7 juin 1994 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de MM. François Mitterrand, Président de la République, et William Clinton, Président des Etats-Unis, à TF1, France 2 et France 3 le 7 juin 1994, sur l'engagement des Etats-Unis vis à vis de l'Europe, les liens de la France et de l'Alliance atlantique, la position américaine sur les conflits armés en Yougoslavie et au Rwanda et sur la dimension sociale de l'économie.

QUESTION.- M. le Président bonsoir. Vous n'avez pas vécu la même histoire et pourtant hier, en Normandie, vous avez partagé la même émotion, les mêmes mots pour dire la liberté, les sacrifices et les efforts qu'il faut faire aujourd'hui pour éviter la guerre. Pourtant la guerre existe aujourd'hui en Europe et ailleurs, est-ce que vous pensez M. le Président Clinton que cela veut dire que ni l'Europe, ni les Etats-Unis aujourd'hui n'ont la même détermination qu'il y a cinquante ans ? Est-ce que l'Europe d'aujourd'hui vous déçoit ?
- LE PRESIDENT CLINTON.- Non parce que je n'ai pas le sentiment que l'on puisse comparer les deux situations. La vraie question c'est : comment est l'Europe aujourd'hui si on la compare à la fin de la deuxième guerre mondiale ou même à la fin de la première guerre mondiale ? Je crois que la réponse est que nous avons fait beaucoup mieux qu'après la première guerre mondiale. Certes, il y a beaucoup d'incertitudes dans le monde mais la sécurité de personne n'est véritablement en danger. L'Europe se réunit politiquement et économiquement. En termes de sécurité je vois plus de coopération avec les Etats-Unis grâce au GATT, ainsi que l'OTAN et le Partenariat pour la paix et nous essayons de régler le problème de la Bosnie. Je sais qu'il n'est pas résolu mais on a fait des progrès. On a limité quand même et nous allons, je pense, avoir un règlement territorial. Donc l'Europe va vers une situation meilleure au XXIème siècle. Avons-nous résolu tous les problèmes ? Non, mais je suis optimiste et particulièrement après ce voyage.
- QUESTION.- M. le Président, c'est bien la première fois avec le Président Clinton que l'Europe politique et même militaire reçoit un tel soutien des Etats-Unis. Est-ce que vous pensez que malgré des opinions publiques qui y croient de moins en moins, les sondages liés aux élections européennes partout en Europe le prouvent, est-ce qu'on va quand même faire avancer cette Europe politique et militaire ou est-ce déjà trop tard ?
- LE PRESIDENT.- Au point de départ de la construction européenne les Etats-Unis d'Amérique ont beaucoup contribué, beaucoup aidé, beaucoup encouragé les fondateurs de cette Europe qu'on appelait à l'époque celle de la Communauté qui était une communauté à six pays. C'est devenu maintenant une Union à Douze avant de devenir une Union à quinze au seize. Donc ils nous ont beaucoup aidé. Ensuite leur attention s'est détournée et il y a eu beaucoup d'autres problèmes et on pourrait dire qu'ils ont été moins présents. Mais c'est vrai qu'avec le Président Clinton, il y a un véritable intérêt pour la construction de l'Europe. Tout à l'heure vous avez dit "est-ce que nous sommes déçus ?" Vous posiez la question au Président Clinton. Moi je crois moins que vous à la désaffection de l'opinion publique.
- QUESTION.- Malgré les sondages ?
- LE PRESIDENT.- Oui, malgré les sondages. Ils sont indicatifs. Ils sont importants. On doit y réfléchir. Mais je crois que l'Europe reste d'un intérêt majeur pour tout le monde et que l'on se comprendra. Encore faut-il que les défenseurs de l'Europe se fassent entendre ! Ce qui n'est pas toujours le cas.
- QUESTION.- Vous pensez à qui ?
