels ! Alors on est plus chiche pour les budgets ! Le ministère des droits de l'homme, a certainement beaucoup de difficultés, même le ministre du logement...
- QUESTION.- C'est-à-dire que vous étiez obligé de surveiller votre propre ministre des finances pour qu'il ne ratiboise pas sur ...?
- LE PRESIDENT.- Je surveillais de très près... !
- QUESTION.- Autrement ?
- LE PRESIDENT.- Ce n'était pas eux, personnellement, et la preuve, c'est qu'ils me restituaient les crédits, mais il fallait que je m'en aperçoive !
- QUESTION.- Revenons aux travaux dont vous avez hérités, vous avez parlé de la Grande Arche, il y a le Musée d'Orsay...
- LE PRESIDENT.- Pour le Musée d'Orsay, le plan était déjà tracé, un début de financement de 300 millions de francs était déjà prévu, il a coûté quinze cents millions de francs environ. Il y a aussi la Villette, choix qui a été fait par M. Giscard d'Estaing, et il y a l'Institut du Monde Arabe, prévu pour être situé à Grenelle dont j'ai changé l'emplacement et l'architecte.
- QUESTION.- Donc c'est votre goût là que vous avez imposé quand même en l'occurrence ?
- LE PRESIDENT.- J'étais en mesure de le faire, de dire : est-ce que l'on va faire ce projet, à quel endroit ou pas ? Tout à l'heure vous accordiez au Président de la République, tous les pouvoirs, nous n'allons pas lui renier celui de pouvoir donner son mot pour des travaux qui sont essentiellement financés par l'état.\
QUESTION.- Alors, vos grands travaux à vous, ceux dont vous avez eu l'initiative, il y a évidemment le grand Louvre dont vous êtes le plus fier, c'est évident.
- LE PRESIDENT.- Je crois que c'est la plus grande réussite.
- QUESTION.- Parce qu'il s'est passé exactement ce que vous avez voulu ?
- LE PRESIDENT.- C'est présomptueux de dire cela, parce que j'ai eu un collaborateur hors pair qui s'appelle Emile Biasini, un bulldozer, une compétence extraordinaire et un des plus grands architectes du monde qui est M. Peï.
- QUESTION.- Mais, quand même il y a eu des polémiques avec cette fameuse pyramide dans la cour Napoléon, cela a fait vraiment couler beaucoup d'encre et beaucoup de salive ! Est-ce qu'à un moment vous n'avez quand même pas douté, en disant est-ce que cette pyramide ne va pas détonner dans cette cour ? Est-ce que vraiment vous avez toujours été sûr de votre goût ?
- LE PRESIDENT.- Absolument sûr ! D'autant plus que dans les articles qui attaquaient, il y avait beaucoup de bêtises dites. On disait : "François Mitterrand va se permettre de défigurer le décor fait par une lignée de rois de France, depuis Charles V jusqu'à Napoléon III, quel toupet, quelle audace " Ce qui était inexact : la Cour Napoléon ne datait pas de cette époque, mais était de Napoléon III et de la 3ème République donc déjà, j'offensais moins l'histoire !
- QUESTION.- On a donc restitué le Louvre au Louvre tel que cela était prévu et du coup le ministère des finances est parti à Bercy. Etes-vous content ?
- LE PRESIDENT.- M. Chemetov est un bon architecte, il a fait également d'ailleurs - choisi par un jury, toujours - les grandes salles du Muséum d'histoire naturelle qui sont admirables. M. Chemetov sait que je contestais un peu cette architecture. Lui avait une conception, idéologique en disant : "l'Etat c'est massif, l'Etat c'est sans faille, l'Etat, il faut qu'on ne puisse pas l'ébranler, alors je vous ai fait quelque chose de costaud". Il n'y a pas que les bâtiments qui vont vers la Seine, il y a aussi toute une ville à l'intérieur où sont logées quelque six milles personnes. Certains ont parlé d'architecture stalinienne, ou mussolinienne, moi je lui disais : "Ecoutez, il ne faudrait pas qu'on dise que le style Mitterrand, c'était le style des péages, - car cela ressemble bien à un péage - ! Mais au total, Chemetov est un grand architecte, le travail était bien fait, et je crois que les fonctionnaires qui travaillent aux finances n'en sont pas mécontents.\
QUESTION.- Alors, l'opéra Bastille, je crois que ce n'est pas un secret de dire que vous n'étiez pas tout à fait d'accord avec le projet qui avait été retenu, qui est de M. Carlos Ott, et que des projets avaient votre faveur, notamment, celui de M. Christian de Portzamparc...
- LE PRESIDENT.- C'est le projet numéro deux, mais, au moment où on a choisi, on ne connaissait pas le nom des architectes, c'était totalement secret. J'ai l'impression que le jury a pu croire qu'il s'agissait d'un autre architecte, je sais lequel... plutôt que de M. Ott que tout le monde ignorait. Mais quand on a déchiré les enveloppes, le numéro deux c'était Portzamparc. J'avoue que j'aurais préféré le projet Portzamparc, mais c'est comme cela !
- QUESTION.- Alors, bon, il a été fait cet Opéra Bastille mais alors, là, que de polémiques, que de quiproquo, que de batailles, que de grèves, que d'incidents techniques, que d'argent gaspillé...
- LE PRESIDENT.- Sur le plan musical et sur le plan de l'affluence, c'est une réussite remarquable. C'est toujours plein, dans l'enthousiasme, et la salle de l'opéra Bastille est très belle, l'acoustique excellente.
- QUESTION.- C'est l'extérieur, qui est contesté.
- LE PRESIDENT.- Je suis tout à fait d'accord avec vous. Moi aussi, je le conteste. Mais au total le projet est quand même extrêmement bien fait, la scène est une des plus belle scène du monde et si l'extérieur peut être critiqué, le fonctionnement de l'opéra Bastille, croyez-moi, répondra à nos espérances.
- QUESTION.- Mais quand même, vous n'êtes pas sensible à tout ce qui s'est passé à l'opéra Bastille ? Il y a eu vraiment des problèmes de personne.
- LE PRESIDENT.- Il s'est toujours passé beaucoup de choses dans les opéras !
- QUESTION.- Oui, c'est l'opéra lui-même qui veut ça. Vous pensez que c'est une bonne idée de regrouper sous une même autorité l'opéra Garnier et l'opéra Bastille ?
- LE PRESIDENT.- Moi je ne le ferais pas.
- QUESTION.- Une réussite qui je crois n'est contestée par personne c'est l'ensemble de la Villette. Le parc de la Villette, la Cité des Sciences et de l'Industrie et la Cité de la Musique que vous avez inaugurée récemment.
- LE PRESIDENT.- Il y a autre chose aussi, le Zénith, il y a aussi ces constructions déjà anciennes qu'on a gardées du XIXème et qui sont très belles. Enfin, ce que nous connaissons essentiellement c'est la Cité des Sciences et des Techniques : c'est la Géode, et c'est les jardins.
