8 février 1993 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, accordée au journal "Le Monde" du 9 février 1993, notamment sur la guerre en Bosnie, le "modus vivendi" à trouver pour la prochaine cohabitation, le chômage et la perte de confiance de l'opinion publique.

QUESTION.- Vous vous rendez cette semaine au Vietnam et au Cambodge, quel est le sens de ce voyage ?
- LE PRESIDENT.- Clore un chapitre douloureux de nos relations avec le Vietnam. Ouvrir un nouveau chapitre. Aider au déblocage de la paix au Cambodge.
- QUESTION.- L'intervention de l'ONU au Cambodge est dans une impasse. Les Khmers rouges ne respectent pas les "accords de Paris". Que peut faire la France ?
- LE PRESIDENT.- Nuançons. Si le volet militaire du plan de paix n'est pas appliqué, du fait des Khmers rouges, en revanche le retour des réfugiés et la préparation des élections (dont la date est fixée au 23 mai prochain), les deux autres volets du Plan, se déroulent dans de bonnes conditions.
- Les conversations que j'aurai à Phnom Penh, notamment avec le Prince Sihanouk me permettront de mieux juger la situation et d'examiner si une nouvelle initiative française est souhaitable dans la ligne et l'esprit des Accords de Paris dont la France est avec l'Indonésie, la garante.\
QUESTION.- Concernant l'ex-Yougoslavie comment appréciez-vous l'état des lieux ? Aurait-on pu s'y prendre autrement ? Comment en est-on arrivé là ?
- LE PRESIDENT.- Qui est ce "on" ? Après la mort de Tito et la chute du communisme, les passions ethniques ancestrales ont repris le dessus. Je me réjouis de la disparition de l'ancien système. J'abhorre la guerre actuelle et ses atroces conséquences. Puisque les peuples de l'ex-Yougoslavie n'ont pas eu la sagesse de gérer autrement leur liberté nouvelle, les institutions internationales auraient dû fixer le droit avant de procéder à la reconnaissance des Républiques issues de l'ancienne Fédération.
- QUESTION.- Avez-vous le sentiment d'un drame inévitable ou y avait-il des choses à faire qui n'ont pas été faites ?
- LE PRESIDENT.- Le drame était difficilement évitable. Mais il aurait fallu en avoir claire conscience. J'ai toujours pensé, dès la première discussion qui a eu lieu au Conseil européen de juin 1991, qu'il fallait d'abord déterminer les règles de droit et assurer la sauvegarde des minorités, sous la garantie de l'ONU, de la CSCE et de la Communauté européenne. Robert Badinter qui en avait eu l'idée a très vite obtenu l'accord des Européens sur l'initiative française d'une Cour d'arbitrage capable de prévenir et de régler les conflits. Malheureusement le fait accompli a imposé sa loi.
- QUESTION.- L'ONU et la Communauté européenne se sont un peu rattrapées. Quelle est votre position à l'égard du plan de paix élaboré à Genève ? Ne pensez-vous pas qu'il fait la part un peu trop belle au fait accompli de la conquête militaire ? Partagez-vous les réticences américaines ?
- LE PRESIDENT.- J'approuve le Plan Owen - Vance, même si j'admets qu'il puisse être modifié. Il n'y a pas de réponse idéale à ce type de problème.
- QUESTION.- Avez-vous l'intention de faire de nouvelles propositions au Conseil de Sécurité ?
- LE PRESIDENT.- Si le Plan Owen - Vance était écarté au Conseil de Sécurité, la France resterait attachée aux principes qui l'inspirent : un seul Etat bosniaque, des structures internes souples et autonomes, un consensus entre les trois communautés pour les affaires communes.
- QUESTION.- L'attitude de la France a parfois été présentée comme pro-serbe, qu'en pensez-vous ?
- LE PRESIDENT.- La France n'a pas été et ne sera pas anti-serbe. Elle est et sera anti torture, anti camp de concentration, anti guerre d'expansion. C'est tout.
- QUESTION.- Ne pensez-vous pas que les Serbes de Bosnie ont toujours en tête leur Etat dans l'Etat ?
- LE PRESIDENT.- Ils ont quand même accepté le plan soumis à la Conférence de Genève, quitte à en contester certaines modalités. Les Serbes de Bosnie ont sûrement rêvé d'un Etat dans l'Etat. Mais la perspective d'une guérilla permanente et la pression internationale leur ont donné à réfléchir.
- QUESTION.- Nous avons publié la semaine dernière un article de Valéry Giscard d'Estaing proposant la mise sous tutelle de la Bosnie par l'ONU. Qu'en pensez-vous ?
- LE PRESIDENT.- La Bosnie le désire-t-elle ?
- QUESTION.- Le constat est que la voie diplomatique paraît dans l'impasse.
- LE PRESIDENT.- Cette voie n'est pas fermée.\
QUESTION.- Vous demandiez, dans votre message du Nouvel an : "pourrons-nous faire plus ?" Dans la perspective où les négociations échouent, faudra-t-il faire plus ? Si oui militairement ?
