10 mars 1994 - Seul le prononcé fait foi
Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur l'histoire et la mission de l'Ecole Polytechnique, l'évolution de son enseignement et son ouverture à des étudiants et des chercheurs étrangers, Palaiseau le 10 mars 1994.
Mesdames,
- Messieurs,
- Deux cents ans, c'est un bel âge ! Mais deux cents ans d'histoire, et quelle histoire ! C'est elle que nous célébrons aujourd'hui, disons demain puisque c'est le 11 mars 1794 que le décret instituant la création de l'Ecole Polytechnique fut signé.
- Je ne désire pas me répéter, même à quelques années d'intervalle mais je pourrais le faire : tout le monde ne retient pas par coeur ce qui a été dit naguère. Je rappellerai seulement que là ici même, voilà bientôt six ans, j'avais esquissé, vous avez bien voulu le rappeler, les conditions de la fondation de l'Ecole Polytechnique, telles qu'elles avaient été définies par Monge et Carnot. Mais j'avais aussi évoqué l'avenir.
- L'Ecole Polytechnique n'est pas restée inerte depuis sa création. Les évolutions ont été nombreuses, ne serait-ce qu'au cours de ces vingt-cinq dernières années, pour faire plus court : le déménagement de Paris à Palaiseau, l'ouverture du recrutement aux jeunes filles, le développement des laboratoires, la forte augmentation des promotions, que j'avais souhaitée, et d'autres réformes, encore, importantes. Mais à ces changements nécessaires, il manquait, me semble-t-il, un cadre général, il manquait une réaffirmation de la mission de Polytechnique qui tienne compte des évolutions de notre société.
- Il ne s'agit pas de renoncer à la vision originelle, on peut dire prophétique, des fondateurs. Je cite : "stimuler le génie français prêt à s'endormir, rappeler l'attention vers les sciences, ranimer l'amour de l'étude", c'est Monge qui l'écrivait.
- Monge que j'ai voulu choisir parmi celles et ceux qui venaient à l'esprit parmi les grands révolutionnaires ayant toujours à mes yeux, le plus de signification par la portée historique de leurs oeuvres.
- Et c'est vrai qu'en deux siècles votre Ecole a produit des personnalités d'exception. Vous me les avez rappelées il y a un instant. Je les avais déjà notées, signe que j'étais quand même bien informé. Viennent à l'esprit, pêle-mêle, des scientifiques comme Henri Poincaré - nous sommes, je crois dans l'ampithéâtre qui porte son nom et j'observe que depuis quelques temps on m'en parle beaucoup comme si Monge avait donné l'exemple de ce qu'il conviendrait de faire dans le Panthéon des mémoires nationales. Mais cela reste à voir - £ des militaires comme Joffre et Foch mais je citerai aussi le capitaine Dreyfus, héros malgré lui d'une terrible affaire qui garde encore toute sa signification dans notre vie nationale £ de grands industriels comme André Citroën £ de grands commis de l'Etat et parmi eux - ils sont si nombreux, j'en ai connu beaucoup moi-même - le nom qui me vient à l'esprit est celui de M. Guillaumat qui fut un homme d'importance par ses qualités personnelles, plus encore que par les fonctions qu'il a remplies et qui a beaucoup fait pour l'indépendance énergétique de la France, indépendance si nécessaire à notre indépendance tout court.\
Deux siècles : on peut faire un bilan et je crois pouvoir dire en votre nom que ce bilan est glorieux. Mais deux siècles, c'est aussi le temps des projets et des remises en cause. Au-delà des "grands anciens", il en est ici qui jouent ou qui joueront demain un rôle éminent dans le destin du pays. La question qui doit se poser est celle-ci : quel destin ? et de quelle façon les polytechniciens peuvent-ils y contribuer ?
