15 avril 1993 - Seul le prononcé fait foi
Interview accordée par M. François Mitterrand, Président de la République, au journal "La Vie" le 15 avril 1993, sur le rôle du Comité national d'éthique.
QUESTION.- Le travail accompli depuis dix ans par le comité national d'éthique a-t-il répondu à ce que vous attendiez ?
- LE PRESIDENT.- Le comité national d'éthique a accompli un travail remarquable, sous la présidence du professeur Jean Bernard. Il a rapidement imposé le respect par la qualité de ses avis et a acquis une audience considérable dans la communauté médicale et scientifique. Ceci était loin d'être évident : les médecins et les chercheurs sont souvent réticents à accepter que d'autres se prononcent sur leurs travaux. Pourtant, je constate qu'ils ont pris l'habitude de venir spontanément solliciter l'avis du comité chaque fois qu'ils ont pressenti que leurs recherches pourraient soulever des questions d'éthique. Et, bien que ces avis soient dépourvus de toute force contraignante, ils ont toujours été respectés.
- C'est maintenant au tour du professeur Jean-Pierre Changeux dont l'excellence des travaux est reconnue par la communauté scientifique internationale, de reprendre le flambeau.
- Au-delà du seul cercle des spécialistes, les avis du comité national d'éthique ont été largement diffusés, contribuant à la prise de conscience par le public des choix délicats devant lesquels nous placent les progrès des sciences de la vie et de la médecine. Alors qu'en 1983, notre pays n'était pas mûr pour légiférer en cette matière, les avis du comité ont permis d'élaborer des projets de loi qui n'auraient pas vu le jour sans lui.
- Il est en grande partie à l'origine de la création dans le monde de comités nationaux d'éthique. Qu'il me soit néanmoins permis d'exprimer un regret : j'estime que ce comité est resté trop "timide" vis-à-vis des problèmes liés au SIDA. J'espère qu'avec le professeur Changeux il prendra cette vaste question à bras le corps.
- QUESTION.- Que révélait sur la société française et son évolution, la nécessité que vous avez perçue il y a dix ans de créer ce comité ?
- LE PRESIDENT.- Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, la société française comme celle des autres pays industrialisés a évolué très rapidement en raison d'un développement scientifique et technologique sans précédent. En 1983 il m'est apparu nécessaire de créer un comité chargé de réfléchir sur la façon dont ces progrès peuvent affecter l'homme dans son être et son devenir.
- Lorsque je l'ai installé, j'ai dit qu'il fallait prendre garde que la science ne nous prenne de vitesse. Je voulais éviter que notre société fut placée devant le fait accompli d'une science qui se dotait rapidement des moyens de maîtriser la nature, et que Claude Bernard qualifiait ainsi "science conquérante à l'aide de laquelle l'homme devient un inventeur de phénomènes, un véritable contremaître de la nature". Au siècle dernier, déjà ! Placé au carrefour entre le progrès des sciences et son application à l'homme, le comité d'éthique a répondu à cette préoccupation en donnant son avis sur tout ce qui risquait d'attenter à la personne humaine.\
QUESTION.- Personnellement, êtes vous inquiet - notamment pour le respect des droits et de l'intégrité de l'homme - devant les perspectives ouvertes par les progrès des sciences de la vie ?
- LE PRESIDENT.- Les progrès actuels constituent avant tout un formidable espoir pour tous ceux qui sont malades ou en situation de détresse, ainsi qu'une formidable aventure scientifique. Mais comment ne pas être inquiet quand on voit l'homme changé par l'homme ? Comment ne pas s'interroger sur l'usage qu'il fera des techniques qu'il a mises au point et qui bouleversent les limites de l'espèce. Comment ne pas être effrayé par la modification de notre patrimoine génétique ? Comment ne pas être choqué lorsque, sous prétexte de médecine, des hommes se vendent et sont achetés morceaux par morceaux ?
