1 juillet 1993 - Seul le prononcé fait foi
Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, accordée au quotidien "Asahi Shimbun" et à la chaîne "NHK" le 1er juillet 1993, sur le rôle du Sommet des pays industrialisés, la demande japonaise d'accession au Conseil de Sécurité de l'ONU, la négociation du Gatt et la construction européenne.
QUESTION.- Monsieur le Président, nous voulons vous remercier, au nom du journal Asahi Shimbun et au nom de la chaîne publique de télévision japonaise NHK de nous avoir accordé cette interview. Nous vous remercions au nom de nos lecteurs, et au nom des auditeurs et télespectateurs de NHK.
- LE PRESIDENT.- Il n'y a pas à me remercier, je suis heureux de pouvoir ainsi m'adresser au peuple japonais par votre intermédiaire et mes premières paroles seront, précisément, pour me réjouir de pouvoir me rendre au Japon et adresser un salut cordial à vos concitoyens.
- QUESTION.- Connaissez-vous la légende de la fête de Tanabata qui a lieu tous les ans le 7 juillet dans le nord du Japon ? C'est l'histoire de deux amants qui se retrouvent sous forme de constellations dans la voie lactée. Pensez-vous que ce soit de bon augure pour le sommet des 7 ?
- LE PRESIDENT.- On peut en tout cas le souhaiter. Je ne peux pas faire de pronostic. Mais les influences bénéfiques seront très utiles !\
QUESTION.- Vous êtes, monsieur le Président, non seulement le doyen des chefs d'Etat qui vont se réunir à Tokyo, mais surtout celui qui a participé au plus grand nombre de Sommets puisque cela va être le treizième Sommet auquel vous participez et que vous êtes le seul d'ailleurs à avoir participé à autant de Sommets. Les Sommets sont nés à l'époque de la guerre froide. Maintenant que cette époque est révolue, que pensez-vous de l'évolution des Sommets, de leur contenu ? Comment voyez-vous cette évolution ? Qu'attendez-vous du prochain Sommet qui va se tenir à Tokyo ?
- LE PRESIDENT.- Cela a commencé par des réunions informelles entre un petit nombre de chefs d'Etat. Ils étaient quatre au point de départ. De ce fait, il n'y avait pas de cérémonial particulier, ni de grand concours de presse. Les conversations restaient, sinon confidentielles, du moins discrètes. L'évolution apparente est très sensible. D'abord ils ne sont plus quatre mais sept, ils traitent de tous les sujets en public, il y a des comptes rendus, des communiqués, des conférences de presse, et de ce fait les conversations de caractère presque privé entre chefs d'Etat désireux de se connaître se sont transformées en conférences économiques et politiques. Les réunions des 7 sont devenues un grand spectacle. Donc leur signification a profondément changé. Je ne sais pas si on a eu raison. Je n'en suis pas sûr.
- D'autre part le Sommet des 7 a tendance, ou a eu tendance, à se transformer, peu à peu, au delà de la consultation entre quelques pays, en une sorte de forum ou de directoire, où certains songent à donner des directives - ou du moins des indications utiles - pour le monde entier. Je pense que cette évolution doit également être modérée car les pays qui sont réunis là parlent pour eux-mêmes et si leur influence est, bien entendu, grande à l'extérieur, cela ne doit pas comporter une tendance à se substituer aux autres enceintes où tous les pays du monde sont appelés à se rencontrer.
- QUESTION.- Sur ce plan, monsieur le Président, est-ce que les Sommets ne sont pas condamnés à décliner, à disparaître ?
- LE PRESIDENT.- Toute chose est condamnée à périr, cela comme le reste, ou à évoluer. Mais je ne peux pas vous dire comment.\
QUESTION.- Pour que le Sommet de Tokyo puisse contribuer à accélérer la relance de l'économie mondiale, que demanderiez-vous, monsieur le Président, à vos partenaires et notamment et surtout, au Japon ?
- LE PRESIDENT.- Beaucoup de bonne volonté, un peu plus d'ouverture, un peu plus de réalité sous les mots, sous le vocabulaire. Par exemple, tous ces sommets se résument à une dénonciation des protectionnismes, mais les protectionnismes résistent très bien à ces incantations ! Donc il faut chercher à accorder les choses et les mots. Les Sommets sont essentiellement économiques, - d'ailleurs c'est leur nom : "Sommets économiques" - mais comme ils réunissent quelques chefs d'Etat parmi les plus importants du monde, bien entendu, on passe assez facilement de l'économique au politique. Je dirai simplement qu'il ne faut pas trop en faire. Il ne faut pas que la très utile rencontre sur les problèmes économiques se transforme peu à peu - comme je le disais il y a un instant - en une sorte de directoire politique.
- Alors qu'est-ce que j'en attends ? J'en attends que les échanges soient facilités, que conscience soit prise d'un certain nombre de problèmes trop souvent oubliés. Je pense en particulier au développement de ce que l'on appelle le tiers monde - on dira plutôt les pays pauvres -, je pense que c'est là peut-être l'occasion aussi de confronter utilement nos points de vue sur les grands accords internationaux. Pour l'instant, c'est ce que je vois de plus utile.\
QUESTION.- Vous n'avez pas de demandes spécifiques pour le Japon ?
- LE PRESIDENT.- Non, rien de spécifique. Le Japon est un pays très actif, dont la place est considérable dans le monde. C'est mérité parce que c'est un peuple qui travaille et qui travaille bien. Il faut que ce soit un pays de plus en plus solidaire et j'espère que la tendance va dans ce sens - je le reconnais, mais pas encore assez -, et que son marché intérieur s'ouvre davantage, comme est ouvert le marché des pays occidentaux aux produits japonais.
