11 décembre 1993 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse conjointe de MM. François Mitterrand, Président de la République, Edouard Balladur, Premier ministre, et Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, sur le bilan du Conseil européen notamment en matière de grands travaux dans la CEE, sur les négociations du GATT et sur l'annonce d'une conférence sur la stabilité en Europe, Bruxelles le 11 décembre 1993.

Mesdames et messieurs,
- Vous connaissez l'ordre du jour, vous savez de quoi on a parlé. Je rappellerai que la base de nos travaux était le Livre Blanc présenté par le Président de la Commission, que les dispositions principales de ce Livre Blanc ont été acceptées, qu'elles comportent des mesures orientées surtout pour que soit organisée la lutte contre le chômage sous tous ses aspects à partir de l'éducation, la formation initiale, la formation permanente, l'insertion des jeunes, l'utilisation des fonds publics consacrés à cette lutte contre le chômage, etc...
- Des actions spécifiques de caractère communautaire, ce que l'on appelle dans le texte les "grands réseaux d'infrastructure" sont prévues. Il a été décidé de réaliser le plus rapidement possible, d'accélérer, à partir des schémas directeurs, la réalisation de ces réseaux qui touchent aux transports, (routes, autoroutes, canaux, voies ferrées, ports, aéroports, contrôle aérien, etc) aux réseaux énergétiques (gaz, électricité), à l'environnement (qualité de l'air, de l'eau, équipements urbains, travaux de sécurité sur les centrales nucléaires à l'Est), une mention particulière sur les nouvelles technologies de l'information, domaine d'avenir vous le savez bien et sur lequel il faut pénétrer hardiment. Une mesure particulière, qui sort des usages habituels : à la demande de la France et de l'Allemagne, il a été décidé que l'ensemble de ces travaux, les secteurs auxquels ils s'appliquent, la définition de chaque projet seront examinés au préalable par un groupe ad hoc de représentants personnels des chefs d'Etat et de gouvernement, qui seront bien entendu en relation avec la présidence, avec la Commission et avec les ministres de l'économie et des finances, mais c'est là que le travail sera préparé et donc accéléré.
- Les mesures de financement ont été examinées. Ont été retenues des sommes allant jusqu'à 20 milliards par an pour 6 ans, soit 120 milliards dont les effets multiplient encore les effets de cette mesure. Chaque année le bilan sera examiné £ donc il y aura des bilans annuels.\
On a parlé du dialogue social, cette fois-ci d'une façon importante. Une sorte de "charte du possible" a été déterminée.
- On a discuté de la justice et des affaires intérieures. On a besoin dans le cadre de l'Europe d'organiser une lutte communautaire dans de meilleures conditions contre la criminalité organisée, le trafic des drogues, le blanchiment de l'argent, etc.
- Bien entendu on a parlé de politique étrangère commune. Il a été décidé de convoquer à Paris au printemps prochain une conférence destinée à lancer les négociations sur le Pacte de stabilité qui a été proposé par la France et son Premier ministre. Il s'agit d'une action de diplomatie préventive pour empêcher qu'apparaissent en Europe de nouveaux conflits de frontière ou de minorités £ il s'agit bien entendu aussi d'en préparer le règlement.
- Sur la Yougoslavie, le Conseil européen a demandé aux négociateurs de redoubler d'efforts. (Cela on pouvait le prévoir), et il invite les parties serbe, bosniaque et croate à se réunir à Bruxelles avec le Conseil des affaires étrangères le mercredi 22 décembre prochain.
- Le Conseil européen a également réaffirmé sa volonté de contribuer politiquement, économiquement et financièrement au bon aboutissement du processus de paix engagé au Moyen-Orient. Il a été demandé en même temps qu'un nouvel accord soit engagé ou négocié entre la Communauté et Israël.\
Enfin il a été naturellement question du GATT qui n'était pas l'objet essentiel de l'ordre du jour du Conseil européen mais avec la concomitance des dates et l'urgence des décisions à prendre avant le 15 décembre, des propositions ont été faites, notamment par la France. Je vous citerai en particulier deux dispositions adoptées par le Conseil européen sur des propositions franco-allemandes, à l'initiative de la France avec le soutien de l'Allemagne.