- LE PRESIDENT.- Je ne pense à personne en particulier. Je ne cherche à entrer dans aucune polémique. Je dis simplement qu'il faut beaucoup d'énergie et beaucoup de constance pour réussir l'Europe. C'est difficile. Alors après la deuxième guerre mondiale en 1945 et la suite, on a fait beaucoup de progrès. Avec les Nations unies et peu à peu avec la disparition de l'Union soviétique, on a des chances de paix. On n'en a encore pas fait assez. Il reste beaucoup de problèmes à régler. L'histoire, c'est une longue patience.\
QUESTION.- Je voudrais poser une question au Président Clinton. Le président de l'Assemblée, Philippe Seguin, qui vous a accueilli tout à l'heure faisait un parallèle avec la situation de 1919 alors que votre prédecesseur M. Wilson était reçu à l'Assemblée nationale, et il disait : comme en 1919 tout paraît aujourd'hui possible, le pire comme le meilleur. Nous sommes au lendemain d'une longue période de guerre froide. Tout d'abord est-ce que vous êtes sûr que c'est le meilleur qui nous attend et ensuite voyez-vous un endroit en Europe où vous pourriez éventuellement un jour ordonner à vos boys d'intervenir ? Par exemple en Bosnie ?
- LE PRESIDENT CLINTON.- Je pense que la situation ressemble à celle de 1919 et pourtant ce n'est pas la même. En 1919 l'Europe ne s'est pas unie et les Etats-Unis se sont retirés. En 1994, l'Europe s'organise en termes économique, politique et de sécurité et les Etats-Unis sont encore activement engagés dans les affaires européennes. Ils y a des circonstances où nous pourrions engager des troupes américaines. Nous avons un engagement au sein de l'OTAN que nous honorerons. Nous avons déjà mis nos pilotes à la disposition de l'OTAN en Bosnie et également pour le respect des zones de sécurité.
- QUESTION.- Mais vous pourriez faire plus au sol ?
- LE PRESIDENT CLINTON.- Nous avons des troupes en Macédoine pour limiter le conflit et nous ferons le nécessaire pour forcer un accord si un accord est atteint. Mais nous avons pensé qu'il ne fallait pas que nous intervenions pour régler le conflit en prenant partie pour un côté ou pour l'autre. Et si nous devions le faire maintenant, je crois qu'en fin de compte nous augmenterions la controverse. Si nous pouvons faire qu'il y ait un accord entre les parties, je crois que le Président Mitterrand et moi sommes d'accord, alors les Etats-Unis sont prêts à travailler avec leurs alliés pour s'assurer que l'on honorera cet accord.\
QUESTION.- Et vous, M. le Président, êtes-vous déçu par la tiédeur de l'engagement américain, pour reprendre une phrase que Bill Clinton avait utilisée lors de sa campagne électorale, il y a deux ans ?
- LE PRESIDENT.- Non, l'engagement des Etats-Unis pour la paix, y compris pour la paix dans l'ancienne Yougoslavie, est un engagement plein et entier, et vous connaissez ma position, je ne pense pas qu'on résoudra cette guerre en faisant une guerre supplémentaire, plus générale, et les Etats-Unis vont nous aider puissamment, avec les Russes et l'ensemble des pays de l'Union européenne non pas à imposer des conditions - ce n'est pas notre rôle - mais à insister de telle sorte que les belligérants sauront que leur intérêt est d'aboutir à la conciliation.
- QUESTION.- Alors vous avez visité tous les deux ensemble les rivages de la guerre d'il y a cinquante ans, vous savez ce qui se passe en Bosnie actuellement, quel lien la France veut-elle tisser avec les Etats-Unis, est-ce que vous êtes prêt à vous engager davantage dans l'OTAN, par exemple, à revenir à la situation d'avant le coup d'éclat du Général de Gaulle ?
- LE PRESIDENT.- Non, ce n'est pas nécessaire. Nous participons à ce qu'on pourrais appeler les délibérations politiques de l'Alliance atlantique dont nous faisons partie, à laquelle nous sommes fidèles, nous ne participons pas aux discussions d'état-major militaires car nous ne sommes pas dans le commandement intégré.