- Créée, je cite encore : "pour former des ingénieurs en tous genres, rétablir l'enseignement des sciences exactes et donner une haute formation scientifique à des jeunes gens", l'Ecole Polytechnique a accompagné tout au long du XIXème et du XXème siècles les transformations industrielles de notre pays. Mais la France d'aujourd'hui, il faut toujours le rappeler même si c'est une évidence, n'est plus celle du XIXème - si elle l'était et là où elle l'est encore c'est bien dommage - ni même celle de l'après-guerre immédiat, que certains d'entre nous ont connue. Les frontières s'estompent dans l'Europe des Douze. Que dis-je ? Nous créons un ensemble de 340 à 350 millions de personnes sans frontières au sein d'un marché unique mais doté aussi de compétences dans tous les domaines de l'activité humaine. Quant au reste du monde, vous savez bien que la distance ne protège plus de la concurrence et doit toujours inciter à la compétition. Cette compétition il nous faut la gagner.
- La France doit s'adapter aux changements, mais elle doit en sortir renforcée et c'est l'un des éléments de votre mission. Si on ne pouvait pas compter sur vous pour cela, sur qui le ferait-on ? Il en est d'autres, sans aucun doute, dans d'autres écoles mais vous en constituez une pièce essentielle. Je le répète parce qu'il le faut : au moment où, pendant la Révolution de 1789, on a conçu la France du futur, cela correspondait aussi à une transformation due à une première révolution industrielle et il est assez étonnant et admirable que quelques hommes aient conçu à cette époque, dans le désarroi et le désordre général, ce que pourraient être les structures fondamentales d'une République vivante et porteuse d'avenir. Alors, je crois pouvoir dire que l'Ecole Polytechnique a répondu à ce qu'ils attendaient, à ce que nous continuons d'attendre d'elle.\
Mais puisque l'on procède aujourd'hui à ce bilan, je dirai que vous présentez, vous polytechniciens, un bilan qui nous dit la force que vous représentez mais qui comporte aussi, à côté, comme dans tout bilan, une faiblesse. Votre force, c'est l'excellence de la formation scientifique qui, alliée à la sévérité du recrutement, produit, je l'espère du moins, mais on me le dit et je l'ai parfois vérifié, des individus à l'esprit aiguisé qui appliquent quel que soit leur domaine d'activité, les qualités de rigueur et d'intuition que développe l'étude des sciences.
- La faiblesse, c'est la reconnaissance que je crois insuffisante dont jouit votre Ecole hors de notre pays. Cela peut paraître surprenant et pourtant c'est comme cela. Oh, pas seulement pour votre école ! Les Français se sont sentis, et se sentent toujours après tout, bien chez eux et nous avons quelques difficultés, moins aujourd'hui qu'hier, mais encore, à leur faire comprendre que leur place est sur tous les chemins du monde. Cette insuffisance est vraie de l'ensemble de notre système de grandes écoles, donc de votre école qui je crois pouvoir le dire, est la plus connue de France. Elle ne prépare pas à une profession : la formation qui y est dispensée doit donc être complétée dans d'autres établissements. Ce peut être la raison de cette discrétion relative £ c'est aussi un reflet de la difficulté qu'a l'image de la France moderne et technologique à s'imposer à l'étranger.
- Le schéma directeur préparé par le conseil d'administration de l'Ecole Polytechnique prend en compte, et je vous remercie d'y avoir pensé sans complaisance pour quiconque et surtout pour vous-mêmes, ce double constat de force et de faiblesse. Les choix qui ont été faits rencontrent mon accord. Tout d'abord la réaffirmation de la vocation scientifique de votre école. Il est bon que demeure une formation comme celle-ci où l'on donne aux élèves la compréhension et la méthode que l'on acquiert par cette étude des sciences. Libre ensuite aux polytechniciens de compléter leur formation comme ils veulent dans un domaine différent, mais ils appliqueront les méthodes apprises ici.
- Ensuite la recherche d'une reconnaissance internationale. Je reprends l'argument : ouverture accrue aux élèves étrangers, - vous prévoyez un doublement de leur nombre, pour atteindre d'ici à quelques années près d'une centaine d'étudiants. "Quelques années", cela m'inquiète : faites qu'il y en ait peu. Vous me direz qu'il y a des problèmes budgétaires qui se posent à vous. Il faut que le gouvernement le comprenne - £ diversification de leur recrutement : aujourd'hui la plupart des élèves étrangers viennent de pays francophones £ renforcement des liens avec des institutions d'enseignement étrangères, par la possibilité ouverte aux élèves d'y poursuivre leur formation après leur scolarité.\
C'est la synthèse de ces deux orientations qui se retrouve dans l'accent mis, par vous, comme je le fais maintenant, sur la formation par la recherche. Il ne s'agit pas pour votre école de ne former que des chercheurs : les grands corps de l'Etat et l'industrie restent deux destinations naturelles des élèves. Mais il s'agit de tirer parti du constat qu'avoir un jour été chercheur, c'est garder toute sa vie certaines qualités de rigueur et d'imagination. Ces qualités sont, croyez-moi, un atout essentiel dans tout domaine professionnel où nous avons et où vous avez à exercer votre activité.
