19 novembre 1994 - Seul le prononcé fait foi
Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur le devoir de réserve du Président de la République par rapport à un parti politique, le rappel de son choix du socialisme et son soutien implicite au PS pour l'élection présidentielle, Liévin le 19 novembre 1994.
Mesdames,
- Messieurs,
- Chers amis,
- Ce rendez-vous a été pris, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, à la demande déjà lointaine de plusieurs de vos dirigeants de la fédération du Pas-de-Calais. Je me souviens de l'insistance répétée de Daniel Percheron, Jean-Pierre Kucheida. Que de fois en ai-je parlé à Roland Huguet et lorsque Henri Emmanuelli m'a suggéré de me joindre d'une façon ou d'une autre aux assises nationales du Parti socialiste, je lui ai répondu ce que je pouvais lui répondre, c'est-à-dire qu'il ne m'appartient pas de participer à une réunion spécifiquement politique d'un parti, mais rien ne m'interdit de lui marquer ma sympathie et mon amitié.
- D'ailleurs, il faut éviter les faux-semblants. Je vous aurais envoyé un message, je vous le dis tout simplement oralement £ cela revient à peu près au même. D'autre part la solidarité des partis conservateurs ou de ceux qui parlent en leur nom est rarement prise en défaut, même s'ils sont aujourd'hui occupés par des luttes intestines très vives, mais les choix fondamentaux sont ceux que vous savez. Moi, je n'ai rien dissimulé, on me le reproche même un peu. Cinquante ans de vie politique, c'est beaucoup. Cela représente beaucoup d'affrontements avec la réalité, la réalité rêvée et la réalité réelle. Et cependant, il faut préserver à travers tout ce temps ce que l'on estime être sa propre permanence. Ce n'est pas toujours très facile.
- Cette rencontre avec le Parti socialiste et avec mes amis socialistes a été un élément déterminant de mon existence et de mes engagements. Tout à l'heure, vous parliez d'éternité. Il ne faut pas trop s'engager, mais c'est vrai que cela me parait à peu près joué. Nous nous retrouverons désormais, comme nous l'avons fait depuis tant d'années, c'est-à-dire côte à côte pour le même combat.
- J'ai été élu comme un Président socialiste, désigné par le Parti socialiste sur le programme socialiste. Je ne m'en suis jamais repenti. Je ne dis pas que je suis prêt à recommencer, mais s'il s'agissait simplement de problèmes de fonds, certainement ! S'il s'agit de problèmes de forme, malheureusement, ils viennent un peu s'en mêler et puis à chaque génération son dû. Car on ne peut pas toujours faire la même chose. Les lignes de clivage qui ont été les nôtres en 1971 et jusqu'en 1981 et les années suivantes correspondaient à une période de l'histoire. Celles d'aujourd'hui ne sont pas fondamentalement différentes, mais les formes de ce combat doivent changer. A vous d'en décider, au congrès socialiste de dire ce qu'il convient de dire. Ce n'est pas à moi de me substituer à lui, mais je comprends très bien que, si l'on dit la même chose, on ne le dise pas de la même façon, simplement que l'on ne dise pas le contraire !.
- J'ai préservé ma liberté personnelle de pensée et d'action et ce n'est pas à l'heure qui sonne aujourd'hui que je vais y renoncer. Quoique l'on pense ou quoique l'on dise, il reste peu de temps et ce peu de temps, lui, doit être employé à rester fidèle à soi-même, en même temps qu'à tenter de dessiner les lignes du lendemain. Je me réjouis de vous voir rassemblés à Liévin, vous avez bien fait de choisir cette ville, ce département et cette fédération qui à travers le temps a montré qu'elle portait toujours plus haut les couleurs et l'idéal socialistes. Vous avez bien fait !\
Et c'était pour moi l'occasion de répondre d'un seul coup à bien des obligations auxquelles j'avais souscrit à travers le temps et je me sentais redevable à votre égard d'une obligation non remplie. C'est fait, si l'on peut dire. Daniel Percheron se rappellera nos conversations passionnées d'il y a trente ans. Avec d'autres que j'ai eu la chance de connaître et qui sont devenus mes amis depuis lors, cela a été un lieu de discussions permanentes. Je dirais même que quelquefois nous avons exagéré. Les socialistes aiment se diviser. Je ne crois pas que ce soit une tare dès lors qu'ils savent aussi se rassembler. Rien de plus ennuyeux, de plus monotone que ce que l'on entend ici ou là, quand il n'y a que des querelles personnelles, mais c'est en réalité l'uniformité de la défense des intérêts. Là, ce n'est pas la même chose ! C'est vous, et si je voulais me divertir par le choc des idées et le cas échéant des personnes, je n'aurais qu'à revenir à votre congrès. Je suis sûr que je ne serais pas déçu !