- QUESTION.- Et la position ne changera pas ?
- LE PRESIDENT.- Elle ne changera pas, en tout cas tant que cela dépendra de moi et je ne pense pas que la France change d'ici longtemps de position là-dessus. Tout à l'heure vous disiez : il n'y a rien de changé. Songez qu'il n'y a pas si longtemps, c'était le monde coupé en deux - l'Europe en tout cas - c'était deux pactes militaires l'un contre l'autre, c'était la guerre froide, tout cela c'est derrière nous.\
QUESTION.- Parmi ces problèmes, il y en un qui touche singulièrement notre pays, il s'agit de l'Algérie. Il y a eu ce matin encore deux assassinats à Alger. On a remarqué, Monsieur Clinton, que votre administration a multiplié, ces derniers temps, les appels du pied aux intégristes. Est-ce que vous pensez qu'il faut ouvrir le dialogue avec eux et peut-être même leur permettre l'accès au pouvoir ?
- LE PRESIDENT CLINTON.- Je veux m'assurer que j'ai bien compris votre question et je vais répéter ce qu'est notre position. Nous essayons d'appuyer le gouvernement actuel, notamment pour rééchelonner la dette, mais nous avons aussi encouragé ce gouvernement à lutter contre des groupes dissidents. Nous avons eu des contacts à des niveaux peu élevés, avec des gens qui ne se sont pas livrés au terrorisme. Nous ne donnons notre appui à aucun de ces mouvements violents, nulle part dans le monde. Nous espérons que le gouvernement algérien arrivera à élargir sa base et arrivera à travailler avec ceux qui ont des difficultés mais qui se sont engagés dans une solution pacifique. Nous sommes très inquiets de voir monter le fondamentalisme militariste dans les Etats islamiques : 17 sur les 22 Etats ont des revenus qui diminuent, 70 % des musulmans d'aujourd'hui sont jeunes et nous avons beaucoup encouragé des gouvernements comme le gouvernement du Maroc et d'autres qui se sont vraiment prononcés pour la paix et nous espérons que la situation en Algérie ne va pas aller trop loin. Notre politique est de nous engager contre le terrorisme mais avec les gens, avec les peuples de l'Islam qui veulent suivre les règles que tout peuple civilisé devrait suivre.
- QUESTION.- Sur le continent africain, les Américains se sont engagés massivement en Somalie, aujourd'hui les Somaliens ne meurent plus de faim, aujourd'hui un peu plus au sud, au Rwanda, des centaines et des centaines de milliers d'hommes sont en train de s'entre-dévorer. Est-ce que les Américains sont prêts à intervenir pour éviter cela ?
- LE PRESIDENT CLINTON.- Non, mais nous sommes prêts à aider. Nous avons déjà offert des millions de dollars d'aide. Nous avons discuté avec nos amis en Afrique, les perspectives d'une force africaine, que nous aiderons à financer, à qui nous donnerons notre appui avec du personnel et d'autres matériels. Nous sommes à même d'aider et nous aiderons beaucoup de pays africains intéressés à fournir les hommes pour faire le nécessaire. Je crois que c'est tout ce que nous pouvons faire pour l'instant ce que nous pouvons faire pour l'instant. Nous avons des troupes en Corée, nous avons des troupes en Europe, nous aurons peut-être de nouveaux engagements en Bosnie si nous arrivons à y trouver la paix et nous essayons fermement d'arriver à faire appliquer l'accord des Nations unies sur Haïti. Nous voulons aider au Rwanda, nous sommes prêts à financer et à donner l'aide nécessaire si les pays africains veulent bien donner les troupes. Je crois qu'il n'en faudrait pas beaucoup pour arrêter ce combat, si plusieurs nations africaines se mettaient ensemble et allaient au combat.\
QUESTION.- Et la France, M. le Président ? On a beaucoup insisté, ces derniers temps, sur le soutien longtemps accordé par la France au gouvernement rwandais dont on connaît la situation aujourd'hui.