- Mais ce constat vous l'avez fait vous-même. Je reprends quelques idées majeures que l'on retrouve dans vos propres documents et je me réjouis profondément de tout cela car je suis persuadé que c'est une nécessité à la fois pour votre Ecole et pour la France. Il ne sert à rien de déplorer, comme on l'entend régulièrement, le déficit de la France par exemple en matière de dépôt de brevets, de création de produits nouveaux, si en même temps les meilleurs étudiants scientifiques sont orientés systématiquement vers les activités au demeurant fort honorables et même indispensables que sont les activités administratives.
- Longtemps la France s'est distinguée par l'absence de communication entre sa recherche et son industrie. C'est dans les grandes écoles que le rapprochement entre ces deux mondes peut le mieux s'effectuer. Des dirigeants d'industries formés à et par la recherche seront, j'en suis convaincu plus sensibles à la nécessité de l'innovation et ils comprendront tout à fait ce que les laboratoires peuvent leur apporter dans ce domaine.
- A l'inverse, le développement d'une relation plus étroite avec l'industrie encouragera ces mêmes laboratoires, dont je connais l'excellence et particulièrement celui de l'Ecole, à penser quotidiennement aux applications possibles, réalisables, de leurs recherches. J'observe que beaucoup de progrès ont été accomplis dans ce rapprochement et que vous ne partez pas de zéro, mais il nous faut maintenant poursuivre et continuer cette démarche.\
Plus de liens avec les entreprises, plus de liens avec les laboratoires étrangers, plus de liens entre les laboratoires des polytechniques et les élèves. Cette vision que vous partagez vous conduit à vouloir former par une activité de recherche le tiers de vos élèves. Dans ce même esprit, j'avais lors de ma dernière visite souhaité que sur le Plateau du Moulon s'organisât un vaste pôle scientifique pourvu d'un rayonnement international. Cinq ans plus tard, quatorze institutions d'enseignement supérieur et de recherche réunies dans l'association Ile de Sciences et les quatorze communes concernées ont proposé un schéma d'aménagement approuvé en 1992 par le Préfet et se sont constituées en district. Comment n'en serais-je pas satisfait ! Nous en avons tant besoin et les projets concrets ne manquent pas : amélioration des transports en commun, des capacités d'accueil pour les chercheurs étrangers, création d'un centre d'apprentissage des langues destiné aux étudiants et chercheurs français comme étrangers et enfin centre de documentation scientifique. Dans ce contexte il me paraît également souhaitable d'encourager l'implantation sur le site de nouvelles écoles comme de nouveaux laboratoires. J'avais en 1988 promis l'aide de l'Etat à la réalisation de ce pôle d'excellence £ je suis convaincu que cette promesse continuera d'être tenue et la présence parmi nous de M. le ministre responsable en est déjà la garantie.
- Il est un dernier point dont je souhaite que la formation reçue à l'Ecole Polytechnique soit imprégnée. Ces beaux locaux, les conditions de travail et d'étude que je crois exceptionnelles dont jouissent les élèves, qui permettent à ce que l'on appelle leur "excellence", c'est un beau mot, de s'épanouir, c'est à la Nation et à l'ensemble de leurs concitoyens qu'ils en sont redevables et cette dette, c'est tout au long de leur vie qu'ils vont peu à peu la restituer par chacun de leurs efforts et de leurs choix professionnels, qu'il s'agisse de choisir où exercer ses talent quand on est chercheur, où investir et créer des emplois quand on est chef d'entreprise. Ce n'est pas parce que j'ai conclu par ce message qu'il est moins important. Vous avez bien voulu me redire tout à l'heure la devise de votre Ecole : "Pour la Patrie, les sciences et la gloire". Eh bien, mesdames et messieurs, c'est la Patrie qui vient en premier.\
- Messieurs,
- Deux cents ans, c'est un bel âge ! Mais deux cents ans d'histoire, et quelle histoire ! C'est elle que nous célébrons aujourd'hui, disons demain puisque c'est le 11 mars 1794 que le décret instituant la création de l'Ecole Polytechnique fut signé.
