17 février 1995 - Seul le prononcé fait foi
Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur le rôle et l'action des chambres régionales des comptes douze ans après les lois de décentralisation, Paris le 17 février 1995.
Monsieur le Premier Président, Mesdames et Messieurs,
- Nous avons assez longtemps débattu sur la manière dont aurait lieu cette rencontre. Les circonstances m'ont fait choisir cette méthode qui me donne le plaisir de vous recevoir à l'Elysée. Nous pouvons comme cela évoquer comme l'a fait le Premier Président des sujets fort sérieux qui touchent à notre histoire et qui intéressnt notre présent, et également faire connaissance. Vous pourrez rester ici et bénéficier d'un temps d'arrêt dans une activité assez lourde et cette maison qui est celle de la République me semble particulièrement destinée à recevoir les magistrats que vous êtes.
- Les juridictions que vous présidez n'ont que douze ans d'existence, vous l'avez rappelé. C'est peu au regard de notre tradition administrative, c'est beaucoup si l'on mesure le chemin parcouru.
- On peut trouver naturellement dans notre histoire certains précédents qui ne seraient pas d'exacts précédents. Aussi ne s'est-il pas agi en 1982 de faire revivre une institution ancienne, mais de créer une institution nouvelle qui soit la contrepartie naturelle de la liberté accordée aux collectivités locales par les lois de décentralisation. C'est à partir de là que les structures administratives françaises ont considérablement changé et c'est à partir de cela que l'on s'est aperçu qu'un contrôle exercé par des magistrats en connaissant tous les aspects, pouvait s'exercer. C'était la suppression des tutelles et si je suis favorable à une loi que j'ai voulue et qu'il m'a fallu même imposer à beaucoup, je n'entendais pas pour autant dissoudre l'autorité de l'Etat.
- Je constate trop souvent la démission de l'Etat pour y prêter la main. Mais, cependant, dans la vie moderne, là où nous sommes, avec la rapidité des communications, il n'était pas raisonnable de continuer à tout concentrer dans notre capitale ou à faire que tous les fils se réunissent finalement ici même.
- Cette suppression des tutelles comportait des dangers. On pouvait s'interroger, on s'est interrogé, on s'interroge encore beaucoup sur le bon emploi des deniers publics. Alors, il fallait bien que quelqu'un fit le travail ! C'est pourquoi nous avons pensé à un contrôle indépendant, impartial des finances publiques locales que vous représentez si bien.\
Vous l'avez rappelé à l'instant, certains se sont inquiétés et ont pensé qu'en réalité, derrière l'accroissement des compétences des collectivités locales nouvellement acquises, se dissimulaient de nouveaux contrôles bureaucratiques. C'est une méfiance naturelle, mais elle n'est pas justifiée en la circonstance, puis il y avait aussi le scepticisme quant à l'influence que pourraient exercer ces nouvelles juridictions.
- Alors jugeons maintenant un peu plus de dix ans après. Ces doutes et ces craintes que sont-ils devenus ? Les Chambres régionales des comptes se sont parfaitement insérées dans le paysage de nos institutions, elles ont su affirmer leurs prérogatives, leur indépendance et s'imposer, on peut le dire, comme le partenaire privilégié des collectivités locales. En si peu de temps, vous connaissez les habitudes françaises, la lourdeur de notre société, c'est un résultat remarquable. Il est dû sans aucun doute à la qualité des magistrats, à leur esprit de modernité, à la souplesse de leur esprit dans le respect de leur mission. Le législateur ne s'y est pas trompé puisqu'il a progressivement étendu vos compétences, renforcé vos pouvoirs d'investigation, accru votre pouvoir d'informer. Vous avez fait état de la loi du 15 janvier 1990 qui a marqué une étape essentielle, en posant le principe de la communication des observations définitives sur la gestion des collectivités et organismes locaux aux Assemblées délibérantes en séance publique. Le mot à la mode, c'est "transparence" eh bien, cela fonctionne comme ça chez vous. Et ce pouvoir d'informer qui assure justement cette transparence des gestions publiques locales, permet à cette nouvelle forme de démocratie de mieux s'exercer et de placer les élus et les citoyens devant leurs responsabilités.
- Je n'oublie pas que tout récemment de nouvelles missions ont été confiées à vos Chambres dans le cadre du dispositif voulu par le législateur pour lutter contre la corruption. C'est bien là je le pense la preuve tangible, la reconnaissance de l'importance et de la qualité de ces juridictions dans une matière aussi délicate et aussi controversée.