- L'une touchera aux problèmes qui n'auraient pas été résolus ou qui n'ont pas été résolus à l'heure où je m'exprime dans le cadre du GATT. On cite le textile, l'organisation mondiale du commerce et le domaine de l'audiovisuel. Il y a également une note spéciale adoptée pour examiner les conclusions sur les négociations portant sur l'agriculture.
- Il vous reste mesdames et messieurs à nous poser les questions à moi-même, à M. le Premier ministre ou à M. le ministre des affaires étrangères. Nous nous sommes répartis la tâche pendant ces deux jours, et nous sommes en mesure de vous répondre.\
QUESTION.- Est-ce que vous pensez que l'audiovisuel peut figurer dans les accords définitifs du GATT ? Est-ce que vous le souhaitez ? Ou est-ce qu'éventuellement il peut y avoir une signature de l'accord du GATT sans le volet audiovisuel. Peut-être une question plus particulière à M. Juppé. On dit qu'il a eu un entretien ce matin au téléphone avec M. Brittan £ est-ce que l'on peut en savoir un peu plus sur la teneur de cet entretien ?
- LE PRESIDENT.- Vous savez tout se tient. Si M. Juppé a eu une conversation téléphonique avec M. Brittan c'est bien parce que nous nous posions un certain nombre de questions sur l'état actuel des négociations et pour préparer leur conclusion. Je vais me contenter de vous lire le texte qui a été adopté. Je ne vais pas vous faire part pour l'instant de mes sentiments personnels bien qu'ils aillent dans le même sens. S'ils n'allaient pas dans le même sens, nous ne l'aurions pas proposé ! Il s'agit de rajouter : "cependant plusieurs problèmes restent encore à résoudre pour parvenir à un accord en particulier dans le domaine des textiles, de l'organisation mondiale du commerce et qui garantisse, dans le domaine de l'audiovisuel, pour le présent et pour l'avenir, un traitement exceptionnel et séparé".
- Je pense qu'il y a encore du chemin à faire dans les jours qui viennent pour qu'il soit possible de vous dire exactement où ce texte trouverait sa place dans un accord général. Mais M. le ministre des affaires étrangères a des informations très récentes.
- M. JUPPE.- Je me bornerai à dire ce qu'est la position française conformément aux instructions que j'ai reçues. J'ai rappelé aux uns et aux autres que le traitement exceptionnel et séparé dont vient de parler M. le Président de la République était une formule qui recouvrait des choses extrêmement précises : d'une part la nécessité d'obtenir des amendements à un certain nombre d'articles de l'accord cadre sur les services, et en second lieu, dans l'hypothèse où ces amendements auront été obtenus, déposer une offre qui garantisse pour le passé, le présent et l'avenir, les systèmes européens et français de quotas de distribution, de diffusion, d'aide au cinéma, et permette leur adaptation aux technologies du futur. Il m'a été indiqué par notre négociateur que je cite qu'"il m'assurait absolument qu'il négociait sur la base des objectifs de Mons" (`Les six points de Mons`). Donc je suis jusqu'à lundi rassuré !
- M. BALLADUR.- Je voudrais ajouter, si vous le permettez, monsieur le Président, que les dispositions relatives au GATT ne font pas partie du texte même du communiqué mais d'une conclusion qui est intitulée "Orientations en vue de la conclusion des négociations du GATT et la session du Conseil des affaires générales, le 13 décembre" prochain, c'est-à-dire après-demain. Il y a donc comme vous l'avez dit deux précisions données. Il y en a une troisième, qui ne l'a été que verbalement, c'est celle qui concerne la politique commerciale de l'Union européenne.
- LE PRESIDENT.- Le fait que cela figure sous cette forme est la marque que l'on a voulu distinguer l'ordre du jour et les travaux du Conseil européen, et la négociation concomitante du GATT. Mais les décisions ont été prises et on vous les fait connaître.\
QUESTION.- Je voulais demander si le débat parlementaire qui est prévu théoriquement la semaine prochaine en France et où le gouvernement devrait engager sa responsabilité sur ce dossier du GATT, pourra à votre sens être maintenu dans les dates prévues ?
