25 novembre 1992 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur l'évolution des relations franco-israéliennes depuis 1981 et la progression du processus de paix au Proche-Orient, Jérusalem le 25 novembre 1992.

Monsieur le Président,
- Madame,
- Mesdames et messieurs,
- Pour la seconde fois, vous m'avez fait l'honneur de m'inviter en Israël, en tant que chef de l'Etat. Cette invitation, au delà de ma personne, honore la France. Je vous en remercie particulièrement, monsieur le Président.
- Nos échanges n'ont pas commencé aujourd'hui. Depuis longtemps déjà nous avons pu commencer une conversation pratiquement ininterrompue mais je suis heureux ce soir que nous puissions la poursuivre ici sur votre terre.
- Etre parmi vous, là où s'enracine une part si précieuse de notre culture, dans cette ville chère au coeur de tant d'hommes, suscite en moi - permettez-moi de vous le dire sans cérémonie - émotion, souvenir et un extrême intérêt pour ce qui se passe là et qui compte pour le reste du monde.
- Plusieurs voyages en Israël - je crois que c'est le septième - à titre privé d'abord, ou comme Premier secrétaire du Parti socialiste, puis en 1982 en visite d'Etat, m'ont permis de dialoguer avec vous sur près de vingt années. C'est ce que je suis venu poursuivre avec vous maintenant.
- Ce dialogue est personnel, bien sûr, mais il s'alimente à votre culture dont je disais il y a un moment qu'elle était aussi pour une part la nôtre, à votre histoire, aux Ecrits qui la rapportent, aux interrogations fondamentales qu'elles posent à tout homme, fusse-t-il loin de cette terre. A cette histoire qui fût aussi terrible pour ce qu'elle a exigé de votre peuple au long des siècles.
- Je crois que nous avons beaucoup à nous dire, d'ailleurs nous avons commencé, et nous n'arrêterons pas d'échanger nos vues jusqu'à l'heure du départ.
- Nous avons beaucoup à faire ensemble au delà des paroles, au delà des voyages. Il faut développer nos relations, travailler à résoudre les grands problèmes qui se posent à nous et particulièrement ceux de cette région mais aussi d'ailleurs.\
Les temps changent vite. Faut-il renouveler cette déclaration qui ressemble à une évidence. Ma visite prend place cette fois-ci à un moment où se lève l'espérance, l'espérance d'une paix véritable au Proche-Orient. Espérance fragile, mais espérance quand même.
- Ce n'était pas le cas en 1981 lorsque j'ai été élu Président de la République française et qu'il m'a fallu au nom de la France définir et décider ce que seraient dorénavant notre politique au Moyen-Orient et notre politique vis-à-vis d'Israël.
- Non seulement, nos relations n'étaient pas ce qu'elles devaient être, mais une distance existait, née de malentendus qu'il fallait dissiper, de pratiques de boycott commercial, insupportables et pourtant tolérées auxquelles j'ai imposé que l'on mette fin. Et si vous apercevez, comme vous venez de le dire à l'instant, monsieur le Président, ici et là des résurgences, cela tient seulement aux lâchetés et aux initiatives individuelles qui seront, chaque fois que cela sera sû, durement condamnées par l'Etat. Mais il faut aussi parler d'un tabou qui semblait interdire que nos relations fussent exprimées au plus haut niveau de l'Etat, tabou que j'ai voulu briser. Ce que j'ai fait sans tarder. Ainsi a-t-il été mis fin à une situation anormale dans les relations de nos deux nations alors que tant de souvenirs, d'histoire et de combats, d'espérance nous unissaient.
- Ma présence en Israël, à ce moment-là, témoignait de l'engagement de la France envers l'existence d'Israël, de son droit de vivre en paix, en sécurité selon la formule consacrée mais qu'il faut sans cesse répéter, "dans des frontières sûres, reconnues et garanties", formule qui dans mon esprit reste plus que jamais actuelle. S'il ne m'arrive pas de le dire chaque matin, vous devez être assuré que j'y pense et que je reste fidèle à cet engagement.