- QUESTION.- Les Américains se plaignent des déficits commerciaux vis à vis du Japon et sont tentés d'imposer des échanges plus contrôlés, plus administrés. Ils feront certainement au Sommet des propositions aux autres membres du G7. Quelle sera votre attitude face aux exigences ?
- LE PRESIDENT.- Vous savez, c'est une préoccupation générale. Les déficits commerciaux avec le Japon, il n'y en a pas qu'avec les Etats-Unis d'Amérique, c'est le cas un peu partout et c'est en effet une situation inquiétante à laquelle chacun doit lui-même réfléchir, dans son intérêt. Si son intérêt immédiat peut apparaître, par toute une série de procédés, notamment monétaires, comme une poursuite échevelée vers la conquête des marchés, il arrivera un jour où le Japon en subira la conséquence. Je crois qu'il faut être raisonnable en toute chose et que le Japon utilise ses qualités, qui sont grandes, non seulement pour vendre ses produits, qui sont généralement des produits performants, mais aussi pour comprendre qu'il faut des échanges plus équilibrés et que pour cela il faut que la concurrence soit absolument égale pour tous, sans quoi on échouera ensemble. Si on ne réussit pas ensemble, on échouera ensemble.\
QUESTION.- Monsieur le Président, quelle est la meilleure façon d'aider la Russie ?
- LE PRESIDENT.- Je suis tout à fait désireux de prendre part au redressement de la Russie et donc de contribuer le plus possible à tout ce qui permettra la reprise de l'activité économique dans ce pays, qui est gravement touché par une longue période d'inertie économique. Je pense d'autre part que c'est une question de solidarité avec le peuple russe qui souffre beaucoup de la situation présente. Mais si l'on compare les efforts accomplis jusqu'ici, je constaterai que la Communauté européenne - dont la France fait partie - est l'ensemble d'Etats qui a fait le plus gros effort en faveur de la Russie. Je crois que l'on peut comparer onze milliards de dollars fournis par les Etats-Unis d'Amérique (à quoi s'est ajouté le milliard de dollars consentis lors de la rencontre du Canada entre M. Eltsine et M. Clinton) tandis que la Communauté européenne a fourni quelques soixante sept milliards. Pour le Japon, je ne peux pas vous dire exactement le chiffre mais je ne pense pas que ce soit un chiffre comparable à celui de la Communauté. Donc, quand le Japon et les Etats-Unis d'Amérique auront fait l'effort supplémentaire, important, je continuerai cette conversation. Pour l'instant, nous avons fait tout ce qu'on pouvait faire. On peut faire mieux, mais nos moyens sont aussi limités par une dépression économique qui nous frappe tous, dans tous les pays industriels d'Occident.\
QUESTION.- En ce qui concerne le GATT, il y a des gens qui disent que les sommets précédents, surtout les Sommets de Londres et de Munich ont suscité une grande attente des citoyens. Cela a provoqué une sorte de crise de la crédibilité des G7. Est-ce que vous croyez que cette situation va se renouveler cette année à Tokyo ?
- LE PRESIDENT.- Le rôle du GATT et le rôle du G7 sont tout à fait différents. Le G7 n'a pas pour mission de régler les affaires du GATT. Le GATT c'est une négociation commerciale mondiale entre plus de 110 pays et le G7 c'est 7 pays. Il ne faut pas confondre les choses. Bien entendu, une bonne conversation entre les chefs d'Etat et de gouvernement de ces sept pays peut être utile à la résolution des problèmes du GATT mais ce n'est pas leur travail. Ces décisions doivent être prises par les gens qui en font partie, qui sont beaucoup plus nombreux que les participants du G7 et qui ont droit à la parole autant que nous.
- QUESTION.- Mais pour le succès du GATT, la France n'est-elle pas prête à faire des sacrifices ?
- LE PRESIDENT.- Jusqu'ici, c'est elle qui les fait. Quand vous aurez entendu la liste des sacrifices consentis par nos principaux partenaires, je serai encouragé à demander à mes concitoyens d'en faire autant, mais la question est tout à fait inversée. Quand j'ai rencontré M. Reagan pour la première fois, c'était au G7 de Bonn en 1985, déjà je lui ai dit : "Vous résumez les négociations du GATT aux négociations sur l'agriculture, c'est-à-dire le dossier qui vous avantage. Cela ne marchera pas". La négociation commerciale doit toucher à tous les intérêts commerciaux, industriels, les services, la propriété intellectuelle, tous les domaines. Pourquoi l'agriculture ? Parce que cela intéresse les Américains ! Le GATT, ce n'est pas simplement les Etats-Unis d'Amérique. Donc, il est évident que tant que la négociation ne sera pas devenue globale, équilibrée entre les différents domaines d'échanges économiques cela ne marchera pas, et la France ne pourra pas donner son accord.\
QUESTION.- En ce qui concerne Maastricht, il ne reste plus que la ratification de l'Angleterre. Cependant, il reste le problème de la monnaie européenne et très peu de personnes au monde peuvent croire que l'on arrivera effectivement à faire fonctionner cette monnaie européenne d'ici 1999 ?
- LE PRESIDENT.- Si cela fonctionne en 1999, pratiquement, les délais auront été tenus.
- QUESTION.- Plus personne n'y croit beaucoup.