- LE PRESIDENT.- M. le Premeir ministre est très qualifié pour vous répondre à ce sujet.
- M. BALLADUR.- La date n'est pas encore arrêtée. Je souhaite être en mesure de faire connaître au Parlement des choses précises. Et pour que les choses soient précises, il faut que la réunion du Conseil des ministres de lundi prochain et de la nuit de lundi à mardi ait eu lieu. A partir de là, les dates ne sont pas très nombreuses.
- QUESTION.- Monsieur le Président, sur le chapitre agricole, est-ce que l'on pourrait connaître les termes de l'accord qui a été obtenu avec les Allemands ?
- LE PRESIDENT.- Nous distillons ! Je vous donne lecture du deuxième texte : "Le Conseil européen prend note de la prévision faite par la Commission sur la compatibilité des nouveaux engagements internationaux qui résulteraient d'un accord au GATT avec la politique agricole commune réformée. Si néanmoins des mesures complémentaires s'avéraient nécessaires, le Conseil convient qu'elles ne devraient pas augmenter les contraintes de la PAC réformée ni en affecter le bon fonctionnement. Il prendrait - si besoin était - les mesures nécessaires, en respectant les décisions financières du Conseil européen d'Edimbourg".\
QUESTION.- Monsieur le Président, je voudrais vous poser une question concernant une précision sur le mandat : à propos d'Israël, est-ce que ce mandat a été défini de façon précise ou bien s'agit-il d'un feu vert de principe ?
- LE PRESIDENT.- Il s'agit d'une décision estimant que des conversations devraient avoir lieu avec Israël pour savoir de quelle manière l'aider et aussi pour la bonne mise en marche des accords passés avec les Palestiniens. Ce n'est pas hypothétique c'est certain, c'est un souhait de la Communauté. Elle est prête à faire l'effort qu'il faudra après examen naturellement.\
QUESTION.- Vous avez confié il y a quelques instants, que vous vous étiez réparti la tâche durant ces deux jours. Est-ce que vous pourriez nous dévoiler quel était le rôle de chacun ?
- Deuxième question : M. le Premier ministre parlait des instruments de politique commerciale, est-ce que dans ce domaine la France a obtenu satisfaction ?
- LE PRESIDENT.- La première question ? Eh bien, il n'y a pas de réponse : c'était selon le moment, l'occasion. Monsieur le Premier ministre peut répondre à la deuxième question ?
- M. BALLADUR.- Oui, sur la première question tout est dit, monsieur le Président, en effet ! Sur la seconde, c'est une affaire sur laquelle nous accordons beaucoup d'importance. Nous considérons en effet qu'il faut que l'Union européenne ait une existence internationale et donc une politique commerciale qui lui soit propre avec les moyens qui lui sont nécessaires. Il a été convenu verbalement, tout à l'heure, de la façon la plus claire et la plus nette, qu'il y avait un accord pour poursuivre la réunion du Conseil des ministres lundi prochain sur le sujet de l'élaboration des instruments de la politique commerciale de la Communauté et qu'il fallait aboutir avant la clôture de la négociation. Pour nous en effet, c'est un point extrêmement important £ c'est l'un de ceux auquel nous sommes tout à fait attachés. Nous considérons que l'Union européenne doit avoir entre les mains les instruments lui permettant d'affirmer son existence et sa personnalité internationale y compris dans le domaine commercial. Et nous ajoutons que notre conception du commerce international est telle qu'elle repose sur un équilibre entre les droits et les obligations de chacun. Nous ne demandons pas à avoir plus de droits que les autres mais pas moins non plus. C'est dire que cette affaire devra être réglée lors du Conseil des affaires générales lundi prochain, dans la nuit de lundi à mardi, et que sa solution sera pour nous un élément très important du jugement que nous aurons à porter sur le résultat des discussions.\
QUESTION.- Sur le Pacte de stabilité, monsieur le Premier ministre, ne pensez-vous pas que le Pacte de stabilité pourrait devenir une boîte de Pandore, quand on essaye de résoudre le problème des minorités surtout dans les pays où ce problème n'existe pas ?
