9 mars 1993 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse conjointe de MM. François Mitterrand, Président de la République et Bill Clinton, Président des Etats-Unis, sur leur approbation du plan Vance-Owen sur la Bosnie Herzégovine, sur la limitation des armes stratégiques et chimiques et sur la négociation du GATT, le 9 mars 1993.

LE PRESIDENT CLINTON.- C'est un grand plaisir pour moi de souhaiter la bienvenue au Président Mitterrand à la Maison Blanche de ma part et de la part de l'administration. Il s'agit d'une amitié qui date de la naissance révolutionnaire de nos deux pays. Nous avons vécu dans la liberté et la démocratie. Tout ceci a rendu possible une grande coopération, et une collaboration entre nos deux pays.
- Aujourd'hui, le Président Mitterrand et moi-même avons évoqué les questions internationales. Nos deux pays et nos deux continents réfléchissent à l'adaptation des institutions existantes pour promouvoir la sécurité et la croissance économique. Je salue le Président Mitterrand et le peuple français pour leur "leadership" et leur contribution exemplaire aux opérations de maintien de la paix dans le monde.
- Ce matin, nous avons parlé de la Russie, de la Bosnie et des progrès réalisés vers l'union européenne. Au cours de déjeuner, nous parlerons d'autres questions y compris celle de l'Uruguay Round. Nous avons des différences d'appréciation à propos de certaines questions et il est certain que nous avons besoin de travailler ensemble pour les réduire, car nos deux pays sont de grands pays commerciaux qui ont beaucoup à gagner à arriver à un accord sur l'économie mondiale.
- J'espère que les Etats-Unis et la France pourront, en partenaires, identifier leurs intérêts communs pour inciter le mondiale, surtout en ce qui concerne la coordination des actions vis-à-vis de la Russie. Le Président Mitterrand se rend en Russie bientôt et j'aurai l'occasion à mon tour de rencontrer le Président Eltsine au Canada, au mois d'avril. Je consulterai le Président Mitterrand après son voyage en Russie sur ce sujet.
- Nous avons parlé de la situation dans l'ex-Yougoslavie et du processus de Paix, je vous dirai que j'ai été très satisfait des remarques qu'il a faites ce matin et très satisfait des possibilités qui pourraient exister de travailler ensemble pour rétablir la paix en Bosnie. Il y a beaucoup de défis auxquels se heurtent les grandes démocraties à l'heure actuelle, nous devons réaffirmer notre soutien pour la transition vers la démocratie qui a lieu maintenant dans l'ancienne Union Soviétique et les pays de l'Europe de l'est £ nous devons coopérer pour promouvoir la paix au Moyen-Orient et ailleurs dans le monde et promouvoir la croissance économique mondiale. Nous avons fait de très bons débuts ce matin et je tiens publiquement à remercier le Président, tout comme je l'ai fait en privé pour les entretiens très utiles que nous avons eus ce matin. Il assume ses fonctions depuis beaucoup plus logntemps que moi et donc j'ai été très reconnaisant de sa franchise et de ses perceptions et je me réjouis de pouvoir continuer nos entretiens au déjeuner.
- LE PRESIDENT.- Mesdames et messieurs, tout a été dit ! Du moins, tout a été dit de ce qui a occupé notre conversation et de ce qui l'occupera pour le temps qui reste. Je ne veux cependant pas omettre de rappeler, comme l'a fait le Président Clinton, que pour un Français, cela est toujours un événement et un événement heureux que de venir à Washington pour rencontrer le Président des Etats-Unis d'Amérique. C'est avec le même intérêt qu'aujourd'hui j'arrive dans cette ville capitale afin de renconter un Président dont la renommée a déjà fait plusieurs fois le tour de la terre, mais que je ne connaissais pas. Nous avons pu parler je crois utilement des sujets qui ont été indiqués par le Président Clinton.\
LE PRESIDENT.- Nos discussions ont révélé une similitude de prises de positions qu'il est agréable de constater tant les sujets sont difficiles : Bosnie, ancienne Yougoslavie, développement de cette révolution qui se produit en Russie et dans l'ensemble des pays de l'ancienne Union Soviétique, tout cela est naturellement très important. Le président Clinton s'est intéressé au devenir de la Communauté européenne, je lui ai dit mon sentiment et mes propres engagements. Nous avons encore à discuter, il y a des oppositions de points de vue ou d'intérêts, comme il est normal, entre nos pays, mais il y a une volonté d'entente ! Et c'est ce qui anime l'ensemble de nos conversations.