- LE PRESIDENT.- La France n'engagera pas d'opération militaire. Elle appliquera les décisions du Conseil de Sécurité.
- QUESTION.- Alors à quoi sert le "Clémenceau" ?
- LE PRESIDENT.- A protéger nos soldats membres des forces des Nations unies. Ils sont plus de 4700, le plus fort contingent de tous les pays du monde. Onze d'entre eux sont morts pour la paix.
- QUESTION.- Récemment Roland Dumas avait suggéré que la France intervienne militairement, seule si besoin, pour libérer les camps. Cette idée a-t-elle été abandonnée ?
- LE PRESIDENT.- La France a toujours souhaité que les missions humanitaires fussent militairement assistées, notamment celles qui auraient pour mission d'ouvrir les camps de prisonniers.
- QUESTION.- La presse internationale a fait état d'un projet français de sauvegarde de Sarajevo.
- LE PRESIDENT.- Nous avons multiplié les initiatives pour sauver Sarajevo de la ruine et de la mort £ nous continuerons...
- QUESTION.- La France a-t-elle exclu définitivement de participer à une action militaire ?
- LE PRESIDENT.- Je vous répète que nous appliquerons les résolutions des Nations unies.
- QUESTION.- La France est-elle toujours hostile à l'idée d'embargo ?
- LE PRESIDENT.- Mais l'embargo, nous y prenons part ! Simplement, nous constatons que c'est une chemise trouée et nous ne voudrions pas que la Bosnie fût la victime d'une mesure prise pour la protéger, ce qui serait le comble alors que ses adversaires se procurent aisément les armes dont elle est privée.\
QUESTION.- Concernant la Macédoine, les Français ont fait une proposition.
- LE PRESIDENT.- Deux. La première consiste à obtenir des Nations unies qu'elles augmentent de 700 à 5000 le nombre des soldats de la paix à la frontière serbo-macédonienne. Mieux vaut prendre les devants. La deuxième vise à ce qu'un arbitrage arrive à concilier les points de vue grec et macédonien sur le nom du futur pays, qui n'a droit aujourd'hui qu'à l'appellation de "Ex-république yougoslave de Macédoine".
- QUESTION.- Ce nom restera définitivement ?
- LE PRESIDENT.- Non, bien sûr. C'est là que l'imagination des diplomates s'exerce... et la bonne volonté des deux pays intéressés. Les choses avancent malgré tout...\
QUESTION.- Quelles leçons peut-on tirer du démembrement yougoslave ? Est-ce un drame spécifiquement bosniaque où est-ce annonciateur de troubles plus grands encore.
- LE PRESIDENT.- L'échec des institutions internationales dans l'ex-Yougoslavie serait comme un laissez-passer accordé à toutes les ethnies d'Europe qui se veulent souveraines et donc à l'éclatement de la plupart des Etats existants. Ou bien, en sens inverse, il serait compris comme une invitation aux puissants d'étouffer par la force les particularités et le besoin d'autonomie. Dans les deux cas la contagion détruirait pour longtemps toute chance de voir un jour l'Europe se construire sur des bases démocratiques, de devenir ce à quoi nous aspirons : l'Europe unie.
- Nous avons choisi l'unité pour la paix, nous aurions l'anarchie et la guerre !
- QUESTION.- Ne doit-on pas reposer les problèmes de principes sur lesquels on voulait bâtir cette Europe ? Respect des frontières, respect des minorités, etc ? Comment obtenir que ces principes continuent de cheminer, compte tenu du contexte qui semble tout remettre en cause ?
- LE PRESIDENT.- L'Europe bouge dangereusement, c'est sûr. Mais cela vaut mieux que la fixité antérieure, celle de la guerre froide, avec sur la moitié de notre continent l'hégémonie d'une dictature, d'un système totalitaire qui niait, qui tuait la liberté, qui assassinait des millions d'être humains.
- C'est une révolution que celle de la liberté ! Et une révolution n'est jamais tranquille. Notre espoir est dans la volonté des pays de la Communauté de fortifier leur union pour le progrès et pour la paix. Le Traité de Maastricht déjà ratifié par dix pays sur douze qui le sera, je le crois, bientôt par les deux retardataires et qui verra trois ou quatre autres pays les rejoindre cette année ou l'année prochaine, sera le point de rassemblement de l'Europe en mouvement dont le sort se jouera entre l'attraction de l'unité et celle de la dispersion.
- QUESTION.- Certains contestent le caractère absolu du droit des peuples à l'autodétermination.
- LE PRESIDENT.- L'autodétermination est un droit reconnu par la société internationale. Mais de même que la liberté de chacun ne peut aller jusqu'à nuire à celle des autres, l'autodétermination, qui est une façon d'accéder à la vie internationale ne peut aller jusqu'à la promotion au rang d'Etats souverains, d'entités qui seraient incapables d'assurer la sécurité des citoyens, d'entretenir les services publics, de donner à la vie collective les moyens dont elle a besoin. L'expérience des siècles, l'héritage culturel, la réalité vécue permettent d'authentifier les aspirations nationales. Au demeurant toute communauté originale doit pouvoir vivre selon ses normes et dans des structures autonomes ou fortement décentralisées.\
QUESTION.- Dans ce passage d'un état du monde à un autre, la France semble avoir beaucoup misé sur l'ONU.