- Je ne désire pas me répéter, même à quelques années d'intervalle mais je pourrais le faire : tout le monde ne retient pas par coeur ce qui a été dit naguère. Je rappellerai seulement que là ici même, voilà bientôt six ans, j'avais esquissé, vous avez bien voulu le rappeler, les conditions de la fondation de l'Ecole Polytechnique, telles qu'elles avaient été définies par Monge et Carnot. Mais j'avais aussi évoqué l'avenir.
- L'Ecole Polytechnique n'est pas restée inerte depuis sa création. Les évolutions ont été nombreuses, ne serait-ce qu'au cours de ces vingt-cinq dernières années, pour faire plus court : le déménagement de Paris à Palaiseau, l'ouverture du recrutement aux jeunes filles, le développement des laboratoires, la forte augmentation des promotions, que j'avais souhaitée, et d'autres réformes, encore, importantes. Mais à ces changements nécessaires, il manquait, me semble-t-il, un cadre général, il manquait une réaffirmation de la mission de Polytechnique qui tienne compte des évolutions de notre société.
- Il ne s'agit pas de renoncer à la vision originelle, on peut dire prophétique, des fondateurs. Je cite : "stimuler le génie français prêt à s'endormir, rappeler l'attention vers les sciences, ranimer l'amour de l'étude", c'est Monge qui l'écrivait.
- Monge que j'ai voulu choisir parmi celles et ceux qui venaient à l'esprit parmi les grands révolutionnaires ayant toujours à mes yeux, le plus de signification par la portée historique de leurs oeuvres.
- Et c'est vrai qu'en deux siècles votre Ecole a produit des personnalités d'exception. Vous me les avez rappelées il y a un instant. Je les avais déjà notées, signe que j'étais quand même bien informé. Viennent à l'esprit, pêle-mêle, des scientifiques comme Henri Poincaré - nous sommes, je crois dans l'ampithéâtre qui porte son nom et j'observe que depuis quelques temps on m'en parle beaucoup comme si Monge avait donné l'exemple de ce qu'il conviendrait de faire dans le Panthéon des mémoires nationales. Mais cela reste à voir - £ des militaires comme Joffre et Foch mais je citerai aussi le capitaine Dreyfus, héros malgré lui d'une terrible affaire qui garde encore toute sa signification dans notre vie nationale £ de grands industriels comme André Citroën £ de grands commis de l'Etat et parmi eux - ils sont si nombreux, j'en ai connu beaucoup moi-même - le nom qui me vient à l'esprit est celui de M. Guillaumat qui fut un homme d'importance par ses qualités personnelles, plus encore que par les fonctions qu'il a remplies et qui a beaucoup fait pour l'indépendance énergétique de la France, indépendance si nécessaire à notre indépendance tout court.\
Deux siècles : on peut faire un bilan et je crois pouvoir dire en votre nom que ce bilan est glorieux. Mais deux siècles, c'est aussi le temps des projets et des remises en cause. Au-delà des "grands anciens", il en est ici qui jouent ou qui joueront demain un rôle éminent dans le destin du pays. La question qui doit se poser est celle-ci : quel destin ? et de quelle façon les polytechniciens peuvent-ils y contribuer ?
- Créée, je cite encore : "pour former des ingénieurs en tous genres, rétablir l'enseignement des sciences exactes et donner une haute formation scientifique à des jeunes gens", l'Ecole Polytechnique a accompagné tout au long du XIXème et du XXème siècles les transformations industrielles de notre pays. Mais la France d'aujourd'hui, il faut toujours le rappeler même si c'est une évidence, n'est plus celle du XIXème - si elle l'était et là où elle l'est encore c'est bien dommage - ni même celle de l'après-guerre immédiat, que certains d'entre nous ont connue. Les frontières s'estompent dans l'Europe des Douze. Que dis-je ? Nous créons un ensemble de 340 à 350 millions de personnes sans frontières au sein d'un marché unique mais doté aussi de compétences dans tous les domaines de l'activité humaine. Quant au reste du monde, vous savez bien que la distance ne protège plus de la concurrence et doit toujours inciter à la compétition. Cette compétition il nous faut la gagner.
