3 janvier 1993 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse conjointe de MM. François Mitterrand, Président de la République et George Bush, Président des Etats-Unis d'Amérique, sur le conflit dans les Balkans et dans l'ancienne Yougoslavie et l'éventualité d'une intervention armée, Paris le 3 janvier 1993.

Mesdames, Messieurs,
- De retour de Moscou, le Président Bush, accompagné de M. Baker et du Général Scowcroff, s'est arrêté à Paris. Nous venons de débattre pendant deux heures et après vous avoir quitté, nous partagerons le repas du soir. Puis le Président et son escorte rentreront aux Etats-Unis d'Amérique.
- Nous étions satisfaits d'avoir cette occasion de nous revoir. Le Président Bush et moi-même nous avons des relations anciennes qui remontent aux premiers jours de mon entrée à l'Elysée alors qu'il était Vice-président des Etats-Unis d'Amérique.
- Nous avons constamment entretenu des relations confiantes et aucun débat, aussi difficile fut-il - il y en a eu naturellement - n'a altéré cette relation. Je dois dire que j'éprouve un grand plaisir à recevoir en cette circonstance le Président George Bush.
- De quoi avons-nous parlé ? Des quelques problèmes immédiats. D'une part, de ce qui venait d'être dit et fait à Moscou autour du désarmement nucléaire stratégique. Ensuite, quelques-uns des problèmes brûlants qui se déroulent dans le monde, et en particulier en Europe, surtout autour des problèmes qui touchent aux Balkans, à l'ancienne Yougoslavie, mais pas seulement cela.
- Nous revenons devant vous pour un échange de vue rapide, il ne s'agit pas d'une conférence de presse mais si vous avez quelques questions à poser, bien entendu, le Président Bush et moi-même, nous efforcerons d'y répondre.
- Je répète au Président Bush qui est accompagné de Barbara Bush et aux autres personnalités qui sont ici qu'ils continueront d'être en toutes circonstances les bienvenus et qu'ils seront reçus comme des amis.
- LE PRESIDENT BUSH.- J'aimerais simplement vous remercier, monsieur le Président de votre accueil et de nous avoir reçus. Nos rapports sont très étroits depuis que je suis Président et comme vous l'avez dit avec tant de générosité ceci remonte à l'époque de votre premier mandat, époque à laquelle j'étais moi-même Vice-président. J'estimais qu'il était extrêment important sur le plan personnel, mais également du point de vue officiel que cette dernière rencontre ait lieu et je ne puis qu'ajouter que j'ai entièrement confiance dans le fait que mon successeur, le Président élu Clinton, attachera la même priorité aux rapports franco-américains tout comme je l'ai fait moi-même. Je pense que ce sont là des rapports qui revêtent la plus haute importance pour notre pays. J'attache beaucoup de prix à la relation personnelle que j'ai eue avec le Président Mitterrand depuis plusieurs années. Je n'oublierai jamais son amabilité et sa courtoisie.\
QUESTION.- Monsieur le Président, avez-vous évoqué la résolution sur le contrôle de l'espace aérien en Bosnie et pensez-vous que ceci pourra se faire avant que vous ne quittiez vos fonctions ? La position française sur ce point vous convient-elle ?
- LE PRESIDENT BUSH.- Je pense que les positions française et américaine sont très proches s'agissant de la résolution relative à l'interdiction de survol et à l'application de cette résolution. Je pense que cette résolution pourra être adoptée sous peu, bien que sur le plan diplomatique, il y ait encore un certain travail à faire.
- LE PRESIDENT.- J'en tire la même conclusion, si je me fie à ce qui est la position exprimée par le Président des Etats-Unis d'Amérique plus qu'aux commentaires faits le plus souvent à ce sujet.
- QUESTION.- Monsieur le Président, Monsieur le Président Bush, vous êtes-vous mis d'accord sur les modalités d'une éventuelle intervention, d'une éventuelle interdiction de survol de la Bosnie ?
- LE PRESIDENT.- Oui, absolument. Le principe de cette interdiction est déjà reconnu depuis plusieurs semaines. Ces modalités ont fait l'objet d'examens approfondis. Mais, le fait que nous soyons d'accord pour que l'on ne puisse pas à partir de l'espace aérien atteindre les Bosniaques, nous parait à l'un et à l'autre évident. Donc, s'il s'agit de cela, je peux vous répondre affirmativement sans la moindre difficulté.
- LE PRESIDENT BUSH.- Je suis d'accord avec ce que le Président vient de dire. Nous sommes très sensibles au fait que d'autres pays ont des forces sur le terrain dans l'ancienne Yougoslavie et nous ne ferons rien de façon unilatérale ou de façon précipitée qui pourrait avoir pour effet de mettre en danger ces troupes. Donc, j'ajoute ceci, et en ajoutant également que je suis d'accord avec ce que le Président de la République française vient de dire.