- LE PRESIDENT.- La France a donné son aide au Rwanda avec le gouvernement considéré comme légitime à l'époque. Une rébellion s'est organisée contre ce gouvernement. Elle avait ses arguments, elle emporte certaines victoires. Il semble aujourd'hui que le gouvernement dont le président est mort assassiné, est pratiquement défait. C'est nous, Français, qui avons organisé le dialogue entre les combattants et qui avons abouti à un accord, aujourd'hui périmé, mais pour lequel nous avions reçu les remerciements du Front patriotique rwandais !
- QUESTION.- Et aujourd'hui, que pourrait-on faire ?
- LE PRESIDENT.- Je pense qu'il faut encourager les pays qui ont été choisis par les Nations unies, en particulier, le Ghana, le Sénégal, d'autres encore, à fournir les cinq mille cinq cents hommes qui ont été demandés. Et nous avons déjà dit que la France était prête à fournir la logistique, l'appui qui conviendra pour que cette troupe africaine, représentant l'Organisation de l'Unité Africaine puisse s'interposer entre les combattants.
- LE PRESIDENT CLINTON.- Puis-je ajouter un mot ? Une des choses que nous avons apprises en Somalie, où nous avons pu sauver des centaines de milliers de vie et où nous avons perdu des soldats, la plupart dans un incident regrettable, c'est que même une mission humanitaire sera forcément engagée dans la politique du pays, à moins que les gens ne meurent en raison d'un désastre naturel. Je crois que les Nations unies ont eu parfaitement raison de demander aux pays africains d'intervenir, parce que ce seront eux qui seront là, à long terme, et c'est leurs frontières que l'on doit respecter. La France, les Etats-Unis doivent les soutenir, mais je crois que c'est un test important et si nous y arrivons, cela voudra dire beaucoup, plus à long terme, pour l'Afrique.\
QUESTION.- Alors puisque l'on évoque un petit peu le rôle de l'ONU, dans une interview de politique internationale, il y a deux ans et demi, avant que vous ne soyez président, vous vous déclariez favorable à ce que le Japon et l'Allemagne aient un siège permanent au Conseil de Sécurité des Nations unies. Est-ce que vous êtes toujours d'accord avec ce principe ?
- LE PRESIDENT CLINTON.- Oui.
- QUESTION.- Monsieur le Président, cela ne vous gêne pas, vous ?
- LE PRESIDENT.- Cele ne me gêne pas que les Japonais, que les Allemands entrent comme membres permanents du Conseil de Sécurité. Je pense simplement que l'on ne peut pas réserver cette entrée dans la plus haute institution des Nations unies, aux Japonais ou aux Allemands, car il y a toute une partie du monde, la plus peuplée, qui n'est pas représentée. Cela exige donc une négociation générale, et quant à l'objectif japonais et allemand, il n'y a pas de raison de refuser à ces pays qui sont de grandes puissances, des pays très actifs, qui jouent un grand rôle, d'être là avec nous. Nous ne nous sentirons pas diminués si au lieu d'être cinq, nous sommes sept, huit, neuf ou dix, simplement, il faudra des procédures un peu différentes.\
QUESTION.- Que pensez-vous de l'idée émise, aujourd'hui, par le Président de la Commission européenne, Jacques Delors, d'un Conseil de Sécurité économique qui aiderait à coordonner les politiques, notamment, sur les marchés financiers £ on voit en ce moment les difficultés des politiques de taux d'intérêt à court terme, est-ce que vous pensez, Monsieur le Président, que c'est une bonne idée ? Peut-être, Monsieur Clinton, pourrait aussitôt réagir ?
- LE PRESIDENT.- Je dirais que c'est une idée qui est récente, parce qu'elle est nouvelle et qu'elle vient d'un homme ayant beaucoup d'expérience et de compétence, Jacques Delors. A priori, je suis un peu réservé, parce qu'il faut bien prendre garde à ce que les quelques pays les plus riches du monde, dont la France, n'exercent pas une sorte de contrôle sur les affaires universelles, ne se transforment pas en directoire du monde, ou alors, il faudrait que la proposition de cette nouvelle instance soit extrêmement bien étudiée et que l'équilibre y soit maintenu.