- QUESTION.- Et la Cité de la Musique...
- LE PRESIDENT.- La Cité de la Musique, naturellement, que j'ai inaugurée il y a quelques jours. Ce n'est pas sorti de ma mémoire. Et qui est à mon avis, une réussite architecturale de très bonne qualité, de Portzamparc qui s'est vu attribuer un certain nombre de travaux et, en particulier pour celui-là, ce que l'on pourrait appeler le prix Nobel de l'Architecture.
- LE PRESIDENT.- Les jardins ne sont pas à négliger, non plus. C'est un architecte Suisse, Tschumi, qui a été choisi par le jury. Moi, personnellement, quand je m'y promène, je trouve que ce n'est pas mal.
- QUESTION.- Vous aimez vous promenez là-bas ?
- LE PRESIDENT.- Oui, naturellement.\
QUESTION.- Parlons de la fameuse Bibliothèque Nationale de France qui, elle aussi, a fait couler beaucoup d'encre et de salive et que l'on doit à Dominique Perrault. Alors, est-ce que vous avez été là-aussi, contrarié, gêné, un peu agacé par toutes les critiques qui se sont abattues non seulement en France, mais aussi à l'étranger : en Angleterre, aux Etats-Unis, contre ce projet ?
- LE PRESIDENT.- En Angleterre, cela me faisait sourire, parce que, ils construisent une grande bibliothèque anglaise et cela fait vingt-cinq ans qu'ils y sont ! Et finalement cela coûtera plus cher que la nôtre, alors...
- QUESTION.- Monsieur le Président, il y a quand même une erreur de stratégie. Le projet de Dominique Perrault avait été accepté quand on a décidé après-coup, de transférer tous les livres de la Bibliothèque de la rue de Richelieu.
- LE PRESIDENT.- Qu'est-ce que vous appelez, erreur de stratégie ? Moi, je ne suis pas un professionnel, j'aime lire, j'aime aller dans une bibliothèque, mais je ne suis pas capable de concevoir la marche d'une bibliothèque de cette importance. J'ai donc demandé, nous avons demandé, avec le chef du gouvernement, à deux grands spécialistes Cahart et Melot, de nous faire un projet. Et dans ce projet parmi d'excellentes choses, il y avait aussi la coupure avant 1945 et après 1945. Aussitôt beaucoup de gens, un certain nombre d'utilisateurs, de chercheurs m'ont fait observer que c'était vraiment très compliqué, et pas très logique. Je vais vous donner un détail : est-ce que vous savez que depuis 1945 il y eu plus d'oeuvres imprimées qu'entre Gutenberg et 1945 ? Alors, forcément, cela pose un problème. J'ai décidé de réunir, là, tout ce qui était imprimé, donc, post-Gutenberg, et de laisser dans l'actuelle Bibliothèque Nationale, (qui est un très beau monument, une très belle chose, très bien tenue, trop étroite) les estampes, les documents antérieurs à Gutenberg et d'y regrouper toutes les bibliothèques d'art pour en faire une grande bibliothèque des arts. C'est en panne aujourd'hui, je le regrette, mais voilà le projet. Pour ce qui est de la Bibliothèque de France, cela a été en effet très critiqué, parce que les critiques, les experts n'ont pas vu tout de suite l'intelligence du projet de Dominique Perrault. Il est certain que ces quatre tours me choquaient. Moi je ne suis pas très pour les tours comme ça ! Mais cela donne sur une très vaste esplanade et, en creux, cela ne se voit pas de l'extérieur, il y a à vingt mètres de profondeur, un jardin...
- QUESTION.- C'est même une forêt...
- LE PRESIDENT.- ... Dans lequel on a planté des arbres et la superficie est équivalente à celle des jardins du Palais Royal. Les critiques disaient que cela serait un puits.. Quand vous êtes dans les jardins du Palais Royal, vous n'avez pas l'impression d'être tombé dans un puits ! Il s'est fait une sorte de courant élitiste qui trouvait très choquant que l'on pût mêler dans le même bâtiment, les chercheurs, les professionnels et le grand public. C'est disposé de telle façon qu'ils ne travailleront pas dans les mêmes endroits. C'est vrai, que c'est une vaste bibliothèque qui a pour vocation d'être populaire. Les chercheurs ont trouvé là, mille huit cents loggia qui donnent sur le jardin. Ils auront une tranquillité et une paix exemplaires. Avec Perrault, nous en avons beaucoup parlé, nous avons voulu reconstituer l'atmosphère de cloître. Naturellement, avec les moyens modernes, et sans vouloir imiter les clôitres anciens. Je crois que c'est une bonne idée, cela sera un bâtiment très original et qui plaira, soyez-en sûr.\
QUESTION.- Mais, est-ce que vous n'êtes pas un peu effaré par le budget de fonctionnement qui doit être affecté à cette Bibliothèque Nationale de France, puisque je crois qu'il faudra deux mille sept cent personnes, alors que la Bibliothèque de la rue de Richelieu fonctionnait avec cinq cents personnes ?
- LE PRESIDENT.- Veut-on avoir une bibliothèque en France ou ne pas en avoir ? Veut-on répondre aux besoins des chercheurs ou pas ? J'ajoute que dans la réalité, si l'on fait des comparaisons, avec le pourcentage du budget de la culture ce n'est pas écrasant surtout que l'intention de plusieurs de ceux qui souhaitent être élus Président de la République après moi, est précisément de maintenir ou d'atteindre les fameux 1 %. Donc on va donner de l'air et je suis très heureux de voir que mes successeurs potentiels sont très intéressés par l'idée que j'ai lancée, parfois sous leurs critiques, il y a quelques années !
- QUESTION.- On n'a jamais vu des tours monter aussi vite ! Peut-être avez-vous craint que la cohabitation...
- LE PRESIDENT.- J'ai mis le paquet, oui !
- QUESTION.- Oui, vous avez mis le paquet. Tous les huit jours elle avait gagné dix mètres !
- LE PRESIDENT.- Car je n'étais pas très sûr qu'elles ne perdraient pas dix mètres par jour, après !
- QUESTION.- Donc, vous avez fait très très vite, vous avez poussé les feux si j'ose dire.
- LE PRESIDENT.- Absolument !
- QUESTION.- Il est évident, Monsieur le Président, que par reconnaissance à votre personne, un jour l'un de ces grands travaux portera votre nom...
- LE PRESIDENT.- Pourquoi ?
- QUESTION.- Bien sûr que si.
- LE PRESIDENT.- Ecoutez jusqu'ici j'ai toujours refusé de mettre mon nom... même à Château Chinon.
- QUESTION.- Oui, mais quand vous ne serez plus là, de toutes façons, vous ne pourrez pas l'empêcher...