- Vous avez rappelé que le contrôle, monsieur le Premier Président, n'avait pas été bien accepté au départ. Il y a même eu une sorte de vent de panique chez les élus qui étaient effrayés par le nombre d'irrégularités qui leur étaient signalées, notifiées. Et puis tout cela s'est normalisé. Etait-ce le péché de jeunesse dans l'excès de rigueur ou était-ce le commencement de la fin d'un certain laxisme dans la manière de se comporter dans les collectivités locales ? Peut-être avez-vous trop privilégié la lettre par rapport à l'esprit... mais quand on oublie la lettre, on finit par perdre l'esprit ! Fort heureusement, les choses sont rentrées dans l'ordre. Il subsiste, çà et là, des difficultés qui tiennent surtout à l'abondance et à la complexité de la législation. On ne peut pas faire grief aux magistrats que vous êtes de respecter les textes, c'est au législateur de prendre ses responsabilités et s'il les juge inutiles, superflues ou tatillonnes, de modifier les règles.\
Mais je crois pouvoir dire qu'au delà du contrôle de régularité, les Chambres peuvent vraiment porter une appréciation sur la gestion des collectivités. On est ici dans un domaine plus subjectif et parfois même nécessairement plus politique. Autant il est naturel de dénoncer les anomalies flagrantes de gestion, autant il ne serait pas admissible que les juridictions exerçâssent un contrôle d'opportunité sur les grandes décisions prises par les élus. Et la ligne de partage n'est pas facile à tracer. J'ai été moi-même, pendant trente-cinq ans, un élu local, je peux donc en témoigner. Mais j'ai reconnu dans votre façon de travailler une grande vigilance. Vous savez que vos décisions peuvent être exploitées de la plus mauvaise façon, qu'elles provoquent parfois le mécontentement sinon la colère des élus, quand elles alimentent le débat public sur certains aspects de leur gestion. Mais le contraire serait-il préférable ? Je ne le crois pas dans la mesure où par la décentralisation et par d'autre moyens multiples, que je me suis efforcé de mettre en oeuvre pendant ces quatorze ans, je n'ai jamais voulu que l'Etat fut affaibli alors qu'une mauvaise compréhension des textes pourrait y aboutir.
- Vous avez donc une mission qui a permis de donner aux gestions locales le sérieux qui pouvait leur manquer.
- Il vous appartient de recherche activement, et sans état d'âme particulier, tous les manquements, les manquements à la probité en particulier. Ces comportements sont graves, on a pu voir qu'ils étaient répétés et ils portent préjudice à l'immense majorité des élus locaux qui sont des gens de parfaite honnêteté. C'est pourquoi les contrôles doivent être conduits avec une logique de compréhension et non pas avec une logique de soupçon. Il faut garder toujours présent à l'esprit que les élus sont des partenaires avant d'être des justiciables et qu'ils ont d'abord besoin de vos conseils et de votre assistance. Votre action n'est pas prioritairement répressive, elle est avant tout préventive et pédagogique.
- Avant de conclure, je ne saurais rien ajouter d'utile à ce qui a été dit par votre Premier Président. Je soulignerai simplement la nécessité pour les Chambres régionales d'entretenir des relations étroites avec la Cour des comptes elle-même. Vous m'avez indiqué que certains liens s'étaient naturellement créés : liens institutionnels, liens fonctionnels : la Cour est l'instance d'appel des Chambres et vous présidez, vous l'avez rappelé, monsieur le Premier Président, le Conseil supérieur des chambres régionales, vous avez dit que vous en aviez été surpris, mais vous n'avez pas dit si c'étaient une bonne ou une mauvais surprise ! Ces liens entre la Cour et les Chambres régionales sont importants pour la cohérence et la force de vos décisions.
- D'autre part, vous avez une expérience et une connaissance du terrain qui permettent d'ajouter à la qualité et à la pertinence des observations de la Cour elle-même, c'est-à-dire que vous vous rendez mutuellement service. Je pense en particulier à bien des rapports faits sur des sujets précis.