- LE PRESIDENT CLINTON.- Je crois que cette recommandation, en fait, vient du travail que M. Delors a déjà fait, notamment, en ce qui concerne les problèmes de croissance en Europe et de création d'emplois. C'est un problème que nous allons examiner, lorsque le groupe des Sept se réunira à Naples. Je crois qu'il y a beaucoup de gens qui pensent qu'il y a en fait une déconnexion entre les gens qui travaillent tous les jours et ce qui se passe sur les marchés financiers. Peut-être que les marchés financiers réagissent trop avant même qu'il y ait un danger d'inflation. Donc, c'est quelque chose dont on doit discuter. Quant à savoir si l'on aura un Conseil de Sécurité économique, rappelez-vous que le Conseil de Sécurité des Nations unies s'attache à résoudre les problèmes principaux, cas par cas. Quelle serait la juridiction de ce conseil économique ? Mais je crois que ce que M. Delors fait, c'est nous demander de réfléchir à un problème pour lequel aucune solution n'a encore été suggérée. Mais je ne suis pas sûr que j'endosse l'idée.
- QUESTION.- Alors, sur le plan économique justement, vous avez consacré, vous, Américains, beaucoup d'énergie et beaucoup d'argent à combattre le communisme. Est-ce que vous êtes prêts à donner le même volume d'efforts, pour aider les ex-pays communistes à sortir de leur marasme économique ?
- LE PRESIDENT CLINTON.- Nous sommes prêts à investir beaucoup dans cet effort. Nous avons déjà beaucoup diminué notre défense et à peu près autant que nous puissions le faire. Donc, je discute avec le Congrès pour leur demander de ne pas couper plus avant le budget militaire mais aussi d'augmenter les budgets d'aide notamment à l'Union soviétique mais aussi à la Russie, à l'Ukraine et aux autres pays nouvellement libérés. Ce que nous devons faire, c'est en fait d'obtenir plus d'investissements et plus d'échanges avec tous ces nouveaux pays, mais il faut que tous les pays de l'ouest s'inquiètent du fait que, maintenant que le communisme est parti, ce qui va le remplacer réussisse. Nous ne voulons pas avoir quelque chose qui ressemblerait au passé, une politique de marché doit réussir et nous espérons qu'elle réussira.\
QUESTION.- Dans votre discours à l'Assemblée nationale tout à l'heure, vous avez souligné le besoin d'aider les démocraties par l'accession à l'économie de marché. L'OCDE, aujourd'hui, explique que nos pays développés sont beaucoup trop rigides, que c'est peut-être l'une des raisons du chômage qui obsède aussi bien la France que les Etats-Unis. Est-ce que vous pensez, M. le Président, que nos sociétés aujourd'hui sont prêtes à des sacrifices pour plus de souplesse qui permettraient peut-être d'ouvrir davantage les marchés aux pays en voie de développement qui, à leur tour, nous achèteraient. Est-ce que vous pensez que c'est un discours que notre opinion publique, comme l'opinion publique américaine, peut entendre ?
- LE PRESIDENT.- Je vous répondrais facilement, si j'étais bien sûr de comprendre votre question. Car, après tout, que veut dire le mot "souplesse" ? J'entends beaucoup de gens dire : il faut de la flexibilité. Qu'est-ce que veut dire flexibilité ? Si cela consiste simplement à demander l'abaissement des salaires, à faire disparaître l'arsenal des lois sociales qui protègent les travailleurs, il ne faut pas le faire. Donc, je ne pense pas qu'il soit sage de voir régler la crise en rendant les travailleurs et les petits et moyens salariés plus pauvres qu'ils n'étaient. Leur situation n'est d'ailleurs pas si brillante. Donc, je voudrais bien comprendre votre mot "souplesse".\
QUESTION.- Mais peut-être que M. Clinton peut nous éclairer là-dessus ?