- LE PRESIDENT.- Pour l'instant, il y a une négociation qui a eu lieu à Genève, il serait imprudent de devancer l'issue de cette conférence. Voilà pourquoi nous sommes très prudents, car nous préférons, cela va de soi, et de beaucoup, une solution diplomatique de conciliation qui ne nous appartient pas, qui relève de l'autorité des négociateurs, c'est-à-dire des membres de la conférence.\
QUESTION.- Les débats sur l'éventualité d'une intervention armée en Bosnie, en fait portaient sur les avantages et inconvénients d'une intervention face à la situation de la population en Bosnie, la population locale et également la situation des troupes étrangères qui s'y trouvent sous le drapeau de l'ONU. Pourriez-vous nous dire quelles sont vos vues sur les retombées ou les conséquences d'une intervention internationale en Bosnie quant à la situation dans des régions voisines, comme par exemple en Macédoine et au Kosovo ?
- LE PRESIDENT.- Sur les précautions à prendre, notamment à l'égard des forces des Nations unies, on a déjà répondu. Et j'ai déjà précisé que la parole pour l'instant à l'heure où je parle, était aux diplomates. Les conversations à ma connaissance, se prolongent. Elles pourraient se prolonger encore au moins 48 heures. Donc, nous n'avons pas à prononcer de paroles qui dépasseraient notre propre mandat, puisqu'on a fait confiance aux diplomates qui débattent à l'heure actuelle avec les trois parties en cause en Bosnie. Alors, attendons de savir ce qui va se passer là pour conclure.
- Pour la Macédoine, c'est tout autre chose. Que des précautions soient prises dans ce pays, pour le protéger de toute contagion, c'est ce que les Nations unies ont commencé de faire. Nous agissons dans le cadre des Nations unies. Je n'ai pas voulu rappeler ce principe qui est à la base absolument de tous les engagements de la France en Yougoslavie. Mais les Nations unies ont commencé d'assurer leur présence au Kosovo d'une part, et en Macédoine d'autre part, il faut qu'elles continuent, il faut qu'elles renforcent leurs dispositifs pour que ce soit franchement efficace. Sans quoi ce ne serait pas la peine.
- LE PRESIDENT BUSH.- J'ajouterai simplement qu'il n'y a pas de divergences entre nous. Je suis donc d'accord avec ce que le Président vient de dire. Nous tous reconnaissons le rôle important des Nations unies dans ce cas. Il me semble qu'il est très important que l'initiative diplomatique qui a été lancée puisse réussir. Le fait que cette initiative se poursuive encore et va se poursuivre jusqu'à mardi est, je crois, encourageant. Il faut voir qu'elle en sera l'issue. Mais une solution diplomatique est absolument essentielle et plus tôt cela viendra, mieux ce sera pour mettre un terme à la souffrance, à la tuerie et pour s'assurer que tous ceux qui ont besoin d'une aide humanitaire puissent la recevoir. Donc, nous avons bon espoir que quelque chose de positif va en sortir.
- QUESTION.- Mais l'initiative diplomatique dont vous faites état, ne serait-elle pas plus efficace, si elle était associée ou assortie d'une menace, venant de l'OTAN, des Etats-Unis, sur l'éventualité d'un recours à la force. Certains disent que l'initiative diplomatique lancée jusqu'à présent n'est qu'une façade derrière laquelle les Serbes ont pu continuer d'avancer.
- LE PRESIDENT.- C'est au Nations unies de décider de leur façon de faire. Il est certain que la démarche purement diplomatique jusqu'ici n'a pas abouti. Mais on arrive précisément, à l'heure où nous parlons, à un point essentiel de cette tentative. Elle n'est pas achevée, ne préjugeons pas son résultat. Le peu que nous vous avons dit sur l'interdiction de survol marque bien que le cas échéant d'autres mesures d'une autre sorte seraient prises. Mais, tout ceci ne doit pas nous conduire à précipiter les choses, même si nous savons bien que le drame est là et qu'il dure depuis trop longtemps. Le tout est de savoir comment sortir de ce drame au mieux pour toutes les parties en cause. Et cela nécessite un travail difficile, constant et assidu, ce que nous faisons.\
QUESTION.- Avez-vous évoqué les divergences entre la France et les Etats-Unis, divergences très importantes sur les questions des échanges commerciaux et sur le GATT ?
- LE PRESIDENT.- Nous en avons parlé. On ne peut pas dire qu'on ait beaucoup avancé.
- LE PRESIDENT BUSH.- La réponse est que oui, nous avons évoqué cette question. J'ai répété la position américaine. Nous voudrions que les négociations du GATT puissent aboutir. Je crois que le Président français est d'accord, il n'y a pas de divergences sur cette position-là, nous n'avons pas réussi à éliminer les divergences, outre cela.
- LE PRESIDENT.- Il ne doit pas y avoir d'équivoque, la France autant que les autres souhaite un accord international et c'est vrai qu'un accord sur le GATT représenterait un facteur de détente important, donc de reprise des affaires mais un accord sur le GATT c'est un accord sur beaucoup de domaines commerciaux. Vous le savez bien d'ailleurs, c'est la définition même de cette négociation : industrie, services, propriété intellectuelle, marques...
- LE PRESIDENT BUSH.- Agriculture !