- M. BALLADUR.- Madame, son objectif n'est pas de les résoudre quand il n'existe pas de problèmes de minorités. Quand ils existent, si on ne veut pas les résoudre, vers quoi va-t-on ? Vers les guerres inter-ethniques, vers les violences et vers la déstabilisation générale. Le Président de la République a bien voulu le dire l'autre soir, c'est une tentative qui finalement est la première qui consiste à donner un minimum de contenu à la notion de politique étrangère et de sécurité commune dans le cadre de l'Union européenne. Que ce soit difficile, je vous en donne acte très volontiers, mais si l'on ne devait s'atteler qu'à des choses faciles, eh bien, nous ne vous parlerions pas du GATT depuis un quart d'heure par exemple !
- QUESTION.- Je vous donne un exemple : en Pologne, nous n'avons aucun problème concernant la minorité allemande, mais quand on commence vraiment à en débattre, cela peut devenir un problème et cela peut devenir un problème très grave.
- M. JUPPE.- L'exemple de la Pologne est exactement celui que nous voulons suivre £ comment a-t-elle réglé le problème de sa minorité allemande ? En signant un accord avec l'Allemagne, avant que le Pacte de stabilité n'existe. Eh bien, nous souhaitons que ce type d'accord de bon voisinage, qui a permis par ailleurs de stabiliser la frontière, de la consolider, de la pérenniser, soit un peu la référence pour faire ce travail là où il n'a pas été encore fait. Il ne s'agit pas de le rouvrir quand il a été réglé.\
QUESTION.- Monsieur le Président quelle est votre évaluation sur les résultats du débat concernant la lutte contre le chômage et croyez-vous que les décisions qui ont été prises peuvent donner des résultats concerts (compte tenu de leur caractère général) ?
- LE PRESIDENT.- Il y a en effet, beaucoup de considérations générales peut-être trop, car on est forcément répétitif dans ce domaine. (Tant de choses ont été dites !) Mais quand on aborde la série de mesures prévues par les textes en question et surtout les mesures de caractère financier, on s'aperçoit que la perspective de grands travaux et de grandes infrastructures est soutenue par un plan financier tout de même très consistant puisque cela représente, je vous l'ai dit, en six ans 120 milliards d'écus. Des modes de financement ont été examinés, de l'ordre de cinq milliards sur le budget communautaire, de l'ordre de sept milliards par la BEI et par des mesures qui, avec la Banque européenne et tous les instruments possibles, permettront de multiplier les prêts aux différents opérateurs, ceci jusqu'à huit milliards par an, (naturellement chaque fois, c'est huit milliards par an pendant six ans). Cela fait un total de vingt milliards par an. On ne peut pas dire que cela soit simplement des idées générales.\
QUESTION.- Monsieur le Président, peut-on avoir votre sentiment personnel sur le déroulement de la négociation ? M. Juppé, hier, dénonçait "les lobbys d'Hollywood". Est-ce que vous partagez ce sentiment et quel est votre jugement sur la négociation ?
- LE PRESIDENT.- Je crois m'être exprimé à diverses reprises de façon publique sur ce sujet, en particulier lorsque j'étais à Gdansk avec le Président de la République fédérale allemande. Je trouve que ce texte représente un progrès très réel et une garantie £ il faut donc qu'il soit appliqué.\
QUESTION.- Monsieur le Président, dans le cadre de ce plan de relance communautaire, il a semblé que la délégation française insistait beaucoup sur la notion et l'exigence de solidarité et de social...
- LE PRESIDENT.- Oui, naturellement, il faut penser que si l'on aborde le terrain du social et qu'on parle du chômage, ce n'est pas qu'un problème social mais naturellement la dimension sociale y est très importante. Nous avons pensé qu'il faudrait sortir des idées toutes faites et beaucoup d'insistance a été manifestée par les Français pour estimer qu'il convenait d'accélérer et d'améliorer les termes de la concertation et du dialogue social. D'ailleurs, ces termes ont été ajoutés à notre initiative pour bien montrer qu'il n'était pas question de renoncer à la politique contractuelle, termes qui au moment de la discussion avaient pratiquement disparu du texte £ ils ont été rétablis à la demande de la France.