- LE PRESIDENT CLINTON.- Il n'y a pas de réponse simple à votre question. Les Etats-Unis ont peut-être un marché de l'emploi plus flexible que la plupart des marchés européens, parce que, par exemple, les allocations-chômage ne sont pas aussi élevées et que les accessoires du salaire sont moins élevés. Nous avons une économie plus ouverte et peut-être moins du chômage mais nous payons le prix, nous avons un chômage peu élevé mais nous avons très peu de croissance des salaires sur les vingt dernières années. L'écart entre les plus pauvres et les classes moyennes grandit et ce n'est pas une bonne chose pour les démocraties. Donc, ce que, je l'espère, nous arriverons à faire par le truchement du groupe des Sept et de l'OCDE c'est de voir ce que nous pouvons faire pour résoudre le problème et voir comment nous pouvons humaniser l'emploi, en respectant les droits des classes moyennes. Il faudra que ces questions ainsi que les questions de l'environnement aillent de pair.
- LE PRESIDENT.- On ne peut pas toujours parler économie et ne pas parler social. Je suis d'accord naturellement sur toutes les mesures qui pourraient permettre à l'économie de se développer mais en même temps il faut que des mesures sociales soient prises. Alors je suis très content de voir qu'avec les Etats-Unis d'Amérique, on fait des progrès actuellement. La discussion vient d'avoir lieu, qui devrait nous permettre, dans le cadre du GATT par exemple, d'avoir une clause sociale qui déjà pourrait aboutir pour l'interdiction du travail des enfants, l'interdiction du travail des prisonniers, l'autorisation, que dis-je, la recommandation d'organiser le monde syndical afin qu'il ne soit pas l'objet de brimades ou d'interdictions. Tout ceci va dans le sens du progrès, ce n'est qu'un début. Il est timide sur le plan international, à l'intérieur du GATT, mais cela est déjà très bien et je dirai presque curieusement, ce sont les Etats-Unis de Bill Clinton et la France d'aujourd'hui qui sont à la pointe de ce combat.
- QUESTION.- Malheureusement vous n'avez pas été suivi.
- LE PRESIDENT.- Nous sommes en cours de discussion, il ne faut pas dire cela, pas du tout. De même qu'à l'intérieur de la Communauté européenne devenue Union européenne, je me bats, je ne suis pas le seul, pour que cette union, ces douze pays se dotent d'une destination sociale. C'est insupportable de penser que l'on cherche toujours à développer l'économie et que l'on ne donne pas de garanties aux gens les plus modestes.\
QUESTION.- M. le Président Clinton, vous venez de vivre une année éprouvante sur le plan politique, sur le plan intérieur, régulièrement vous faites l'objet d'attaques, notamment sur votre vie privée. En France, la presse n'attaque pas la vie privée des hommes publics, des hommes politiques. Est-ce que, de temps en temps, vous n'avez pas envie de troquer votre nationalité américaine contre la nationalité française dans ce domaine là ?
- LE PRESIDENT CLINTON.- Chaque fois que je suis à Paris je suis heureux et quand j'ai entendu, le Président Mitterrand, prononcer hier son merveilleux discours, j'ai envié les Français mais j'aime mon pays. Je n'aime pas tout dans notre système politique, mais si vous avez une très grande liberté de parole, quelquefois on en abuse, quelquefois on ne vous dit même pas la vérité, mais cela en fait partie, et je pense qu'en fin de compte notre démocratie surmontera ces petits obstacles. Moi, je fais tous les jours mon travail pour le peuple américain et je les laisse eux se soucier des attaques contre moi. Si je je n'essayais pas de faire des choses qui vont dans le sens de mon pays, je pense que les gens qui m'attaquent, ne m'attaqueraient pas ...