- Enfin, faites comme vous l'entendez. Je suis venu vous dire ces choses à l'Hôtel de Ville. Je ne désirais pas le faire là-bas au lieu de la tragédie ce n'était pas l'endroit. Nous avions à célébrer ensemble un souvenir tragique et ce souvenir dépasse de très loin les clivages politiques, même s'ils s'identifient au combat ouvrier.
- Là, nous sommes à l'Hôtel de Ville. Je suis reçu par un conseil municipal élu par le peuple. C'est ce peuple aussi qui m'a élu. Je me sens donc très à l'aise pour lui dire sans fard ce que je pense et remplir à ma manière la fonction que j'occupe encore pour quelques mois, semble-t-il.
- Chers amis, réussissez dans vos travaux. Réussir, qu'est-ce que cela veut dire ? Vous n'allez pas d'un coup reconquérir tous les terrains perdus, mais n'oubliez pas que vous en avez gagnés beaucoup. La vie, comme le combat politique, est faite de méandres, de flux et de reflux. C'est le mouvement même de la vie. J'ai le sentiment que le Premier secrétaire M. Henri Emmanuelli, vers qui vont tous mes voeux, a dit ce qu'il fallait dire. Je l'ai entendu hier - par chance, parce qu'il fallait avoir l'oreille attentive à France Info, sur la route qui me menait à Chartres pour le Sommet franco-britannique - déclarer "maintenant il va falloir partir, commençons une période où nous pouvons de nouveau rencontrer la victoire". Mais, vous ne la rencontrerez que si vous la forcez ! C'est une affaire de volonté, de continuité et de clarté d'esprit dans la fidélité aux engagements qui sont les vôtres.
- On ne pourra rien faire, - c'est la conviction que j'ai acquise au contact des socialistes, à partir des années 1970 -, si on s'éloigne de ses bases. On peut à partir de là élargir l'horizon, on peut comprendre le langage des autres, on peut même en assimiler une partie, rien n'est interdit, à condition de ne rien perdre de ce qui fait le message dont on est les porteurs !\
Je ne donnerai pas mon mot dans le débat ouvert aujourd'hui sur le nom de celui qui portera vos couleurs, nos couleurs, au mois de mai prochain, et pourtant cela m'intéresse car après tout il s'agit de ma propre succession ! J'ai entendu hier quelqu'un d'important que je rencontre souvent, dire : "surtout n'élisez pas un troisième socialiste". Ce n'est pas parole d'évangile, élisez qui vous voulez, mais plutôt un socialiste ! Cela vaudrait mieux que le contraire !
- Alors, je suis venu vous dire bonne chance et cette chance, elle ne tombera pas comme ça du ciel. C'est vous qui la forgerez de vos mains. Il faudra donc du courage et de la constance. Rien ne vous sera épargné. Certains d'entre vous parmi les meilleurs qui ont été mes premiers compagnons de combat, pas forcément les premiers dans la chronologie mais les plus importants dans la conduite du gouvernement, on a essayé de les atteindre, de les détruire. Ils tiennent le coup heureusement. Mais, vous pouvez mesurer la somme d'injustices qu'il faut devoir supporter, si l'on entend porter haut ce drapeau-là. Il faut le savoir : rien ne sera épargné et je ne peux pas dire que je sois le plus à l'abri £ encore heureux quand ce ne sont pas les socialistes qui s'en font l'écho ! enfin cela, c'est une autre affaire...
- Je vous souhaite un bon congrès, je vous souhaite au bout de vos efforts une pleine réussite, je souhaite à l'équipe dirigeante qui va se constituer de savoir maintenir son unité dans sa diversité, cela va de soi. Cela ne peut pas être autrement chez les socialistes, mais au moins son unité pour un même combat, pour une même victoire qui ne sera pas uniquement la vôtre, qui sera celle de nos idées, qui sera celle aussi des classes et des groupes sociaux dont vous êtes les interprètes et qui sans vous seront sans vous abandonnés. Abandonnés à toutes les fureurs des intérêts privés, abandonnés à toutes les colères de ceux qui ont eu peur.