- LE PRESIDENT.- Je ne sais pas ce qui se passera, on verra bien...
- QUESTION.- Est-ce que quand même la bibliothèque François Mitterrand ce ne serait pas bien ?
- LE PRESIDENT.- Non, non...
- QUESTION.- Parce que "Bibliothèque Nationale de France" c'est quand même un sacré pléonasme !
- LE PRESIDENT.- Vous avez assez raison.
- QUESTION.- Bibliothèque François Mitterrand ce ne serait pas mal non ?
- LE PRESIDENT.- Oui, mais je ne le demande pas.
- QUESTION.- Je n'ai pas dit que vous le demandiez mais...
- LE PRESIDENT.- Il y a des noms plus illustres ou plus adaptés.
- QUESTION.- Attendez, c'est vous qui en avez eu l'idée et vous adorez les livres, vous adorez les écrivains, s'il y a un monument qui vous irait bien c'est celui-là.
- LE PRESIDENT.- Si vous étiez chargé de cela et si vous me proposiez aujourd'hui de prendre cette décision, je vous dirais non.
- QUESTION.- Ce n'est pas gentil !\
QUESTION.- Il y a aussi la rénovation de la galerie du Muséum d'histoire naturelle.
- LE PRESIDENT.- Cela c'est magnifique.
- QUESTION.- Figurez-vous que l'autre jour je recevais M. Philippe Taquet qui est est un paléontologue, spécialiste des dinosaures et qui était le directeur et il m'a raconté qu'un jour vous êtes venu avec la Reine de Jordanie voir une exposition pour défendre les derniers ours des Pyrénées, puis à un moment m'a-t-il raconté, il vous a pris avec les ministres qui vous accompagnaient puis vous a fait entrer dans la galerie et vous avez été absolument horrifié par ce que vous avez vu et vous lui avez dit : "ce n'est pas possible, il faut rénover tout cela". Vous lui auriez dit : "Cela prendrait combien de temps ?" et il vous aurait répondu : "Moins d'un septennat" et à ce moment là vous avez décidé.
- LE PRESIDENT.- C'est très convainquant comme argument !
- QUESTION.- Et donc vous avez décidé de la rénover à ce moment là ?
- LE PRESIDENT.- J'avais déjà souvent visité cette grande salle du Muséum et j'avais toujours été peiné par l'état dans lequel elle se trouvait, faute de crédits. Le ministère de l'éducation nationale n'accordait pas les crédits qui convenaient pour entretenir cette magnifique construction en même temps que ce trésor. J'en profite pour inviter le maximum de Français qui nous écoutent et d'étrangers à aller vite la visiter.
- QUESTION.- Il y a la queue tous les jours.
- LE PRESIDENT.- Tant mieux ! Cela fait un peu trop peut-être.
- QUESTION.- Il y a beaucoup de monde...
- LE PRESIDENT.- Remarquez qu'au Louvre, en 1981, il y avait un peu plus de 2 millions de visiteurs par an, il y en a près de 7 millions maintenant. Cela fait partie des éléments économiques qui viennent plaider pour l'utilité de ces grands travaux.
- QUESTION.- C'est vrai. Vous avez entrepris aussi la rénovation du Collège de France et puis du Musée de l'Homme, du Palais de la Découverte et autres travaux. Alors, la province vous voyez que je ne l'oublie pas, c'est vrai que vous y avez fait réaliser trente six travaux. Simplement, ils sont beaucoup moins gigantesques qu'à Paris, à Paris, vous avez fait quand même dans le gigantesque, M. le Président !
- LE PRESIDENT.- J'ai répondu à la nécessité. La Bibliothèque de France devrait comprendre par le simple transfert d'une bibliothèque à l'autre, onze millions d'ouvrages et nous l'avons construite pour 35 millions. Cela va vite et maintenant, cela va s'accélérer. Il faut donc avoir de la place, ne pas être obligé de construire une nouvelle bibliothèque dans quarante ans. Donc, il fallait voir grand. L'opéra Bastille c'est plus de deux mille personnes qui peuvent désormais, en plus de ceux qui vont à Garnier, écouter la musique qu'ils aiment. L'Arche de la Défense, ce n'est pas purement monumental, c'est une façon d'organiser la ville dans l'ouest. Vous savez que le projet d'utilisation de cette extraordinaire perspective qui va du Palais du Louvre jusqu'à la terrasse de Saint-Germain en Laye a déjà été conçu au XVIIème siècle et donc mon idée c'était non pas d'aller jusque là-bas, je n'avais pas les moyens ni le temps, mais au moins de faire quelque progrès. On a avancé de quelques kilomètres jusqu'à la tête Défense, et ce sont mes successeurs, je ne sais pas lesquels, qui un jour atteindront la terrasse Saint-Germain. Les choses sont commandées quand même par les lieux. J'ai vu d'admirables projets que je n'ai pas retenus parce qu'ils barraient la perspective. C'était le cas du projet de M. Pompidou, qui était un très beau projet, mais qui fermait la perspective. Alors, moi, j'ai préféré avoir une forme d'arc de triomphe qui soit une porte ouverte sur le futur.\
QUESTION.- Vous voyez comme on est, on est revenu à Paris alors que je voulais vous faire parler de la Province, c'est terrible !
- LE PRESIDENT.- La province, il y a beaucoup de grandes choses, des musées en particulier : Grenoble, Lyon, Saint-Etienne, des musées spécialisés, des écoles, etc. Il y en a 36 alors je ne vais pas les énumérer.
- QUESTION.- Il y a même le Centre national de la bande dessinée à Angoulême. Vous aimez la bande dessinée ?
- LE PRESIDENT.- J'aime beaucoup la bande dessinée.
- QUESTION.- Ah, bon je ne savais pas !
- LE PRESIDENT.- Je ne les aime pas toutes, mais il y en a que j'aime énormément...
-QUESTION.- Et puis la restauration de la Corderie royale de Rochefort...
- LE PRESIDENT.- Il y a des choses formidables, je ne sais pas si vous la connaissez ?
- QUESTION.- Bien sûr.
- LE PRESIDENT.- C'est merveilleux, à l'époque pour arriver à faire les cordes pour la marine, il fallait qu'elles soient très longues et de ce fait on allongeait les bâtiments. Cela a fait à Rochefort un bâtiment extraordinaire, aussi long qu'une corde de marin. Il s'appelle la Corderie d'ailleurs. Le génie naturel des architectes de cette époque à créer des chefs d'oeuvre, il fallait l'entretenir.
- QUESTION.- Existe-t-il un grand projet auquel vous avez dû renoncer finalement, que vous n'avez pas osé faire ?
- LE PRESIDENT.- Un seul. J'ai osé, mais je n'ai pas eu le temps.
- QUESTION.- Lequel ?
