12 octobre 1993 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur le nouveau centre culturel Condorcet de Château-Chinon, sur l'alternance des majorités au pouvoir et sur Pierre Bérégovoy, à Château-Chinon le 12 octobre 1993.

Monsieur le maire, mesdames et messieurs,
- J'ai été très sensible à votre invitation. Toute occasion pour moi de revenir dans la Nièvre et, particulièrement, à Château-Chinon est accueillie avec joie.
- Cette médiathèque se trouve située dans l'ancienne mairie où j'ai moi-même siégé pendant d'assez longues années. Que de fois m'est-il arrivé de monter au premier étage pour y traiter des affaires de la ville ! Vous avez su tirer le meilleur parti de ce beau bâtiment, autrefois une halle au grain, qui a gardé ses structures. Il convenait, bien entendu, d'en modifier l'intérieur, cela a été fait heureusement £ j'ai déjà eu l'occasion une fois, pendant les travaux, de venir voir ce que cela devenait et j'aperçois maintenant le travail fini, accompli, l'activité commencée et j'en suis très heureux.
- Il faut dire aussi que, depuis mon départ de la direction de la municipalité - il y a maintenant douze à treize ans - beaucoup de choses ont été faites par mon successeur et par le conseil municipal, d'hier et d'aujourd'hui, la ville a été modifiée aux trois-quarts ou aux quatre-cinquièmes, cela n'empêche pas qu'il restait beaucoup à faire : je m'en aperçois tous les jours, parce qu'à chaque retour dans cette ville je vois quelque chose de nouveau : là, la fontaine, où était située tout à l'heure la plaque marquant la place Pierre Bérégovoy et, maintenant, ici, un renouveau, un départ qui servira la culture et, d'un certain point de vue, la permanence du Morvan, de son histoire, de sa connaissance de l'humain, et un moyen d'élever les connaissances de vos enfants.
- La halte, sur la nouvelle place Pierre Bérégovoy, portait naturellement sa charge d'émotion, je n'en dirai pas davantage. Ce que le Docteur Signé a dit venait du coeur, était marqué aussi par les ressources de l'esprit au travers d'un rappel qui nous est cher, à moi autant et peut-être plus qu'à beaucoup, dans la mesure où pendant un quart de siècle, j'avais été amené à connaître et à apprécier la valeur de l'homme au point que, lorsque j'ai été appelé à la Présidence de la République, il a été mon premier collaborateur et le plus important. C'est lui qui a mis en place la Présidence en 1981 et, les choses étant faites, il est entré au gouvernement pour suivre la carrière que vous savez, dont nous connaissons le déroulement tragique mais dont on n'oubliera pas davantage les grandes réussites et aussi le courage qu'il fallut pour dominer l'adversité dans une époque où une crise mondiale ou plutôt occidentale, empêchait la France de tirer les bienfaits des responsabilités politiques assumées avec lucidité.
- Nous avons perdu un ami, beaucoup - je pense à Mme Bérégovoy - ont perdu quelqu'un dont ils avaient besoin profondément. Ainsi vont les choses, il est bon, il est très important que l'on maintienne, dans la vie publique, par des rappels de cette sorte, la mémoire des hommes qui ont compté dans la construction et le développement de notre République.\
Ici, à Château-Chinon, on est comme ailleurs, on souffre de ce dont les Français souffrent, on connaît le chômage et, quand on ne le subit pas, on craint de la connaître. Que d'activités cependant tout autour : une population laborieuse, qui se veut modeste mais qui ne l'est pas par ses résultats, une population finalement solidaire dans les grandes épreuves et j'ai gardé pour le Morvan et ses habitants cette sorte de privilège du coeur que justifie une large partie de ma vie passée à vos côtés.