- Les progrès humains en créant des possibilités nouvelles exigent, en contrepartie, une plus grande responsabilité et demandent à être maîtrisés. Je fais partie de ceux qui admirent les découvertes, les connaissances nouvelles en génie génétique £ en un mot, les inventions des biologistes et des médecins. En même temps, j'éprouve une certaine appréhension : tous ces progrès peuvent menacer l'intégrité de la personne humaine ainsi que certains de ses droits fondamentaux (respect du malade, confidentialité...). Ce comité et tous ceux qui en dérivent doivent nous aider à lutter contre ces atteintes potentielles.\
QUESTION.- Comment prendre en compte la critique formulée par certains, selon laquelle un tel Comité dessaisit les parlementaires - et au-delà, le peuple - du débat sur les questions essentielles pour les confier à des experts.
- LE PRESIDENT.- Pour que la démocratie puisse s'exercer pleinement dans ce domaine techniquement complexe, il est nécessaire que le Parlement dispose d'avis d'experts. Les prises de position du comité sont consultatives. Mais son autorité est grande en raison de sa composition qui permet aux scientifiques de cotoyer les juristes, les représentants des différentes professions de santé et les familles de pensée, religieuses ou philosophiques. Je note que lors du débat parlementaire relatif aux textes sur la bioéthique, les travaux du comité ont été largement discutés et ont ainsi éclairé la représentation nationale.
- QUESTION.- Cependant les questions de bio-éthique, mais plus largement les questions d'éthique, tendent à envahir de plus en plus le champ politique ? Que pensez-vous de cette évolution ? Les hommes politiques sont-ils bien armés pour maîtriser ces questions ?
- LE PRESIDENT.- Les problèmes d'éthique biomédicale soulèvent des questions éminemment politiques, au sens le plus noble du terme, car elles touchent à la conception de la vie de l'homme dans la cité. Le phénomène n'est pas nouveau. Platon, dans "La République", abordait la question de l'euthanasie en estimant déjà qu'Asklépios, dieu des médecins, devrait être considéré comme un politique ? Comment imaginer que les hommes politiques se désintéressent d'un débat de société aussi fondamental ? Comment concevoir qu'ils ne se prononcent pas sur des questions qui concernent bien entendu le respect de la personne humaine mais également la structure de la cellule familiale, l'égalité devant l'accès aux soins ? A l'écoute des citoyens qu'ils représentent, les hommes politiques bénéficient, avec le comité d'éthique, des avis de personnalités compétentes qui peuvent les aider à décider.
- QUESTION.- A la lumière du récent débat parlementaire sur la bio-éthique, pensez-vous que les relations entre le comité national d'éthique et le législateur soient correctement et efficacement établies ?
- LE PRESIDENT.- Absolument. J'en veux pour preuve que ce sont les députés eux-mêmes qui ont souhaité consacrer le travail du comite national d'éthique en inscrivant son existence dans la loi.