- Notre devoir est de rester présent et fidèle. Voilà je ne vous aurais pas écrit autre chose, si je n'avais pas employé la méthode plus directe de venir vous le dire. Merci.\
- Messieurs,
- Chers amis,
- Ce rendez-vous a été pris, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, à la demande déjà lointaine de plusieurs de vos dirigeants de la fédération du Pas-de-Calais. Je me souviens de l'insistance répétée de Daniel Percheron, Jean-Pierre Kucheida. Que de fois en ai-je parlé à Roland Huguet et lorsque Henri Emmanuelli m'a suggéré de me joindre d'une façon ou d'une autre aux assises nationales du Parti socialiste, je lui ai répondu ce que je pouvais lui répondre, c'est-à-dire qu'il ne m'appartient pas de participer à une réunion spécifiquement politique d'un parti, mais rien ne m'interdit de lui marquer ma sympathie et mon amitié.
- D'ailleurs, il faut éviter les faux-semblants. Je vous aurais envoyé un message, je vous le dis tout simplement oralement £ cela revient à peu près au même. D'autre part la solidarité des partis conservateurs ou de ceux qui parlent en leur nom est rarement prise en défaut, même s'ils sont aujourd'hui occupés par des luttes intestines très vives, mais les choix fondamentaux sont ceux que vous savez. Moi, je n'ai rien dissimulé, on me le reproche même un peu. Cinquante ans de vie politique, c'est beaucoup. Cela représente beaucoup d'affrontements avec la réalité, la réalité rêvée et la réalité réelle. Et cependant, il faut préserver à travers tout ce temps ce que l'on estime être sa propre permanence. Ce n'est pas toujours très facile.
- Cette rencontre avec le Parti socialiste et avec mes amis socialistes a été un élément déterminant de mon existence et de mes engagements. Tout à l'heure, vous parliez d'éternité. Il ne faut pas trop s'engager, mais c'est vrai que cela me parait à peu près joué. Nous nous retrouverons désormais, comme nous l'avons fait depuis tant d'années, c'est-à-dire côte à côte pour le même combat.
- J'ai été élu comme un Président socialiste, désigné par le Parti socialiste sur le programme socialiste. Je ne m'en suis jamais repenti. Je ne dis pas que je suis prêt à recommencer, mais s'il s'agissait simplement de problèmes de fonds, certainement ! S'il s'agit de problèmes de forme, malheureusement, ils viennent un peu s'en mêler et puis à chaque génération son dû. Car on ne peut pas toujours faire la même chose. Les lignes de clivage qui ont été les nôtres en 1971 et jusqu'en 1981 et les années suivantes correspondaient à une période de l'histoire. Celles d'aujourd'hui ne sont pas fondamentalement différentes, mais les formes de ce combat doivent changer. A vous d'en décider, au congrès socialiste de dire ce qu'il convient de dire. Ce n'est pas à moi de me substituer à lui, mais je comprends très bien que, si l'on dit la même chose, on ne le dise pas de la même façon, simplement que l'on ne dise pas le contraire !.
- J'ai préservé ma liberté personnelle de pensée et d'action et ce n'est pas à l'heure qui sonne aujourd'hui que je vais y renoncer. Quoique l'on pense ou quoique l'on dise, il reste peu de temps et ce peu de temps, lui, doit être employé à rester fidèle à soi-même, en même temps qu'à tenter de dessiner les lignes du lendemain. Je me réjouis de vous voir rassemblés à Liévin, vous avez bien fait de choisir cette ville, ce département et cette fédération qui à travers le temps a montré qu'elle portait toujours plus haut les couleurs et l'idéal socialistes. Vous avez bien fait !\
Et c'était pour moi l'occasion de répondre d'un seul coup à bien des obligations auxquelles j'avais souscrit à travers le temps et je me sentais redevable à votre égard d'une obligation non remplie. C'est fait, si l'on peut dire. Daniel Percheron se rappellera nos conversations passionnées d'il y a trente ans. Avec d'autres que j'ai eu la chance de connaître et qui sont devenus mes amis depuis lors, cela a été un lieu de discussions permanentes. Je dirais même que quelquefois nous avons exagéré. Les socialistes aiment se diviser. Je ne crois pas que ce soit une tare dès lors qu'ils savent aussi se rassembler. Rien de plus ennuyeux, de plus monotone que ce que l'on entend ici ou là, quand il n'y a que des querelles personnelles, mais c'est en réalité l'uniformité de la défense des intérêts. Là, ce n'est pas la même chose ! C'est vous, et si je voulais me divertir par le choc des idées et le cas échéant des personnes, je n'aurais qu'à revenir à votre congrès. Je suis sûr que je ne serais pas déçu !