- LE PRESIDENT.-... Agriculture !.\
QUESTION.- Quel était le contenu de votre discussion étant donné que je suis Grecque et que la Grèce est tout près d'une région en conflit £ est-ce que vous pouvez expliquer le contenu de votre discussion autour des Balkans, autour des risques de pays comme la Grèce d'être entraînés ?
- LE PRESIDENT.- Nous connaissons la question par coeur. J'ai eu le plaisir de vous entendre souvent dans nos conférences de presse, je n'ignore pas votre qualité de citoyenne grecque, car ç'en est une, et que je considère comme telle. Maintenant le problème de la Macédoine ne tient pas essentiellement au problème de la reconnaissance de ce pays, je veux dire de sa souveraineté qui serait conforme aux accords déjà passés notamment au sein de la CSCE, et reconnue à d'autres anciennes républiques de l'ex-Yougoslavie. Elle tient au conflit d'une dénomination - qui naturellement va plus loin que le seul nom - qui oppose la Macédoine et la Grèce. On doit tenir compte des objections des deux parties et nous souhaitons une procédure qui permette un arbitrage. Voilà en tout cas la position de la France.\
QUESTION.- Monsieur le Président, avez-vous parlé du Proche-Orient ?
-LE PRESIDENT.- Non, vous savez en deux heures on ne peut pas traiter toutes les affaires du monde surtout en sachant que vous nous attendez.
- QUESTION.- Quel est votre opinion sur le processus de paix ?
- LE PRESIDENT.- On n'a pas parlé. J'aurai l'occasion de vous revoir. Je rends compte de nos conservations, on ne va pas rebrasser toute la politique internationale à cette heure-ci.
- QUESTION.- Ni le problème des déportés au Liban ?
- LE PRESIDENT.- Il nous intéresse beaucoup, mais je ne vais pas exprimer d'opinion personnelle sur tous les sujets.
- QUESTION.- Est-ce que M. Bush a une opinion sur ce sujet ?
- LE PRESIDENT.- Il en a sûrement une comme moi, mais nous n'en avons pas parlé, donc nous n'avons pas à en rendre compte.\
QUESTION.- Monsieur le Président Bush, lors de votre périple vous avez dit beaucoup de choses extrêmement élogieuses à l'endroit du Président élu M. Clinton. Etes-vous préoccupé quant au fait que d'autres dirigeants à l'échelle mondiale pourraient redouter les conséquences de l'administration américaine ?
- LE PRESIDENT BUSH.- Non, je ne redoute rien en particulier mais je comprendrais parfaitement s'ils se demandaient quelles sont les nouvelles orientations qui vont voir le jour et quelles seront les politiques qui seront poursuivies, maintenues. Mais pour ma part je souhaite que le Gouverneur Clinton puisse réussir en sa qualité de Président Clinton et lorsque je dis à mon ami, le Président Mitterrand, que je suis persuadé qu'il trouvera en la personne de M. Clinton un homme avec qui il pourra travailler sur ces dossiers importants, je le dis sincèrement, cela vient du coeur. Je pense qu'il est important pour un Président sortant, du moins dans les rapports qui sont les nôtres et qui sont aussi étroits, qui seront les nôtres, de partager nos points de vue et je ne le dis pas en redoutant quoi que ce soit. Je n'ai aucune appréhension à ce sujet. Je constate qu'il y a une certaine curiosité face à l'évolution future de la politique étrangère américaine et sur la façon dont elle sera menée et naturellement on s'intéresse à l'opinion que je pourrais en avoir moi-même. Il est fatal qu'il y ait des divergences, que l'on mette l'accent sur certains dossiers plus que d'autres mais par exemple s'agissant des rapports entre les Etats-Unis et la France ces relations sont très fortes, sont excellentes depuis longtemps et je pense qu'il sied tout à fait pour moi de donner mon avis : je pense que ceci se poursuivra. Il est naturel pour ces dirigeants de se demander s'il y aura une évolution considérable, profonde des orientations surtout face aux grands problèmes qui se posent et je puis assurer le Président Mitterrand que je pense pour ma part que le Gouverneur Clinton sera un homme avec qui il pourra bien travailler. Lorsque je suis parti pour la Somalie il était tout à fait d'accord avec ma démarche. Lorsque je lui ai annoncé l'imminence de l'accord Start avec la Russie il était très heureux de l'apprendre et il y souscrit entièrement. Je lui rendrai compte de ma visite, de ma rencontre avec le Président Mitterrand et je pense qu'il verra là une rencontre très utile et qu'il souhaitera suivre. J'aimerais que l'on revienne à ce concept des différends qui cessent avec un mandat et suis captivé moi-même par ces problèmes et le 20 janvier ces problèmes seront hérités par le Gouverneur Clinton, ce ne seront plus mes problèmes, ce n'est pas dire que je ne porterai plus aucun intérêt à la politique étrangère et à l'arène internationale mais je ne vais pas non plus faire des reproches ou essayer de critiquer ce que fera le Président Clinton. Je ne serai pas un critique, je ne m'érigerai pas en critique. Je lui formule de façon constructive mes meilleurs voeux de réussite dans ses propres rapports de travail avec les dirigeants que j'ai appris à connaître et que je respecte.\