7 mai 1994 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur la construction du porte-avions nucléaire "Charles-de-Gaulle", la coopération européenne pour la construction navale, et la mission de la marine nationale, Brest le 7 mai 1994.

Mesdames et messieurs,
- Lorsque le Charles de Gaulle entrera en service, quinze années se seront écoulées après que la loi de programmation de 1984 qui a prévu de doter notre marine nationale d'un porte-avions nucléaire, eut été adoptée.
- Il s'agira du plus grand bâtiment construit dans nos arsenaux depuis la dernière guerre. Ce sera la première fois, dans notre pays, qu'un bâtiment de surface sera doté d'une propulsion nucléaire. Ce sera également la première fois que le groupe aérien d'un de nos porte-avions sera entièrement constitué d'avions de combat du même type, le Rafale, dont j'observe que le poids au décollage sera près de deux fois supérieur à celui des avions actuellement en service dans notre marine.
- Pour réaliser ce programme, il fallut faire appel à toutes les ressources de notre Nation, à son intelligence, à ses compétences, à sa ténacité. Je veux rendre hommage à ceux qui oeuvrent pour atteindre cet objectif en respectant les délais et le coût qui ont été fixés.
- Lorsque le porte-avions quittera le bassin, ceux qui ont assemblé sa coque entreprendront une tâche nouvelle, un transport de chaland de débarquement du type Foudre, dont les travaux d'assemblage débuteront dans les tous prochains jours.
- En dehors même de l'arsenal de Brest et des 6000 personnes qui y travaillent dont je salue les fortes traditions et le grand savoir-faire, d'autres acteurs ont participé à ce programme d'envergure. Sa dimension, les hautes technologies employées, la complexité des systèmes à intégrer ont conduit, en effet, à faire appel à plus d'un millier d'entreprises. Parmi elles figurent les plus grandes entreprises nationales de l'armement et du nucléaire, mais aussi de très nombreuses petites et moyennes entreprises en grande majorité françaises, mais également européennes, ce qui en soit est une bonne chose. Il n'y a aucune raison, en effet, pour que les 350 millions d'Européens rassemblés au sein de l'Union européenne ne puissent développer ensemble les moyens de leur sécurité. C'est l'une des conditions nouvelles de l'indépendance de chacun et de l'indépendance de l'Union.
- Certes, toute coopération de ce type impose des contraintes, appelle des restructurations industrielles chez nous et chez nos partenaires. Cela bouscule les habitudes, il faut le comprendre et nous y préparer.\
Nous avons dans ce domaine, des atouts majeurs, comme on dit, des pôles d'excellence. Nous sommes les seuls en Europe, est-il nécessaire de le rappeler ici, à construire un porte-avions d'un tel tonnage. Nous sommes les seuls en Europe avec les Britanniques à construire des sous-marins nucléaires. Nous avons en la matière spatiale, aéronautique, électronique, informatique et j'en oublie, des compétences unanimement reconnues. Sachons nous en servir. D'autant plus que cette orientation est inscrite dans le projet de loi de programmation militaire actuellement examiné au Parlement pour les années 1995 à 2000.
- Un projet de coopération est en cours de négociation, le programme Horizon, qui réunit la France, la Grande-Bretagne et l'Italie pour la construction d'une frégate anti-aérienne et qui devrait, à l'aube du siècle prochain, assurer l'accompagnement du porte-avions qui se trouve devant vous, le porte-avions Charles de Gaulle.
- Ce projet connaît quelques difficultés pour les raisons mêmes que je viens d'évoquer. Des industriels et leurs intérêts s'opposent. Je souhaite que ces difficultés soient surmontées. Elles nous montrent, en tout cas, qu'il reste beaucoup à faire.\
L'achèvement dans les faits de l'Union européenne sera longue. Elle exigera de la patience et une forte volonté politique. En attendant, nous devons poursuivre l'équipement de nos forces armées avec les moyens qui sont nôtres. Ce porte-avions, instrument de puissance et de souveraineté, est la pièce majeure du dispositif aéronaval que nous entendons maintenir dans nos approches maritimes et déployer lorsque nos intérêts l'exigerons ou lorsque nous déciderons de participer à des opérations sous l'égide des Nations unies.