- La France doit s'adapter aux changements, mais elle doit en sortir renforcée et c'est l'un des éléments de votre mission. Si on ne pouvait pas compter sur vous pour cela, sur qui le ferait-on ? Il en est d'autres, sans aucun doute, dans d'autres écoles mais vous en constituez une pièce essentielle. Je le répète parce qu'il le faut : au moment où, pendant la Révolution de 1789, on a conçu la France du futur, cela correspondait aussi à une transformation due à une première révolution industrielle et il est assez étonnant et admirable que quelques hommes aient conçu à cette époque, dans le désarroi et le désordre général, ce que pourraient être les structures fondamentales d'une République vivante et porteuse d'avenir. Alors, je crois pouvoir dire que l'Ecole Polytechnique a répondu à ce qu'ils attendaient, à ce que nous continuons d'attendre d'elle.\
Mais puisque l'on procède aujourd'hui à ce bilan, je dirai que vous présentez, vous polytechniciens, un bilan qui nous dit la force que vous représentez mais qui comporte aussi, à côté, comme dans tout bilan, une faiblesse. Votre force, c'est l'excellence de la formation scientifique qui, alliée à la sévérité du recrutement, produit, je l'espère du moins, mais on me le dit et je l'ai parfois vérifié, des individus à l'esprit aiguisé qui appliquent quel que soit leur domaine d'activité, les qualités de rigueur et d'intuition que développe l'étude des sciences.
- La faiblesse, c'est la reconnaissance que je crois insuffisante dont jouit votre Ecole hors de notre pays. Cela peut paraître surprenant et pourtant c'est comme cela. Oh, pas seulement pour votre école ! Les Français se sont sentis, et se sentent toujours après tout, bien chez eux et nous avons quelques difficultés, moins aujourd'hui qu'hier, mais encore, à leur faire comprendre que leur place est sur tous les chemins du monde. Cette insuffisance est vraie de l'ensemble de notre système de grandes écoles, donc de votre école qui je crois pouvoir le dire, est la plus connue de France. Elle ne prépare pas à une profession : la formation qui y est dispensée doit donc être complétée dans d'autres établissements. Ce peut être la raison de cette discrétion relative £ c'est aussi un reflet de la difficulté qu'a l'image de la France moderne et technologique à s'imposer à l'étranger.
- Le schéma directeur préparé par le conseil d'administration de l'Ecole Polytechnique prend en compte, et je vous remercie d'y avoir pensé sans complaisance pour quiconque et surtout pour vous-mêmes, ce double constat de force et de faiblesse. Les choix qui ont été faits rencontrent mon accord. Tout d'abord la réaffirmation de la vocation scientifique de votre école. Il est bon que demeure une formation comme celle-ci où l'on donne aux élèves la compréhension et la méthode que l'on acquiert par cette étude des sciences. Libre ensuite aux polytechniciens de compléter leur formation comme ils veulent dans un domaine différent, mais ils appliqueront les méthodes apprises ici.
- Ensuite la recherche d'une reconnaissance internationale. Je reprends l'argument : ouverture accrue aux élèves étrangers, - vous prévoyez un doublement de leur nombre, pour atteindre d'ici à quelques années près d'une centaine d'étudiants. "Quelques années", cela m'inquiète : faites qu'il y en ait peu. Vous me direz qu'il y a des problèmes budgétaires qui se posent à vous. Il faut que le gouvernement le comprenne - £ diversification de leur recrutement : aujourd'hui la plupart des élèves étrangers viennent de pays francophones £ renforcement des liens avec des institutions d'enseignement étrangères, par la possibilité ouverte aux élèves d'y poursuivre leur formation après leur scolarité.\
C'est la synthèse de ces deux orientations qui se retrouve dans l'accent mis, par vous, comme je le fais maintenant, sur la formation par la recherche. Il ne s'agit pas pour votre école de ne former que des chercheurs : les grands corps de l'Etat et l'industrie restent deux destinations naturelles des élèves. Mais il s'agit de tirer parti du constat qu'avoir un jour été chercheur, c'est garder toute sa vie certaines qualités de rigueur et d'imagination. Ces qualités sont, croyez-moi, un atout essentiel dans tout domaine professionnel où nous avons et où vous avez à exercer votre activité.