- LE PRESIDENT.- C'était celui d'une grande salle de conférence à Paris, quai Branly et la Maison des Journalistes. L'architecte avait été retenu, il avait fait un très beau projet. Je regrette, mais un jour, l'idée reviendra.
- QUESTION.- Dans le domaine de la culture, j'ai l'impression que vous avez coupé l'herbe sous les pieds de - votre ou vos - successeurs. Parce que dans le domaine actuel, je ne vois pas très bien ce qu'ils vont pouvoir faire.
- LE PRESIDENT.- S'ils veulent bien me le demander, j'ai encore un tas d'idées !
- QUESTION.- Pourquoi n'avez-vous pas fait construire un grand hôpital ou une grande université ?
- LE PRESIDENT.- C'est parce que ces distinctions sont un peu fictives. Avec Lionel Jospin nous avons fait le projet Universités 2000 et nous avons créé beaucoup d'universités. Mais c'est dans un autre budget, c'est l'Education Nationale ce n'est pas ce que l'on appelle les grands travaux. Parce que les grands travaux c'était une sorte d'invention, mise de côté. C'était peut-être en ma faveur, parce que c'était mes amis qui gouvernaient et ils ont accepté en somme un "compte spécial - grands travaux", mais dans ces grands travaux, nous n'avons pas inscrit les universités, beaucoup ont été construites, ni mis le tunnel sous la Manche...\
QUESTION.- Et ceux qui disent qu'à la place de la Grande Bibliothèque, vous auriez mieux fait de construire des logements sociaux ?
- LE PRESIDENT.- Je vous répète ce que je viens de vous dire. Deux milliards pour l'ensemble des grands travaux par an, donc trente sur quinze ans. Centre trente milliards pour le budget du logement, vous voyez déjà les comparaisons. Etes-vous sûr, que si on n'avait pas fait les grands travaux, on aurait fait des logements sociaux ? J'espère que oui ! Mais dans mon idée, les grands travaux - je me répète vous me pardonnerez - c'était fait pour donner un élan à la France, j'aurais voulu qu'il y ait beaucoup plus de grands travaux, beaucoup plus de canaux, d'autoroutes, etc, qui permettent de mettre au travail les Français. A plusieurs époques de notre histoire, les grands travaux ont été une réponse aux difficultés du chômage, j'ai donc apporté ma quote-part et - comme je vous l'ai dit tout à l'heure - économiquement, c'est tout à fait rentable.
- QUESTION.- Vous ne trouvez pas que cela est un peu démagogique, lorsque quelqu'un dit : "oui, mais à la place de la Grande Bibliothèque, on aurait pu mettre des logements sociaux" ?
- LE PRESIDENT.- Je le comprends, je ne dis pas que c'est démagogique, je dis que c'est un choix à faire. Quand je vois les difficultés et les pénuries d'aujourd'hui, parfois je me dis, si à l'époque où j'ai pris ces décisions, nous étions trouvés dans cette situation, j'aurais peut-être fait attribuer par le gouvernement un certain nombre de ces sommes au logement social. On peut faire de très beaux logements sociaux, regardez ce qui a été fait à Montpellier, il y a des choses magnifiques !
- QUESTION.- Vient d'être inaugurée la Cathédrale d'Evry. L'avez-vous visitée ?
- LE PRESIDENT.- Elle a été réalisée par un architecte Suisse Botta. Je l'ai visitée en construction, mais je ne l'ai pas vue achevée.\
QUESTION.- Je voudrais que nous passions maintenant, à ce livre Monsieur le Président...
- LE PRESIDENT.- Lorsque nous avons décidé de cette conversation, pour laquelle vous avez bien voulu me consacrer un "Bouillon de Culture", il était question des grands travaux, là-dessus s'est greffé ce livre. Je suis généralement très réticent pour tout ce qui pourrait ressembler à une publicité personnelle.
- QUESTION.- Monsieur le Président, lorsque passe un livre, je le prends, je le lis, je pose des questions, c'est presque un réflexe pavlovien, alors il faut me pardonner !
- LE PRESIDENT.- C'est intéressant d'en discuter avec vous.
- QUESTION.- Vous dites d'entrée : "lorsque le mandat s'achève, que l'oeuvre s'accomplit, qu'avec l'age l'horizon se rapproche, le besoin naît souvent de rassembler des pensées éparses et de confier à l'écriture le soin d'ordonner sa vie. Arrivé là où je suis, j'éprouve moi aussi maintenant, la nécessité de dire en quelques mots trop longtemps contenus, ce qui m'importe : tel est l'objet de ce livre".
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas, comme on le dit, un testament spirituel, j'ai beaucoup d'autres choses à dire.
- QUESTION.- Simplement, pourquoi le publiez-vous maintenant, alors que vous êtes encore Président de la République ?
- LE PRESIDENT.- Je ne voulais le publier qu'après le 10 mai.
- QUESTION.- Et puis ?
- LE PRESIDENT.- Un livre cela se fait avec des éditeurs, mais quand même, nous sommes à la mi-avril, je termine mon mandat le 7 mai, donc je pense que je ne fais pas une irruption..
- QUESTION.- Aviez-vous besoin, d'un homme aussi différent qu'Elie Wiesel, aussi différent de vous, pour vous poser des questions, pour converser avec vous ?
- LE PRESIDENT.- Cela s'est fait comme cela, nous n'avions pas d'idée précise. Elie Wiesel m'a dit : "on pourrait enregistrer ces conversations, parce que je voudrais parler de certains sujets qui me passionnent", alors cela a été enregistré. Finalement, beaucoup de difficultés sont intervenues. Elie Wiesel habite New-York, moi j'habite Paris. Au mois de juillet de l'année dernière, - même dès le mois de juin - j'étais très fatigué, donc il y a eu beaucoup d'obstacles. Ces pages traînaient, n'étaient pas utilisées, ce n'était pas un drame ! Précisément, au moment de mon début de convalescence, j'ai regardé cela en me disant : "cela pourrait être intéressant, après tout, pourquoi pas ?" J'avais besoin, moi-même, pour ma discipline personnelle, de me réhabituer à l'écriture. J'avais même des difficultés matérielles pour écrire, - manuelles -. Il m'a fallu réapprendre à former les lettres et puis ensuite à concevoir des mots et des phrases et, autant que possible, à respecter la grammaire. Cela m'a remis un peu en train, cela m'a redonné le goût de continuer. Voilà comment cela s'est fait. A vrai dire, je ne savais pas du tout quand cela serait édité.
- QUESTION.- Est-ce que ce n'était pas aussi un moyen de vous montrer équitable, envers Elie Wiesel et peut être de raccorder ces deux hommes qui sont aujourd'hui fâchés - c'est à dire Jacques Attali et Elie Wiesel - ?