- LE PRESIDENT.- Oui, je considère que l'apport le plus important de ces dernières années, depuis que la concurrence des deux superpuissances a cessé de geler les rapports internationaux est dans l'avénement des Nations unies, devenues le lieu où l'on dit le droit et où on commence à lui donner le moyen de se faire obéir. Mais c'est encore fragile.
- QUESTION.- Oui mais, en Yougoslavie, on parle d'une faillite de l'ONU. N'attend-on pas trop de l'ONU ?
- LE PRESIDENT.- Le droit a besoin de force. Les Nations unies qui n'ont pas l'instrument de leur pouvoir moral ont tendance à le déléguer, ce qui peut être dangereux. Elles font quand même oeuvre très utile.
- QUESTION.- Ce qui est nouveau aussi, c'est le droit humanitaire. Cela peut-il générer une nouvelle forme de droit international dans cette période charnière ?
- LE PRESIDENT.- Sans aucun doute.
- QUESTION.- Mais beaucoup de gens considèrent que c'est un peu le cache-sexe ou l'alibi de l'impuissance diplomatique.
- LE PRESIDENT.- Je trouve cette critique détestable. Fallait-il ne rien faire ou ne faire que la guerre ?
- QUESTION.- Faut-il parler de droit d'ingérence ou de devoir d'assistance ?
- LE PRESIDENT.- Le droit d'ingérence est la formule lancée par Bernard Kouchner et quelques autres dans un temps où cela était d'une grande audace. La France a obtenu depuis lors de l'ONU la reconnaissance de ce droit. C'est une traduction dynamique du devoir d'assistance.
- QUESTION.- On peut aussi leur reprocher d'être le masque de l'ordre que les puissants du monde veulent imposer. Cette critique vous paraît-elle recevable ?
- LE PRESIDENT.- On n'a pas tort d'être méfiant et vigilant. L'interventionnisme sélectif est choquant. Il n'empêche qu'au total la paix a avancé, grâce à l'ONU, dans plusieurs régions du globe.\
QUESTION.- Parlons de l'Afrique et de sa situation dramatique au Zaire, au Togo. Ce qui se passe, c'est-à-dire ce décalage entre des mouvements démocratiques et des régimes autoritaires, voire dictatoriaux, n'est-il pas un peu le résultat de discours que vous aviez faits à La Baule par exemple ?
- LE PRESIDENT.- En 1981, les Etats d'Afrique tels que je les ai trouvés étaient, à l'exception du Sénégal, des dictatures appuyées sur un parti unique et l'armée. En 1993, la majorité d'entre eux acceptent le pluripartisme, la liberté de la presse, le suffrage universel. Cette évolution est parfois plus apparente que réelle. Mais la démocratie devient partout le thème dominant. Le discours de La Baule a précipité ce mouvement. On sait que la France aide de préférence quiconque comprend que démocratie et développement sont des termes inséparables. Il reste, certes, des points de résistance mais les Etats d'Afrique sont indépendants et souverains. Nous n'y sommes pas en terrain conquis.
- QUESTION.- Tout de même, au Togo des gens qui manifestent contre la France, ils trouvent que l'évolution ne va pas assez vite.
- LE PRESIDENT.- Ils ne crient pas qu'au Togo. Je les entends à Paris. Il faut qu'ils admettent que le rôle de l'armée française n'est pas d'intervenir dans les affaires intérieures des pays d'Afrique, dans les conflits ethniques ou partisans, sauf pour protéger nos compatriotes. Les traités de coopération militaire signés par mes prédécesseurs n'autorisent l'envoi de nos soldats qu'en cas d'agression extérieure. La France, organisatrice de coups d'Etat cela s'est vu, mais c'est du passé ! Sa tâche, aujourd'hui, est d'accompagner par l'aide et le dialogue les progrès et la démocratie.
- QUESTION.- Quelles réflexions vous inspire le fait de voir certains dirigeants de l'opposition se promener en Afrique ?
- LE PRESIDENT.- Ils ont le droit de circuler. Pas de dire n'importe quoi.\
QUESTION.- Parlons de l'Europe. La situation en Yougoslavie n'alimente-t-elle pas l'idée de l'impuissance européenne ?
- LE PRESIDENT.- L'Europe capable d'actions militaires d'envergure n'existe pas encore : elle est en voie de construction. Elle n'aura de politique extérieure et de force armée commune qu'après ratification de Maastricht. Hâtons cette construction.
- QUESTION.- Mais cette construction n'est-elle pas aujourd'hui menacée alors que la ratification par la France du traité de Maastricht devrait donner un coup d'accélérateur, on a l'impression d'un effet inverse.