- Entre le comité d'éthique et le législateur, il n'y a pas concurrence mais complémentarité : une fois les lois sur la bio-éthique adoptées, le comité d'éthique aura encore à jouer un rôle primordial. Dans des domaines en constants et rapides bouleversements, des questions nouvelles se posent, presque chaque mois, que la loi ne peut pas et ne doit pas forcément anticiper. Dans un excellent rapport Madame Lenoir recommandait le renforcement des relations entre le législateur, l'exécutif et ce comité.\
QUESTION.- Dans une Europe sans frontière, la législation en matière d'éthique collective peut-elle être conçue dans le seul cadre national ? LE PRESIDENT.- On ne pourrait accepter que les principes éthiques, c'est-à-dire les principes de respect de la personne humaine soient bornés par des frontières ! Ils ont vocation universelle. Il est donc souhaitable que tous les pays d'Europe se retrouvent autour de valeurs communes. A l'initiative de Mme Lalumière, le conseil de l'Europe a réuni en mars dernier l'ensemble des comités d'éthique européens à Madrid. Certes, il existe des différences de conception ou de sensibilité sur des points importants : ainsi, certains pays rémunèrent les donneurs de sang, alors que la France, comme l'affirme la récente loi sur la sécurité en matière de transfusion sanguine et de médicament s'y refuse. Autre exemple : les diverses opinions nationales ne réagissent pas toujours de la même façon face aux progrès de la procréation médicalement assistée. Je souhaite d'autant plus que des principes éthiques communs soient progressivement dégagés et adoptés par l'ensemble des pays européens. Il conviendra peut être un jour de compléter, sur ce point, la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Elle a favorisé la progression de la démocratie dans tous les pays qui l'ont adoptée, par ses dispositions relatives à l'éthique et au respect de la personne humaine. La France pourrait être à l'origine d'une telle initiative.\
QUESTION.- Le débat sur l'éthique ne recouvre pas les clivages politiques qui divisent habituellement les Français. Croyez vous que le comité national d'éthique puisse, à sa façon, les rassembler sur un minimum de valeurs communes ?
- LE PRESIDENT.- Les trois projets de loi relatifs à l'éthique bio-médicale ont été approuvés par une très large majorité des députés, tous partis confondus, après des travaux et des débats d'une exceptionnelle tenue. Il est dommage que ces lois n'aient pu être définitivement adoptées. Je souhaite que la nouvelle majorité considère ces projets de loi comme une toute première priorité de la législature à venir. Le comité d'éthique rassemble les représentants des principaux courants de pensée religieuse et philosophique dans notre pays : ces personnalités ont, à partir d'approches et de sensibilités très différentes, grâce à des échanges très fructueux, réussis à faire émerger des valeurs consensuelles.
- Les débats parlementaires sur les récentes lois ainsi que ceux qui ont eu lieu à l'occasion de la préparation des rapports de G. Braibant, N. Lenoir, B. Boulac, F. Serusclat ont démontré que les clivages politiques n'affectaient pas ce type de discussion.\
QUESTION.- Vous avez voulu créer un comité national de renommée internationale. Quel sens cela a-t-il pour le bien commun de la France, d'organiser à ce niveau la réflexion éthique ?
- LE PRESIDENT.- Cette ambition s'est imposée à partir de deux constatations £ l'excellence de la recherche française dans ces domaines au plan international et le fait que les problèmes d'éthique ont un retentissement et une portée qui dépassent le strict cadre national. Il était, de plus, naturel que la patrie des droits de l'Homme soit en première ligne. L'affirmation des principes éthiques, du respect de la personne humaine, ne vient-elle pas compléter ces droits de l'Homme pour lesquels nous avons tant bataillé ? La France se doit d'être à la pointe de ces nouveaux combats : faire avancer la recherche, et s'assurer que le plus grand nombre bénéficie des progrès médicaux qui en découlent £ veiller, à tout moment, au respect rigoureux de l'être humain.
- QUESTION.- Dans la société française d'aujourd'hui, cette insistance nouvelle sur les préoccupations éthiques vous paraît-elle le fait d'élites seulement ou vous semble-t-elle atteindre largement la population ?
- LE PRESIDENT.- Il n'est que de voir la part que la télévision accorde aux problèmes d'éthique pour constater que ces questions préoccupent les Français. Croyez-vous que les chaînes de télévision, si friandes d'"audimat", leurs consacreraient tant d'émissions si les Français ne s'y intéressaient pas ?
