17 novembre 1993 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur la nécessité de préserver l'identité de la France au sein de l'union européenne et la poursuite de la décentralisation, Paris le 17 novembre 1993.

Mesdames,
- messieurs,
- Je suis heureux de pouvoir cette année encore, vous recevoir dans ce Palais de la République. Les Palais de la République, vous les connaissez, vous les habitez, mais ici c'est peut-être autre chose dans la mesure où se marque dans ces lieux la continuité de l'Etat.
- Vous travaillez, vous vous réunissez, vous délibérez sous la conduite de ceux que vous avez choisis, et je me tiens au courant de vos travaux. Ici, c'est comme une fête, ce soir, puisque M. le Premier ministre, MM. les présidents des assemblées parlementaires, M. le ministre d'Etat, et plusieurs de ses collègues, se trouvent à mes côtés pour vous recevoir et vous dire notre estime pour le travail que vous accomplissez.
- J'ai souvent eu l'occasion de vous rappeler qu'ayant, il y aura bientôt quarante ans, eu l'occasion de diriger l'Administration de l'intérieur, je sais qu'au-delà du Corps préfectoral, se trouve ici tout un personnel qui exerce d'autres disciplines, mais qui appartient finalement au même corps. J'ai gardé un souvenir très fort de cette période ayant le sentiment d'être à la tête d'une administration qui avait le sens de l'Etat, qui aimait et respectait la République et qui, dans les désordres de l'époque, (quelles sont les époques où il n'y a pas de désordre ?) maintenait ce que j'appelais tout à l'heure, la continuité de l'Etat et par voie de conséquence, l'unité de la Nation.
- C'est pourquoi, vous êtes, sans doute, les seuls que j'ai eu l'occasion, comme cela, de voir chaque année, en corps important, parce qu'il me semble que les temps qui viennent, comme les temps passés, exigeront de vous l'application des vertus que l'on prête aux fonctionnaires que vous êtes.\
Il se produit toujours beaucoup d'événements, c'est la vie même de nos sociétés, mais vous n'avez pas été, bien entendu, sans remarquer l'importance de ce qui s'est produit depuis la ratification et donc la mise en oeuvre des accords d'Union européenne signifiés par le Traité de Maastricht. C'est-à-dire qu'une dimension nouvelle a été donnée aux efforts du pays, un pays qui continue d'être ce qu'il est, qui préserve son identité, qui entend garder ses compétences dans les termes du contrat international qui l'engage et qu'il a signé £ donc un pays qui peut continuer d'être fier de ses traditions et qui les perpétuera.
- Mais il n'empêche que l'évolution des temps, les leçons tirées des guerres mondiales, l'état du monde aussi, et la relation qui existe entre notre petit continent européen, qui pourrait pourtant être si puissant, et les grandes entités, comme les Etats-Unis d'Amérique, hier l'Union soviétique, qui n'est plus qu'un ensemble de pays aujourd'hui dispersés, appauvris et qui cherchent leur voie, et les puissances économiques, comme le Japon et d'autres qui commencent à apparaître à l'horizon prochain de la fin de ce siècle, créent une situation nouvelle.
- Pour la prendre en compte, nous avons donc choisi la voie de l'Union européenne. La mise en application du Traité, quels qu'aient été les sentiments de ceux qui ont eu à se prononcer là-dessus : pour ou contre, aujourd'hui nous engage, et donne cette dimension dont je vous parlais. Vous me direz, oui mais, nous responsables sur place d'une part du territoire de la France, en quoi est-ce que cela nous regarde ? Eh bien, cela vous regarde, vous le savez bien, au travers de la législation puisqu'à tout moment des directives qui peuvent également ou qui doivent être examinées par nos Assemblées parlementaires, modifient notre vie intérieure. Il faut donc y habituer les esprits, il faut que dans cet ensemble, la France préserve ses qualités propres, qui sont grandes et qui lui permettront de jouer le rôle qui est le sien. Membre permanent du Conseil de Sécurité, elle est l'un des trois pays disposant d'une force militaire conséquente.
- Les statistiques changent mais on constate quand même que depuis de très longues années la France se situe au moins parmi les quatre premières puissances du monde sur le plan économique par sa capacité d'exportation. Je me plains chaque jour, je pense que cela arrive aussi aux ministres responsables, de tout ce qui n'est pas fait par la France, mais, malgré ce qui n'est pas fait, nous restons le quatrième pays du monde. Je pense donc qu'on fait bien, nous aussi, quelque chose et qu'il n'y a pas lieu d'adopter ce ton trop souvent répandu de dénigrement à l'égard de soi-même, de manque de confiance ou de manque d'audace dans les accomplissements futurs.\
En même temps, vous le savez, le gouvernement développe une politique de mise en pratique de la décentralisation autour de l'aménagement du territoire. Je ne pense pas que cela ait été habituel dans le passé, mais le ministre de l'Intérieur, ici présent, ministre d'Etat, cumule en même temps la fonction du ministre responsable de l'aménagement du territoire. Cela veut dire quelque chose. Cela veut dire qu'en même temps que la France prend place dans cette dimension nouvelle qu'est l'Union européenne, elle doit veiller avec la plus grande attention à ce que chaque partie de son propre territoire soit valorisée, mise en valeur de telle sorte que les Français s'y retrouvent, à commencer par la recherche d'un emploi.