- LE PRESIDENT.- L'effet inverse eût été dévastateur si la France n'avait pas approuvé Maastricht ! Par leur vote les Français ont sauvé l'Europe.
- QUESTION.- Mais peut-on parler de mise en oeuvre de Maastricht ? Quand commencera-t-on d'en parler ?
- LE PRESIDENT.- Un traité n'est applicable que lorsqu'il est ratifié. Sa préparation a été étonnament rapide puisque la Communauté des Douze n'a été saisie du projet d'union européenne par Helmut Kohl et moi qu'en 1990.
- QUESTION.- Doit-on continuer de raisonner en termes de perspectives de défense et de politique extérieure commune ?
- LE PRESIDENT.- Absolument.
- QUESTION.- Avez-vous en tête un calendrier ?
- LE PRESIDENT.- En mai, nouveau référendum au Danemark. En juin (ou juillet) vote de la Chambre des Communes en Grande-Bretagne, puis Chambre des Lords. Après ces consultations que j'espère positives, on passera, selon le rythme prévu, à l'exécution du traité.
- QUESTION.- Sur la monnaie, les difficultés de ces derniers mois ne remettent-elle pas en cause les calendriers ?
- LE PRESIDENT.- Nous disposons de quatre années avant le début de la phase prévue pour la monnaie unique. J'espère que nos pays sauront utiliser au mieux ce délai. S'ils le raccourcissaient, je n'en serais pas fâché.
- QUESTION.- Le maintien d'une politique de taux d'intérêt élevés en Allemagne n'a-t-il pesé sur l'amitié franco-allemande ?
- LE PRESIDENT.- L'amitié franco-allemande est solide. L'Allemagne en a donné la preuve lors des attaques contre le franc. Et, de notre côté, nous avions fait savoir que rien n'entamerait notre volonté de défendre notre monnaie. La baisse récente des taux allemands facilitera notre tâche commune qui est de sauvegarder le système monétaire européen.\
QUESTION.- L'administration Clinton commence sous le signe du protectionnisme et d'une certaine agressivité commerciale. N'avez-vous pas misé sur un assouplissement dans la politique américaine ?
- LE PRESIDENT.- Non.
- QUESTION.- L'Europe doit-elle contre-attaquer ?
- LE PRESIDENT.- A protectionnisme, protectionnisme et demi. C'est le mauvais engrenage. Essayons, ensemble, d'en sortir.
- QUESTION.- Comment ?
- LE PRESIDENT.- Réussir la négociation du GATT suppose l'abandon des visées impérialistes et le refus des concessions unilatérales.
- QUESTION.- Une guerre commerciale, c'est quand même l'une des pires choses qui puissent arriver. L'Europe est-elle prête à la mener ?
- LE PRESIDENT.- Si on l'y contraint, j'espère que oui.\
QUESTION.- Venons-en à la politique intérieure. Il semble que l'on s'achemine vers une nouvelle cohabitation. Comment l'abordez-vous ? Quelle règle du jeu définiriez-vous ?
- LE PRESIDENT.- La règle du jeu, c'est la Constitution de la République et c'est la volonté du peuple telle qu'elle s'est le plus récemment exprimée.
- QUESTION.- Mais la Constitution ne prévoit pas tout. En particulier certaines déclarations de dirigeants de l'opposition semblent indiquer que la droite va revendiquer un plus grand rôle dans la gestion des affaires étrangères. Comment concevez-vous le partage des tâches ?
- LE PRESIDENT.- Il n'y a pas de domaine réservé, thèse que j'ai toujours combattue. Les dirigeants de l'opposition auraient tort d'attaquer les moulins à vent qu'ils ont eux-mêmes imaginés.
- QUESTION.- Il y a tout de même des règles à établir, au-delà de l'application des institutions ?
- LE PRESIDENT.- Travailler ensemble quand on n'est pas fait pour cela suppose un modus vivendi. J'entends beaucoup de déclarations belliqueuses, le cliquetis des cottes de mailles. J'irai, de mon côté, sans arme ni armure et sans crainte. Avec la France pour seul souci.\
QUESTION.- Pourtant, dans la période précédente, puisque cette expérience a déjà eu lieu, l'opposition qui détenait la majorité vous reconnaissait une sorte de prééminence dans les matières de sécurité et de diplomatie, par exemple, vous présidiez les délégations françaises aux sommets européens.
- LE PRESIDENT.- Le gouvernement est compétent dans les matières de sécurité et de diplomatie. Le Président aussi, me semble-t-il. Qui prendra l'initiative de violer la Constitution ? Pas moi. L'absence ou la présence à telle ou telle rencontre internationale n'est qu'un épiphénomène révélateur d'une façon d'être. Il s'agit de savoir si l'actuelle opposition désire une République unie pour la défense de nos intérêts nationaux, ou divisée.
- QUESTION.- Mais dans deux domaines, la défense et les affaires extérieures, vous avez mis votre veto à certaines nominations.
- LE PRESIDENT.- Mon veto, non, M. Chirac est venu me voir, il a évoqué des choses, prononcé des noms. J'ai donné mon avis.