- LE PRESIDENT.- Plus personne ? Où cela ? Le Traité de Maastricht va être ratifié par la Grande-Bretagne, c'est-à-dire que douze pays sur douze l'auront accepté. Il y a déjà 4, 5, 6 pays qui demandent à adhérer à la Communauté. Ils ne pourront y entrer qu'en acceptant les clauses du Traité de Maastricht. Parmi ces clauses, il y a la monnaie unique et la Banque centrale avant 1999. Donc, plutôt que de voir ce mouvement de recul que vous semblez distinguer, moi je vois plutôt une attente. Pourquoi est-ce que cela ne fonctionnerait pas ? Il n'y a aucune raison.
- QUESTION.- En dehors du problème de la ratification et de la monnaie unique, il y a un certain nombre de critiques concernant le fonctionnement de la Communauté, par exemple le manque de contrôle démocratique sur les institutions de Bruxelles, les problèmes de la montée de l'extrême droite, les problèmes de l'afflux des immigrés...
- LE PRESIDENT.- La montée de l'extrême-droite n'a rien à voir avec ce sujet...\
QUESTION.- Comment voyez-vous l'avenir de l'Europe ? Quels sont les enjeux ?
- LE PRESIDENT.- Je reste optimiste. L'Europe a fait des progrès considérables au cours de ces quinze dernières années, avec des crises de temps à autre, il y en aura encore, c'est le fait de toute société humaine. Vous savez, c'est un projet particulièrement audacieux que de demander à 12 pays qui se sont souvent combattus, et bientôt à 13, 14 ou 15, d'oublier une partie de leurs exigences nationales et de leur histoire au bénéfice d'un ensemble. C'est un effort extraordinaire mais qui, jusqu'ici, a marché. Cela a fonctionné et je vous répète que le Traité de Maastricht va être accepté non seulement par douze pays mais, sans doute, par quelques autres.
- Ce scepticisme existe peut-être dans les pays extérieurs à la Communauté, mais cela n'a pas beaucoup d'importance, ce ne sont pas ces pays-là qui décident ! Qu'il y ait des difficultés importantes, c'est certain, mais est-ce que vous connaissez, vous, une entreprise politique de cette envergure qui puisse avancer sans obstacle ? La vie est faite de cela. Si j'observe les progrès réalisés depuis quarante ans, ils sont très importants. Il reste encore à franchir une partie du chemin, c'est une question de volonté, de volonté politique. Est-ce que cette volonté sera partagée par les 12, 13, 14, 15 ? Rien ne me permet d'en douter. Vous jugerez dans quelques années si mon pronostic était bon.\
QUESTION.- Face aux conflits dans l'ex-Yougoslavie la Communauté internationale y compris l'Europe semble rester sans solution...
- LE PRESIDENT.- Qu'auriez-vous préconisé ?
- QUESTION.- A votre avis le nouvel accord intervenu entre les Serbes et les Croates sur la partition du pays peut-il conduire à une solution définitive ?
- LE PRESIDENT.- Je ne suis pas prophète ! Il y a une situation historique très ancienne qui veut que les peuples de l'ancienne Yougoslavie ont quelques difficultés à vivre ensemble. Ce n'est pas nouveau. La construction de la Yougoslavie était peut être artificielle. La situation qui résulte de sa dislocation est en effet génératrice de conflits. C'est déjà bien que ce ne soit pas générateur d'un conflit généralisé £ après tout c'est ce qui s'est produit au moment de la première guerre mondiale. C'est déjà une marque de la réussite de la Communauté européenne que de voir de grands pays comme l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni, l'Italie, au fond divisés sur la solution yougoslave en discuter à l'amiable, non plus comme naguère, les armes à la main. Voilà un grand progrès, une grande réussite de la Communauté.
- Les critiques sont nombreuses et je les comprends. Je voudrais en éliminer certaines. La Communauté européenne n'a pas encore, tant que Maastricht n'est pas ratifié, d'unité de commandement politique et, même quand Maastricht sera ratifié, il y aura un embryon de défense, mais il n'y aura pas de force militaire, ce sera pour plus tard. Donc vous n'aviez pas le moyen de régler le problème de l'ancienne Yougoslavie autrement que par une sorte d'arbitrage et des conseils qui n'étaient d'ailleurs pas demandés par les intéressés.
- Les Nations unies c'est différent, elles ont une autorité internationale. Il est vrai que ce qui a été mis sur pied n'a pas abouti puisqu'on voit bien que le plan Vance-Owen est aujourd'hui en péril. Je l'ai soutenu parce que c'était la seule solution positive. Je connaissais ses imperfections, cependant j'espère qu'il produira quelques effets positifs, mais d'une façon générale il commence à appartenir au passé. C'est un problème très difficile, et beaucoup de ceux qui critiquent violemment oublient de préciser ce qu'ils auraient aimé que l'on fasse ! Fallait-il faire la guerre avec nos armées dans l'ancienne Yougoslavie ? Pour combattre qui ? Les agresseurs ?
- Faire la guerre : quel est le pays qui était prêt à envoyer des armées faire une guerre sur le terrain, terrain très difficile ? Moi je n'ai jamais été favorable à cette solution.
- La France est le pays qui a envoyé le plus de soldats au service des Nations unies, des soldats de la paix, une force d'interposition entre les combattants et aujourd'hui force de protection des zones de sécurité. Nous avons près de 5000 hommes, loin devant tous les autres. Vient ensuite la Grande-Bretagne. Quelques grands pays n'y participent pas : il n'y a pas pour l'instant de soldats américains. Il n'y a pas, pour des raisons parfaitement compréhensibles, de soldats allemands. Je ne sais pas s'il y a des soldats japonais, mais il y a déjà 5000 soldats français. Nous avons déjà eu une douzaine de morts, de très nombreux blessés. Nous avons également été à la pointe de toutes les négociations. Nous n'accepterons donc pas facilement des reproches, et à ceux qui me demanderaient de faire la guerre alors je répondrais : êtes-vous prêts à y participer ? Quand ils auront répondu, alors j'examinerai la question.\
QUESTION.- Dans le contexte de la fin de la guerre froide on parle beaucoup de désarmement nucléaire dans toutes les parties du monde. Est-ce que la France a l'intention de continuer la modernisation de son armement nucléaire, et d'autre part, les essais nucléaires français dans le Pacifique, qui sont actuellement suspendus, vont-ils reprendre ?