- LE PRESIDENT.- C'est une affaire à laquelle je n'ai pris aucune part. La querelle s'est organisée autour de quelques pages, qui étaient de moi.\
QUESTION.- C'est formidablement flatteur, de voir deux écrivains qui s'arrachent le moindre de vos propos ?
- LE PRESIDENT.- J'étais très flatté, un peu embêté aussi.
- QUESTION.- Geneviève Moll vient de publier un album sur vous.
- LE PRESIDENT.- J'ai vu cela la semaine dernière.
- QUESTION.- Un album de photos. Elle cite un épigraphe de ce livre, une phrase de François Mauriac sur vous, la fin de cette phrase est la suivante : "il a été - François Mitterrand - cet enfant barresien, souffrant jusqu'à serrer les poings du désir de dominer sa vie £ il a choisi de tout sacrifier pour cette domination". Cela date de 1959. Que pensez-vous de cette phrase ?
- LE PRESIDENT.- Je pense qu'elle est bien écrite, qu'elle ne manque pas de psychologie, peut-être embrasse-t-elle trop d'idées, de concepts, pour que je puisse l'approuver à cent pour cent. J'étais un ami de François Mauriac, nous sommes originaires un peu de la même région, il était surtout un ami de ma mère, donc beaucoup de très bons et très chers souvenirs se relient à cette époque. Il me connaissait bien, il a écrit cela, mais il a peut-être un peu flatté mon instinct de domination.
- QUESTION.- Vous rappelez-vous cette histoire : un jour dans son bloc-notes, François Mauriac vous avait un peu attaqué et vous lui aviez répondu en le traitant de "notre écrivain régionaliste" ?
- LE PRESIDENT.- Cela est exact ou à peu près. Si vous le voulez bien, je vais mettre les choses au net. Notre querelle avec François Mauriac, - qui n'a d'ailleurs en rien altéré notre amitié - se passait autour du Général de Gaulle. Il était fidèle entre les fidèles, ce qui n'était pas exactement mon cas. Il m'en voulait un peu de cela et "m'accrochait" de temps en temps dans sa chronique. Il en avait bien le droit, je ne peux pas le lui reprocher. François Mauriac est de mon pays, nos familles se connaissaient, je viens de le dire, donc il y a quand même un petit côté régional...
- Désireux d'être méchant un instant, j'ai écrit une fois : "Monsieur François Mauriac, qui est notre plus grand écrivain régional". François Mauriac a porté longtemps cela, il était très fâché, très peiné, je regrette d'ailleurs de l'avoir peiné. "Régional ! régional ! Vraiment François Mitterrand a été cruel avec moi" ! Mais nous avons très vite enterré la hache de guerre.\
QUESTION.- Quand vous parlez de votre enfance vous apparaissez comme deux enfants : il y a un adolescent qui est timide, qui est rêveur, qui aime à dialoguer avec la nature, qui écrit des poèmes devant les rivières et les fleuves et puis, rentré chez lui, dans son grenier tout d'un coup, se transforme en tribun, harangue l'histoire et veut la transformer. Où est l'unité de ce jeune homme ?
- LE PRESIDENT.- Elle est entière, j'avais en effet un coté très timide, je vais peut être vous étonner en vous disant que je le suis encore ! Donc j'ai une certaine difficulté à aborder une conversation. Même pour entrer dans l'intimité d'un cercle, avec des gens qui me plaisent ou que j'admire, j'ai une certaine difficulté. Ensuite, si je passais mon temps a être renfermé sur moi-même, à faire des poèmes aux fleuves et aux rivières que je rencontrais, je devais sans doute avoir besoin de me rattraper sur autre chose. J'étais malade d'histoire, j'aimais l'histoire : j'aimais faire revivre toute l'histoire surtout celle de la France - c'est celle-là que je connaissait un petit peu - je ne connaissais pas les autres. Je trouve cela au contraire, très complémentaire, il y a les ballades le long des ruisseaux et des rivières et puis, il y a la harangue aux peuples, peuples imaginaires. C'étaient des tilleuls qui étaient devant moi !
- QUESTION.- On voit très bien, que vous êtes fidèle à votre enfance. Parce que vous avez eu une belle enfance, une enfance heureuse il faut bien le dire, une enfance libre en plus. Quelle est la part dans cette enfance, à laquelle vous êtes le plus fidèle aujourd'hui ?
- LE PRESIDENT.- Je ne peux pas le dire. Il y a les êtres, car c'est eux qui ont créé cet horizon là, mes parents et mes grands-parents maternels. Il y a les lieux, c'est un très très joli coin, qui se trouve juste à la jonction de l'ancienne France, de l'Oil et de l'Oc, je dis "ancienne", je ne sais pas pourquoi, parce que cela continue. Il y a là une très belle rivière et la rencontre de plusieurs petits terrains avec des horizons assez vastes, qui se sont imprimés dans ma mémoire. Je me promenais beaucoup - j'avais cinq, six, dix, douze ans - toujours à pied. Nous n'avions pas d'automobile mais, une voiture à cheval. Mon père lui, en avait une, mais il n'habitait pas là tout le temps, il fallait qu'il soit à son travail. C'était une carriole avec un vieux cheval, c'est assez lent, on a le temps de regardez le ciel... de respirer tout. J'avais un amour - appris comme cela sans doute - j'étais de cette nature là et c'est mon paysage ! Je ne pourrais pas le changer, j'aime la France, comme je l'ai écrit une fois, d'une façon charnelle. Lorsqu'on me disait : "est-ce que vous avez une certaine idée de la France ?" Je disais : "non, ce n'est pas abstrait chez moi, je vis la France dans mes veines, je la sens comme cela avec mon odorat"...
- C'est cette France-là qui s'est imprimée en moi, donc avec certains arbres, avec certains ciels, des ciels un peu mouillés, - vous savez c'est déjà l'Aquitaine -, certaines couleurs de sols, il y a la France aux sols rouges - notamment en Bourgogne comme chez vous - il y a les sols noirs, il y a les sols qui sont souvent des sols très riches, il y a les sols blancs, les sols calcaires £ là c'était un pays calcaire. Pour moi, la France c'est d'abord cela.\
QUESTION.- Vous êtes né à Jarnac. Jarnac ce n'est pas loin de Cognac, vous savez évidemment ce que les viticulteurs à Cognac appellent "la part des anges" ?
- LE PRESIDENT.- C'est une expression que l'on employait souvent devant moi.
- QUESTION .- "La part des anges", c'est ce que le cognac laisse échapper, qui s'évapore pour qu'il devienne lui-même. J'ai envie de vous demander, qu'avez-vous laissé "s'évaporer", "s'échapper" de vous, pour devenir vous même ? Autrement dit, quelle est la part des anges ?
- Toujours à propos des anges, une question me passe par l'esprit : est-ce qu'il vous est arrivé de ressentir soit d'une manière fulgurante, ou au contraire d'une manière très douce, la présence d'esprits bénéfiques à côté de vos parents ?