- Il y a également, je pense, un fort sentiment d'identification avec les cas montrés en exemple. Mais il est vrai qu'il faut aller plus loin dans la sensibilisation des Français aux enjeux nouveaux que soulèvent les progrès des sciences et de la médecine. Il est souhaitable qu'ils puissent y réfléchir sereinement. Le comité national d'éthique considère, à juste titre, que son rôle comprend un large effort de pédagogie. Régulièrement, il organise des journées portes ouvertes ou des conférences en province. La qualité et la diversité de son auditoire attestent bien de l'intérêt de chacun pour des questions qui nous touchent en ce que nous avons de plus précieux : la Vie\
- LE PRESIDENT.- Le comité national d'éthique a accompli un travail remarquable, sous la présidence du professeur Jean Bernard. Il a rapidement imposé le respect par la qualité de ses avis et a acquis une audience considérable dans la communauté médicale et scientifique. Ceci était loin d'être évident : les médecins et les chercheurs sont souvent réticents à accepter que d'autres se prononcent sur leurs travaux. Pourtant, je constate qu'ils ont pris l'habitude de venir spontanément solliciter l'avis du comité chaque fois qu'ils ont pressenti que leurs recherches pourraient soulever des questions d'éthique. Et, bien que ces avis soient dépourvus de toute force contraignante, ils ont toujours été respectés.
- C'est maintenant au tour du professeur Jean-Pierre Changeux dont l'excellence des travaux est reconnue par la communauté scientifique internationale, de reprendre le flambeau.
- Au-delà du seul cercle des spécialistes, les avis du comité national d'éthique ont été largement diffusés, contribuant à la prise de conscience par le public des choix délicats devant lesquels nous placent les progrès des sciences de la vie et de la médecine. Alors qu'en 1983, notre pays n'était pas mûr pour légiférer en cette matière, les avis du comité ont permis d'élaborer des projets de loi qui n'auraient pas vu le jour sans lui.
- Il est en grande partie à l'origine de la création dans le monde de comités nationaux d'éthique. Qu'il me soit néanmoins permis d'exprimer un regret : j'estime que ce comité est resté trop "timide" vis-à-vis des problèmes liés au SIDA. J'espère qu'avec le professeur Changeux il prendra cette vaste question à bras le corps.
- QUESTION.- Que révélait sur la société française et son évolution, la nécessité que vous avez perçue il y a dix ans de créer ce comité ?
- LE PRESIDENT.- Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, la société française comme celle des autres pays industrialisés a évolué très rapidement en raison d'un développement scientifique et technologique sans précédent. En 1983 il m'est apparu nécessaire de créer un comité chargé de réfléchir sur la façon dont ces progrès peuvent affecter l'homme dans son être et son devenir.
- Lorsque je l'ai installé, j'ai dit qu'il fallait prendre garde que la science ne nous prenne de vitesse. Je voulais éviter que notre société fut placée devant le fait accompli d'une science qui se dotait rapidement des moyens de maîtriser la nature, et que Claude Bernard qualifiait ainsi "science conquérante à l'aide de laquelle l'homme devient un inventeur de phénomènes, un véritable contremaître de la nature". Au siècle dernier, déjà ! Placé au carrefour entre le progrès des sciences et son application à l'homme, le comité d'éthique a répondu à cette préoccupation en donnant son avis sur tout ce qui risquait d'attenter à la personne humaine.\
QUESTION.- Personnellement, êtes vous inquiet - notamment pour le respect des droits et de l'intégrité de l'homme - devant les perspectives ouvertes par les progrès des sciences de la vie ?
- LE PRESIDENT.- Les progrès actuels constituent avant tout un formidable espoir pour tous ceux qui sont malades ou en situation de détresse, ainsi qu'une formidable aventure scientifique. Mais comment ne pas être inquiet quand on voit l'homme changé par l'homme ? Comment ne pas s'interroger sur l'usage qu'il fera des techniques qu'il a mises au point et qui bouleversent les limites de l'espèce. Comment ne pas être effrayé par la modification de notre patrimoine génétique ? Comment ne pas être choqué lorsque, sous prétexte de médecine, des hommes se vendent et sont achetés morceaux par morceaux ?