- Enfin, je me réjouis de l'hospitalité qui m'est offerte, je l'apprécie beaucoup et je remercie en même temps les membres de la presse d'avoir bien voulu être présents au rendez-vous.
- QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que vous avez parlé de la configuration d'une présence terrestre en Bosnie ? LE PRESIDENT CLINTON.- De façon tout à fait générale, j'ai énoncé à nouveau la position de notre administration qui, maintenant, est bien connue du public, à savoir que nous nous opposons à l'introduction de forces terrestres afin d'essayer d'imposer un accord ou de participer au conflit actuel, mais si l'on arrivait à un accord alors à ce moment-là, les Etats-Unis s'associeraient à l'effort de l'ONU visant à faire appliquer cet accord.
- QUESTION.- Vous avez dit que vous étiez arrivés à un accord en ce qui concerne de nouveaux efforts en Bosnie, pourriez-vous nous parler de cela ? Président Mitterrand comment est-ce que les dirigeants européens peuvent accepter les massacres qui se passent dans ce pays ?
- LE PRESIDENT CLINTON.- Le seul accord auquel nous sommes parvenus en ce qui concerne la Bosnie, c'est qu'il serait erroné pour la France d'accroître ses troupes ou bien pour les Etats-Unis d'introduire des troupes qui participeraient au conflit. Mais nous avons pensé que nous devrions être tous les deux prêts à faire une contribution pour mettre en oeuvre un accord et le garantir, si le processus Vance-Owen pouvait mener à un accord.
- LE PRESIDENT.- Nous n'acceptons pas plus que vous les violences de toute sorte qui se produisent notamment en Bosnie. Le problème pour nous, qui avons la charge de définir la politique de nos pays, c'est de savoir de quels moyens nous disposons pour parvenir au résultat souhaité qui est celui de la paix, ou du moins de la cessation des violences. A cet égard, je vous rappelle que la France prend part aux efforts des Nations unies. Elle est le pays qui, actuellement, fournit le plus d'hommes, notre contribution militaire s'élève à près de 5000 hommes parmi lesquels nous comptons déjà 12 morts et plus de 100 blessés. Notre position est simple à exprimer mais bien entendu difficile à mettre en oeuvre. Nous approuvons le plan Vance-Owen. Nous souhaitons son succès. Nous en voyons les imperfections, mais cet instrument nous n'en connaissons pas de meilleur. Donc, comme c'est le meilleur des plans possibles aujourd'hui, nous le soutenons.
- Nous souhaitons qu'il aboutisse. Pour aboutir il faut obtenir l'accord des trois parties concernées, (on pourrait presque dire quatre ou cinq : celui des trois pays que sont la Croatie, la Serbie et la Bosnie, mais aussi celui des Serbes de Bosnie, des Croates de Bosnie, etc).
- Toute une série de discussions ont lieu et vont avoir lieu. J'aurai l'occasion d'y prendre part moi-même dans les jours qui viennent. Elles ont toutes pour objet de faire accepter le plan Vance-Owen. S'il est accepté au bénéfice de discussions, le cas échéant de modifications, nous pensons qu'il faudra aussitôt mettre sur pied, une présence militaire de respect des accords pour que les passions et les animosités locales ne prennent pas tout aussitôt le dessus. A cet égard la France est prête à participer à cette force de paix sous l'autorité des Nations unies.\
QUESTION.- Serait-il utile d'organiser une réunion extraordinaire du G7 avant le sommet prévu en juillet pour traiter la question de la Russie ?
- LE PRESIDENT CLINTON.- Pour répondre brièvement à votre question, oui, je pense qu'il est assez possible qu'une réunion soit utile. Mais qu'elle soit possible ou non cela dépendra de la réaction des autres membres du G7. Commme vous le savez, les Japonais ont des différends territoriaux de longue date avec la Russie et ils ont également beaucoup investi en ce qui concerne la réunion du mois de juillet, mais peut-être qu'il y a d'autres façons de réunir le G7 pour traiter de la situation de la Russie. Je ne pense pas que nous pourrons attendre le mois de juillet si nous voulons faire en sorte que les réformes politiques et économiques en Russie continuent. Le Président Mitterrand se rend à Moscou la semaine prochaine et nous reparlerons à son retour, avant que je me rende au Canada. Après cette rencontre sinon avant, j'essayerai de faire en sorte de mobiliser d'autres pays pour agir et ce qu'il soit possible ou non d'avoir une réunion officielle du G7.