- LE PRESIDENT.- C'est moi qui ai décidé de les suspendre...
- QUESTION.- Vont-ils reprendre prochainement ?
- LE PRESIDENT.- J'ai décidé de les suspendre et j'ai constaté que la Russie, - enfin le pays de l'ancienne Union soviétique -, les Etats-Unis et par voie de conséquence la Grande-Bretagne avaient également suspendu leurs essais. Bien entendu, la France reprendra les siens et perfectionnera son armement si les autres le font car nous avons à préserver cette arme, qui n'est qu'une arme de dissuasion et pour cela il faut qu'elle reste au dessus du seuil de suffisance, qu'elle puisse jouer le rôle pour lequel elle a été faite : c'est-à-dire dissuader, empêcher, interdire à quiconque de nous attaquer. Bien entendu nous n'avons pas l'intention de nous en servir mais à condition que tel ou tel agresseur éventuel (je ne sais pas qui d'ailleurs aujourd'hui) sache que ce serait à ses risques et périls. Nous n'avons pas l'intention de donner le signal de la reprise d'un nouvel armement. Nous disons seulement que nous voulons continuer d'être capables de faire face à toute situation militaire nouvelle et, pour cela, nous ne voulons nous faire distancer par personne. Cela dépend essentiellement de l'attitude des autres pays nucléaires.\
QUESTION.- Aussi bien en dehors du Japon que chez nous, des voix s'élèvent pour exiger du Japon la présence politique qui correspond à sa puissance économique. Est-ce que vous partagez cet avis ?
- LE PRESIDENT.- Qu'est-ce que vous voulez dire par là ? Soyez tout à fait concret.
- QUESTION.- Est-ce que vous croyez que le Japon doit participer aux activités dans le cadre international comme...
- LE PRESIDENT.- Il y participe déjà, mais que voulez-vous dire exactement ?
- QUESTION.- Le gouvernement japonais aurait le désir d'occuper un siège au Conseil de Sécurité des Nations unies, est-ce que vous soutenez cette demande ?
- LE PRESIDENT.- Il fallait le dire tout de suite ! Tout le monde avait compris ! Ce que je veux dire c'est que nous ne disons pas non. La situation s'est créée après la guerre mondiale et si le Japon se trouvait écarté, c'est parce qu'objectivement, le Japon comme l'Allemagne ayant été finalement contraints de déposer les armes, ce sont les vainqueurs qui ont fait les lois. On ne peut pas installer cette situation à perpétuité. Ce sont des pays qui sont devenus démocratiques, qui ont supporté beaucoup de sacrifices, qui ont eu de grands malheurs et qui ont montré qu'ils étaient capables de redevenir des partenaires de premier ordre dans la politique mondiale. Il faut être juste. Nous ne sommes pas du tout opposés à ce principe, les discussions peuvent s'engager. Simplement, elles ne peuvent pas s'engager n'importe quand et n'importe comment.
- Faut-il ouvrir le Conseil de Sécurité simplement à l'Allemagne et au Japon ? Mais alors, dans ce cas-là, il n'y aurait plus que des pays du Nord qui siègeraient au Conseil, et vous aurez forcément des demandes émanant de pays du Sud. Pourquoi pas ? Il y en a qui sont tout à fait remarquables et qui ont bien voix au chapitre. De plus, il y a les règles même du Conseil de Sécurité, le droit de veto. Est-ce que ce droit pourra s'exercer de la même façon à douze ou à treize - c'est un chiffre que je donne comme cela au hasard - qu'à cinq ? Donc la demande est légitime, la mise en oeuvre est assez compliquée. Nous n'avons qu'à en discuter.\
QUESTION.- Monsieur le Président, le Cambodge est un pays qui semble vous tenir particulièrement à coeur. Vous avez beaucoup travaillé à l'aboutissement des pourparlers pour la paix au Cambodge qui se sont tenus à Paris...
- LE PRESIDENT.- Nous y avons travaillé avec le Japon, avec l'Indonésie, avec les pays de l'Asie du Sud-Est, avec les Nations unies...
- QUESTION.- Au Japon, l'envoi de casques bleus japonais au Cambodge a suscité un grand débat autour de la réforme de notre constitution puisqu'en principe le Japon n'a pas le droit d'envoyer des forces militaires à l'étranger. Actuellement que pensez-vous du résultat des élections qui se sont tenues au Cambodge sous la protection de l'ONU ? L'ONU semble avoir tenu magnifiquement son rôle de protection. Que pensez-vous de l'évolution dans le futur du rôle de maintien de la paix des forces de l'ONU ?
- LE PRESIDENT.- Je pense que les Nations unies ont remporté un succès. On critique toujours et on oublie de saluer l'effort qui a été accompli. C'est un succès. Les Khmers rouges ont été contraints de diminuer leur pression et n'ont pas remporté sur le terrain les avantages qu'ils espéraient. Les élections ont été démocratiques. C'est bien. Je ne veux pas juger le résultat des élections cambodgiennes d'après les résultats des partis, ce n'est pas mon affaire et je n'ai pas à les juger. Ce sont les citoyens cambodgiens qui se sont exprimés mais, en tant que processus diplomatique et démocratique, c'est excellent.