- Les progrès humains en créant des possibilités nouvelles exigent, en contrepartie, une plus grande responsabilité et demandent à être maîtrisés. Je fais partie de ceux qui admirent les découvertes, les connaissances nouvelles en génie génétique £ en un mot, les inventions des biologistes et des médecins. En même temps, j'éprouve une certaine appréhension : tous ces progrès peuvent menacer l'intégrité de la personne humaine ainsi que certains de ses droits fondamentaux (respect du malade, confidentialité...). Ce comité et tous ceux qui en dérivent doivent nous aider à lutter contre ces atteintes potentielles.\
QUESTION.- Comment prendre en compte la critique formulée par certains, selon laquelle un tel Comité dessaisit les parlementaires - et au-delà, le peuple - du débat sur les questions essentielles pour les confier à des experts.
- LE PRESIDENT.- Pour que la démocratie puisse s'exercer pleinement dans ce domaine techniquement complexe, il est nécessaire que le Parlement dispose d'avis d'experts. Les prises de position du comité sont consultatives. Mais son autorité est grande en raison de sa composition qui permet aux scientifiques de cotoyer les juristes, les représentants des différentes professions de santé et les familles de pensée, religieuses ou philosophiques. Je note que lors du débat parlementaire relatif aux textes sur la bioéthique, les travaux du comité ont été largement discutés et ont ainsi éclairé la représentation nationale.
- QUESTION.- Cependant les questions de bio-éthique, mais plus largement les questions d'éthique, tendent à envahir de plus en plus le champ politique ? Que pensez-vous de cette évolution ? Les hommes politiques sont-ils bien armés pour maîtriser ces questions ?
- LE PRESIDENT.- Les problèmes d'éthique biomédicale soulèvent des questions éminemment politiques, au sens le plus noble du terme, car elles touchent à la conception de la vie de l'homme dans la cité. Le phénomène n'est pas nouveau. Platon, dans "La République", abordait la question de l'euthanasie en estimant déjà qu'Asklépios, dieu des médecins, devrait être considéré comme un politique ? Comment imaginer que les hommes politiques se désintéressent d'un débat de société aussi fondamental ? Comment concevoir qu'ils ne se prononcent pas sur des questions qui concernent bien entendu le respect de la personne humaine mais également la structure de la cellule familiale, l'égalité devant l'accès aux soins ? A l'écoute des citoyens qu'ils représentent, les hommes politiques bénéficient, avec le comité d'éthique, des avis de personnalités compétentes qui peuvent les aider à décider.
- QUESTION.- A la lumière du récent débat parlementaire sur la bio-éthique, pensez-vous que les relations entre le comité national d'éthique et le législateur soient correctement et efficacement établies ?
- LE PRESIDENT.- Absolument. J'en veux pour preuve que ce sont les députés eux-mêmes qui ont souhaité consacrer le travail du comite national d'éthique en inscrivant son existence dans la loi.
- Entre le comité d'éthique et le législateur, il n'y a pas concurrence mais complémentarité : une fois les lois sur la bio-éthique adoptées, le comité d'éthique aura encore à jouer un rôle primordial. Dans des domaines en constants et rapides bouleversements, des questions nouvelles se posent, presque chaque mois, que la loi ne peut pas et ne doit pas forcément anticiper. Dans un excellent rapport Madame Lenoir recommandait le renforcement des relations entre le législateur, l'exécutif et ce comité.\
QUESTION.- Dans une Europe sans frontière, la législation en matière d'éthique collective peut-elle être conçue dans le seul cadre national ? LE PRESIDENT.- On ne pourrait accepter que les principes éthiques, c'est-à-dire les principes de respect de la personne humaine soient bornés par des frontières ! Ils ont vocation universelle. Il est donc souhaitable que tous les pays d'Europe se retrouvent autour de valeurs communes. A l'initiative de Mme Lalumière, le conseil de l'Europe a réuni en mars dernier l'ensemble des comités d'éthique européens à Madrid. Certes, il existe des différences de conception ou de sensibilité sur des points importants : ainsi, certains pays rémunèrent les donneurs de sang, alors que la France, comme l'affirme la récente loi sur la sécurité en matière de transfusion sanguine et de médicament s'y refuse. Autre exemple : les diverses opinions nationales ne réagissent pas toujours de la même façon face aux progrès de la procréation médicalement assistée. Je souhaite d'autant plus que des principes éthiques communs soient progressivement dégagés et adoptés par l'ensemble des pays européens. Il conviendra peut être un jour de compléter, sur ce point, la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Elle a favorisé la progression de la démocratie dans tous les pays qui l'ont adoptée, par ses dispositions relatives à l'éthique et au respect de la personne humaine. La France pourrait être à l'origine d'une telle initiative.\
QUESTION.- Le débat sur l'éthique ne recouvre pas les clivages politiques qui divisent habituellement les Français. Croyez vous que le comité national d'éthique puisse, à sa façon, les rassembler sur un minimum de valeurs communes ?