- QUESTION.- Y a-t-il des domaines de politique étrangère où vous sentez des différences importantes avec l'opposition ?
- LE PRESIDENT.- Il peut y en avoir. On verra. Pour l'instant je n'en vois pas d'aussi graves qu'en 1986 lorsque la nouvelle majorité conservatrice avait en tête de son programme la participation à la guerre des étoiles. J'étais à fond contre cette idée. On n'en a pas reparlé. Il pourrait y avoir une difficulté sur les essais nucléaires, que j'ai suspendus, comme vous le savez. La Russie et les USA ont suivi la France. Qu'en sera-t-il demain ? Si ces deux puissances maintiennent cette sorte de moratoire dont nous avons eu l'initiative, je pense que la France devra rester logique avec elle-même. En revanche si elles reprennent leurs essais nous aurons à préserver notre seuil de sécurité.\
QUESTION.- Vous allez à la cohabitation dans un esprit de conciliation ?
- LE PRESIDENT.- Je vous ai déjà plusieurs fois répondu.
- QUESTION.- Estimez-vous possible de choisir comme premier ministre un homme qui aurait annoncé par avance, comme M. Giscard d'Estaing, sa volonté de vous faire partir au plus vite ?
- LE PRESIDENT.- Il n'est pas le seul.
- QUESTION.- Considérez-vous comme une règle de choisir le chef du parti le plus nombreux à l'Assemblée nationale ?
- LE PRESIDENT.- Non. Le Président est libre de son choix.
- QUESTION.- Il faut au moins que la personne nommée ait une majorité ?
- LE PRESIDENT.- C'est le b.a. ba de ce genre d'exercice.
- QUESTION.- Vous ne fixez pas de critère de choix en dehors de celui-là ?
- LE PRESIDENT.- J'en aurai sûrement.
- QUESTION.- Peut-on les connaître ?
- LE PRESIDENT.- Non. Mais vous pouvez facilement les supposer. Par exemple, il est évident que je n'appellerai pas un premier ministre qui serait défavorable à la construction de l'Europe. Rien n'est joué.\
QUESTION.- Comment analysez-vous la percée des écologistes ? Vous conduit-elle à penser que le temps du socialisme est fini ?
- LE PRESIDENT.- L'écologie est née d'une idée forte et juste. Belle aussi, puisqu'elle exalte la protection de la nature, donc de l'homme. Les électeurs qui votaient à gauche et qui, pour telle ou telle raison, sont portés à s'éloigner du pouvoir en place et du parti majoritaire n'ont pas le sentiment de trahir leurs convictions en votant pour les écologistes plutôt que pour la gauche. On peut donc penser qu'il existe pour eux et pour les socialistes un terreau commun. Mais conclure de ce glissement que le socialisme est fini n'a pas de sens.
- QUESTION.- La progression des écologistes va pourtant de pair avec l'échec du parti socialiste ?
- LE PRESIDENT.- C'est la théorie des vases communicants ! Mais les électeurs écologistes venus de la gauche ne l'ont pas vraiment quittée. Ils s'étonneraient de toute invitation qui leur serait faite de contribuer au succès de la droite et réagiraient en conséquence. Du moins, je le crois. Cela dit, toute action politique connaît des hauts et des bas et personne, à droite ou à gauche, n'y échappe.
- QUESTION.- Pensez-vous qu'il y aura de nouveau des hauts pour le parti socialiste ?
- LE PRESIDENT.- Assurément.
- QUESTION.- On peut pourtant se demander si l'on ne vit pas la fin d'une période historique ?
- LE PRESIDENT.- L'année 1989 a marqué la fin d'une période historique et le commencement d'une autre. Cet événement ne se réduit pas à l'équation socialisme-écologie.
- QUESTION.- L'écologie n'est-elle pas appelée à remplacer le socialisme comme idéologie porteuse ?
- LE PRESIDENT.- Non. Ces deux idéologies ne se substituent pas l'une à l'autre. L'explication socialiste est globale et propose des réponses aux interrogations de l'homme en société dans l'ère industrielle. Ces interrogations évoluent avec le temps. La réponse écologique, dans la mesure où elle signifie un progrès, une libération de l'homme par rapport aux forces qui l'oppriment, reste proche du message socialiste qui, lui-même, intègre la défense des équilibres naturels. Bien entendu, il existe aussi une tendance écologique tournée vers la nostalgie du passé. Ce n'est pas celle dont nous parlons.\
QUESTION.- Comment expliquez-vous le bas niveau actuel des socialistes ? Peut-on parler de déficit social ?
- LE PRESIDENT.- Lorsque j'ai pris la responsabilité du parti socialiste en 1971, les derniers pourcentages atteints par ceux qui représentaient cette tendance politique étaient de 5 % (présidentielle) à 10 ou 11 % (élections locales). Malgré un travail acharné et une forte présence dans l'opinion publique, les socialistes, sous ma direction, n'ont jamais dépassé 23 %. Je serais surpris qu'ils se situent au-dessous de 20 % en mars prochain. Et ils peuvent être au-dessus. La campagne ne fait que commencer et dans une élection rien n'est joué d'avance. Alors ne concluez pas trop vite.
