28 octobre 1993 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur l'histoire des peuples franc et arménien et l'art de l'Arménie, Paris le 28 octobre 1993.

Monsieur le Président,
- Très Saint-Père,
- mesdames, messieurs,
- Que vous dire après avoir contemplé ces chefs-d'oeuvres, si chargés d'histoire ? A dix siècles de distance, cette exposition renforce des liens qui déjà rapprochaient nos ancêtres, les peuples franc et arménien. C'est une très longue histoire que notre histoire commune qui plonge ses racines au début de ce millénaire.
- A cette époque - croisades obligent - se nouèrent de premiers contacts politiques, commerciaux, culturels que vinrent ultérieurement consolider des liens familiaux par ces mariages que les diplomates savent appeler des "alliances".
- A partir du XIIème siècle ces liens se ressèrent toujours plus, unissant princesses et princes arméniens avec les descendants chypriotes de nos ancêtres poitevins, les Lusignan. Et c'est par ce jeu des alliances que fut appelé sur le trône d'Arménie en 1374 Léon V, prince chypriote de la dynastie poitevine des Lusignan dont le destin tragique devait finalement le conduire à l'exil en France. Dernier à porter le titre de roi d'Arménie Léon V mourut en 1393. Nous commémorons aujourd'hui le 600ème anniversaire de cette disparition et son cénotaphe peut être vénéré parmi les tombeaux des rois de France, dans la basilique de Saint-Denis.
- Monsieur le Président, outre vos qualités de chef d'Etat que j'ai pu apprécier depuis le premier jour, il ne faut pas oublier que vous êtes aussi historien. Qui plus est, vous êtes l'un des grands spécialistes de la Cilicie. Je ne me risquerai donc pas à explorer davantage le champ de vos compétences. Mais il était opportun, par ce bref rappel, que nos concitoyens sachent qu'au delà des liens qui les unissent aux quelques 300000 Français d'origine arménienne les liens entre nos deux peuples ont des racines millénaires.
- Vous n'avez pas mesuré votre soutien pour que se tienne cette exposition. Je vous remercie de nous avoir permis de contempler ces images, ces textes, ces réussites que des artisans sublimes nous proposent et qui ont l'avantage de nous montrer combien les Arméniens de Cilicie ont su préserver "leur identité" pour reprendre vos propres termes, "politique, religieuse, culturelle" car vous avez tenu personnellement à préfacer le catalogue de cette exposition.
- Sa Sainteté Karekine II, successeur direct des chefs spirituels du Royaume, - que je salue ici - me permettra de dire aussi combien, par son égal soutien, il a contribué à cette réussite.\
Monsieur le Président, chers amis,
- J'aimerais, en terminant, remercier pour leur imagination, leur persévérance, leur talent tout simplement les organisateurs de cette manifestation. Grâce à votre appui, madame le recteur, ils ont permis qu'en cette chapelle de la Sorbonne - berceau de notre culture - un hommage soit rendu à l'art arménien comme à notre histoire commune.
- Ces enluminures, ces trésors d'orfèvrerie, sont, pour certains, exposés en France pour la première fois et j'ai pu observer que vous aviez obtenu le voyage jusqu'ici de pièces qui n'étaient jamais sorties de leur musée initial en particulier de Saint-Pétersbourg. Ces sceaux et ces monnaies, témoins d'une mémoire tourmentée, ces traités de paix ou de commerce, ces actes officiels rédigés dans une grande diversité de langues - une dizaine - montrent combien vos ancêtres, monsieur le Président, ont su s'ouvrir au monde. Que cette diversité soit maintenant porteuse d'une paix retrouvée, d'une Arménie apaisée et j'espère prospère.
- Vous avez bien voulu rappeler qu'au cours de cette brève période qui vient de s'écouler depuis l'effondrement de l'Union soviétique un travail réussi avait été accompli chez vous. Mais aussi et je me flatte de le dire, avec le constant soutien de la France. C'est un point sur lequel nous sommes très unis, aider ce peuple, ce vieux peuple dont tant de représentants vivent parmi nous, sont de chez nous, sont nos compatriotes et nos frères. Il faut pouvoir affronter aujourd'hui vos épreuves et vos périls, l'admirable métier qui consiste à reconstruire un peuple très fier de son histoire, c'est vous qui en êtes l'artisan principal, monsieur le Président. Je suis très heureux de vous accueillir dans notre pays pour la quatrième fois, je crois et je salue en même temps M. Pétrossian d'avoir bien voulu vous accompagner. Nous vivons pour l'instant un de ces moments apparemment paisible où l'on se penche sur le passé avec une sorte de sentiment de vivre dans la gloire de grands événements si souvent douloureux et qui ont pris dans notre esprit valeur de légende, de légende exemplaire. J'imagine ce que peuvent ressentir les femmes et les hommes qui directement se sentent rattachés à ces terres et à cette histoire. Vous êtes nombreux ici, mesdames et messieurs, à éprouver cette émotion et je crois pouvoir la ressentir autant qu'il est possible en me retournant du côté de notre propre histoire si malmenée, si détournée, si grandiose, faite comme toutes les grandes histoires de deuils et de gloires. Vous avez apporté ici une contribution qui permet à la mémoire d'être présente, tant de choses s'oublieraient si l'on ne faisait ce que vous faites ici et je tiens à vous en remercier, messieurs les organisateurs en même temps que M. le Président, je voudrais que vous gardiez le souvenir de cette réunion ce soir comme un témoignage supplémentaire de l'affection qui nous lie à votre pays.\