- QUESTION.- Est-ce que ces attaques permanentes dont on parle beaucoup ces jours-ci à Washington à l'occasion d'un livre qui va sortir, et qui met en cause votre manière de conduire les affaires, est-ce que ces attaques permanentes vous blessent encore ou est-ce que vous avez déjà, malgré votre âge, le cuir suffisamment épais ?
- LE PRESIDENT CLINTON.- Oui, j'ai la peau dure, il faut avoir un seuil de douleur très élevé pour faire de la politique de nos jours. Mais sur ce livre : les gens n'aiment pas la façon dont je fais les choses, moi, j'aime qu'on se réunisse autour d'une table, et que tout le monde parle et dise ce qu'il a à dire, c'est la façon d'arriver à développer les idées. Je ne crois pas qu'on peut tout simplement décider. Je réponds à ces critiques par les résultats. Nous avons abaissé le chômage, nous avons créé des emplois, nous produisons, nous construisons, c'est tout ce qui est important. Les Américains vont mieux et c'est le principal.\
QUESTION.- On va continuer avec la comparaison entre nos deux systèmes politiques. Vous savez qu'en France le Président est élu pour sept ans, que si les citoyens sont contents, ils le réélisent pour sept ans, cela s'est déjà produit ! Ils peuvent même le réélire à nouveau pour sept ans, s'ils le souhaitent. Vous, vous êtes élu pour quatre ans seulement, vous êtes en campagne électorale permanente, vous ne trouvez pas que le système français a des avantages par rapport au système américain ?
- LE PRESIDENT CLINTON.- Peut-être ! Encore que le peuple américain soit plus jaloux de ses prérogatives. Il ne veut laisser servir le Président que deux fois, quatre ans, c'est déjà pas mal. Dans mon cas, il n'y a pas eu de lune de miel, ils ont tout de suite commencé à m'attaquer, mais cela fait partie du système. La chose importante, c'est de garder l'oeil fixé sur les objectifs. Il y a des plus, il y a des moins dans n'importe quel système, il n'y a pas de système politique parfait. Le défi lancé à la démocratie, c'est que les gens soient assez mobilisés pour que les choses se fassent. Il y a tellement de forces différentes qui s'opposent à ce qu'on fasse quoi que ce soit, que nous devons nous concentrer sur le fait de bouger les choses. C'est toute mon orientation.
- QUESTION.- C'est pour vous l'objectif de l'an 2000. Vous allez vous représenter la prochaine fois ?
- LE PRESIDENT CLINTON.- Oui, je veux que mon pays entre dans le XXIème siècle, fort, en bonne santé, pas seulement économiquement mais spirituellement, je veux que nous ayons de vraies communautés, je veux que nous soyons ensemble, bien que très différents. Voilà ce que je veux, et je crois que c'est ce que nous voulons tous. C'est ça ce que devrait être la démocratie.
- QUESTION.- Et, est-ce que vous pouvez imaginer qu'un jour votre épouse se présente à la présidence ?
- LE PRESIDENT CLINTON.- Je ne sais pas. C'est une dame qui est pleine de qualité, mais elle m'a toujours dit qu'elle ne voulait pas être candidate, elle travaille beaucoup, elle fait beaucoup de choses dans tous les domaines où elle a une croyance, mais elle a toujours dit qu'elle ne voulait pas être candidate, et plus je vous vois, plus je suis de son avis.
- LE PRESIDENT.- En tout cas, j'entends le Président Clinton dire ce qu'il pense de la façon de faire pour conduire son pays vers le progrès, chacun sa manière, nous le recevons ici, vraiment nous sommes très contents de recevoir le Président et Mme Clinton. Les discussions politiques, cela ne manque pas. Nous ne sommes pas toujours des partenaires très accomodants et cela ne m'empêchera pas de dire bonne chance à Bill Clinton.
- QUESTION.- Et bien, je vous remercie beaucoup au nom des télespectateurs de France 3, de France 2 et de TF1. Merci à M. le Président Clinton, on doit dire Bill ou William Clinton ?
- LE PRESIDENT CLINTON.- Bill.\