- Quant au déficit social, il est réel au regard des espérances. C'est normal. Mais il n'y a pas eu déficit social, bien au contraire, par rapport à la gestion d'avant 1981. L'ensemble des réformes que nous avons réalisées est le plus conséquent que la France ait connu depuis le Front Populaire de 1936.
- QUESTION.- A l'appui de la critique sur le déficit social on cite le plus souvent le chiffre du chômage, bientôt 3 millions, et la politique du franc fort.
- LE PRESIDENT.- Le chômage est apparu avec la hausse brutale des prix du pétrole en 1973. Il est passé de 1700000 chômeurs au temps de mon prédécesseur à près de 3 millions douze ans après. La suite a montré qu'il ne caractérisait pas une crise française, mais une crise internationale, celle du monde industriel occidental. Les six chefs de gouvernement que j'ai nommés (y compris en 1986-1987) ont tout essayé sans parvenir à enrayer la montée du chômage. C'est donc que le mal est ailleurs. Notre société est lente et lourde, tandis que les bonds en avant de la science et de la technique transforment plusieurs fois en une génération la nature de la plupart des métiers. Ce phénomène est général. Les pays qui avaient mieux résisté que la France, au début, ont vu le chômage s'accroître chez eux beaucoup plus vite que chez nous au cours des dernières années. Quant à prétendre que le chômage est un mal socialiste, comme on l'entend dire dans les milieux d'opposition, laissons cela ! La Grande-Bretagne qui a un gouvernement ultra-libéral et le gouvernement allemand qui réunit les démocrates-chrétiens et les libéraux ont affaire au même problème. On critique la politique du franc fort. Mais sa débandade aurait accéléré la crise et ses conséquences sociales ! Notre monnaie, l'une des plus considérées du monde, nous aide aujourd'hui à préparer les conditions de la reprise. Elle donnera demain un puissant élan à notre économie.\
QUESTION.- Pensez-vous, comme certains le disent en parlant "d'immobilisme" que des occasions de réforme ont été gâchées, après votre réélection de 1988, par le gouvernement Rocard, par exemple dans le domaine du partage du travail, dont M. Bérégovoy veut faire aujourd'hui une priorité ?
- LE PRESIDENT.- Je ne vois pas de différence sérieuse sur ce point entre les gouvernements Rocard, Cresson et Bérégovoy. Ils ont cherché un meilleur partage par la réduction du temps de travail et le travail à temps partiel. Pierre Mauroy avait déjà ramené la semaine de travail à 39 heures au lieu de 40, décidé la retraite volontaire à 60 ans et créé, c'était une grande idée, un ministère du temps libre.\
QUESTION.- Les Français vous ont fait confiance en 1988 puisqu'ils vous ont réélu...
- LE PRESIDENT.- Ce qui prouve qu'ils n'étaient pas mécontents de la gauche.
- QUESTION.-... et aujourd'hui, apparemment, ils ne vous font plus confiance. On peut donc s'interroger sur la gestion de ces cinq dernières années.
- LE PRESIDENT.- La crise internationale s'est prolongée, donc aggravée. Elle a frappé de plus en plus de gens. l'opinion, dans sa majorité, s'en prend à nous, comme elle s'en prend partout à ceux qui gouvernent. Mais la France a été dirigée avec sérieux et les Français, au fond d'eux-mêmes, le savent. J'ajoute que les difficultés économiques ne sont pas la seule cause de la perte de confiance, cette confiance qui va et vient, cemme elle l'a déjà fait lors de mon premier septennat.
- QUESTION.- Quels peuvent être les buts politiques d'une période de cohabitation ? S'agit-il pour vous de remettre à flot le camp de la gauche ?
- LE PRESIDENT.- Quelle que soit l'éventualité à venir, mon premier but politique sera de remplir la fonction pour laquelle j'ai été élu. Cette fonction me commande de contribuer à la bonne marche des institutions et de respecter la volonté populaire. Quant à remettre à flot le camp de la gauche, si celle-ci perd les élections, ce serait un très honorable objectif. Mais cela ne dépendra pas de moi seul.
- QUESTION.- Pensez-vous qu'à la place où vous êtes, vous aurez un rôle à jouer dans cette reconquête ?
- LE PRESIDENT.- Parlons au conditionnel : j'accomplirais mon devoir d'Etat et resterais fidèle à mon idéal socialiste.
- QUESTION.- Aiderez-vous votre successeur à préparer son élection ?
- LE PRESIDENT.- Je souhaite que mon successeur partage mes idées, à sa manière et les mette en oeuvre. Mais nous n'en sommes pas là.
- QUESTION.- Avez-vous un choix personnel parmi les candidats ?
- LE PRESIDENT.- Quand je les connaîtrai, je ferai comme tout le monde. Je voterai.\
QUESTION.- Considérez-vous que les "affaires" ont eu un fort impact sur l'image des socialistes ?