- Le Japon y a pris sa part, la France aussi. Nous l'avons dit. D'ailleurs cette remarque nous ramène à la question précédente : pour participer au Conseil de Sécurité il faut également être disponible pour participer aux actions, aux engagements et aux responsabilités. On ne peut pas être à la fois dedans et dehors.\
- LE PRESIDENT.- Il n'y a pas à me remercier, je suis heureux de pouvoir ainsi m'adresser au peuple japonais par votre intermédiaire et mes premières paroles seront, précisément, pour me réjouir de pouvoir me rendre au Japon et adresser un salut cordial à vos concitoyens.
- QUESTION.- Connaissez-vous la légende de la fête de Tanabata qui a lieu tous les ans le 7 juillet dans le nord du Japon ? C'est l'histoire de deux amants qui se retrouvent sous forme de constellations dans la voie lactée. Pensez-vous que ce soit de bon augure pour le sommet des 7 ?
- LE PRESIDENT.- On peut en tout cas le souhaiter. Je ne peux pas faire de pronostic. Mais les influences bénéfiques seront très utiles !\
QUESTION.- Vous êtes, monsieur le Président, non seulement le doyen des chefs d'Etat qui vont se réunir à Tokyo, mais surtout celui qui a participé au plus grand nombre de Sommets puisque cela va être le treizième Sommet auquel vous participez et que vous êtes le seul d'ailleurs à avoir participé à autant de Sommets. Les Sommets sont nés à l'époque de la guerre froide. Maintenant que cette époque est révolue, que pensez-vous de l'évolution des Sommets, de leur contenu ? Comment voyez-vous cette évolution ? Qu'attendez-vous du prochain Sommet qui va se tenir à Tokyo ?
- LE PRESIDENT.- Cela a commencé par des réunions informelles entre un petit nombre de chefs d'Etat. Ils étaient quatre au point de départ. De ce fait, il n'y avait pas de cérémonial particulier, ni de grand concours de presse. Les conversations restaient, sinon confidentielles, du moins discrètes. L'évolution apparente est très sensible. D'abord ils ne sont plus quatre mais sept, ils traitent de tous les sujets en public, il y a des comptes rendus, des communiqués, des conférences de presse, et de ce fait les conversations de caractère presque privé entre chefs d'Etat désireux de se connaître se sont transformées en conférences économiques et politiques. Les réunions des 7 sont devenues un grand spectacle. Donc leur signification a profondément changé. Je ne sais pas si on a eu raison. Je n'en suis pas sûr.
- D'autre part le Sommet des 7 a tendance, ou a eu tendance, à se transformer, peu à peu, au delà de la consultation entre quelques pays, en une sorte de forum ou de directoire, où certains songent à donner des directives - ou du moins des indications utiles - pour le monde entier. Je pense que cette évolution doit également être modérée car les pays qui sont réunis là parlent pour eux-mêmes et si leur influence est, bien entendu, grande à l'extérieur, cela ne doit pas comporter une tendance à se substituer aux autres enceintes où tous les pays du monde sont appelés à se rencontrer.
- QUESTION.- Sur ce plan, monsieur le Président, est-ce que les Sommets ne sont pas condamnés à décliner, à disparaître ?
- LE PRESIDENT.- Toute chose est condamnée à périr, cela comme le reste, ou à évoluer. Mais je ne peux pas vous dire comment.\
QUESTION.- Pour que le Sommet de Tokyo puisse contribuer à accélérer la relance de l'économie mondiale, que demanderiez-vous, monsieur le Président, à vos partenaires et notamment et surtout, au Japon ?
- LE PRESIDENT.- Beaucoup de bonne volonté, un peu plus d'ouverture, un peu plus de réalité sous les mots, sous le vocabulaire. Par exemple, tous ces sommets se résument à une dénonciation des protectionnismes, mais les protectionnismes résistent très bien à ces incantations ! Donc il faut chercher à accorder les choses et les mots. Les Sommets sont essentiellement économiques, - d'ailleurs c'est leur nom : "Sommets économiques" - mais comme ils réunissent quelques chefs d'Etat parmi les plus importants du monde, bien entendu, on passe assez facilement de l'économique au politique. Je dirai simplement qu'il ne faut pas trop en faire. Il ne faut pas que la très utile rencontre sur les problèmes économiques se transforme peu à peu - comme je le disais il y a un instant - en une sorte de directoire politique.
- Alors qu'est-ce que j'en attends ? J'en attends que les échanges soient facilités, que conscience soit prise d'un certain nombre de problèmes trop souvent oubliés. Je pense en particulier au développement de ce que l'on appelle le tiers monde - on dira plutôt les pays pauvres -, je pense que c'est là peut-être l'occasion aussi de confronter utilement nos points de vue sur les grands accords internationaux. Pour l'instant, c'est ce que je vois de plus utile.\
QUESTION.- Vous n'avez pas de demandes spécifiques pour le Japon ?
- LE PRESIDENT.- Non, rien de spécifique. Le Japon est un pays très actif, dont la place est considérable dans le monde. C'est mérité parce que c'est un peuple qui travaille et qui travaille bien. Il faut que ce soit un pays de plus en plus solidaire et j'espère que la tendance va dans ce sens - je le reconnais, mais pas encore assez -, et que son marché intérieur s'ouvre davantage, comme est ouvert le marché des pays occidentaux aux produits japonais.
- QUESTION.- Les Américains se plaignent des déficits commerciaux vis à vis du Japon et sont tentés d'imposer des échanges plus contrôlés, plus administrés. Ils feront certainement au Sommet des propositions aux autres membres du G7. Quelle sera votre attitude face aux exigences ?
