10 septembre 1993 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur la Libération de la Corse et la reconnaissance de l'identité corse au sein de la Nation, Ajaccio le 10 septembre 1993.

Mesdames et messieurs,
- Cela vient de vous être dit par les acteurs même de cette action, de ce moment très remarquable de l'histoire de notre pays. Je me contenterai donc de dire rapidement ce que furent les faits de cette époque.
- La journée du 9 septembre 1943 restera une grande date dans l'histoire de notre pays car comme vous l'avez dit tout à l'heure, c'est ce jour que fut donné le signal de la libération de la première terre française métropolitaine, et d'une libération qui fut l'oeuvre des seules forces françaises, l'oeuvre des résistants corses auxquels se sont joints quelques jours plus tard, le bataillon de choc du général Gambiez, des troupes marocaines, puis des unités venues d'Algérie.
- Il est bien normal, il est juste que le chef de l'Etat, le chef du gouvernement, plusieurs membres du gouvernement célèbrent avec vous, mesdames et messieurs, la libération de la Corse, qu'ils ouvrent ici le cycle des commémorations du Cinquantenaire des combats de la libération, cérémonies de toutes sortes qui se poursuivront jusqu'en mai 1995, mais c'est ici, à Ajaccio, que tout a commencé, c'est ici que le 10 septembre le soleil se levait pour la première fois sur une ville française libérée.
- En vous remerciant, monsieur le maire d'Ajaccio, de vos paroles de bienvenue, auxquelles, croyez-moi, j'ai été très sensible, en remerciant Arthur Giovoni dont je connais l'histoire singulière qui a épousé dans un grand moment l'histoire de la Corse et l'histoire du pays, auquel je veux dire mon amicale pensée. En sa qualité de chef de la résistance corse, il était particulièrement désigné pour nous délivrer un message si précieux. Ce que je veux rappeler, c'est ce que nous devons à la détermination d'une poignée d'hommes et de femmes, décidés à ne pas attendre l'événement, mais à le faire, leçon qui durera autant que l'histoire des hommes.
- Certes, dans les derniers jours de l'été 1943, avec le recul que donnent les cinquante années qui se sont écoulées, le sort de la guerre semblait scellé. En moins d'un ans, la déroute de l'Afrika Korps, le débarquement allié en Afrique française du Nord, les désastres subis par le Wehrmacht à Stalingrad, puis à Koursk et dans tant d'autres lieux, tout pouvait donner à penser qu'on approchait de la phase finale £ mais, vous l'avez remarqué et vous avez eu raison, à l'échelle des jours qui passent, dans ce coin de la Méditerranée occidentale où nous sommes aujourd'hui, les choses n'étaient pas aussi simples. Il y avait des incertitudes sur les intentions de l'ennemi : on savait depuis quelques jours que l'Italie fasciste allait abandonner la lutte £ on pensait que, peut-être, les Italiens se joindraient aux alliés pour combattre les forces nazies, mais rien n'était sûr.
- Incertitudes aussi sur les desseins des alliés, et même sur celles du commandement français.
- Dans ce contexte, c'est la détermination des résistants corses qui a forcé le destin et entraîné avec elle toute la France combattante.\
N'est-ce pas le même amour de la liberté qui, dès les premiers jours de la Révolution, avait légitimé l'entrée de la Corse dans la famille française. Souvenez-nous, vingt ans après, tant d'événements qui marquèrent à jamais notre histoire. Vingt ans après que les Gênois eurent transféré à la France des droits qu'ils n'avaient pas, c'est par un libre choix des uns et des autres, insulaires et continentaux, que la Corse est devenue la France.
- C'est aussi le sens du devoir qui a fait que les Français de Corse ont toujours été parmi les premiers à servir notre patrie lorsqu'elle a été menacée. Les vingt mille tués de la première guerre mondiale, les centaines de résistants qui ont laissé leur vie dans l'avenir, Scamaroni, Nicoli, combien d'autres qui mériteraient d'être évoqués, qui, venus de Corse, ont combattu sur tous les fronts, vous-mêmes, enfin, les Compagnons de la Libération réunis ici, vous êtes là pour en témoigner.\
Et pourtant, depuis lors, que d'incompréhension, que de lutte, que de contradictions, là où il suffisait de quelques idées claires et d'un amour égal pour la Corse, pour la France. On peut toujours se combattre, si en fin de compte on se comprend. Je crois qu'aujourd'hui, on ne peut pas mettre en cause les principes, il s'agit simplement de débattre des modalités, mais elles sont très importantes, puisqu'elles signifient plus ou moins de liberté ou plus ou moins d'identité.
