5 avril 1995 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur le rôle de la Fédération nationale des combattants prisonniers de guerre et combattants d'Algérie, de Tunisie et du Maroc (FNACA), Paris le 5 avril 1995.

Mes chers camarades,
- Je ne fais qu'une brève étape parmi vous dans une journée déjà chargée mais il y a l'importance de l'événement, la célébration de l'anniversaire, l'occasion aussi - devenue trop rare - de rencontrer d'anciens camarades avec lesquels j'ai pu travailler pendant cinquante ans et même plus pour certains d'entre eux. Cette occasion ne pouvait pas être manquée et on lui donnera une valeur symbolique faute de pouvoir faire davantage. Finalement, parmi les fondateurs de cette fédération, nous sommes encore quelques-uns qui peuvent retracer les étapes parcourues, qui ont connu les premières difficultés : c'était encore la guerre puis le rapatriement, le retour des prisonniers de guerre et puis les batailles civiles, la reconnaissance des droits et la vie d'une association puissante qui a su à travers plusieurs décennies préserver une unité impressionnante. C'était une grande aventure et je suis heureux de reconnaître parmi vous quelques-uns de ceux qui furent les compagnons de cette époque, en particulier naturellement Louis Devaux et G. Lepeletier puisque nous étions à l'oeuvre dès le premier jour. Je ne peux pas vous citer tous puisque vous êtes là, vous êtes nombreux à avoir connu exactement la même évolution. Ammerschwihr a été significatif dans la mesure où cette fédération s'occupait d'abord de ses intérêts revendicatifs. Cette fédération s'occupait d'abord de ses intérêts revendicatifs et c'était normal au nom de un million et demi de jeunes hommes qui avaient vieilli dans des conditions difficiles et qui étaient éloignés de la société qui était la leur et qu'ils devaient réintégrer. Mais très vite, nous nous sommes aperçus, comme l'a dit Lepeletier, que cela ne suffisait pas à souder une association de cette importance, qu'il convenait de consacrer nos efforts à des tâches disons extérieures à nos intérêts, d'une ampleur nationale. D'où cette idée de prendre part à la reconstruction d'un village détruit. C'est celui-ci, Ammerschwihr en Alsace qui a été choisi. C'était un bon choix d'ailleurs £ c'est un beau village dans un beau pays ! Et lorsque nous avons posé les premières pierres, mais aussi lorsque nous avons posé les dernières, avec plus de plaisir encore, nous avons vraiment eu le sentiment d'accomplir une tâche qui répondait assez bien à ce que nous avions souhaité, même rêvé dans nos camps de prisonniers de guerre. Nous avions reconstruit dans l'imagination une société idéale. Les conditions matérielles qui nous étaient faites établissaient entre nous une égalité absolue. Les clivages sociaux, les différences économiques n'existaient pas. Il s'agissait de vivre et de survivre avec des modiques moyens mis à notre disposition. Et de ce fait, des fraternités se sont créées. La rude épreuve des vraies valeurs a permis de jeter sur le bord de la route toutes les routines de la vie sociale habituelle et les amitiés qui se sont formées à ce moment-là étaient vraiment soudées, d'une telle manière qu'un demi-siècle après on se sent aussi amis qu'avant.\
Notre pensée se tourne naturellement vers ceux qui n'ont pas tenu, que la vie a abandonnés et leurs difficultés ont été grandes souvent. Certains, dans les camps, avaient beaucoup souffert £ ils ont eu quelque peine à vivre et à survivre ensuite. Mais lorsque nous faisions nos réunions de fédération, nous avions toujours le même plaisir à retrouver les fondateurs. Nous nous sentions les fondateurs de quelque chose d'important qui dure encore et qui a été - je crois - un des éléments fondamentaux de notre génération. Cette fédération a été créée et s'est installée dans ses meubles et dans notre souvenir s'égrènent les noms d'hommes remarquables qui ont marqué avec beaucoup de dévouement, d'intelligence et de compétence. Certains ne sont plus là. Il en reste : pas assez !
- Je suis venu vous dire, personnellement, mon amitié, mon souvenir fidèle. Je fais, comme beaucoup d'entre vous, je termine. Il arrive toujours un moment où l'on achève son temps. Il était donc utile et bon, avant cet achèvement, de vous rencontrer pour vous le dire. D'autres occasions me seront sans doute fournies mais celles-ci me paraissaient particulièrement significatives. Je tiens à le dire à Monsieur le ministre : vous vous trouvez là devant des hommes qui se sont connus et qui ont mené beaucoup de combats pour la même cause, qui ont noué là des solidarités et des amitiés qui ont dépassé de loin les clivages politiques. Ce qui est même curieux c'est que cette association très puissante n'a jamais connu de graves difficultés pour des raisons politiques et pourtant on savait très bien qui était qui. Mais en vérité, l'élément fraternel a pris le pas sur tout le reste : c'est un exemple ! Je tiens à en témoigner et à vous dire que mon plaisir est grand à vous retrouver ce soir.\