16 juin 1993 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur l'identité culturelle d'Agde et sa région et sur la situation économique facteur d'exclusions et la nécessité de cohésion politique, Agde le 16 juin 1993.

Monsieur le maire,
- Monsieur le Président du Conseil Général,
- Mesdames et messieurs,
- Vous savez pourquoi nous sommes réunis à Agde aujourd'hui. Il s'agit de célébrer, par des jeux sportifs, dans un environnement esthétique, la Méditerranée, les pays qui l'entourent, une forme de civilisation que l'on retrouve sur toutes ses rives, et de réunir - occasion supplémentaire et jamais inutile - des jeunes gens de tous pays qui viennent confronter leurs talents.
- Je crois savoir, au demeurant, que la manière dont ont été conçus ces Jeux, a visé à faire éclater ces épreuves et ces compétitions entre diverses villes du Languedoc Roussillon, de telle sorte qu'Agde, en cet instant, est surtout une ville témoin et peut-être une ville capitale.
- Voilà l'objet de ma visite.\
Mais aurais-je pu, me trouvant ici, négliger de venir saluer les élus de cette ville, là où ils siègent, que ce soit le nouvel Hôtel de Ville, que l'on m'a montré en passant, ou la Maison du Coeur de Ville où nous sommes maintenant ? Je veux, par cet échange de vues et cette réunion, signifier que le Président de la République a pour premier devoir, lorsqu'il se déplace en France, de rencontrer les élus du peuple, là où ils travaillent, là où ils délibèrent. Aussi ai-je ajouté au programme prévu la visite à la mairie d'Agde, à son maire, à ses conseillers municipaux, à quoi s'est ajouté, par une heureuse circonstance, le fait que cette maison représente également une antenne, un développement, lié à la présence du Conseil général, ce qui me donne l'occassion supplémentaire de saluer M. Gérard Saumade, les conseillers généraux et le Conseil général de ce département dont je connais l'activité £ depuis longtemps j'ai pu, avec eux, connaître leurs objectifs, suivis à travers les années, avec beaucoup de persévérance et une forme d'intelligence du progrès dont je me sens très proche. L'ensemble de la région, représentée ici par son Président, est également partie prenante et même à l'initiative de ces choses, je tiens à la remercier.
- Je suis déjà venu à Agde, mais comme cela, en passant, presque par hasard, sans m'y attarder, sans même tout à fait percevoir, en dehors de la situation géographique admirable, ce qu'était son histoire, ce qu'était son esprit, son âme £ cette journée me fournira l'occasion de mieux comprendre ce que vous avez dit, monsieur le maire, de cette ville, de son histoire, de son identité, de ses moeurs, de ses ambitions, me permettra d'en tirer, en quelques formules, toutes les impressions que j'éprouve, partout en France où je me rends, avec bien des différences sans doute : les caractères, les traditions, les styles changent - non seulement d'une province à l'autre, mais d'une ville à l'autre - mais l'ensemble de ce kaléidoscope, c'est un pays, le nôtre, qui, dans sa diversité, représente l'un des pays les plus avancés du monde et dont la civilisation et la culture n'ont pas à être vantées surtout quand nous parlons entre nous, français. C'est donc une chance. Je suis venu, avec vous, vers vous, avec grand plaisir. Je sais que c'était un peu discuté : faut-il ou ne faut-il pas ? A chaque fois que je me déplace, je fais comme tout le monde, j'ai des conseillers. Que me disent-ils ? Naturellement des choses exactement contradictoires ! De telle sorte qu'après avoir entendu de très nombreux conseils, que m'arrive-t-il ? : - comme aux autres - de décider moi-même ! J'ai donc pensé qu'il était bon de venir à Agde, bon de retrouver, pour la raison que j'ai dite tout à l'heure, l'esprit de compétition, d'épreuves, de beauté, d'effort et de courage, tout ce qui sera apporté au cours de ces journées, mais aussi de pouvoir dire aux Agathois à quel point je me sens chez moi, en venant chez eux, tout en sachant fort bien qu'ils ont à m'apporter tout ce que j'ignore et qui fait leur vie propre.\
Vous avez commencé mon éducation, monsieur le maire, par ce récit historique, de civilisations, qui m'a beaucoup intéressé. Je savais bien qu'Agde avait traversé beaucoup de formes de civilisations, sous l'effet des multiples invasions et conquêtes, que c'était un lieu de passage, mais vous avez complété. Pratiquement tout le monde est venu, et tous ont laissé une marque de tolérance que vous avez tenu à souligner - on ne les représente pas toujours comme cela - et d'autre part, c'est précisément de ce mélange de civilisations et de populations, - je ne voudrais pas prononcer de mots qui pourraient paraître choquer ou rentrer dans les débats actuels -, c'est de cet assemblage d'immigrations qu'est né un petit pays, le vôtre, où il me semble qu'on a réussi à forger une civilisation, une culture et une histoire communes.
