30 septembre 1993 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse conjointe de MM. François Mitterrand, Président de la République, et Carl Bildt, Premier ministre de Suède, sur les relations franco-suédoises, sur l'adhésion de la Suède à la CEE et sur les chances d'un compromis sur le Gatt, Stockholm le 30 septembre 1993.

LE PREMIER MINISTRE.- Je voudrais souhaiter la bienvenue à tout le monde. C'est un grand honneur, pour nous, d'avoir reçu M. le Président Mitterrand à Stockholm aujourd'hui. J'ai noté dans nos conversations que M. le Président m'a reçu trois fois à Paris, au cours des deux dernières années, et c'est dans ce contexte que c'est un grand honneur de le recevoir aujourd'hui pour continuer le dialogue politique que nous essayons de renforcer entre nos deux pays ces dernières années. Je note tout particulièrement qu'au moment même où M. Mitterrand et moi-même parlons ici à Stockholm, M. Juppé et Mme Margaretta af Ugglas poursuivent des entretien à New York, à l'occasion de l'assemblée des Nations unies. Nous avons eu des échanges sur les questions européennes, et pour celles qui sont plus à l'ordre du jour - la sécurité européenne, l'élargissement de la Communauté et éventuellement une augmentation de la coopération dans le domaine de la sécurité -, nous poursuivons un dialogue politique élargi entre la France et la Suède qui vise l'avenir.
- LE PRESIDENT.- J'ajouterai simplement quelques mots £ lorsque M. le Premier ministre m'a invité à venir à Stockholm pour l'exposition que nous avons vue ce matin et qui sera dans quelques mois à Paris, j'ai pensé que c'était la meilleure occasion de revenir dans ce pays, que j'ai visité déjà cinq ou six fois, et où je n'étais pas revenu depuis plusieurs années. Les choses vont vite, il ne faut pas perdre le fil. Je me réjouis donc d'avoir pu passer cette journée à parler avec les différents responsables, et particulièrement avec M. Carl Bildt. Nous avons naturellement parlé des problèmes en cours : Communauté européenne, adhésion éventuelle de la Suède, négociations, délais, rôle de chacun, et spécialement des différents organismes qui dirigent la Communauté. Nous avons parlé du Gatt : nos prises de position sont différentes, car nos intérêts sont différents £ et à partir de là, il y a un certain nombre d'autres problèmes touchant soit aux relations bilatérales - là il n'y a pas de contentieux - soit aux diverses situations conflictuelles en Europe £ et nous continuerons cette conversation. En tout cas, je suis sensible à l'accueil qui m'a été réservé aussi bien par le Roi, la Reine et, ensuite par le Premier ministre dans une ville qu'il est toujours intéressant de retrouver. J'espère, aussi, que nous aurons pu faire avancer quelques problèmes qui nous intéressent, dans le cadre de notre Europe, les uns et les autres.\
QUESTION.- Une proposition franco-allemande sur les modifications institutionnelles de la CEE a été présentée aujourd'hui : qu'en pensez-vous ?
- LE PRESIDENT.- Je ne suis pas au courant. Nous ferons des propositions, sans doute £ nous ne nous sommes pas encore vus pour en discuter. Ce rendez-vous aura lieu, je pense, vers la mi-octobre. Ensuite, on se retrouvera pour le Conseil franco-allemand, puis pour le Conseil européen, pour mettre au point, le cas échéant, des propositions pour des réformes institutionnelles. Nous n'avons pas l'intention de réduire l'influence des "petits pays". Pourquoi ? Je crois qu'il faut être raisonnable. Je demande simplement de ne pas vouloir réduire exagérément l'influence des grands pays.
- QUESTION.- La Roumanie a décidé d'entrer dans l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Quelle est votre opinion sur cette question ?
- LE PRESIDENT.- Si la France a signé un traité d'amitié et de coopération avec la Roumanie, c'est pour se réjouir de toutes les avancées qui permettent à la Roumanie de participer aux délibérations européennes et aux institutions internationales £ donc je trouve cela très bien.