- Le dialogue avec les représentants des organisations ouvrières et patronales, la possibilité de passer un "Pacte social" notamment par la concertation, a été une constante de nos interventions. Je ne dirai pas que ce document soit surtout le reflet de ce type de préoccupations, mais comme le Livre Blanc présenté par Jacques Delors a été considéré comme la base de tous ces travaux, si l'on veut pouvoir en faire le tour, il faut non seulement examiner les résolutions prises, il faut aller aussi à la source du Livre Blanc car il ne s'agissait pas de recopier le Livre Blanc dans les conclusions d'aujourd'hui.\
QUESTION.- Quel est à cette heure votre sentiment sur la négociation du GATT ? M. Juppé a laissé entendre que la négociation n'était pas très bien menée par Sir Leon Brittan qui s'écartait de son mandat. Que pensez-vous des chances d'aboutir à un accord ?
- LE PRESIDENT.- La négociation sur le GATT a valu, de la part de la France et des pouvoirs publics français dans leur ensemble, les observations cent fois répétées qui ont bien marqué notre vigilance commune. Nous ne voulons pas en effet que la France soit prise dans les rets d'une négociation où le principal partenaire, je veux dire les Etats-Unis d'Amérique, a tout de suite posé des conditions à caractère léonin. Sur quelques domaines capitaux, les initiatives ont été prises, les réserves sont marquées dans ces textes à propos du textile, de l'audiovisuel, etc, sur ce qui ne pouvait pas nous convenir.
- Je pense que cette négociation, qui n'est pas finie, permet de préserver dans les domaines qui ont été choisis par la France, notamment l'audiovisuel, l'agriculture, la solidarité de l'Union européenne par référence au Conseil européen d'Edimbourg. Avec l'instrument de politique commerciale, tout ceci a été et est toujours réservé parce que nous ne savons pas encore dans quelles conditions notre négociateur obtiendra satisfaction ou pas. Dans un grand débat de ce type, on n'obtient pas satisfaction sur tout, c'est un compromis global £ encore y a-t-il quelques points qui atteignent si gravement les intérêts de tel ou tel pays, que l'on ne peut pas dire en ce samedi après-midi, que pour une négociation qui doit se clore, je crois, mercredi prochain, on soit au bout de nos peines. Là-dessus, M. le ministre des affaires étrangères a exprimé publiquement des opinions qui traduisent assez fidèlement ce que beaucoup pensaient tout bas.\
QUESTION.- Monsieur le Président, pourriez-vous nous préciser qui est chargé de mobiliser les 8 milliards d'écus annuels au-delà de ce qui est dégagé par le budget communautaire et par la BEI ? Monsieur le Premier ministre, est-ce que vous pouvez nous préciser quels sont les pays participant à la conférence sur le Pacte de stabilité et quel est le critère qui vous a permis de distinguer entre les participants et les observateurs ?
- LE PRESIDENT.- Je vous répondrai sur la première question : au fond on a mobilisé pour le troisième mode de financement toutes les institutions compétentes. On pourrait penser que l'élément principal sera la banque, mais naturellement Ecofin sera constamment consulté, la mission exceptionnelle ad hoc qui a été créée donnera son avis. Et tous les instruments financiers seront réunis. Je ne peux donc pas vous dire de quelle manière seront orientés les choix de ceux qui auront à en décider ou à proposer, mais ce que je sais et cela me suffit, c'est qu'un processus a été décidé et qu'un mode de financement - là il s'agit de la troisième partie du financement, les 8 milliards, c'est-à-dire les prêts aux opérateurs - a été fixé. Le reste va entrer en ligne de compte dans les semaines qui viennent.
- Sur le Pacte de stabilité, c'est un sujet qui m'intéresse aussi, mais qui a été particulièrement négocié par M. le Premier ministre et M. le ministre des affaires étrangères, en ce qui concerne la liste des pays qui sont membres de plein droit de la conférence et ceux qui seront observateurs.