- LE PRESIDENT.- Mes parents m'avaient appris - ma mère surtout - que j'avais un ange gardien. Plus tard, je ne les ai jamais rencontrés !
- QUESTION.- Il me semble qu'ils ont été efficaces quand même !
- LE PRESIDENT.- On peut l'admettre ! Mais vous savez, les anges c'est une invention assez récente dans le judeo-christianisme. Si je me relie à Renan qui est un très très grand savant, mais enfin qui sur certains points est un peu dépassé par les connaissances historiques d'aujourd'hui, les anges ont commencé à paraître, à peu près cent cinquante ans avant Jésus-Christ. Donc, c'est un peu récent !
- QUESTION.- Oui, mais alors même s'ils sont récents, ils...
- LE PRESIDENT.- Il y en avait déjà il y a trois millions d'années ! Et la terre en a trois ou quatre milliards !
- QUESTION.- Bon, c'est une bonne introduction pour parler de la foi car le chapitre à mon avis le plus fort, le plus intéressant évidemment de ce livre c'est celui consacré à la foi, car vous n'avez pas la même foi qu'Elie Wiesel, car Elie Wiesel croit en Dieu et vous vous n'y croyez pas.
- LE PRESIDENT.- Non, non je n'ai pas dit que je n'y crois pas. Je ne sais pas si j'y crois.
- QUESTION.- Vous êtes agnostique, vous le dites.
- LE PRESIDENT.- C'est l'exacte définition.
- QUESTION.- Agnostique, c'est celui qui fait confiance à ce qu'il connaît, à ce qui est vérifiable. Donc, vous ne pouvez pas me dire que vous avez des preuves de l'existence de Dieu.
- LE PRESIDENT.- Non. Vous non plus !
- QUESTION.- Moi, non plus. Cela sûrement pas ! Mettons que vous êtes agnostique tendance mystique, est-ce que ce n'est pas un peu contradictoire ?
- LE PRESIDENT.- Non, je ne le crois pas. J'ai le regret à formuler que tout ce qui a fait l'enchantement de mon enfance se soit parfois révélé illusoire. J'ai le regret de ne plus avoir une conception aussi simple de la création et de son Créateur. Après tout, j'aimerais bien que cela soit conforme à tout ce qui a inspiré mon enfance mais les spectacles que j'ai vécus, la guerre, beaucoup de choses après, ma propre réflexion, l'espèce de passion que j'ai eue pour l'importance de la raison, la valeur des sciences, tout cela m'a, en effet, conduit à être agnostique. Ce qui ne veut pas dire que je prenne position contre. J'ai eu beaucoup de change, j'ai été élevé par des parents que j'aimais, qui respectaient ma personne comme ils respectaient celle de leurs sept autres enfants, et d'avoir ensuite dans un petit collège de province, à Saint-Paul d'Angoulême, des maîtres très bons, très gentils et instruits. Donc, je n'ai pas eu à me heurter - comme on dit dans les livres - je n'ai pas eu à me révolter contre mon sort.\
QUESTION.- Mais, est-ce qu'il vous arrive au soir de votre vie de retrouver certaines intermittences de la foi, ou certains éclairs mystiques ?
- LE PRESIDENT.- Une tentation, oui. Peut-être que ce n'est pas la plus mauvaise des tentations.
- QUESTION.- Non, il y en a de plus mauvaises, sûrement !... Vous parlez aussi dans le livre de ces prières, de ces méditations transcendantales, auxquelles, semble-t-il, vous consacrez beaucoup de temps. Mais alors ces prières, ces méditations, elles s'adressent à qui ?
- LE PRESIDENT.- Prières, c'est vous qui le dites.
- QUESTION.- Ah si, si. Vous employez le mot !
- LE PRESIDENT.- Oui, j'ai dit que cela pourrait s'appeler prière, dans un langage chrétien ou dans un langage de croyant. D'ailleurs pourquoi pas ? Parce que c'est très beau la prière et j'ajoute quelque part, dans le livre, que je trouve qu'une des plus belles idées du christianisme c'est ce qu'on appelle la communication des saints, c'est-à-dire cette sorte de communication à travers l'espace, de gens qui s'aiment, qui ne se connaissent pas mais qui savent qu'ils s'aiment. Et, à la limite, on peut se demander si on n'éprouve pas soi-même à un certain moment de sa vie, l'impression de communiquer avec d'autres êtres, lointains et aimés.
- QUESTION.- Mais cela, ce n'est pas la communication des saints, c'est la communion des esprits.
- LE PRESIDENT.- Mais, cela s'appelait comme cela quand j'ai appris. J'ai appris dans des écoles catholiques et c'est comme cela qu'on l'appelait.
- QUESTION.- On sent quand même que vous croyez dans la force de l'esprit bien entendu...
- LE PRESIDENT.- Absolument.
- QUESTION.- Mais est-ce que vous croyez en la survie de l'esprit ?
- LE PRESIDENT.- Je ne peux pas vous répondre. J'aimerais tellement ! Oui !
- QUESTION.- Ce serait formidable, effectivement !
- LE PRESIDENT.- Seulement, il serait temps d'arriver à une conclusion !
- QUESTION.- Est-ce que votre action politique aurait été différente si vous aviez eu la foi ?
- LE PRESIDENT.- Non, je ne vois pas sur quoi. Je ne sais pas : vous ne voulez pas dire par là, par exemple, que j'aurais accepté de réviser la loi Falloux ?
- QUESTION.- Je ne sais pas. Non, je n'irai pas jusque là. Non, c'est simplement un point de vue psychologique.
- LE PRESIDENT.- Mais c'est moi qui m'y suis opposé !
- QUESTION.- Non, non mais ce n'est pas cela. Je veux dire tout simplement la foi vous donne une sorte de certitude alors que vous êtes un homme de doute.
- LE PRESIDENT.- Mais les hommes les plus croyants ont leurs heures de doute. Lorsque vous lisez les grands mystiques, et ceux qu'on appelle les petits mystiques, bien qu'ils soient grands comme Thérèse de Lisieux. Au fond on s'aperçoit qu'elle passe la moitié de son temps, puisqu'elle l'a écrit, à douter de l'existence de Dieu. Et je trouve cela absolument admirable et effrayant de penser qu'on va consacrer toute sa vie à une foi dont on doute. Mais c'est ce qu'il y a encore de plus beau peut-être, puisqu'il faut un enracinement extraordinaire, et moi je n'en suis pas là.\
QUESTION.- Alors, votre conversation devient âpre, pour ne pas dire dure avec Elie Wiesel lorsqu'il vous demande de vous expliquer sur vos relations avec René Bousquet ?