- QUESTION.- Georges Marchais a annoncé son retrait, hier soir £ comment commentez-vous cette décision qui va influencer la vie politique en France ?
- LE PRESIDENT.- Je ne commenterai pas les événements de politique intérieure française. Je ne le fais jamais quand je me trouve à l'étranger.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous êtes venu dans un pays qui aurait énormément à perdre s'il y avait pas d'accord sur le Gatt le 15 septembre. Que va faire la France pour assurer à la Suède et à d'autres pays qu'il y aura un accord ?
- LE PRESIDENT.- Et qu'est-ce qu'est disposée à faire la Suède pour sauvegarder l'agriculture française ? C'est à peu près égal ça ? Je n'ai pas à sauvegarder votre blé, votre maïs, votre vin, vous n'êtes pas en péril. En revanche, vous voulez vendre vos machines et négocier vos services, ce qui est tout à fait légitime. Alors admettez que l'agro-alimentaire français, qui est le deuxième du monde juste après les Américains - ce qui explique un peu la passion que mettent les Américains à traiter ce problème en priorité -, admettez que la France doive défendre ses intérêts. C'est selon la manière dont la chose sera traitée pendant les quelques semaines qui viennent £ la France dira oui, ou dira non. Je reconnais que ce que je dis là est un peu égoïste, puisque je vous dis que pour l'instant les négociateurs français s'intéressent plus aux intérêts français qu'aux intérêts suédois. On va essayer de corriger cela, mais enfin, il faut reconnaître que c'est une démarche assez naturelle pour tous les pays, comme le vôtre par exemple : si vous entrez dans l'Union européenne, qu'est-ce que vous direz à votre peuple ? Vous direz oui, on entre dans l'Europe, pour peu qu'on veille, naturellement, à sauvegarder notre identité. Eh bien nous, nous disons la même chose.
- QUESTION.- Ferez-vous usage de votre veto dans la crise du Gatt avec les Etats-Unis ?
- LE PRESIDENT.- Ne raisonnons pas par le pire. C'est une faculté qui nous est offerte par ce qu'on appelle le compromis de Luxembourg, et on a le droit de le faire. Nous souhaitons ne pas avoir à le faire. Donc, je ne veux pas épiloguer sur le veto, alors que je souhaite épiloguer sur un bon compromis.
- QUESTION.- Pensez-vous aboutir à un accord avant le 15 septembre ?
- LE PRESIDENT.- Je ne fais pas de pronostics. Je serais incapable de vous le dire. La date était d'abord une date américaine, ensuite elle a aussi été acceptée, il faut le dire, par la plupart des pays d'Europe. Ce serait une bonne chose d'aboutir à cette date-là si les accords sont raisonnables. Je souhaite l'accord global sur le Gatt, et je reproche aux négociateurs d'avoir mis l'accent seulement sur l'agriculture, et au fond de ne pas avoir recherché l'accord global. Si on avait pu discuter de tous les domaines commerciaux, les intérêts des uns, des autres, on aurait sans doute fini par s'harmoniser. Je le rappelais à M. le Premier ministre, tout à l'heure dans notre conversation £ j'ai été saisi de ce problème par M. Reagan en 1985, et il voulait commencer la négociation simplement sur l'agriculture £ dès 1986 et depuis septembre, les Américains ne se sont intéressés qu'à ça : l'agriculture : ça a un sens. C'est la première puissance agro-alimentaire, nous sommes la deuxième, donc c'est ça qui les intéresse, une fois qu'ils auront réglé ce problème, le reste arrivera à temps £ nous, on raisonne autrement.\
QUESTION.- La France est aujourd'hui relativement seule pour obtenir un accord du GATT. Se laissera-t-elle influencer par l'opinion internationale ?