- M. JUPPE.- il y a eu un petit débat sur ce point, mais il a été rapidement tranché £ il y a d'abord la puissance invitante, c'est l'Union européenne et les douze pays qui la constituent £ à ceux-là s'adjoindront les quatre Etats candidats à l'adhésion que vous connaissez ainsi que les grandes puissances intéressées à la sécurité de l'Europe, c'est-à-dire les Etats-Unis, la Russie et le Canada. Les pays principalement invités ou concernés sont les pays d'Europe centrale et orientale, c'est-à-dire les quatre du groupe de Visegrad, la Roumanie, la Bulgarie, plus les Etats baltes, la Slovénie, et encore quelques-uns £ au-delà de ces Etats participants, qui sont soit puissance invitante, soit principalement concernés et qui doivent représenter environ une trentaine de pays, il a été convenu d'inviter tous les autres Etats membres de la CSCE, qui eux seront invités en tant qu'observateurs. Voilà sur quelle base la conférence prévue à Paris pour le mois d'avril se réunira.\
M. BALLADUR.- Je voudrais ajouter, sur le déroulement de ce Conseil européen, quelques réflexions générales pour vous montrer les raisons que nous avons d'en être satisfaits, nous Français. La première raison, c'est que l'on a accueilli favorablement ce Livre Blanc élaboré par le président de la Commission, et avec les financements qui étaient prévus. Vous savez que notre pays était pratiquement le seul à avoir accueilli spontanément l'idée de façon favorable, ou l'un des rares en tout cas £ et nous sommes heureux que l'on ait pu donner cette manifestation importante de mobilisation et de solidarité des Douze en faveur du développement de l'activité et de l'emploi. C'était une chose très importante et nous ne pouvions pas, c'était notre sentiment, quitter Bruxelles sans que cette chose-là ait été décidée. C'est un premier motif de satisfaction.
- Le deuxième c'est que le Pacte de stabilité qui est le premier exercice de politique étrangère commune ait finalement abouti et relativement rapidement, c'est-à-dire, six mois à peu près après que l'idée en ait été lancée, et que la Conférence doivent se tenir à Paris. Nous espérons que cela concourra effectivement à amener plus d'équilibre et de paix sur le continent européen.
- Enfin, notre troisième motif de satisfaction est que, dans l'affaire du GATT, il a été clairement tenu compte de nos préoccupations. Tout d'abord, parce qu'il y a un document écrit, à la fin dans les conclusions, qui montre bien, témoigne bien, comme M. le Président de la République l'a dit, que s'agissant du textile, de l'audiovisuel, de l'organisation mondiale du commerce, il y avait encore des progrès à faire et marquant bien la volonté des Douze de le faire. En deuxième lieu nous sommes satisfaits parce qu'après que nous ayons obtenu sur le plan agricole des mesures importantes, il a été convenu que sur le plan de la Communauté européenne, les compléments nécessaires seraient apportés sans qu'on entre dans les précisions, puisque de toute manière le problème ne se posera pas avant quelques années. Et enfin, il a été clairement dit, je le répète, que la réunion de lundi et de mardi matin devrait être conclue par une décision sur l'instrument de politique commerciale dont l'Union européenne doit se doter. C'était nos souhaits et nous nous réjouissons qu'ils aient été entendus. Je crois donc qu'on peut dire que ce Conseil européen a été du point de vue des thèses, des idées auxquelles nous étions attachés, a été un Conseil tout à fait efficace.\
QUESTION.- Il a été aussi question à ce Conseil de la réforme des institutions £ est-ce que vous pouvez nous dire un mot sur les majorités, compte tenu de l'élargissement.