- LE PRESIDENT.- Alors, permettez-moi de vous dire, pour l'exactitude de l'histoire, qu'au moment où il fallait imprimer ce livre, j'ai dit : "Moi je n'accepte pas de le publier ce livre si vous ne me posez pas de question sur cette affaire Bousquet alors que vous vous êtes exprimé à New-York sur ce sujet. Sinon, il n'y aura pas de livre". Donc, comme nous avons des relations amicales, ce n'était pas comminatoire, j'ai beaucoup d'estime pour lui, de sympathie intellectuelle et morale. Donc, de ce fait, il a introduit quatre ou cinq questions...
- QUESTION.- Et qui sont assez dures !
- LE PRESIDENT.- Et mes réponses ne sont pas douces !
- QUESTION.- Non, non, vos réponses ne sont pas douces. Pour l'essentiel, vous reprenez ce que vous avez dit, à Jean-Pierre Elkabbach quand il vous avait interviewé à la télévision, est-ce que vous pensez qu'aujourd'hui Elie Wiesel est convaincu de votre bonne foi ?
- LE PRESIDENT.- Je n'en sais rien.
- QUESTION.- Vous lui demanderez quand même...
- LE PRESIDENT.- Eh bien, vous lui demanderez.. Je n'en sais rien. Ce que je sais c'est ce que j'ai dit est vrai. Sous-jacent à cette discussion, il y a quelque chose d'infamant. Si j'ai quelques complaisances pour René Bousquet, sachant le rôle que lui attribuent les documents les plus récemment connus, depuis une quinzaine d'années, l'affaire du Vel d'hiv, c'est-à-dire tous ces pauvres gens, y compris ces enfants qui étaient destinés aux camps de déportation, au four crématoire - ce qui est épouvantable, ce qui me crève, moi aussi, le coeur, qui me bouleverse -, si on peut penser une seconde que sachant cela j'aurais pu être complaisant on me blesse, naturellement, jusqu'au fond du coeur.
- QUESTION.- Est-ce que certains de vos amis juifs vous ont blessé jusqu'au fond du coeur en ne vous croyant pas ?
- LE PRESIDENT.- Ce n'étaient pas mes amis.\
QUESTION.- On voit que vous avouez être très préoccupé quand même par les histoires futurs. Vous l'avouez, vous le dites : "je ne suis pas autant que certains de mes biographes le disent, hanté par l'histoire. Mais il est vrai que je ne suis pas insensible à cette idée".
- LE PRESIDENT.- Cela s'appelle de l'histoire. J'ai présidé la France pendant quatorze ans, petite tranche d'histoire. Je l'ai fait avec intérêt, avec passion, parfois avec enthousiasme, souvent avec difficulté. C'était une grande partie de ma vie. Oui, j'aime l'histoire et m'inscrire dans l'histoire, dans une certaine histoire, on se soutient tout juste de Toutankhamon, que dira-t-on même du Général de Gaulle, de Pompidou, de Giscard d'Estaing, de moi et du prochain, dans quelques milliers d'années ! Soyons relatifs ! Oui, mais c'est vrai qu'il y a quelque chose en moi qui est flatté, une envie, une envie profonde.
- QUESTION.- Mais, vous craignez les injustices de l'histoire.
- LE PRESIDENT.- Ah, mais si je devais lire, mais je ne les lis pas, je n'en ai lu que quelques-uns mais pas beaucoup, tous les livres qu'on écrit sur moi, il faut dire que le plateau de la balance penche du côté de l'écrasement ! On dit n'importe quoi, n'importe quelle bétise. Et, c'est pour cela qu'il faudrait que je me décide à le dire moi-même. On est jamais mieux servi que par soi-même.
- QUESTION.- Donc, vous allez vous mettre à écrire ?
- LE PRESIDENT.- Oh, je ne sais pas si j'en aurai le temps et si j'en aurai le goût. Mais, cela me tente.
- QUESTION.- Donc, au fond de dire, d'affirmer votre plaidoyer devant l'histoire. Mais, est-ce que vous pensez pas qu'une injustice de l'histoire, c'est grave comme toute autre injustice dans la vie ?
- LE PRESIDENT.- Oui, naturellement ! Mais, je n'ai pas besoin de me défendre. C'est en général des polémistes qui m'attaquent. C'est leur tempérament.
- QUESTION.- Vous étiez un polémiste aussi avant d'être..., et un rude polémiste !
- LE PRESIDENT.- Mais je ne m'en suis pas plaint. Je n'ai jamais attaqué les personnes dans leur honneur, ni leur dignité. Mais, en effet, tous ces livres me sont pratiquement indifférents.\
QUESTION.- Alors, est-ce que l'injustice littéraire, parce que vous auriez voulu être un écrivain, et puis vous avez choisi l'action, est-ce que l'injustice littéraire n'est pas plus grave que l'injustice politique ? Je regardais quelques-uns des écrivains de votre région, c'est-à-dire la Charente, le Limousin, la Saintonge : il y a par exemple Henri Fauconier qui a eu le Prix Goncourt, Jacques Chardonne que vous aimez beaucoup, les frères Taraud, Fromentin.. Mais, tous ces gens-là, plus personne ne les lit ! Est-ce que ce n'est pas la plus grave injustice ?
- LE PRESIDENT.- Si, c'est une grave injustice. Et surtout que les écrivains de cette région, donc de Saintonge, d'Angoumois, du Limousin, comme ceux du centre de la France.. Je suis allé voir une exposition où nous n'étions que deux personnes, un dimanche après-midi, à la maison de la culture de Bourges, sur les écrivains du centre de la France, cela va de Peguy à Valéry Larbaud, en passant par Guillaumin, Alain Fournier, Giraudoux et combien d'autres. Eh bien, j'ai remarqué que tous étaient des élèves de l'école communale, que le seul qui était d'une famille très riche c'était Valéry Larbaud. C'étaient vraiment des enfants du peuple, qui s'étaient formés à l'école du peuple et qui avaient donc adopté un style au fond assez sage, très respectueux des règles de la grammaire. Et là-dessus, leur imagination, leur talent, leur style, fait le reste, naturellement ! Mais ils ne sont pas oubliés. Mais c'est vrai qu'on les connaît beaucoup moins bien. Fromentin, bon on connaît encore "Dominique"...
- QUESTION.- C'est dure la mémoire littéraire. Elle est très dure. Elle est quand même plus dure que la mémoire politique.
- LE PRESIDENT.- Donc, à votre avis sur le plan de la simple vanité, j'ai bien choisi !
- QUESTION.- Eh bien, je me le demande.
- LE PRESIDENT.- Et sur le plan de la vérité profonde, non ?