- LE PRESIDENT.- Elle est seule sur ce dossier-là £ sur les autres, non, elle n'est pas tout à fait seule, il ne faut pas exagérer £ il y a plusieurs pays, la Communauté qui soutient la France, mais enfin elle est quand même en minorité, c'est vrai. Si vous parlez d'un intérêt primordial qui est le nôtre et qui n'est pas le vôtre, bien entendu vous faites chorus avec tous ceux qui disent : "arrangez-vous". Si on veut s'attaquer - ce qui n'est pas du tout dans notre esprit - à certaines de vos productions dont dépend votre prospérité, qu'est-ce que vous diriez ?
- Je crois qu'il faut être raisonnables £ la France n'est pas un obstacle £ simplement, on s'est attaqué, dans ces négociations, essentiellement au coeur de ce qu'on pourrait appeler les chances de développement de la France. Alors, ça ne marche pas. Je ne désespère pas, mais je ne marche pas. C'est comme cela que je peux vous expliquer cela. Mais évidemment les Français sont obstinés dans la défense de leurs intérêts £ moi ça ne me choque pas, et ce n'est pas parce qu'il y aurait tant de pays, ici et là, qui seraient d'accord contre la position de la France que je ferais changer la nôtre.
- QUESTION.- La France n'a-t-elle pas l'agriculture la plus efficace de l'Europe, et ne dit-on pas que c'est la France qui gagnerait le plus à un nouvel accord du GATT ?
- LE PRESIDENT.- Il se peut que j'aie dit cela, si c'était vrai... alors moi je rentre vite à Paris, je vais le leur dire là-bas.
- QUESTION.- Monsieur Carl Bildt, qu'avez-vous dit exactement à M. le Président Mitterrand sur le Gatt ?
- LE PREMIER MINISTRE.- Il est normal de se battre dans des négociations pour les intérêts nationaux et c'est ce que nous faisons dans d'autres contextes £ nous avons des intérêts nationaux et nous nous battons pour £ c'est évident, il faut essayer d'aspirer à un accord £ mais que les pays se battent pour leurs intérêts nationaux qui sont différents d'un pays à l'autre, c'est bien naturel.\
LE PRESIDENT.- Je voudrais poser une question à monsieur £ on inverse les rôles : est-ce qu'il trouve normal que les Etats-Unis d'Amérique fassent des lois nationales qui leur permettent de rompre, de changer un traité international, donc d'avoir des lois nationales supérieures au traité qu'ils signent sur le plan international, tandis que les autres doivent rester soumis aux traités internationaux sans pouvoir ensuite changer quoi que ce soit par le vote de leur parlement ? Est-ce que c'est normal ? On va signer, et puis un de ces jours les Américains ne seront pas satisfaits du résultat. Alors en raison de leur loi nationale, ils décideront de ne pas l'appliquer. Eh bien moi, je voudrais bien que d'ici le mois de décembre les Américains renoncent à ce privilège qui n'est pas acceptable.
- QUESTION.- Vous donnez une réponse très longue, mais la Commission européenne a eu pour tâche de faire les négociations pour les douze, et il n'y a pas eu d'accord à Washington £ donc la question centrale est de savoir si les douze restent ensemble, et s'ils vont suivre les accords qui vont être signés à Washington ?
- LE PRESIDENT.- C'est une question que l'on se pose en Suède lorsque l'on discute de l'éventuelle adhésion de ce pays à la Communauté. On se la pose souvent £ c'est une discussion très large £ mais la décision, dans un domaine aussi important, doit être une décision politique qui engage les gouvernements des douze pays, les douze, treize, quatorze... quinze, demain, et je ne pense pas que cette décision aurait dû être prise à Blair House sans qu'elle soit soumise préalablement au Conseil européen, c'est-à-dire aux représentants des chefs d'Etat et de gouvernement des douze. Et c'est précisément cette confusion entre le rôle d'exécution administratif et technique, et le rôle de décision politique qui risque de contrarier le développement de l'Europe dans le futur. Je respecte beaucoup la Commission, mais il me semble que dans cette affaire, la réalité européenne n'ait pas été représentée.\