- LE PRESIDENT.- C'est une discussion qui ne fait que commencer. Déjà on a abouti sur l'ordre des présidences par l'insertion des nouveaux pays qui adhéreraient £ un certain nombre de critères a été retenu, modifiant légèrement l'ordre habituel. Mais finalement chacun s'est déclaré d'accord. Il y a aussi le débat sur les proportions pour qu'une décision soit prise, disons la majorité qualifiée. Là-dessus, je ne pense pas qu'une décision finale soit arrêtée, mais les possibilités ont été énoncées et on voit bien la contradiction qui devrait être résolue entre ceux qui estiment que, en dépit de l'arrivée d'un nouveau membre, on devrait maintenir les pourcentages pour les majorités qualifiées et ceux qui souhaitent les réduire, ce qui rendrait naturellement plus facile ou plus difficile selon le choix, les décisions à prendre. La France en tout cas ne souhaitait pas modifier le pourcentage des majorités qualifiées.\
QUESTION.- Monsieur le Président, hier, vous avez eu une rencontre avec le Premier ministre grec, M. Papandréou. Permettez-moi de vous demander si la France est à même d'établir des relations diplomatiques avec "l'ex-République yougoslave de la Macédoine" d'ici la fin de l'année, et s'il y a eu une discussion sur ce sujet au niveau des Douze.
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas ici le lieu de conversations bilatérales pouvant donner lieu à des décisions. En effet, j'ai bien parlé avec les représentants de la Grèce et avec plaisir, mais cela n'a donné lieu à aucune décision. Ce n'était pas le lieu et ce n'était pas notre ordre du jour. Ce que je peux vous indiquer, c'est que la France, qui a l'habitude de suivre les recommandations des Nations unies est prête à reconnaître, c'est bien ce qui a été dit, à établir des relations diplomatiques avec ce que certains appellent la "République de Macédoine" et qui dans la réalité s'appelle toujours d'un nom fort compliqué : "Ancienne République yougoslave de Macédoine". Aucune décision n'a été prise sur le nom futur de cet Etat. Mais les Nations unies ont déjà tranché sur la souveraineté reconnue de cet Etat £ nous-même d'ailleurs, avons des relations avec lui et il s'agirait donc simplement que la relations diplomatique soit établie par des personnes ayant qualité pour cela : les ambassadeurs. Mais nous n'avons pas pour autant tranché la question du nom que cet Etat nouveau utilisera. Nous connaissons le conflit avec la Grèce et nous souhaitons précisément apaiser ce conflit du mieux possible. Ce ne sera possible en effet que lorsque les positions de rigueur absolue et de refus de compréhension, seront de part et d'autre écartées. Pour cela il faut de l'imagination, mais que les premiers intéressés en aient (nous connaissons leur histoire et leur géographie). Donc le problème du nom de cet Etat reste à débattre.\
QUESTION.- Comment jugez-vous l'état actuel des relations entre la France et les Etats-Unis ?
- LE PRESIDENT.- D'une façon générale, elles sont bonnes £ c'est une entente harmonieuse sauf quand elle ne l'est pas ! Et un certain nombre de problèmes pratiques, notamment d'ordre commercial, surtout d'ordre commercial, se posent, qui amènent nos deux pays qui sont l'un et l'autre souverains et qui se respectent mutuellement à prendre des positions contraires ou à défendre des initiatives différentes. C'est le jeu même des relations internationales entre pays libres. Cependant comme nous voulons préserver cette très ancienne et forte amitié - cette Alliance dans laquelle nous sommes - nous recherchons toujours les termes d'accords possibles. Quand ce n'est pas possible, on en arrive au point qui a été marqué dans les quelques documents qui vous ont été lus. On continue de discuter. On ne s'incline pas, a priori. A postériori, j'espère non plus !\
QUESTION.- Quel regard portez-vous sur les six mois de présidence belge ?
- LE PRESIDENT.- Un regard très favorable. J'ai trouvé que la présidence belge avait été remarquable £ un gros travail a été fait, beaucoup de clarté d'esprit, et une bonne volonté évidente particulièrement à l'égard de notre pays. Donc, nous terminons ces six mois avec la satisfaction d'avoir gardé une relation forte avec notre voisin et ami la Belgique.\
QUESTION.- Si j'ai bien compris, il n'y a pas dans le texte final la phrase : "pas un hectare de jachère supplémentaire". Est-ce que cela signifie quand même que les agriculteurs français n'ont pas à s'inquiéter ? Et je n'ai pas très bien compris si l'Europe avait vraiment décidé une relance par les grands travaux ou pas ?