- LE PRESIDENT.- Vous savez, c'est une préoccupation générale. Les déficits commerciaux avec le Japon, il n'y en a pas qu'avec les Etats-Unis d'Amérique, c'est le cas un peu partout et c'est en effet une situation inquiétante à laquelle chacun doit lui-même réfléchir, dans son intérêt. Si son intérêt immédiat peut apparaître, par toute une série de procédés, notamment monétaires, comme une poursuite échevelée vers la conquête des marchés, il arrivera un jour où le Japon en subira la conséquence. Je crois qu'il faut être raisonnable en toute chose et que le Japon utilise ses qualités, qui sont grandes, non seulement pour vendre ses produits, qui sont généralement des produits performants, mais aussi pour comprendre qu'il faut des échanges plus équilibrés et que pour cela il faut que la concurrence soit absolument égale pour tous, sans quoi on échouera ensemble. Si on ne réussit pas ensemble, on échouera ensemble.\
QUESTION.- Monsieur le Président, quelle est la meilleure façon d'aider la Russie ?
- LE PRESIDENT.- Je suis tout à fait désireux de prendre part au redressement de la Russie et donc de contribuer le plus possible à tout ce qui permettra la reprise de l'activité économique dans ce pays, qui est gravement touché par une longue période d'inertie économique. Je pense d'autre part que c'est une question de solidarité avec le peuple russe qui souffre beaucoup de la situation présente. Mais si l'on compare les efforts accomplis jusqu'ici, je constaterai que la Communauté européenne - dont la France fait partie - est l'ensemble d'Etats qui a fait le plus gros effort en faveur de la Russie. Je crois que l'on peut comparer onze milliards de dollars fournis par les Etats-Unis d'Amérique (à quoi s'est ajouté le milliard de dollars consentis lors de la rencontre du Canada entre M. Eltsine et M. Clinton) tandis que la Communauté européenne a fourni quelques soixante sept milliards. Pour le Japon, je ne peux pas vous dire exactement le chiffre mais je ne pense pas que ce soit un chiffre comparable à celui de la Communauté. Donc, quand le Japon et les Etats-Unis d'Amérique auront fait l'effort supplémentaire, important, je continuerai cette conversation. Pour l'instant, nous avons fait tout ce qu'on pouvait faire. On peut faire mieux, mais nos moyens sont aussi limités par une dépression économique qui nous frappe tous, dans tous les pays industriels d'Occident.\
QUESTION.- En ce qui concerne le GATT, il y a des gens qui disent que les sommets précédents, surtout les Sommets de Londres et de Munich ont suscité une grande attente des citoyens. Cela a provoqué une sorte de crise de la crédibilité des G7. Est-ce que vous croyez que cette situation va se renouveler cette année à Tokyo ?
- LE PRESIDENT.- Le rôle du GATT et le rôle du G7 sont tout à fait différents. Le G7 n'a pas pour mission de régler les affaires du GATT. Le GATT c'est une négociation commerciale mondiale entre plus de 110 pays et le G7 c'est 7 pays. Il ne faut pas confondre les choses. Bien entendu, une bonne conversation entre les chefs d'Etat et de gouvernement de ces sept pays peut être utile à la résolution des problèmes du GATT mais ce n'est pas leur travail. Ces décisions doivent être prises par les gens qui en font partie, qui sont beaucoup plus nombreux que les participants du G7 et qui ont droit à la parole autant que nous.
- QUESTION.- Mais pour le succès du GATT, la France n'est-elle pas prête à faire des sacrifices ?
- LE PRESIDENT.- Jusqu'ici, c'est elle qui les fait. Quand vous aurez entendu la liste des sacrifices consentis par nos principaux partenaires, je serai encouragé à demander à mes concitoyens d'en faire autant, mais la question est tout à fait inversée. Quand j'ai rencontré M. Reagan pour la première fois, c'était au G7 de Bonn en 1985, déjà je lui ai dit : "Vous résumez les négociations du GATT aux négociations sur l'agriculture, c'est-à-dire le dossier qui vous avantage. Cela ne marchera pas". La négociation commerciale doit toucher à tous les intérêts commerciaux, industriels, les services, la propriété intellectuelle, tous les domaines. Pourquoi l'agriculture ? Parce que cela intéresse les Américains ! Le GATT, ce n'est pas simplement les Etats-Unis d'Amérique. Donc, il est évident que tant que la négociation ne sera pas devenue globale, équilibrée entre les différents domaines d'échanges économiques cela ne marchera pas, et la France ne pourra pas donner son accord.\
QUESTION.- En ce qui concerne Maastricht, il ne reste plus que la ratification de l'Angleterre. Cependant, il reste le problème de la monnaie européenne et très peu de personnes au monde peuvent croire que l'on arrivera effectivement à faire fonctionner cette monnaie européenne d'ici 1999 ?
- LE PRESIDENT.- Si cela fonctionne en 1999, pratiquement, les délais auront été tenus.
- QUESTION.- Plus personne n'y croit beaucoup.
- LE PRESIDENT.- Plus personne ? Où cela ? Le Traité de Maastricht va être ratifié par la Grande-Bretagne, c'est-à-dire que douze pays sur douze l'auront accepté. Il y a déjà 4, 5, 6 pays qui demandent à adhérer à la Communauté. Ils ne pourront y entrer qu'en acceptant les clauses du Traité de Maastricht. Parmi ces clauses, il y a la monnaie unique et la Banque centrale avant 1999. Donc, plutôt que de voir ce mouvement de recul que vous semblez distinguer, moi je vois plutôt une attente. Pourquoi est-ce que cela ne fonctionnerait pas ? Il n'y a aucune raison.