- Il jouera un rôle essentiel dans le traitement initial des crises, car sa présence se veut avant tout préventive. Mais si la crise devient conflit et si la France décide de s'engager, ces avions pourront être utilisés, comme ceux de l'armée de l'air, en appui de nos forces terrestres, de même qu'en cas extrême, s'il en reçoit l'ordre, le porte-avions sera en mesure de délivrer l'ultime avertissement nucléaire.
- Pour illustrer ce propos, je rappellerai simplement qu'au cours de ces trente dernières années, nos porte-avions ont participé aux campagnes d'expérimentation nucléaire dans le Pacifique, contribué au large de Djibouti à la marche de ce territoire vers l'indépendance, soutenu les contingents français quand ce fut nécessaire en Méditerranée orientale, assuré la présence française dans l'océan Indien lors des opérations qui s'y sont déroulées. Aujourd'hui même, l'un de nos porte-avions peut, quand la situation le demande, être déployé en Adriatique afin de prendre part aux opérations aériennes en Bosnie-Herzégovine, comme nous avons accepté de le faire dans le cadre des actions internationales.
- Mesdames et messieurs, les marines européennes disposent de plus de 200 frégates, mais une seule, la nôtre, possède de véritables porte-avions £ une seule marine. Préserver cet outil, assurer à la France sa place dans une future marine européenne : voilà aussi de quoi il s'agit.
- Nos marins ont l'expérience du travail en commun. Leur expérience à eux, acquise au sein de l'Alliance atlantique doit se poursuivre sous cette forme, mais aussi au sein de l'Union de l'Europe occidentale. Ce n'est pas facile, ce n'est jamais facile. Raison de plus, persévérons dans cette voie qui est celle de l'avenir.\
La République a décidé de donner à notre porte-avions nucléaire le nom de Charles de Gaulle, associant ce nom à ceux de Clémenceau et de Foch et aux noms des hommes illustres qui, au cours de ce siècle et aux heures sombres de notre histoire, ont su affirmer leur refus de la défaite et la volonté du pays de rester maître de son destin. C'est précisément Charles de Gaulle qui le déclarait en 1951, je le cite : "Quand un pays est le seul au monde qui s'ouvre à la fois sur la Manche, la mer du Nord, l'océan Atlantique et la Méditerranée, quand il y pénètre par autant de caps, quand il se prolonge dans les cinq parties de la terre, quand il fournit depuis des siècles d'aussi nombreux et bons marins, ce pays est fait de toutes pièces pour jouer demain comme hier un grand rôle sur les océans". Et c'est le porte-avions qui porte ce nom-là qui nous aidera désormais à jouer ce rôle auquel tout notre passé, à laquelle toute notre histoire nous convient.
- Le porte-avions Charles de Gaulle va maintenant poursuivre son armement. Dès l'année prochaine, il recevra son premier noyau d'équipage, dont l'effectif atteindra près de 2000 hommes et femmes lorsqu'il sera admis au service actif.
- Multiples sont les difficultés que rencontrent ceux qui ont choisi de servir en mer. Mais, vous connaissez comme moi la grandeur de ce métier. Je veux dire aux équipages de la marine nationale, récemment meurtris comme nous-même par l'accident du sous-marin Emeraude, que la Nation compte sur eux, sur leur compétence, sur leur disponibilité et leur sens du devoir.
- Je n'oublie pas qu'au-delà de la marine nationale, le personnel de la Défense, celui de la Délégation générale pour l'armement et singulièrement aujourd'hui celui de la Direction des constructions navales, mais aussi nos soldats et nos aviateurs, sont tous à l'oeuvre, ensemble, dans le même idéal pour assurer la sécurité de notre pays.
- Face à ce que nous avons vu depuis les quelques instants où nous sommes rassemblés, devant cette admirable oeuvre technique qui répond aux nécessités de l'usage, à ce qu'en attend la défense de la France, mais aussi aux règles d'une admirable esthétique, à celles et ceux que nous avons aperçu et qui sont les maîtres d'oeuvre, à ceux qui ont consacré des millions d'heures à ce que nous observons aujourd'hui, ce porte-avions Charles de Gaulle, à toutes celles et à tous ceux qui partout dans le pays voient dans le geste que nous accomplissons en cet instant comme un signe de force et d'espoir, je dis, certes, ma confiance, mais je dis beaucoup plus, la confiance de la France.\