- Que les identités locales reprennent vie, que cesse cette évasion des responsabilités sur place, que chacun ait conscience d'être un élément dynamique d'une nation vivante. Cela exige beaucoup et je sais qu'on y attache beaucoup de prix du côté du gouvernement. Moi aussi £ j'ai voulu la décentralisation en 1981-1982 £ elle est non seulement nécessaire, mais elle est devenue la vie même de la France. Encore faut-il (mais là-dessus nous nous en sommes entretenus assez souvent, je n'y reviendrai pas), encore faut-il savoir exactement faire le partage entre l'émergence des responsabilités locales, des pouvoirs locaux qui s'affirment partout, - et c'est bien comme cela - et le respect de l'unité du pays et des prérogatives de l'Etat là où la loi proclame ces prérogatives. Et cet ajustement, cet équilibre n'est pas toujours aisé. Il y faut beaucoup de soin et d'attention et c'est vous, mesdames et messieurs, qui êtes le plus exposés, et qui devez veiller à ce que, sur place, les choses se passent de telle sorte qu'à la fois vous soyez des représentants respectés de la puissance publique, de l'Etat, et en même temps des citoyens scrupuleux à l'égard des droits acquis par la loi au bénéfice des collectivités et des responsables locaux. C'est un casse-tête le plus souvent. Et pour nombre d'entre vous qui ont passé l'essentiel de leur carrière dans une période précédente, l'adaptation doit exiger beaucoup d'efforts, de patience et de tenacité et il faut continuer.
- Il n'empêche qu'on ne dessine pas la physionomie d'un pays d'un seul coup, pas plus qu'un artiste ne trace, comme cela, en jetant quelques traits sur un papier, une oeuvre achevée. Donc le phénomène de la décentralisation, celui concomitant de la déconcentration, et finalement la vie de tous les jours, doivent nous apprendre à adapter cette évolution considérable aux réalités d'aujourd'hui. En quoi cette décentralisation et cette déconcentration répondent-elles aux besoins de la France et des Français ? C'est une étude permanente qui ne cessera pas avec nous, avec vous, qui continuera à travers les années pour que l'oeuvre engagée corresponde le plus exactement possible à l'intérêt commun.\
Je n'ignore pas les soucis qui sont les vôtres, qui sont les nôtres. On dit de cette longue crise venue de l'extérieur, mais qui nous frappe et qui frappe en même temps que nous l'ensemble des économies occidentales, on dit toujours : "la crise du monde industriel". Non, c'est une crise du monde industriel occidental qui doit donc correspondre à des critères propres à l'Occident. Et quand je dis que la crise n'est pas venue de chez nous, c'est parce qu'on sait bien que les décisions déterminantes qui ont été à l'origine de cette crise sont venues de quelques grands pays sur lesquels nous n'avons pas autorité. Alors on négocie, on cherche à obtenir d'eux, surtout lorsque nous avons des relations amicales, ce qui est le cas (mais dès qu'il s'agit du monde des concurrences internationales, l'amitié fait place souvent à l'intérêt). On peut penser qu'après dix-neuf ans d'une crise qui atteint son paroxysme, c'est une dépression qui fait passer des intérêts matériels aux esprits. Une dépression psychologique, une sorte de doute sur soi-même. On peut penser (je pense que c'est vrai, mais il faut nous prononcer avec beaucoup de prudence) que les choses commencent à changer parce que cela ne peut pas durer toujours, parce qu'il y a du travail, parce qu'il y a de l'énergie, qui sont dépensés ici et là, partout, de l'intelligence et que finalement l'homme parviendra bien à modeler la société qui est la sienne. Mais enfin il faut traverser cette passe.
- Et vous êtes là, mesdames et messieurs, pour contribuer aux efforts de la puissance publique française, pour contribuer au travail des élus que le peuple a choisis, du gouvernement de la France et de toutes les autorités qui ont pour mission de conduire et de mener à bien l'oeuvre à laquelle nous sommes attelés. Je pense que les dirigeants de vos associations ont mis à votre dispositions tous les instruments d'études et de réflexions dont vous avez besoin. Cela vient aussi bien entendu, du gouvernement et de vos ministères. Mais pour l'instant, pensons seulement au plaisir d'être ensemble, cela ne dure pas très longtemps et vous mêmes, entre vous, vous n'avez pas si souvent l'occasion de vous rencontrer en dehors des séances de travail qui ne réunissent d'ailleurs que quelques-uns d'entre vous. C'est pourquoi en vous souhaitant la bienvenue au Palais de l'Elysée, j'espère que vous y passerez quelques moments agréables et dont vous garderez le souvenir. Je vous remercie.\