- Voilà ce que je voulais vous dire en quelques mots, en plus du plaisir que j'ai de vous connaître et de vous recevoir. Je le répète, le chemin parcouru en si peu de temps est impressionnant. Il vous a fallu vous adapter et vous l'avez fait, dans une carrière pas toujours facile, et vous avez réussi. Je crois que vous offrez l'exemple d'une réforme réussie, là où c'est peut-être le plus difficile. En tout cas, soyez les bienvenus.\
- Nous avons assez longtemps débattu sur la manière dont aurait lieu cette rencontre. Les circonstances m'ont fait choisir cette méthode qui me donne le plaisir de vous recevoir à l'Elysée. Nous pouvons comme cela évoquer comme l'a fait le Premier Président des sujets fort sérieux qui touchent à notre histoire et qui intéressnt notre présent, et également faire connaissance. Vous pourrez rester ici et bénéficier d'un temps d'arrêt dans une activité assez lourde et cette maison qui est celle de la République me semble particulièrement destinée à recevoir les magistrats que vous êtes.
- Les juridictions que vous présidez n'ont que douze ans d'existence, vous l'avez rappelé. C'est peu au regard de notre tradition administrative, c'est beaucoup si l'on mesure le chemin parcouru.
- On peut trouver naturellement dans notre histoire certains précédents qui ne seraient pas d'exacts précédents. Aussi ne s'est-il pas agi en 1982 de faire revivre une institution ancienne, mais de créer une institution nouvelle qui soit la contrepartie naturelle de la liberté accordée aux collectivités locales par les lois de décentralisation. C'est à partir de là que les structures administratives françaises ont considérablement changé et c'est à partir de cela que l'on s'est aperçu qu'un contrôle exercé par des magistrats en connaissant tous les aspects, pouvait s'exercer. C'était la suppression des tutelles et si je suis favorable à une loi que j'ai voulue et qu'il m'a fallu même imposer à beaucoup, je n'entendais pas pour autant dissoudre l'autorité de l'Etat.
- Je constate trop souvent la démission de l'Etat pour y prêter la main. Mais, cependant, dans la vie moderne, là où nous sommes, avec la rapidité des communications, il n'était pas raisonnable de continuer à tout concentrer dans notre capitale ou à faire que tous les fils se réunissent finalement ici même.
- Cette suppression des tutelles comportait des dangers. On pouvait s'interroger, on s'est interrogé, on s'interroge encore beaucoup sur le bon emploi des deniers publics. Alors, il fallait bien que quelqu'un fit le travail ! C'est pourquoi nous avons pensé à un contrôle indépendant, impartial des finances publiques locales que vous représentez si bien.\
Vous l'avez rappelé à l'instant, certains se sont inquiétés et ont pensé qu'en réalité, derrière l'accroissement des compétences des collectivités locales nouvellement acquises, se dissimulaient de nouveaux contrôles bureaucratiques. C'est une méfiance naturelle, mais elle n'est pas justifiée en la circonstance, puis il y avait aussi le scepticisme quant à l'influence que pourraient exercer ces nouvelles juridictions.
- Alors jugeons maintenant un peu plus de dix ans après. Ces doutes et ces craintes que sont-ils devenus ? Les Chambres régionales des comptes se sont parfaitement insérées dans le paysage de nos institutions, elles ont su affirmer leurs prérogatives, leur indépendance et s'imposer, on peut le dire, comme le partenaire privilégié des collectivités locales. En si peu de temps, vous connaissez les habitudes françaises, la lourdeur de notre société, c'est un résultat remarquable. Il est dû sans aucun doute à la qualité des magistrats, à leur esprit de modernité, à la souplesse de leur esprit dans le respect de leur mission. Le législateur ne s'y est pas trompé puisqu'il a progressivement étendu vos compétences, renforcé vos pouvoirs d'investigation, accru votre pouvoir d'informer. Vous avez fait état de la loi du 15 janvier 1990 qui a marqué une étape essentielle, en posant le principe de la communication des observations définitives sur la gestion des collectivités et organismes locaux aux Assemblées délibérantes en séance publique. Le mot à la mode, c'est "transparence" eh bien, cela fonctionne comme ça chez vous. Et ce pouvoir d'informer qui assure justement cette transparence des gestions publiques locales, permet à cette nouvelle forme de démocratie de mieux s'exercer et de placer les élus et les citoyens devant leurs responsabilités.
- Je n'oublie pas que tout récemment de nouvelles missions ont été confiées à vos Chambres dans le cadre du dispositif voulu par le législateur pour lutter contre la corruption. C'est bien là je le pense la preuve tangible, la reconnaissance de l'importance et de la qualité de ces juridictions dans une matière aussi délicate et aussi controversée.