- LE PRESIDENT.- Les trois projets de loi relatifs à l'éthique bio-médicale ont été approuvés par une très large majorité des députés, tous partis confondus, après des travaux et des débats d'une exceptionnelle tenue. Il est dommage que ces lois n'aient pu être définitivement adoptées. Je souhaite que la nouvelle majorité considère ces projets de loi comme une toute première priorité de la législature à venir. Le comité d'éthique rassemble les représentants des principaux courants de pensée religieuse et philosophique dans notre pays : ces personnalités ont, à partir d'approches et de sensibilités très différentes, grâce à des échanges très fructueux, réussis à faire émerger des valeurs consensuelles.
- Les débats parlementaires sur les récentes lois ainsi que ceux qui ont eu lieu à l'occasion de la préparation des rapports de G. Braibant, N. Lenoir, B. Boulac, F. Serusclat ont démontré que les clivages politiques n'affectaient pas ce type de discussion.\
QUESTION.- Vous avez voulu créer un comité national de renommée internationale. Quel sens cela a-t-il pour le bien commun de la France, d'organiser à ce niveau la réflexion éthique ?
- LE PRESIDENT.- Cette ambition s'est imposée à partir de deux constatations £ l'excellence de la recherche française dans ces domaines au plan international et le fait que les problèmes d'éthique ont un retentissement et une portée qui dépassent le strict cadre national. Il était, de plus, naturel que la patrie des droits de l'Homme soit en première ligne. L'affirmation des principes éthiques, du respect de la personne humaine, ne vient-elle pas compléter ces droits de l'Homme pour lesquels nous avons tant bataillé ? La France se doit d'être à la pointe de ces nouveaux combats : faire avancer la recherche, et s'assurer que le plus grand nombre bénéficie des progrès médicaux qui en découlent £ veiller, à tout moment, au respect rigoureux de l'être humain.
- QUESTION.- Dans la société française d'aujourd'hui, cette insistance nouvelle sur les préoccupations éthiques vous paraît-elle le fait d'élites seulement ou vous semble-t-elle atteindre largement la population ?
- LE PRESIDENT.- Il n'est que de voir la part que la télévision accorde aux problèmes d'éthique pour constater que ces questions préoccupent les Français. Croyez-vous que les chaînes de télévision, si friandes d'"audimat", leurs consacreraient tant d'émissions si les Français ne s'y intéressaient pas ?
- Il y a également, je pense, un fort sentiment d'identification avec les cas montrés en exemple. Mais il est vrai qu'il faut aller plus loin dans la sensibilisation des Français aux enjeux nouveaux que soulèvent les progrès des sciences et de la médecine. Il est souhaitable qu'ils puissent y réfléchir sereinement. Le comité national d'éthique considère, à juste titre, que son rôle comprend un large effort de pédagogie. Régulièrement, il organise des journées portes ouvertes ou des conférences en province. La qualité et la diversité de son auditoire attestent bien de l'intérêt de chacun pour des questions qui nous touchent en ce que nous avons de plus précieux : la Vie\