- QUESTION.- Ecoutez, à cette place, il y avait, il y a quelques semaines, Woody Allen. Je lui avais dit : vos films vous les adorez certainement, j'adore vos films et vous êtes un bienfaiteur de l'humanité. Alors, il m'a regardé. Il m'a dit : "mais pas du tout, mes films servent à divertir les gens mais sur les gens je n'ai aucune influence, moi, je ne sers pas à élever la morale des gens. Cela ne sert à rien mes films". Il était d'un discours, d'un pessimiste terrifiant sur l'influence de l'oeuvre d'art, qu'elle soit littéraire ou cinématographique.
- LE PRESIDENT.- Ou en politique, on ne peut jamais être satisfait de ce que l'on fait. J'ai dit un autre jour, mais je le répète, que toute oeuvre est inachevée £ c'est dans la nature de l'espèce humaine et de l'histoire. Donc, il faut le savoir. Je n'ai pas dit qu'il faut s'en contenter, il faut s'obliger même à aller plus loin, mais on sait qu'on n'ira pas jusqu'au point qu'on aurait désiré quand on avait quinze ans et qu'on rêvait.
- QUESTION.- Merci. Je termine et je signale que L'Express sort avec un titre : "Les seize vies de François Mitterrand" et il y a Théodore Zeldin, l'écrivain anglais, qui écrit ceci sur vous : "Un Président qui aime sincèrement la littérature est d'une rareté telle qu'il vaut la peine de venir de loin pour essayer de comprendre le peuple qui l'a choisi et que l'on peut voir ce président comme un monument de contemplation".
- LE PRESIDENT.- Toujours parler du même tabac !\
QUESTION.- C'est pas du même tabac mais comme on parlait de littérature, je vous le dis ! Mais vous n'avez pas répondu à tout le questionnaire, juste à quelques questions. Bon alors, votre mot préféré, Monsieur le Président ?
- LE PRESIDENT.- Mon mot préféré ? Chacun de ceux que vous interpellez ainsi doivent hésiter beaucoup. Moi je dirais "la vie", éclairer la vie, j'ajouterai la lumière, j'ajouterai l'amour, mais la vie !.
- QUESTION.- Mais, il n'y a pas de mots que vous n'aimez pas ?
- LE PRESIDENT.- Si, il y en a que je n'aime pas, mais...
- QUESTION.- Par exemple ?
- LE PRESIDENT.- Non, je ne dirai pas d'exemple, je deviendrais ordurier !
- QUESTION.- Les sons, les bruits que vous aimez ?
- LE PRESIDENT.- J'avoue que le bruit du vent ! Je vous ai dit que j'avais des tilleuls devant moi, mais à Jarnac c'étaient des prairies de peupliers. Vous voyez la musique du vent dans les peupliers, vous savez c'est quelque chose ! Mais en tout cas, même si ma réponse est pour vous répondre quelque chose, je le pense !
- QUESTION.- Quels sont les bruits que vous n'aimez pas que vous n'avez jamais aimés.
- LE PRESIDENT.- Non non, ne m'entraînerez pas trop loin !
- QUESTION.- Alors, homme ou femme pour illustrer un nouveau billet de banque ?
- LE PRESIDENT.- Et bien, c'est facile pour moi de répondre parce que précisément un nouveau billet de banque vient d'être émis, à l'effigie des deux personnages sur lesquels j'avais donné mon accord, je veux dire Pierre et Marie Curie. Et d'ailleurs leurs cendres seront transférées au Panthéon ce mois-ci, donc ça tombe à pic votre question. Je dirais Pierre et Marie Curie, alors je pourrais dire Marie et Pierre Curie pour céder à une mode ! Mais c'est vrai que Marie Curie sera la première femme admise en tant que telle, en tant que génie humain, au Panthéon.\
QUESTION.- Alors les deux dernières questions, le métier que vous n'auriez pas aimé faire ?
- LE PRESIDENT.- Le métier que je n'aurais pas aimé faire ? Le métier que je n'aurais pas su faire ! J'ai appris peu à peu à parler, à écrire, pas à diriger mais à organiser mon propre pays à prendre part à des décisions internationales. Ca c'est un métier qui me passionnait. Ca aurait été le contraire, bien que ce ne soit pas juste ce que je viens de vous dire, car quand on est dans l'action, on rêve de la médiation ! Vous êtes comme moi sans doute ! A tout moment, on rêve le contraire de ce que l'on fait. J'ai lu beaucoup avec passion un certain nombre d'écrivains monastiques, pas de ceux dont Anatole France parle dans "Thaïs" lorsqu'il commence "en ce temps là le désert était peuplé d'anachorètes"... mais par exemple un des lieux préférés, où je me rends, non pas chaque année, mais souvent, c'est le monastère Sainte-Catherine au Sinaï où j'ai noué des liens d'amitié avec plusieurs des moines qui sont des moines orthodoxes grecs, qui vivent dans ce monastère qui est je crois le plus ancien de la chrétienté, il doit être du troisième ou quatrième siècle. Cette vie de réflexion, de lecture, de réflexion sur soi-même en face de Dieu, en tout cas de toutes les grandes questions qui se posent à l'homme, oui j'ai quelque fois l'impression d'avoir manquer de la force d'âme pour agir de la même façon. Au fond, un homme est partagé, rappelez-vous la nouvelle intéressante de Montherlant "Syncrétisme et alternance", le syncrétisme : on cherche l'unité, quand on l'a atteinte on cherche la diversité et puis quand on est trop divers on rêve de l'unité. Ne serait-ce pas ça notre contradiction fondamentale ?
- QUESTION.- Ce que j'essayais, après avoir lu votre livre, c'était dresser un petit portrait de vous et j'ai écrit ceci comme ça, ça vaut ce que ça vaut : au dehors un homme ferme, intransigeant, sûr de son destin et de ses idées volontariste, ardemment séducteur et puis en dedans un homme insatisfait.
- LE PRESIDENT.- Pourquoi l'adverbe ?
- QUESTION.- Ardemment séducteur ?
- LE PRESIDENT.- Pourquoi ardemment ?
- QUESTION.- Parce que je crois que vous êtes ardemment séducteur, quand on fait de la politique on l'est ardemment...
- LE PRESIDENT.- Faut-il coller un adverbe ?
- QUESTION.- Alors j'enlève, séducteur ! Et au-dedans un homme insatisfait, méditatif, sentimental et souvent rêveur.
- LE PRESIDENT.- Je crois être d'une espace assez commune. Je pense que beaucoup se reconnaîtront dans ce portrait.
- QUESTION.- Et enfin, c'est la dernière question : si Dieu existe qu'aimeriez-vous après votre mort l'entendre vous dire, à vous, François Mitterrand ?
- LE PRESIDENT.- Ah, si Dieu existe ? C'est lui qui me parle ?
- QUESTION.- C'est lui qui vous parle, qui vous accueille.
- LE PRESIDENT.- Et bien, je pense qu'il serait appelé à me dire : "Enfin tu sais" ! J'espère qu'il ajouterait : "Sois le bienvenu"... Merci beaucoup Monsieur le Président.\