- QUESTION.- En dehors du problème de la ratification et de la monnaie unique, il y a un certain nombre de critiques concernant le fonctionnement de la Communauté, par exemple le manque de contrôle démocratique sur les institutions de Bruxelles, les problèmes de la montée de l'extrême droite, les problèmes de l'afflux des immigrés...
- LE PRESIDENT.- La montée de l'extrême-droite n'a rien à voir avec ce sujet...\
QUESTION.- Comment voyez-vous l'avenir de l'Europe ? Quels sont les enjeux ?
- LE PRESIDENT.- Je reste optimiste. L'Europe a fait des progrès considérables au cours de ces quinze dernières années, avec des crises de temps à autre, il y en aura encore, c'est le fait de toute société humaine. Vous savez, c'est un projet particulièrement audacieux que de demander à 12 pays qui se sont souvent combattus, et bientôt à 13, 14 ou 15, d'oublier une partie de leurs exigences nationales et de leur histoire au bénéfice d'un ensemble. C'est un effort extraordinaire mais qui, jusqu'ici, a marché. Cela a fonctionné et je vous répète que le Traité de Maastricht va être accepté non seulement par douze pays mais, sans doute, par quelques autres.
- Ce scepticisme existe peut-être dans les pays extérieurs à la Communauté, mais cela n'a pas beaucoup d'importance, ce ne sont pas ces pays-là qui décident ! Qu'il y ait des difficultés importantes, c'est certain, mais est-ce que vous connaissez, vous, une entreprise politique de cette envergure qui puisse avancer sans obstacle ? La vie est faite de cela. Si j'observe les progrès réalisés depuis quarante ans, ils sont très importants. Il reste encore à franchir une partie du chemin, c'est une question de volonté, de volonté politique. Est-ce que cette volonté sera partagée par les 12, 13, 14, 15 ? Rien ne me permet d'en douter. Vous jugerez dans quelques années si mon pronostic était bon.\
QUESTION.- Face aux conflits dans l'ex-Yougoslavie la Communauté internationale y compris l'Europe semble rester sans solution...
- LE PRESIDENT.- Qu'auriez-vous préconisé ?
- QUESTION.- A votre avis le nouvel accord intervenu entre les Serbes et les Croates sur la partition du pays peut-il conduire à une solution définitive ?
- LE PRESIDENT.- Je ne suis pas prophète ! Il y a une situation historique très ancienne qui veut que les peuples de l'ancienne Yougoslavie ont quelques difficultés à vivre ensemble. Ce n'est pas nouveau. La construction de la Yougoslavie était peut être artificielle. La situation qui résulte de sa dislocation est en effet génératrice de conflits. C'est déjà bien que ce ne soit pas générateur d'un conflit généralisé £ après tout c'est ce qui s'est produit au moment de la première guerre mondiale. C'est déjà une marque de la réussite de la Communauté européenne que de voir de grands pays comme l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni, l'Italie, au fond divisés sur la solution yougoslave en discuter à l'amiable, non plus comme naguère, les armes à la main. Voilà un grand progrès, une grande réussite de la Communauté.
- Les critiques sont nombreuses et je les comprends. Je voudrais en éliminer certaines. La Communauté européenne n'a pas encore, tant que Maastricht n'est pas ratifié, d'unité de commandement politique et, même quand Maastricht sera ratifié, il y aura un embryon de défense, mais il n'y aura pas de force militaire, ce sera pour plus tard. Donc vous n'aviez pas le moyen de régler le problème de l'ancienne Yougoslavie autrement que par une sorte d'arbitrage et des conseils qui n'étaient d'ailleurs pas demandés par les intéressés.
- Les Nations unies c'est différent, elles ont une autorité internationale. Il est vrai que ce qui a été mis sur pied n'a pas abouti puisqu'on voit bien que le plan Vance-Owen est aujourd'hui en péril. Je l'ai soutenu parce que c'était la seule solution positive. Je connaissais ses imperfections, cependant j'espère qu'il produira quelques effets positifs, mais d'une façon générale il commence à appartenir au passé. C'est un problème très difficile, et beaucoup de ceux qui critiquent violemment oublient de préciser ce qu'ils auraient aimé que l'on fasse ! Fallait-il faire la guerre avec nos armées dans l'ancienne Yougoslavie ? Pour combattre qui ? Les agresseurs ?
- Faire la guerre : quel est le pays qui était prêt à envoyer des armées faire une guerre sur le terrain, terrain très difficile ? Moi je n'ai jamais été favorable à cette solution.
- La France est le pays qui a envoyé le plus de soldats au service des Nations unies, des soldats de la paix, une force d'interposition entre les combattants et aujourd'hui force de protection des zones de sécurité. Nous avons près de 5000 hommes, loin devant tous les autres. Vient ensuite la Grande-Bretagne. Quelques grands pays n'y participent pas : il n'y a pas pour l'instant de soldats américains. Il n'y a pas, pour des raisons parfaitement compréhensibles, de soldats allemands. Je ne sais pas s'il y a des soldats japonais, mais il y a déjà 5000 soldats français. Nous avons déjà eu une douzaine de morts, de très nombreux blessés. Nous avons également été à la pointe de toutes les négociations. Nous n'accepterons donc pas facilement des reproches, et à ceux qui me demanderaient de faire la guerre alors je répondrais : êtes-vous prêts à y participer ? Quand ils auront répondu, alors j'examinerai la question.\
QUESTION.- Dans le contexte de la fin de la guerre froide on parle beaucoup de désarmement nucléaire dans toutes les parties du monde. Est-ce que la France a l'intention de continuer la modernisation de son armement nucléaire, et d'autre part, les essais nucléaires français dans le Pacifique, qui sont actuellement suspendus, vont-ils reprendre ?