- LE PRESIDENT.- Un impact considérable. Parfois, je me demande si ce n'est pas le facteur qui a le plus accentué la distance prise avec les socialistes par une partie de leur électorat. Cet électorat est, à juste titre, par tradition, par éducation, par inclinaison naturelle, très exigeant sur les critères moraux. Il a souffert des indélicatesses et, dans quelques cas, des graves malhonnêtetés commises par quelques élus qui n'ont pas su résister aux facilités que leur proposaient les corrupteurs, toujours à l'affût. Je n'excuse pas ces fautes en rappelant qu'il y a eu des scandales d'une tout autre ampleur sous d'autres pouvoirs, scandales qui devraient inciter les partis conservateurs à plus de discrétion. Cela dit, le Parti socialiste est un parti d'honnêtes gens.
- QUESTION.- Et la loi d'amnistie ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai accepté le projet de loi qui m'était soumis que parce qu'il excluait les parlementaires du bénéfice de l'amnistie, ce qui lui a valu d'être également voté par une partie de l'opposition. Cela n'empêche pas la plupart des commentateurs de parler d'"auto-amnistie" et d'y croire de bonne foi !.\
QUESTION.- Il y a aussi les affaires comme celle du sang ?
- LE PRESIDENT.- Là, les responsabilités ne sont plus du même ordre. L'état de la science médicale et biologique permettait-il aux ministres incriminés de trancher avant les spécialistes, les experts et les médecins ? Je ne le crois pas et j'ai déjà dit que je ne voyais pas qui aurait apprécié autrement la situation à leur place. Quant à Laurent Fabius, il est l'objet d'une mise en cause inique qui blesse tout défenseur du droit. D'autant plus qu'il a agi, dans sa fonction de Premier ministre, avec courage, célérité et sagacité. Je vois là l'un des plus déplorables dénis de justice de l'époque. Rien de plus légitime que la douleur, la colère des victimes du sang contaminé. Ils veulent savoir la vérité. On la leur doit. Mais la Haute-Cour, machine politique inadaptée, ne répondra pas à leur attente. Que le Parlement se dépêche de réformer cette institution bancale !
- QUESTION.- Pourtant les socialistes resteront associés à cette affaire parce qu'ils étaient au pouvoir...
- LE PRESIDENT.- La science n'a pas de frontières. Partout le dommage causé aux victimes a été le même. Or, il n'y a qu'en France que l'opposition politique a voulu en tirer bénéfice.
- QUESTION.- Pourquoi ?
- LE PRESIDENT.- Parce que c'est comme ça. Parce qu'elle est comme ça.\
QUESTION.- En tant que garant de l'équilibre des pouvoirs, comment appréciez-vous l'évolution actuelle des rapports entre le pouvoir politique (exécutif et législatif) et le pouvoir judiciaire ?
- LE PRESIDENT.- Ce qui se passe montre à quel point le pouvoir judiciaire joue de son indépendance. Le devoir des juges d'instruction est d'appliquer la loi que votent les Assemblées. Tout ce qui vicie cette répartition des tâches corrompt la démocratie.
- QUESTION.- Compte tenu de la décision de la Haute-Cour, envisagez-vous une session extraordinaire pour une nouvelle saisine ?
- LE PRESIDENT.- La proximité des élections législatives me dissuade de convoquer une session extraordinaire. Une nouvelle saisine serait examinée par la nouvelle Assemblée.\
QUESTION.- Vous avez lancé le thème de la défense des acquis sociaux. L'opposition a répondu : "quels acquis sociaux ? Trois millions de chômeurs ? Les comptes sociaux en déficit ?"
- LE PRESIDENT.- Le chômage résulte d'une situation conjoncturelle, terrible à supporter, mais transitoire, alors que les acquis sociaux font corps avec la cohésion nationale. Par exemple, ce n'est pas parce que la Sécurité sociale est en déficit que le principe de participation sur lequel elle se fonde doit être abandonné. Des solutions pour le retour à l'équilibre existent à l'intérieur du système actuel. C'est ce à quoi s'attaque le gouvernement. De même pour la retraite à 60 ans, très critiquée à droite, j'espère qu'on n'osera pas y toucher. Quant à ce qu'on appelle la nouvelle pauvreté, vous savez comme moi que, à la demande de M. Barre, le Conseil Economique et Social a rédigé un rapport sur ce sujet... plusieurs années avant l'arrivée de la gauche au pouvoir ! Depuis lors, l'institution du RMI qui ne corrige pas la cause du mal, mais qui en atténue les pires effets a représenté un effort important à l'égard des exclus. L'initiative européenne de croissance, la politique de la ville, la mobilité et le partage du travail, la formation professionnelle, et j'en passe, feront le reste.
- QUESTION.- La polémique a, notamment, porté sur le problème des retraites. Que pensez-vous de l'idée lancée par le Premier ministre de gager les retraites sur les recettes des privatisations ?