- Les événements, les évolutions de la vie politique n'y changent rien. Je n'ai jamais demandé, à Château-Chinon ou dans le Morvan, ce que pensaient, politiquement, mes interlocuteurs. Je considérais que j'en avais la charge et je découvrais, avec une grande dilection, que, quels qu'ils fussent, ils étaient là, amicaux, compréhensifs et aimant leur pays, leur Morvan - bien entendu la France - mais leur Morvan par-dessus tout. C'est ce consentement autour du pays que j'attends des Français étant entendu que la vie de la République exige aussi un grand débat démocratique, l'affirmation des idées, la confrontation des idées et donc des programmes des organisations politiques. Cette compétition il est nécessaire qu'elle s'exerce et nous devons veiller, nous responsables, à ce qu'elle se perpétue sous la protection de nos lois. Quant aux avatars, aux évolutions de la circonstance, aux évolutions de l'opinion, lorsqu'on gouverne et lorsqu'on a l'aveu de la majorité, il faut toujours penser que cet aveu pourrait cesser, mais quand on ne l'a pas, il faut toujours penser qu'on le retrouvera. C'est donc une loi constante qui, finalement, doit alimenter l'espoir, la volonté, la patience et la ténacité. C'est même très bien qu'en République, rien ne soit jamais acquis et j'ai d'ailleurs en tête un poème et une chanson dans lesquels ce "rien n'est jamais acquis" est applicable à tous les domaines. Mais c'est comme ça, la vie.
- L'essentiel est que le travail collectif, la châine des générations et même la succession des responsables, aillent dans le sens de notre intérêt général. C'est en tout cas la tâche qui m'incombe que de veiller à cela et je m'y efforce de mon mieux. Non pas toujours facilement, mais ça c'est une autre affaire qui ne concerne que moi.\
Mesdames et messieurs, vous assistez là à une manifestation de pérennité et de renouveau dont Château-Chinon nous a souvent donné l'exemple depuis une trentaine d'années. J'espère que vous pourrez continuer, que vos finances publiques le permettront. J'espère aussi que vous trouverez le concours des collectivités qui sont à vos côtés : conseil général, conseil régional, car il faut bien se garder, lorsqu'on a la charge d'une commune, de s'enfermer ou de s'isoler sur soi-même. C'est comme un pays : un pays doit avoir les yeux, le regard, les bras ouverts sur l'extérieur, on ne peut rien faire sans cela. Vous imaginez maintenant la puissance de l'information. Vous voyez qu'il n'y a pas de frontières, pour les paroles ou pour les faits, pas plus qu'il n'y a de frontières pour les fleuves corrompus, pour les pluies acides, pour les nuages porteurs de misère. Le monde est devenu vraiment tout petit. A l'intérieur de ce monde, il convient de faire son chemin, le mieux possible, en accord avec sa conscience.
- J'aime être à Château-Chinon, je m'y trouve bien, mais vous le savez depuis très longtemps. C'est une alliance qui durera £ je pense naturellement, avec une amitié particulière, à tous ceux qui ont été les premiers compagnons, qui ont été les bons ouvriers de cette ville, je pourrais citer bien des noms, je ne le ferai pas, mais vous qui êtes là, que je reconnais à peu près tous, vous les avez à l'esprit. Je vous souhaite bonne chance, mesdames et messieurs. Vous avez placé cette double cérémonie sous les signes - parfaitement expliqués par le docteur Signé - de Pierre Bérégovoy et de Condorcet. On ne pouvait imaginer plus forte ni plus heureuse, plus juste conviction. Condorcet est l'un des plus grands noms. A un certain moment, lorsqu'on m'interroge : "quel est celui qui vous inspire le plus parmi ceux qui ont été les protagonistes de cette transformation radicale de la société française ?", c'est souvent que mon esprit s'arrête sur Condorcet. Parmi les républicains contemporains, on reconnaîtra sans aucun doute les grands mérites personnels et publics de Pierre Bérégovoy.
- Bonne chance mesdames et messieurs, bonne chance à la France, bonne chance au Morvan.\