- LE PRESIDENT.- C'est moi qui ai décidé de les suspendre...
- QUESTION.- Vont-ils reprendre prochainement ?
- LE PRESIDENT.- J'ai décidé de les suspendre et j'ai constaté que la Russie, - enfin le pays de l'ancienne Union soviétique -, les Etats-Unis et par voie de conséquence la Grande-Bretagne avaient également suspendu leurs essais. Bien entendu, la France reprendra les siens et perfectionnera son armement si les autres le font car nous avons à préserver cette arme, qui n'est qu'une arme de dissuasion et pour cela il faut qu'elle reste au dessus du seuil de suffisance, qu'elle puisse jouer le rôle pour lequel elle a été faite : c'est-à-dire dissuader, empêcher, interdire à quiconque de nous attaquer. Bien entendu nous n'avons pas l'intention de nous en servir mais à condition que tel ou tel agresseur éventuel (je ne sais pas qui d'ailleurs aujourd'hui) sache que ce serait à ses risques et périls. Nous n'avons pas l'intention de donner le signal de la reprise d'un nouvel armement. Nous disons seulement que nous voulons continuer d'être capables de faire face à toute situation militaire nouvelle et, pour cela, nous ne voulons nous faire distancer par personne. Cela dépend essentiellement de l'attitude des autres pays nucléaires.\
QUESTION.- Aussi bien en dehors du Japon que chez nous, des voix s'élèvent pour exiger du Japon la présence politique qui correspond à sa puissance économique. Est-ce que vous partagez cet avis ?
- LE PRESIDENT.- Qu'est-ce que vous voulez dire par là ? Soyez tout à fait concret.
- QUESTION.- Est-ce que vous croyez que le Japon doit participer aux activités dans le cadre international comme...
- LE PRESIDENT.- Il y participe déjà, mais que voulez-vous dire exactement ?
- QUESTION.- Le gouvernement japonais aurait le désir d'occuper un siège au Conseil de Sécurité des Nations unies, est-ce que vous soutenez cette demande ?
- LE PRESIDENT.- Il fallait le dire tout de suite ! Tout le monde avait compris ! Ce que je veux dire c'est que nous ne disons pas non. La situation s'est créée après la guerre mondiale et si le Japon se trouvait écarté, c'est parce qu'objectivement, le Japon comme l'Allemagne ayant été finalement contraints de déposer les armes, ce sont les vainqueurs qui ont fait les lois. On ne peut pas installer cette situation à perpétuité. Ce sont des pays qui sont devenus démocratiques, qui ont supporté beaucoup de sacrifices, qui ont eu de grands malheurs et qui ont montré qu'ils étaient capables de redevenir des partenaires de premier ordre dans la politique mondiale. Il faut être juste. Nous ne sommes pas du tout opposés à ce principe, les discussions peuvent s'engager. Simplement, elles ne peuvent pas s'engager n'importe quand et n'importe comment.
- Faut-il ouvrir le Conseil de Sécurité simplement à l'Allemagne et au Japon ? Mais alors, dans ce cas-là, il n'y aurait plus que des pays du Nord qui siègeraient au Conseil, et vous aurez forcément des demandes émanant de pays du Sud. Pourquoi pas ? Il y en a qui sont tout à fait remarquables et qui ont bien voix au chapitre. De plus, il y a les règles même du Conseil de Sécurité, le droit de veto. Est-ce que ce droit pourra s'exercer de la même façon à douze ou à treize - c'est un chiffre que je donne comme cela au hasard - qu'à cinq ? Donc la demande est légitime, la mise en oeuvre est assez compliquée. Nous n'avons qu'à en discuter.\
QUESTION.- Monsieur le Président, le Cambodge est un pays qui semble vous tenir particulièrement à coeur. Vous avez beaucoup travaillé à l'aboutissement des pourparlers pour la paix au Cambodge qui se sont tenus à Paris...
- LE PRESIDENT.- Nous y avons travaillé avec le Japon, avec l'Indonésie, avec les pays de l'Asie du Sud-Est, avec les Nations unies...
- QUESTION.- Au Japon, l'envoi de casques bleus japonais au Cambodge a suscité un grand débat autour de la réforme de notre constitution puisqu'en principe le Japon n'a pas le droit d'envoyer des forces militaires à l'étranger. Actuellement que pensez-vous du résultat des élections qui se sont tenues au Cambodge sous la protection de l'ONU ? L'ONU semble avoir tenu magnifiquement son rôle de protection. Que pensez-vous de l'évolution dans le futur du rôle de maintien de la paix des forces de l'ONU ?
- LE PRESIDENT.- Je pense que les Nations unies ont remporté un succès. On critique toujours et on oublie de saluer l'effort qui a été accompli. C'est un succès. Les Khmers rouges ont été contraints de diminuer leur pression et n'ont pas remporté sur le terrain les avantages qu'ils espéraient. Les élections ont été démocratiques. C'est bien. Je ne veux pas juger le résultat des élections cambodgiennes d'après les résultats des partis, ce n'est pas mon affaire et je n'ai pas à les juger. Ce sont les citoyens cambodgiens qui se sont exprimés mais, en tant que processus diplomatique et démocratique, c'est excellent.
- Le Japon y a pris sa part, la France aussi. Nous l'avons dit. D'ailleurs cette remarque nous ramène à la question précédente : pour participer au Conseil de Sécurité il faut également être disponible pour participer aux actions, aux engagements et aux responsabilités. On ne peut pas être à la fois dedans et dehors.\