- Cette première visite avait été aussi l'occasion de vous dire, puisque c'était mon devoir de parler, que votre pays ne connaîtrait la vraie paix, à laquelle il aspirait que s'il prenait en compte les problèmes des autres, et particulièrement ceux des Palestiniens. Je l'ai fait sans détour, dans le cadre prestigieux de la Knesset. Certains s'en souviennent, vous y étiez vous-même, monsieur le Président. Mais je me demande après tout qui m'a écouté, puisqu'on m'a reproché de part et d'autre et ce que j'avais dit et ce que je n'avais pas dit ! (Ce qui d'ailleurs est le sort réservé aux discours des responsables politiques).
- Je me console en pensant que le livre des psaumes dit qu'on ne doit pas "parler d'une lèvre flatteuse et d'un coeur double".\
Mais en vous quittant à l'époque, je savais et je sentais que nous allions, au-delà des mots, resserrer les liens d'une amitié solide. Depuis cette époque, - il y a plus de dix ans déjà ! que d'événements, que de bouleversements ! Près de chez vous, au Liban avec ses mille et un déchirements, la guerre toute proche à laquelle nous avons pris part. Tant de questions sans réponse et tant de menaces aussi, près de chez nous en Europe £ pas si loin d'ici, un empire qui s'est écroulé, des nations nouvelles qui sont apparues, d'autres qui ont connu une véritable renaissance. On ne sait encore ce qui l'emportera, du besoin d'unité ou du besoin ou de l'aspiration à la division. L'Europe est aujourd'hui pleine d'interrogations. Et si de notre côté, dans le cadre de l'Europe occidentale où se trouve la France, nous travaillons avec acharnement à unir et même à unifier le devenir des puissances occidentales, il n'en reste pas moins que nous voyons autour de nous, au centre et à l'est de ce continent, se diviser les peuples et même se préparer les combats futurs.
- De notre côté à nous, le cours de nos relations a poursuivi son cheminement avec des temps forts (je pense notamment à votre visite en France, monsieur le Président, en 1988 ou plus récemment encore) et des moments plus difficiles. Rien ne nous oblige à être en harmonie, a priori, sans en avoir débattu, libres que nous sommes de nos choix. En revanche, beaucoup de choses nous obligent pour qu'après discussion nous recherchions nos convergences. Car on a, en contrepoint, une attente mutuelle et une certitude que l'amitié de nos peuples et de nos Etats (amitié qui peut englober bien des contradictions) demeure la base de nos relations.
- Aujourd'hui, je reviens parmi vous, Président renouvelé d'une France qui, après un intense débat démocratique qui a engagé notre peuple tout entier, débat que j'avais jugé nécessaire sur l'Europe et son devenir, vient de confirmer son engagement dans la construction de l'Union européenne. C'est, j'en suis convaincu la seule voie possible pour reconstruire patiemment et progressivement, à partir d'un noyau cohérent et stable une Europe que menacent aujourd'hui les nationalismes et - le mot est exact -, la balkanisation.
- Bien entendu, la France ne se désintéresse pas pour autant de ses partenaires traditionnels en dehors du continent européen, ni de ses amis, ni de ses responsabilités de membre permanent du Conseil de sécurité.
- Vous avez marqué votre disponibilité à intensifier les relations bilatérales avec la France. Eh bien, nous sommes dans les mêmes dispositions d'esprit. Déjà des discussions fructueuses se sont engagées en matière de coopération scientifique et technique et un programme ambitieux sera demain approuvé par les ministres des affaires étrangères. Les dossiers avancent dans le domaine de la santé. Nous coopérerons en matière d'informatique scolaire et peut-être de transports. Tout cela va dans le même sens et vous me trouverez toujours disposé à donner, là où il le faudra, les impulsions qui manqueraient.\
Mais la question qui revient toujours, bien entendu, dans les esprits, la question essentielle, c'est celle de la paix. Pour être durable, toute paix doit se fonder sur la justice et sur le droit, et ce droit, aussi imparfait soit-il, est à l'heure actuelle, fixé par les principes que consacrent les Nations unies. Toute autre démarche conduirait à l'impasse. Cela signifie que, le moment venu, tous les Etats, les peuples de la région devront se voir garantir, également, le droit à l'existence et à la sécurité.