- QUESTION.- Pour faire respecter un accord Vance Owen, les Américains sont-ils prêts à aller beaucoup plus loin que les moyens aériens ?
- LE PRESIDENT.- Il y a un instant, le Président Clinton disait ne pas souhaiter engager une campagne militaire sans l'accord des parties intéressées. C'est aussi la position de la France. Il a également dit qu'il était disposé à examiner une présence américaine dans le cadre des dispositions qui seront prises pour l'application de l'accord si accord il y a. En ce qui concerne la tenue d'un G7, j'y suis favorable, je le pense même nécessaire car il y a des problèmes, particulièrement dans l'Europe de l'Est et en Russie, qui présentent un caractère d'urgence. Je connais moi aussi l'opposition japonaise peut-être le Japon méconnait-il dans les circonstances l'important événement qui se déroule essentiellement en Europe ? J'ai déjà donné mon accord à M. Delors sur sa proposition.
- QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que vous avez parlé du processus de paix au Moyen-Orient avec le Président français ? Etes-vous optimiste en ce qui concerne la prochaine série d'entretien, est-ce que vous pensez que la Syrie va être prête à parler à Israël ?
- LE PRESIDENT CLINTON.- Nous n'avons pas encore parlé du Moyen-Orient, nous en parlerons au déjeuner, et oui j'ai de bons espoirs.\
QUESTION.- Les Etats-Unis continuent à vendre des armes dans le monde mais comment pouvons nous prévenir les guerres si nous continuons à fabriquer et vendre des armes ? LE PRESIDENT CLINTON.- Je pense que nous devrions répondre à cette question et le Président Mitterrand pourra me tenir compagnie ! Les Etats-Unis ont une obligation d'essayer de mettre fin à la prolifération des armes, en général, dans le monde. Ce n'est pas quelquechose de simple ou de facile à accomplir, et notre capacité nous permettant de le faire est limitée par la souveraineté d'autres nations et par les politiques suivies par ces autres nations. Mais je puis vous dire que, depuis que j'ai assumé mes fonctions, à plusieurs reprises, j'ai fait ce que je pouvais étant donné les moyens qui sont à ma portée pour essayer de réduire la prolifération et je continuerai à le faire. Puisque vous avez parlé de la Russie, je dirai qu'une des raisons pour lesquelles il est tellement important d'essayer d'aller de l'avant pour donner à la Russie les moyens d'augmenter sa croissance et préserver sa liberté, c'est qu'au fur et à mesure que d'autres portes vont être fermées, la Russie peut être poussée à vendre des armes pour continuer à préserver son économie et garder ses usines ouvertes, je pense que ce point est un bon argument en ce qui concerne les politiques que nous essayons de mener avec la Russie.
- LE PRESIDENT.- Je me permettrai de vous rappeler que c'est à Paris, à l'issue d'une Conférence internationale, qui réunissait le plus grand nombre de participants connus, qu'a été signée la convention sur l'interdiction des armes et que d'autre part, la France a toujours approuvé les différents plans de réduction des armes nucléaires signés entre les Etats-Unis d'Amérique et l'ex-Union Soviétique et plus récemment la Russie. La France a également pris l'initiative d'interrompre ses essais nucléaires précisément à chacun d'examiner la possibilité d'en finir avec le surarmement dans ce domaine. Donc, vous rencontrez là un terrain tout à fait favorable. La réduction des armements et la cessation des ventes ne se conçoivent que si c'est le résultat d'une négociation internationale. Aucun pays autrement ne peut se mettre en situation de danger si les autres pays ne font pas le même effort. Mais nous sommes disposés à aller de l'avant dans ce domaine.\
QUESTION.- Que pensez-vous des interpellations du Président Clinton sur la sidérurgie et l'agriculture ?