- Enfin, il y a un maire, il est là £ il y a un conseil municipal, il y a des habitants que nous avons rencontrés dans les rues £ et ils me semblaient avoir parfaitement conquis leur propre identité - jusqu'au chant qui a retenti sous les voûtes de la maison du Coeur de ville - et je crois, puisque c'était en languedocien et moi, qui ne suis pas de la langue d'oc mais de la langue d'oil, à sa limite, (juste le fleuve au bord duquel je suis né, la Charente, du côté droit c'était la langue d'oil tandis que du côté gauche, c'était la langue d'oc), je n'ai pas perçu toutes les résonnances du langage (vous non plus ? ça me rassure !) mais je sentais bien que c'était surtout une façon de se retrouver en commun, de chanter ce que l'on aime, de célébrer cette ville, ces lieux, ce pays, bref, une expression d'amour pour une ville de France dont vous m'avez dit qu'elle était la deuxième dans la chronologie qui s'était constituée de cette sorte. Et vous monsieur le Président du Conseil général, j'ai bien retrouvé dans votre récit la ligne ou les lignes de forces de ce que vous n'avez pas cessé de répéter depuis beaucoup d'années pour le développement moderne de ce département et de cette région et vous êtes resté logique avec vous-même et je suis sûr que les habitants de ce département se sont reconnus dans cette démarche tenace et ouverte sur l'avenir.\
De mon côté, lorsque qu'on me parle de référence à l'histoire, aussitôt il y a quelque chose qui s'émeut en moi parce que je ne pense pas que l'on puisse bâtir l'avenir dans l'ignorance du passé, et je me souviens d'avoir repris bien souvent cette formule que vous me pardonnerez de répéter : "la mémoire est révolutionnaire". C'est parce que l'on reste vraiment attaché à tout ce qui a été construit, fait, dessiné par nos pères, que nous avons quelque chance de changer le message et de préparer les temps qui commencent.
- Ici c'est un point de rencontre. Le passé remplit les yeux jusqu'à cette pierre volcanique, le basalte, je ne savais pas non plus, - voyez c'est une journée riche ! - que vous étiez en terre volcanique, enfin si proche puisque sans vouloir vous offenser non plus, le monticule qui se trouve un peu plus loin est un ancien volcan épuisé par les ans, par les fatigues qui n'a même plus - Dieu soit loué - l'audace de se manifester, mais qui a laissé la trace de ce qui tient du coeur de la terre et du feu qu'embrase le coeur de la terre, pour donner à votre sol cette solidité, cette dureté sans doute, cette dureté que l'on retrouve quand même, au-delà du sens de l'hospitalité et des sourires, chez les hommes de votre pays. Ce ne sont pas des pays faciles, mais enfin vous êtes élus ici. C'est vous qui vous pouvez en faire l'expérience, rien n'est jamais facile, rien n'est jamais aisé, mais c'est un pays fort et pour représenter de tels pays, il faut être fort soi-même ou bien l'on démérite rapidement.\
Ce que vous avez fait, monsieur le maire, et monsieur le Président du Conseil général, ce que vous avez entrepris vous-mêmes mesdames et messieurs qui comptez parmi vous beaucoup d'élus, j'en devine la signification. Puisque ma fonction présente me conduit à représenter la France tout entière, je veux pouvoir témoigner qu'ici en Languedoc-Roussillon et dans ce département de l'Hérault et dans cette ville d'Agde, on est capable, en dépit des tourmentes, en dépit des périls, des désillusions, parfois des désespérances, et de la dureté des temps. Contradiction que vous avez relevée à l'instant, la France est un pays prospère - si l'on se reporte aux données générales d'ensemble, c'est même aujourd'hui le premier pays d'Europe - et pourtant derrière ces données statistiques, que de misère, que d'inquiétudes, que de souffrances et trop d'exclusions. Il y en a même tellement que je ne crois pas nécessaire qu'il soit bon d'en ajouter.
- Je voudrais que les Agathois, que les habitants de l'Hérault se sentent à l'aise dans leur pays £ pour cela il faut qu'ils retrouvent du travail, il faut faire le lien entre ce pays agricole, viticole, qui voit sa production perdre de son importance - et les viticulteurs obligés d'abandonner une part de cette production, par un acte qui a quelque chose de destructif, l'arrachage, chose qu'il a fallu faire, un désastre comparable à celui de certaines régions plus connues sur ce plan, la fin des industries lourdes, la fin de la sidérurgie, la fermeture des mines, les difficultés du textile £ eh bien ici c'est autre chose, mais c'est la même histoire - et il vous faut donc reconquérir et rebâtir. Il faut donc que vous soyez capables de communiquer aux coeurs des femmes et des hommes de ce pays, la volonté, la force d'apporter à leur pays, leur énergie, leur volonté et leur capacité de construire, et pas simplement le regret de ne pas être de ce qu'ils voudraient être, pas simplement la désillusion de ne pas avoir atteint tous leurs objectifs, mais croire que l'avenir se bâtit avec nos mains et notre esprit et qu'il n'y a aucun autre secours à attendre de quiconque ou de quoi que ce soit. La réponse à vos questions, elle est en vous.