- LE PRESIDENT.- Le point important, c'est la création d'un fonds de garantie. Comment financer ce fonds ? Le projet de Pierre Bérégovoy et de René Teulade me semble judicieux et je l'encourage.
- QUESTION.- Croyez-vous vraiment que la droite veuille remettre en cause les acquis sociaux ? Ne lui faites-vous pas un procès d'intention, en lisant "entre les lignes", comme Pierre Bérégovoy ?
- LE PRESIDENT.- Si vous compulsez la liste des réformes votées depuis 1981, fort nombreuses et dont certaines sont essentielles, comme l'âge de la retraite, les lois Auroux ou la décentralisation, vous remarquerez que la droite - à l'exception de quelques personnalités courageuses et lucides - a toujours voté contre. Où est mon procès d'intention ?
- QUESTION.- Mais ils ne remettent pas en cause les acquis sociaux pour autant.
- LE PRESIDENT.- Ils montrent patte blanche en effet.\
QUESTION.- Parmi les projets de l'opposition il y a le passage à l'armée de métier.
- LE PRESIDENT.- Je reste attaché à l'armée de conscription qui est à l'image de la nation, considération non négligeable alors que s'annonce une défense européenne. L'idée d'une armée de métier trouve ses raisons dans la gestion d'armements de plus en plus sophistiqués et qui exigent une grande compétence professionnelle. Une bonne synthèse entre les deux est possible.\
QUESTION.- Le 15 février, le comité consultatif constitutionnel va vous remettre ses propositions pour la révision de la Constitution. Souhaitez-vous que ce thème soit débattu pendant la campagne ?
- LE PRESIDENT.- La réforme de la Constitution ne représente pas un thème de campagne capable de bouleverser l'opinion. Ce n'est donc pas une arme électorale. Mais sur le fond, cette réforme est nécessaire. Il convient de rééquilibrer les pouvoirs en restituant au Parlement des compétences qu'il n'aurait jamais dû perdre, de renforcer l'état de droit et la capacité de recours des citoyens contre l'arbitraire, d'élargir le champ au référendum, etc.
- QUESTION.- Souhaitez-vous que la prochaine Assemblée se saisisse de ce projet ?
- LE PRESIDENT.- Oui. Je n'imagine pas le Parlement s'en désintéressant.
- QUESTION.- Mais, vous serez dépendant de la nouvelle majorité ?
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas l'affaire d'une majorité, mais de la République.
- QUESTION.- Vous avez le pouvoir du référendum ?
- LE PRESIDENT.- Oui, dans les limites voulues par la Constitution.
- QUESTION.- Irez-vous jusqu'à changer celle-ci ?
- LE PRESIDENT.- Si vous pensez à un changement catégorique impliquant la naissance d'une VIème République, non. La clef du système actuel repose sur l'élection du Président au suffrage universel. Je ne crois pas possible et utile de revenir là-dessus.
- QUESTION.- Mais peut-on réduire la durée du mandat présidentiel ?
- LE PRESIDENT.- J'ai déjà dit à ce sujet que je tiendrai le plus grand compte du voeu des grandes formations représentées au Parlement, s'il leur est commun. Le Conseil consultatif que préside le Doyen Georges Vedel fera des propositions qui nous seront précieuses pour la suite de la discussion.
- QUESTION.- Ce Conseil sera-t-il en mesure de tenir le délai que vous avez fixé ?
- LE PRESIDENT.- Oui. M. Vedel m'en a informé.
- QUESTION.- Que ferez-vous alors ?
- LE PRESIDENT.- Je saisirai le Premier ministre pour qu'il élabore aussitôt après un projet de loi qui permettra au Parlement de se mettre au travail.
- QUESTION.- Il ne pourra l'examiner qu'après les élections ?
- LE PRESIDENT.- Cela va de soi.
- QUESTION.- S'il ne le fait pas ?
- LE PRESIDENT.- Je pense qu'il le fera.
- QUESTION.- S'il transforme ou déforme votre projet ?
- LE PRESIDENT.- Attendez que cela se produise.
- QUESTION.- Il y a la lettre et il y a l'usage. La cohabitation ne donnera-t-elle pas à la Constitution un nouveau contenu ?
- LE PRESIDENT.- Certes, il y a l'usage. J'ai moi-même appliqué la Constitution d'une manière différente de celle de mes prédécesseurs. Mais il y a aussi le respect dû à la loi suprême. Et la logique de l'Histoire. Une nouvelle majorité devra savoir que son comportement commandera la suite pour de longues années. Si le Président, comme l'avait pensé M. Giscard d'Estaing en 1978, devait se retirer dans l'exil de Rambouillet, il n'en reviendrait pas. La petite foule des prétendants à ma succession devrait y songer. Avouez que ce serait un paradoxe assez original que la majorité à laquelle vous pensez, qui se réclame pour partie du Général de Gaulle, en revienne, dans sa volonté de me contraindre, aux pratiques de la IVème République. Le régime des partis accourra au galop. Il a déjà pris son élan. Autant j'aime la République parlementaire, autant je redoute le retour des féodalités. Je n'y prêterai pas la main.\