- LE PRESIDENT.- Nous avons décidé d'en parler tout à l'heure mais le Président Clinton en sait autant que vous sans doute sur mon état d'esprit et celui de la France que je résumerai d'un mot : la négociation internationale du GATT, c'est la négociation commerciale pour en finir avec les protectionnismes. C'est une négociation globale qui touche à beaucoup de secteurs et donc pas seulement au secteur agricole. Si on l'envisage cette discussion sur le seul angle agricole, ça ne peut pas marcher. Si on l'envisage sous une forme de négociation équilibrée dans les différents secteurs intéressés : industrie, services, etc. il n'y a aucune raison de ne pas aboutir et la France souhaite aboutir car je partage le sentiment que le Président Clinton a exprimé tout à l'heure : mieux on aboutira, mieux et plus vite nous sortirons de la crise actuelle. Encore faut-il ne pas isoler les sujets, et les traiter l'un après l'autre comme cela se passe trop souvent aujourd'hui.QUESTION.- En ce qui concerne l'acier, d'un côté on dit qu'il y a des subventions qui ne sont pas justes et de l'autre côté on dit que ce n'est pas le cas. Quel est le point de compromis ? LE PRESIDENT CLINTON.- Tout d'abord je tiens à dire que le cas de l'acier est un cas qui a été présenté sur la base de faits et qui m'attendait lorsque j'ai pris mes fonctions et qui attendait mon ambassadeur chargé des échanges commerciaux. La question est de savoir si nous allons être cohérents avec le travail réalisé avant que nous entrions en fonction. Nous avons décidé d'assurer une continuité pour le respect de nos lois sur le commerce. Cependant, je pense qu'en fin de compte, il faudra continuer à travailler pour avoir des systèmes commerciaux plus ouverts. Je suis tout à fait décidé à travailler à l'aboutissement de l'Uruguay Round cette année et pour prendre des mesures partout dans le monde pour continuer à réduire les barrières commerciales. Néanmoins, tous les pays doivent avoir certains mécanismes pour se protéger. Nous aurons toujours des différends sur l'appréciation de ce qui est égal et inégal mais la question est de savoir si il faut s'avancer vers un système commercial plus ouvert.\
QUESTION.- Vous avez dit que les Etats-Unis pensaient être un partenaire à part entière dans le processus de paix au Proche-Orient. Qu'allez-vous faire pour relancer les entretiens notamment en ce qui concerne la Palestine ?
- LE PRESIDENT CLINTON.- Ce que nous entendons par une association à part entière, c'est le fait que le premier voyage du Secrétaire d'Etat était au Moyen-Orient. Il a essayé de faire en sorte de remettre les négociations sur les rails et de parler à autant de parties que possible. Ce que je dirais à M. Rabin, c'est ce que j'ai dit en public, en ce qui concerne les personnes déportées, nous travaillons ensemble et je suis certain qu'il veut remettre le processus de paix sur les rails, et je suis en faveur de cela.
- QUESTION.- En ce qui concerne l'aviation civile, quelle est votre position et êtes-vous prêt à annuler l'accord de l'année dernière conclu entre les Etats-Unis et l'Europe ?
- LE PRESIDENT CLINTON.- Non absolument pas. Je pense que mes remarques dans ce contexte n'ont pas bien été comprises et c'était peut-être de ma faute. J'appuie l'accord de l'année dernière, ce que je voulais dire, c'est que les Etats-Unis avaient été en tête en ce qui concerne l'aviation civile, et il est certain qu'il y a eu une contribution dans le domaine de la défense. C'est ce que les Européens ont toujours opposé à nos critiques. Ce que j'essayais de dire aux travailleurs de Boeing la semaine dernière et que je réitérerai ici, c'est que les conséquences néfastes dont ils ont souffert dans le marché n'est pas de leur faute, ce n'est pas qu'ils ont échoué, ils n'ont pas manqué de productivité, mais, l'Europe a pu pénétrer notre marché en raison de la politique d'Airbus. La critique que j'ai formulée s'adressait à notre gouvernement qui n'a pas réagi, ce n'était pas que les Européens n'avaient pas le droit d'entrer sur le marché, ils l'ont fait et ils avaient le droit de le faire. Nous avons essayé de les convaincre de ne pas faire autant que ce qu'ils faisaient, ce qui a donné lieu à l'accord dont vous avez parlé. Je soutiens fermement cet accord, je ne veux pas l'annuler mais le renforcer. Ma politique en la matière, sans préjuger des travaux de la commission que nous allons nommer, qui va étudier l'avenir de notre industrie aéronautique, a deux aspects : tout d'abord que l'accord doit être respecté et strictement respecté et deuxièmement que cet accord laisse aux Etats-Unis ainsi qu'à l'Europe, l'occasion de réaliser des investissements pour le développement de nouvelles technologies à utiliser pour de nouveaux avions. Nous devons saisir cette occasion pour pouvoir être plus compétitifs. Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de clarifier ma position.\