- Enfin, faites comme vous l'entendez. Je suis venu vous dire ces choses à l'Hôtel de Ville. Je ne désirais pas le faire là-bas au lieu de la tragédie ce n'était pas l'endroit. Nous avions à célébrer ensemble un souvenir tragique et ce souvenir dépasse de très loin les clivages politiques, même s'ils s'identifient au combat ouvrier.
- Là, nous sommes à l'Hôtel de Ville. Je suis reçu par un conseil municipal élu par le peuple. C'est ce peuple aussi qui m'a élu. Je me sens donc très à l'aise pour lui dire sans fard ce que je pense et remplir à ma manière la fonction que j'occupe encore pour quelques mois, semble-t-il.
- Chers amis, réussissez dans vos travaux. Réussir, qu'est-ce que cela veut dire ? Vous n'allez pas d'un coup reconquérir tous les terrains perdus, mais n'oubliez pas que vous en avez gagnés beaucoup. La vie, comme le combat politique, est faite de méandres, de flux et de reflux. C'est le mouvement même de la vie. J'ai le sentiment que le Premier secrétaire M. Henri Emmanuelli, vers qui vont tous mes voeux, a dit ce qu'il fallait dire. Je l'ai entendu hier - par chance, parce qu'il fallait avoir l'oreille attentive à France Info, sur la route qui me menait à Chartres pour le Sommet franco-britannique - déclarer "maintenant il va falloir partir, commençons une période où nous pouvons de nouveau rencontrer la victoire". Mais, vous ne la rencontrerez que si vous la forcez ! C'est une affaire de volonté, de continuité et de clarté d'esprit dans la fidélité aux engagements qui sont les vôtres.
- On ne pourra rien faire, - c'est la conviction que j'ai acquise au contact des socialistes, à partir des années 1970 -, si on s'éloigne de ses bases. On peut à partir de là élargir l'horizon, on peut comprendre le langage des autres, on peut même en assimiler une partie, rien n'est interdit, à condition de ne rien perdre de ce qui fait le message dont on est les porteurs !\
Je ne donnerai pas mon mot dans le débat ouvert aujourd'hui sur le nom de celui qui portera vos couleurs, nos couleurs, au mois de mai prochain, et pourtant cela m'intéresse car après tout il s'agit de ma propre succession ! J'ai entendu hier quelqu'un d'important que je rencontre souvent, dire : "surtout n'élisez pas un troisième socialiste". Ce n'est pas parole d'évangile, élisez qui vous voulez, mais plutôt un socialiste ! Cela vaudrait mieux que le contraire !
- Alors, je suis venu vous dire bonne chance et cette chance, elle ne tombera pas comme ça du ciel. C'est vous qui la forgerez de vos mains. Il faudra donc du courage et de la constance. Rien ne vous sera épargné. Certains d'entre vous parmi les meilleurs qui ont été mes premiers compagnons de combat, pas forcément les premiers dans la chronologie mais les plus importants dans la conduite du gouvernement, on a essayé de les atteindre, de les détruire. Ils tiennent le coup heureusement. Mais, vous pouvez mesurer la somme d'injustices qu'il faut devoir supporter, si l'on entend porter haut ce drapeau-là. Il faut le savoir : rien ne sera épargné et je ne peux pas dire que je sois le plus à l'abri £ encore heureux quand ce ne sont pas les socialistes qui s'en font l'écho ! enfin cela, c'est une autre affaire...
- Je vous souhaite un bon congrès, je vous souhaite au bout de vos efforts une pleine réussite, je souhaite à l'équipe dirigeante qui va se constituer de savoir maintenir son unité dans sa diversité, cela va de soi. Cela ne peut pas être autrement chez les socialistes, mais au moins son unité pour un même combat, pour une même victoire qui ne sera pas uniquement la vôtre, qui sera celle de nos idées, qui sera celle aussi des classes et des groupes sociaux dont vous êtes les interprètes et qui sans vous seront sans vous abandonnés. Abandonnés à toutes les fureurs des intérêts privés, abandonnés à toutes les colères de ceux qui ont eu peur.
- Notre devoir est de rester présent et fidèle. Voilà je ne vous aurais pas écrit autre chose, si je n'avais pas employé la méthode plus directe de venir vous le dire. Merci.\