- LE PRESIDENT.- Dans ce cas-là, il faut croire que j'ai parlé en chinois alors ! Vraiment, je ne comprends pas votre question. Je vous ai expliqué les catégories énumérées, les catégories de grandes infrastructures, grands travaux et je vous ai énuméré les modes de financement, même le total de ces financements, et en même temps le mode de fonctionnement avec la création d'un instrument spécial qui travaillera en relation avec les instruments traditionnels (Présidence, Commission, ECOFIN). Que voulez-vous que j'ajoute à cela ?
- QUESTION.- L'année dernière à Edimbourg, on avait eu aussi une initiative européenne de croissance qui reposait à peu près sur les mêmes bases et là je n'ai pas l'impression que ce soit quelque chose de massif, décidé, rapide, capable de répondre au problème du chômage...
- LE PRESIDENT.- Vous avez le droit d'avoir votre opinion mais enfin quand on dit 120 milliards d'écus, qui peuvent en entraîner d'autres... un mouvement de quelque 800 milliards de francs pour l'ensemble, c'est un signal qui a quand même beaucoup de force et de valeur. Ce n'est pas parce ce qui a été décidé pour une somme très faible à Edimbourg a été mal ou lentement exécuté que, pour autant, nous sommes abonnés à ce type de situation. C'est précisément parce que l'exemple d'Edimbourg nous a instruits, que nous avons décidé cette fois-ci de tous les éléments d'une décision qui doit entrer en application. Cet ensemble de représentants personnels des chefs d'Etat et de gouvernement doit entrer en vigueur dans les jours qui viennent. Nous sommes tous d'accord pour estimer qu'il faudra quelques mois, trois ou quatre, pour la mise au point, mais tous très décidés à donner l'élan pour la lutte notamment contre le chômage.
- Il me semblait que c'était l'un des aspects les plus clairs des décisions qui avaient été prises à Bruxelles.\
QUESTION.- Quant à l'affaire de la jachère, monsieur le Président ?
- LE PRESIDENT.- Pour la jachère, je vais donner la parole à M. le Premier ministre. L'expression "pas un hectare de plus en jachère", est un thème de lutte qui figure dans les documents des organisations agricoles mais qui repose sur une réalité et en fait le texte que je vous ai lu retrouve cette réalité-là. M. BALLADUR.- Oui, je voulais simplement relire après vous la deuxième phrase des conclusions sur l'agriculture : "si, néanmoins, des mesures complémentaires s'avéraient nécessaires, le Conseil convient qu'elles ne devraient pas augmenter les contraintes de la politique agricole commune réformée, ni en affecter le bon fonctionnement". Par définition, même une situation qui n'augmente pas les contraintes que fait peser la politique agricole réformée sur les entreprises est une orientation qui conduit à éviter les jachères supplémentaires. Je crois que c'est tout à fait clair même si c'est implicite. Si ce n'est pas dit explicitement c'est parce qu'il nous a semblé que l'on pouvait entrer dans une énumération en parlant également des contraintes qualitatives et que cela nous conduirait très loin. Mais le texte est sans aucune ambiguité, ni dans l'esprit de ses auteurs, ni dans l'esprit de ceux qui l'ont approuvé.
- LE PRESIDENT.- D'ailleurs dans l'accord de la discussion, le terme "quantitatif" était dans le texte et précisément il a semblé que ce terme était restrictif parce qu'il y avait des éléments qualitatifs qu'il ne fallait pas négliger.\
QUESTION.- Un calendrier a-t-il été retenu pour les travaux de cette commission ? Est-ce qu'il y a une date qui a été retenue pour que les différents pays présentent des projets d'infrastructure et un choix pour ces projets ?
- LE PRESIDENT.- Les projets seront fixés par ce groupe. Les grands secteurs dans lesquels s'inscriront ces projets ont été définis dans ce texte. Les délégués des chefs d'Etat et de gouvernement seront désignés incessamment car ils doivent se mettre au travail afin de déterminer les projets qui doivent intervenir, dans les trois ou quatre mois prochains. Voilà le calendrier. Mais comme tout le monde était pressé d'aboutir à ces travaux d'infrastructure, je pense que personne ne cherchera à ralentir l'allure.\