- Alors cela suppose bien entendu un minimum - d'autres diraient un maximum, je suis habitué à demander moins ! - un minimum d'entente, un minimum de concorde nationale sans quoi si tout est disputé, comment pourra-t-on agir et réussir dans la diversité d'une démocratie scrupuleusement respectée ? Tellement respectée qu'on entend à tout moment les voix discordantes se faire entendre - et pourquoi pas, cela finit pas faire un orchestre -, mais on aimerait démêler dans cette musique-là quelques lignes de force, une symphonie, et je voudrais que cette symphonie fut à l'égal par sa valeur, sa puissance et son harmonie, à l'égal des grandes périodes de notre histoire.\
Nous avons connu de grandes périodes, il n'y a pas si longtemps. Vous en portez la marque ici même. On n'a pas pu construire ces maisons, de cette façon, on n'a pas pu construire cette ville avec cette qualité esthétique, simplement par hasard. Vous vous appliquez à développer les quartiers nouveaux, le tourisme, l'aménagement de la côte ont été des occasions d'offrir, à nos contemporains, une perspective nouvelle. Il a fallu veiller à ce que des équilibres soient respectés. J'imagine que se trouver être, comme vous me l'avez dit, la première station touristique de France alors qu'on était une petite ville comme cela, un peu oubliée, sur un cap lointain d'un littoral lointain lorsqu'on vient de la capitale.. Cet ensemble touristique a exigé tant de patience, de ténacité et de soins que, partant de votre exemple, je n'arrive pas à croire que la France ne soit pas capable de tirer d'elle-même tout ce dont elle a besoin pour continuer de figurer parmi les grands pays du monde. La côte, la ville moderne, les touristes qui viennent d'un peu partout, et puis le fond de la population stable, ceux qui sont là, les habitants, les citoyens, les électeurs, ceux qui font la vie profonde d'Agde méritent bien des soins, et je suis heureux de saluer celles et ceux qui précisément s'en occupent, en assument la responsabilité, et représentent dignement les intérêts de la cité.\
Voilà, on a parlé tout à l'heure d'identité £ j'y ai ajouté le terme équilibre, parce qu'il suffirait de peu de choses pour que vous soyez une ville éclatée, dans un département éclaté, lui-même partie prenante d'une région éclatée, n'ayant que les plus grandes peines à retrouver des thèmes d'unité, à ordonner ce qui vient de vos départements. Ces cinq départements qui obéissent à un tempérament vigoureux, spécifique, très particulier ! Je me demande parfois, quand je viens chez vous - monsieur le maire n'y voyez pas d'allusion personnelle - si vous n'avez pas, globalement réinstallé dans presque chacune de vos villes les consuls d'autrefois ? Il y a beaucoup de consuls. Je pense que le principe d'autorité n'est pas négligeable. Mais d'un consul à l'autre, quel travail ! Il faut que nous désignions désormais des préfets dotés de tous les brevets de la diplomatie ! C'est que, comme je le disais tout à l'heure, les hommes et les femmes de ce pays ne sont pas du genre facile. Chacun est sûr de son droit. L'important après tout est que le droit commun, notre droit, soit en même temps respecté et c'est au fond ce qui se passe avec des erreurs, avec des échecs, mais combien de réussites ! Et parmi ces réussites, cette journée, une ville joyeuse d'être comme une petite capitale, pour des fêtes splendides.
- Je dois vous quitter cette nuit après avoir assisté aux représentations qui sont préparées avec beaucoup d'amour et la soif d'offrir au spectateur un beau spectacle avec toutes les formes d'esthétique. On y trouvera certainement un vrai plaisir. Croyez-moi mesdames et messieurs, demain, les jours ayant repris leur cours, je penserai à ce que j'ai vu à Agde et je me réjouirai que des édiles audacieux, ayant le sens de l'avenir, amoureux de leur tradition puissent veiller à protéger ces régions et cette ville contre les menaces qui toujours s'accumulent. C'est pourquoi je tiens à dire à monsieur Passerieux la joie que j'ai eue d'être son invité ici dans cette ville, en même temps dans cette maison, je remercierai Gérard Saumade que j'ai eu le plaisir de connaître il y a déjà bien longtemps, (ce n'est pas une façon de me plaindre, simplement une façon de regretter le temps qui passe). Recevez mes voeux, je souhaite votre réussite commune et particulière. J'ai vraiment confiance dans ce que vous faites, confiance dans votre travail. J'ai envie de vous dire : bonne chance ! Vous êtes heureusement portés par l'histoire. La géographie s'est mise à votre service. La culture, elle, sort de chaque pierre, de chaque maison édifiée avec ces pierres £ toutes les conditions sont remplies pour un vrai et grand destin £ alors mesdames et messieurs, bonne chance et merci.\