- Vous avez rappelé que le contrôle, monsieur le Premier Président, n'avait pas été bien accepté au départ. Il y a même eu une sorte de vent de panique chez les élus qui étaient effrayés par le nombre d'irrégularités qui leur étaient signalées, notifiées. Et puis tout cela s'est normalisé. Etait-ce le péché de jeunesse dans l'excès de rigueur ou était-ce le commencement de la fin d'un certain laxisme dans la manière de se comporter dans les collectivités locales ? Peut-être avez-vous trop privilégié la lettre par rapport à l'esprit... mais quand on oublie la lettre, on finit par perdre l'esprit ! Fort heureusement, les choses sont rentrées dans l'ordre. Il subsiste, çà et là, des difficultés qui tiennent surtout à l'abondance et à la complexité de la législation. On ne peut pas faire grief aux magistrats que vous êtes de respecter les textes, c'est au législateur de prendre ses responsabilités et s'il les juge inutiles, superflues ou tatillonnes, de modifier les règles.\
Mais je crois pouvoir dire qu'au delà du contrôle de régularité, les Chambres peuvent vraiment porter une appréciation sur la gestion des collectivités. On est ici dans un domaine plus subjectif et parfois même nécessairement plus politique. Autant il est naturel de dénoncer les anomalies flagrantes de gestion, autant il ne serait pas admissible que les juridictions exerçâssent un contrôle d'opportunité sur les grandes décisions prises par les élus. Et la ligne de partage n'est pas facile à tracer. J'ai été moi-même, pendant trente-cinq ans, un élu local, je peux donc en témoigner. Mais j'ai reconnu dans votre façon de travailler une grande vigilance. Vous savez que vos décisions peuvent être exploitées de la plus mauvaise façon, qu'elles provoquent parfois le mécontentement sinon la colère des élus, quand elles alimentent le débat public sur certains aspects de leur gestion. Mais le contraire serait-il préférable ? Je ne le crois pas dans la mesure où par la décentralisation et par d'autre moyens multiples, que je me suis efforcé de mettre en oeuvre pendant ces quatorze ans, je n'ai jamais voulu que l'Etat fut affaibli alors qu'une mauvaise compréhension des textes pourrait y aboutir.
- Vous avez donc une mission qui a permis de donner aux gestions locales le sérieux qui pouvait leur manquer.
- Il vous appartient de recherche activement, et sans état d'âme particulier, tous les manquements, les manquements à la probité en particulier. Ces comportements sont graves, on a pu voir qu'ils étaient répétés et ils portent préjudice à l'immense majorité des élus locaux qui sont des gens de parfaite honnêteté. C'est pourquoi les contrôles doivent être conduits avec une logique de compréhension et non pas avec une logique de soupçon. Il faut garder toujours présent à l'esprit que les élus sont des partenaires avant d'être des justiciables et qu'ils ont d'abord besoin de vos conseils et de votre assistance. Votre action n'est pas prioritairement répressive, elle est avant tout préventive et pédagogique.
- Avant de conclure, je ne saurais rien ajouter d'utile à ce qui a été dit par votre Premier Président. Je soulignerai simplement la nécessité pour les Chambres régionales d'entretenir des relations étroites avec la Cour des comptes elle-même. Vous m'avez indiqué que certains liens s'étaient naturellement créés : liens institutionnels, liens fonctionnels : la Cour est l'instance d'appel des Chambres et vous présidez, vous l'avez rappelé, monsieur le Premier Président, le Conseil supérieur des chambres régionales, vous avez dit que vous en aviez été surpris, mais vous n'avez pas dit si c'étaient une bonne ou une mauvais surprise ! Ces liens entre la Cour et les Chambres régionales sont importants pour la cohérence et la force de vos décisions.
- D'autre part, vous avez une expérience et une connaissance du terrain qui permettent d'ajouter à la qualité et à la pertinence des observations de la Cour elle-même, c'est-à-dire que vous vous rendez mutuellement service. Je pense en particulier à bien des rapports faits sur des sujets précis.
- Voilà ce que je voulais vous dire en quelques mots, en plus du plaisir que j'ai de vous connaître et de vous recevoir. Je le répète, le chemin parcouru en si peu de temps est impressionnant. Il vous a fallu vous adapter et vous l'avez fait, dans une carrière pas toujours facile, et vous avez réussi. Je crois que vous offrez l'exemple d'une réforme réussie, là où c'est peut-être le plus difficile. En tout cas, soyez les bienvenus.\