14 décembre 1993 - Seul le prononcé fait foi

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Avant-propos de M. François Mitterrand, Président de la République, au numéro spécial de "La Lettre diplomatique" consacré au 30ème anniversaire du Traité de l'Élysée, sur l'histoire des relations franco-allemandes et la construction de l'Union européenne, Paris le 14 décembre 1993.

Depuis plus de quarante ans maintenant, une conviction simple et forte a inspiré tous les responsables gouvernementaux à Paris comme à Bonn : l'avenir de l'Europe dans son ensemble repose d'abord sur l'entente entre l'Allemagne et la France. Aujourd'hui plus que jamais, ce postulat demeure au coeur de toute politique qui se donne comme fins la sécurité, la prospérité et la réunion des Européens dans un ensemble organisé et solidaire.
- Le Traité de l'Elysée, dont on a célébré le 22 janvier le trentième anniversaire, a fourni le cadre institutionnel de cette coopération privilégiée entre la France et l'Allemagne. Conçu dans une période de turbulences européennes et de tensions internationales, objet dès l'origine d'interprétations diverses, il eut des débuts quelque peu difficiles et l'on se souvient que le Général de Gaulle n'hésitait pas, dès juillet 1964, à tirer un bilan désabusé de la mise en oeuvre du Traité. Mais la réalité de la coopération franco-allemande et surtout sa nécessité devaient au fil du temps s'imposer.
- Les mécanismes de consultations régulières prévus par le Traité, complétés ultérieurement par des rencontres plus informelles entre hauts responsables français et allemands, ont permis d'affronter en temps utiles les obstacles et de canaliser les volontés communes. Avec le temps, à mesure que se forgeait entre les deux pays une communauté d'intérêts et de destin, la coopération franco-allemande s'est étendue au-delà des domaines prévus initialement par le Traité. Et aujourd'hui il n'est guère de matière qui échappe désormais à la concertation commune. Il y a cinq ans, le Chancelier Kohl et moi-même avons en particulier décidé l'instauration d'un Conseil commun de défense et de sécurité et d'un Conseil économique et financier.
- L'expérience montre que certaines des coopérations mises en place par la France et l'Allemagne ont eu un effet de levier dans le domaine de la construction européenne. Ce fut le cas par exemple de la coopération politique en Europe, qui s'inspirait pour une large part de la pratique franco-allemande. Et si l'on parle volontiers de "moteur" dès lors qu'il s'agit de la France et de l'Allemagne, c'est qu'à l'évidence, de très nombreuses avancées européennes sont nées d'initiatives franco-allemandes. L'idée d'un système monétaire européen, et plus récemment celle d'une Union économique et monétaire et d'une Union politique sont des exemples, parmi d'autres, du rôle de novation et d'impulsion joué par nos deux pays.\
Depuis la chute du mur de Berlin, notre continent s'est transformé. L'Union soviétique s'est disloquée, de nouvelles démocraties sont nées, l'Allemagne a retrouvé son unité. Le Traité d'Union européenne, signé à Maastricht le 7 février 1992, est le fruit de notre volonté de faire face, ensemble avec nos partenaires des Douze, à cette nouvelle réalité politique. Il concrétise le choix hautement proclamé par le Chancelier Kohl de voir l'unité allemande contribuer à l'unité de l'Europe. Et c'est en plein accord sur cet objectif que nos deux pays ont poussé à l'ouverture des Conférences intergouvernementales sur l'Union politique et sur l'Union monétaire. C'est encore le Chancelier Kohl et moi-même qui, en décembre 1990, avons proposé le projet d'une politique étrangère et de sécurité commune, puis en octobre 1991 défendu le concept de défense et de sécurité communes. Il nous a paru en effet indispensable de renforcer l'identité et l'autonomie de l'Europe, afin de lui permettre de jouer dans le monde un rôle à la mesure de ses capacités et de son histoire. Après la brigade franco-allemande, nous avons créé le Corps européen dont la vocation est de constituer l'embryon de ce qui sera un jour l'instrument de la défense commune européenne.
- Par une apparente ironie de l'histoire, la fin de la division du continent européen a coincidé avec de nouvelles menaces pour sa cohésion. Les démons engourdis du nationalisme, de la division et de la guerre ici ou là se réveillent. Le drame vécu par les peuples de l'ancienne Yougoslavie illustre les dangers qui nous guettent si par inconscience nous, Français et Allemands, acceptions que nos chemins divergent à nouveau.
- Plus que jamais, il convient de lutter contre ces évolutions destructrices, car il n'y aura pas d'Europe occidentale harmonieuse sans une Europe orientale apaisée et, au terme de cette longue renaissance, pas d'identité et de présence de l'Europe sur la scène mondiale sans la participation active de tous ses peuples. Pour être atteints, ces objectifs ambitieux imposent à la France et à l'Allemagne d'agir de concert, au sein de la nouvelle politique étrangère et de sécurité commune, pour définir l'action de l'Union s'agissant des pays d'Europe centrale et orientale, de la Russie, des Républiques baltes, du Conseil de l'Europe, de la CSCE etc. Comme ils l'ont fait à chaque étape dans le passé Français et Allemands doivent, pour le bien de l'Europe entière, confirmer leur volonté irrévocable de poursuivre leur route ensemble.\
Comment évoquer enfin les trente ans du Traité de l'Elysée sans parler des relations humaines et culturelles qui forment le socle de notre amitié. Il existe aujourd'hui plus de 1600 jumelages entre villes françaises et allemandes. Plus de 5 millions de jeunes ont participé depuis 1963 aux programmes de l'Office franco-allemand. Plus d'un million d'élèves apprennent la langue du pays partenaire. Dans tous ces domaines, et en particulier dans celui de l'enseignement des langues, les efforts devront être poursuivis afin d'améliorer la connaissance de l'autre et d'être en mesure de partager sa culture. L'action en direction de la jeunesse est essentielle au développement de la compréhension mutuelle. Le fait que l'amitié franco-allemande soit aujourd'hui ancrée dans les coeurs constitue sans aucun dout le meilleur gage d'un avenir pacifique pour les jeunes générations européennes.\