6 mai 1994 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur l'historique de la coopération franco-britannique pour la construction du tunnel sous la Manche, à Coquelles, le 6 mai 1994.

Madame,
- J'éprouve en ce jour, et les Français avec moi, j'en suis sûr, un sentiment particulier d'émotion et de fierté à vous accueillir pour l'inauguration du tunnel sous La Manche.
- Plus de deux siècles de rêves et de projets, d'initiatives échelonnées dans le temps, trouvent aujourd'hui leur aboutissement.
- Cette inauguration en présence de son Altesse royale le Prince Philip et de beaucoup d'autres personnalités britanniques et françaises, au premier rang desquelles Mme Thatcher et M. Pierre Mauroy qui furent à l'origine du projet, en même temps que les ministres des affaires étrangères Sir Geoffrey et M. Roland Dumas, scelle la volonté et la persévérance de nos deux pays.
- Volonté et persévérance n'ont jamais fléchi depuis plus de dix ans, malgré l'audace et les risques de l'entreprise. C'est le 11 septembre 1981 que l'aventure a commencé. Ce jour-là, le projet de construction d'un lien fixe transmanche a été relancé à l'occasion d'un sommet franco-britannique. C'est le 30 novembre 1984, lors du sommet de Rambouillet que la décision de principe a été arrêtée. Et le 12 février 1986, le traité du tunnel sous La Manche a été signé à Canterbury. Le 29 juillet 1987 à Paris, nos deux Etats ont échangé les instruments de ratification du traité, rendant cette démarche irréversible.
- En ces quatre circonstances - le récit sera court, mais l'oeuvre a été longue - ce qui fut décisif a été l'engagement personnel des responsables de nos deux pays. Et j'ai plaisir à rappeler précisément, en présence du Premier ministre de l'époque et de M. John Major, tous ces éléments qui montreront ce que peut être la réussite, c'est-à-dire une somme d'efforts.
- Et pourtant, cette volonté n'aurait pas suffi si elle n'avait été relayée par celle des créateurs et des initiateurs du projet, par celle des diplomates, des juristes, des financiers, des ingénieurs, des ouvriers de tous les corps de métier. J'écoutais avec intérêt les propos de M. le président Bénard, auquel j'associerai Sir Alistair Morton, qui ont, à tous moments, connu les épreuves, les affres, mais aussi les joies d'une entreprise menée à bien.
- Grâce à la fructueuse collaboration instaurée entre les Etats et le secteur privé, par le système de la concession, un prodigieux travail d'imagination, d'invention, de précision a permis qu'aujourd'hui cet ouvrage impressionnant puisse exister. Je veux encore rendre hommage à tous ceux qui y ont pris part et j'en ai cité beaucoup. Le plus humble devra se reconnaître dans le compliment que je leur adresse.
- Voilà bien la preuve que lorsque la Grande Bretagne et la France s'accordent pour travailler ensemble et mettre en commun leurs immenses ressources matérielles et humaines, elles réalisent de grandes choses. Peut-être pourrions-nous nous en inspirer davantage.\
Nous avons désormais une frontière terrestre, Madame, Calais n'est plus qu'à une demi-heure de Folkestone et Londres n'est plus qu'à trois heures, bientôt, 2h30, plus tard sans doute moins encore, de Paris. Mais ce qui se passe entre nous n'est pas indifférent au reste de l'Europe et à son devenir, cette Europe présente en ce jour en la personne de deux grands fondateurs et constructeurs de notre Union, le Premier ministre du Royaume de Belgique, M. Dehaene, et le Président de la Commission européenne, M. Jacques Delors.
- A terme, cette liaison à grande vitesse reliera également Londres à Bruxelles, puis Amsterdam et Cologne, sans oublier la suite que le siècle prochain décidera. Cette réalisation est donc un atout majeur pour le renforcement de l'Union européenne, un élément décisif dans l'élaboration et la mise en oeuvre du marché unique, un pas supplémentaire pour le rapprochement entre les peuples eux-mêmes.
- Au fur et à mesure de l'avancée des travaux, le tunnel est devenu une réalité dans le paysage quotidien de nos pays. Il est apparu comme un lien définitif entre la Grande-Bretagne et le continent. Sa mise en service ne pourra que renforcer ce sentiment. Car, au-delà de l'aspect primordial que revêt la liaison fixe transmanche pour l'approfondissement des relations bilatérales, je salue sa vocation européenne, dans les deux dimensions politique et économique.
- Ce nouvel axe de communication préfigure de manière exemplaire une Europe à la pointe de la technologie. Elle pourrait faire tellement plus, unie et solidaire et c'est cette solidarité entre les Etats membres qui la composent qui symbolise l'Europe, point de départ d'une autre grande aventure, celle, je l'ai dit, du prochain siècle.
- Je crois, madame et vous mesdames et messieurs, que nous pourront être fiers d'avoir poursuivi l'oeuvre jusqu'à son terme qui précédera la construction dont nous continuons de rêver, si le rêve, comme cela est montré aujourd'hui, reste proche de la réalité.\