- Mais ce constat vous l'avez fait vous-même. Je reprends quelques idées majeures que l'on retrouve dans vos propres documents et je me réjouis profondément de tout cela car je suis persuadé que c'est une nécessité à la fois pour votre Ecole et pour la France. Il ne sert à rien de déplorer, comme on l'entend régulièrement, le déficit de la France par exemple en matière de dépôt de brevets, de création de produits nouveaux, si en même temps les meilleurs étudiants scientifiques sont orientés systématiquement vers les activités au demeurant fort honorables et même indispensables que sont les activités administratives.
- Longtemps la France s'est distinguée par l'absence de communication entre sa recherche et son industrie. C'est dans les grandes écoles que le rapprochement entre ces deux mondes peut le mieux s'effectuer. Des dirigeants d'industries formés à et par la recherche seront, j'en suis convaincu plus sensibles à la nécessité de l'innovation et ils comprendront tout à fait ce que les laboratoires peuvent leur apporter dans ce domaine.
- A l'inverse, le développement d'une relation plus étroite avec l'industrie encouragera ces mêmes laboratoires, dont je connais l'excellence et particulièrement celui de l'Ecole, à penser quotidiennement aux applications possibles, réalisables, de leurs recherches. J'observe que beaucoup de progrès ont été accomplis dans ce rapprochement et que vous ne partez pas de zéro, mais il nous faut maintenant poursuivre et continuer cette démarche.\
Plus de liens avec les entreprises, plus de liens avec les laboratoires étrangers, plus de liens entre les laboratoires des polytechniques et les élèves. Cette vision que vous partagez vous conduit à vouloir former par une activité de recherche le tiers de vos élèves. Dans ce même esprit, j'avais lors de ma dernière visite souhaité que sur le Plateau du Moulon s'organisât un vaste pôle scientifique pourvu d'un rayonnement international. Cinq ans plus tard, quatorze institutions d'enseignement supérieur et de recherche réunies dans l'association Ile de Sciences et les quatorze communes concernées ont proposé un schéma d'aménagement approuvé en 1992 par le Préfet et se sont constituées en district. Comment n'en serais-je pas satisfait ! Nous en avons tant besoin et les projets concrets ne manquent pas : amélioration des transports en commun, des capacités d'accueil pour les chercheurs étrangers, création d'un centre d'apprentissage des langues destiné aux étudiants et chercheurs français comme étrangers et enfin centre de documentation scientifique. Dans ce contexte il me paraît également souhaitable d'encourager l'implantation sur le site de nouvelles écoles comme de nouveaux laboratoires. J'avais en 1988 promis l'aide de l'Etat à la réalisation de ce pôle d'excellence £ je suis convaincu que cette promesse continuera d'être tenue et la présence parmi nous de M. le ministre responsable en est déjà la garantie.
- Il est un dernier point dont je souhaite que la formation reçue à l'Ecole Polytechnique soit imprégnée. Ces beaux locaux, les conditions de travail et d'étude que je crois exceptionnelles dont jouissent les élèves, qui permettent à ce que l'on appelle leur "excellence", c'est un beau mot, de s'épanouir, c'est à la Nation et à l'ensemble de leurs concitoyens qu'ils en sont redevables et cette dette, c'est tout au long de leur vie qu'ils vont peu à peu la restituer par chacun de leurs efforts et de leurs choix professionnels, qu'il s'agisse de choisir où exercer ses talent quand on est chercheur, où investir et créer des emplois quand on est chef d'entreprise. Ce n'est pas parce que j'ai conclu par ce message qu'il est moins important. Vous avez bien voulu me redire tout à l'heure la devise de votre Ecole : "Pour la Patrie, les sciences et la gloire". Eh bien, mesdames et messieurs, c'est la Patrie qui vient en premier.\