- La mise en place des institutions régionales, la redistribution des responsabilités opérée par l'Etat vers les assemblées locales, accompagnée des moyens financiers correspondants, offre à la Corse la chance d'un nouvel élan et c'est cet élan-là qu'il faut désormais saisir. Où en serions-nous aujourd'hui sans le statut qui a fait de la Corse une collectivité unique en son genre ? Après tout, je remarque qu'au fil du temps il a été accepté par l'ensemble des formations politiques.
- Je souhaite et je veux que les Corses soient et se sentent maîtres de leurs affaires et dans tous les domaines qui relèvent de leurs compétences. Personne ne peut trancher à leur place les problèmes qui sont les leurs, là où ils vivent, et qu'ils proposent £ oui, il convient de les entendre.
- Que les Corses se saisissent de responsabilités nouvelles, qu'ils s'unissent pour les assumer. Oui, sans aucun doute, sans hésitations ni restrictions, mais sans renoncer non plus à vivre, à travailler, à assurer le devenir de la collectivité nationale.\
Quant à l'Etat, après s'être dépouillé de prérogatives souvent écrasantes, parfois excessives, qu'il accompagne le mouvement, qu'il reste attentif à vos besoins, qu'il persévère dans ses efforts.
- Vous comprenez que je vous dise aussi : qu'il assure et qu'il garantisse l'unité nationale et les lois de la République.
- Le monde actuel nous offre suffisamment d'exemples des drames auxquels conduisent le fanatisme, le nationalisme exacerbé pour que s'en détournent les esprits raisonnables. Dites-le, répétez-le, il n'y a pas d'avenir raisonnable de ce côté-là et quand j'affirme cette conviction, ce n'est pas pour faire valoir la force ou la rigueur ou pour rétablir un rapport de force qui serait éphémère, mais parce que le monde à construire appelle à la fois, que soit reconnue l'identité de chaque groupe humain, sans jamais oublier que seuls les grands ensembles, notre patrie commune, et au-delà, l'Europe, notre continent, feront notre avenir et nous permettront tous ensemble d'échapper à la domination des puissants.
- Je ne méconnais pas l'ampleur de vos problèmes. A tous les Corses qui m'écoutent, je dis : rien ne serait pire que le repli sur soi, et aux jeunes £ mais prenez donc en charge votre destin, vous le souhaitez, nous le voulons : bâtissez votre vie, votre avenir, c'est comme cela que vous préserverez l'identité qui vous est chère, vous avez raison de le vouloir. Mais la République, elle, a raison de demeurer elle-même et de vouloir s'enrichir tout simplement de l'identité corse.
- Il y a cinquante ans, vous avez montré la voie, nous le célébrons. Vous vous êtes portés aux avant-postes, vous avez donné le signal du sursaut. Ces mêmes vertus, démontrées dans les combats de la liberté, qu'elles trouvent à s'employer dans les institutions qui sont vôtres, dans, les projets que nous avons conçus ensemble. Je crois que ces vertus sont les garantes de l'avenir. L'hommage rendu aux combattants n'aurait pas de sens si des perspectives nouvelles et vastes n'étaient pas de sens si des perspectives nouvelles et vastes n'étaient ouvertes à vos enfants. Et nous ne serions quitte envers aucun de ceux dont nous célébrons aujourd'hui la vaillance et le sacrifice, si la page d'Histoire une fois lue, nous devions refermer le livre.
- Mesdames et messieurs, c'est presqu'une évidence que de leur dire : l'histoire continue. Mais la reconnaissance de la Corse dans la France ne fait que commencer, comme il m'est facile de vous dire, en confiance, ces quelques mots : vive Ajaccio, vive la Corse, vive la République, vive la France.\