- On se souvient peut-être d'un temps où j'encourageais les approches bilatérales et directes au nom de la France. A vrai dire, il n'y en avait pas d'autres. C'est ainsi, je crois, que j'ai été le seul responsable politique de mon pays à approuver l'accord de Camp David qui a eu au moins ce résultat important d'établir la paix entre l'Egypte et Israël. Ensuite, cette démarche a montré ses limites, s'est enlisée. C'est pourquoi en 1984, la France, par ma voix, a préconisé une Conférence internationale associant toutes les parties prenantes de la région ainsi que les puissances susceptibles d'aider à la mise en place d'un règlement de paix durable. Cette idée n'a pas recueilli l'assentiment de tous les intéressés. Après tout, peu importe si l'on se dirige de ce côté-là.
-
- Quand, au sortir de la guerre du Golfe, les Etats-Unis d'Amérique et plus précisément MM. Bush et Baker ont réussi à enclencher un processus de solution, j'en ai approuvé le principe. Après tout peu importent les formules, plusieurs processus nous sont proposés, je pense que le meilleur est celui qui existe. Ne perdons pas notre temps dans les regrets ou dans le rêve dépassé.
- Sans attendre ces progrès, je crois et les conversations avec M. le Premier ministre m'en ont davantage encore assuré, qu'il est dans votre pouvoir d'inspirer confiance à vos partenaires et particulièrement aux Palestiniens. Je songe là au sens multiple de la prière du psalmiste : "fais-moi sortir de mes angoisses". Qui mieux que vous peut comprendre l'aspiration d'un peuple à disposer d'une terre, d'être mis à mesure de bâtir les structures où il vivra. Bref d'exister. Cela ne sera possible que si l'on engage les véritables responsables, c'est-à-dire ceux qui procèdent de la volonté populaire. D'ici là, je pense qu'Israël conformément aux intentions qui ont été exprimées adoptera ce que l'on appelle les "mesures de confiance" susceptibles de rendre tangible la réalité du processus de paix et donc d'encourager les différents partenaires à s'y engager pleinement.\
Voilà, monsieur le Président, mesdames et messieurs, quelques réflexions sur des sujets qui forment le décor et le fond de votre vie quotidienne. Comment ne pas penser souvent à ce peuple, le vôtre, vaillant, travailleur, courageux qui a vaincu tant d'obstacles, engagé un choix entre la vie et la mort et fait gagner le camp de la vie ! Comment ne pas penser à vos souffrances et peut-être plus encore aux souffrances des hommes et des femmes de vos familles, de vos amis, de votre peuple considéré au cours de ces dernières décennies comme la victime désignée des pires barbaries.
- J'espère que révélés les uns aux autres par l'ouverture des frontières, par le raccordement des communications, les peuples redécouvriront leur parenté profonde. Ils constateront que les moments les plus glorieux de leur passé ont été ceux pendant lesquels la coexistence des différentes communautés l'a emporté sur la tentation du repli. Instruits par les désastres vécus, comme le furent naguère et si cruellement les pays européens, ils cherchent à construire pour leur mutuel bénéfice un Proche-Orient nouveau dans lequel la paix s'enracinerait, non seulement par les nécessaires mécanismes de la sécurité mais aussi dans l'interdépendance économique, les réalisations communes et la confiance retrouvée. Tous ces défis, ceux de l'eau trop rare, de la terre ingrate et du désert, de l'environnement menacé, des ressources mal réparties, je crois que nous pouvons ensemble trouver un horizon élargi à la mesure de vos immenses capacités trop longtemps confisquées par la guerre.
- S'il n'est pas encore réalité, ce Proche et Moyen-Orient là ne sont plus une simple utopie. Peut-être forment-ils déjà un projet. Il m'arrive souvent d'y songer car on ne peut rester étranger aux préoccupations d'Israël. C'est comme cela, c'est une des vertus de votre peuple que de mener jusqu'à l'obsession la réflexion des hommes et des femmes désireux de surmonter les tares, de dominer les divisions, de conduire un peu plus loin l'humanité sur le chemin de la civilisation partagée.
- J'ai toujours éprouvé, et particulièrement dans cette ville le poids des siècles, la richesse d'un enseignement pratiquement incomparable. Au-delà de la mémoire, les réflexes bâtis, fabriqués par tant et tant de souffrance, tant et tant d'espérance, ont fait l'histoire du peuple d'Israël et Dieu sait si je me reporte souvent, dans les livres que je lis, aux grands moments que vous avez vécus. Cela marque bien le prix que j'attache à établir avec votre Etat, votre pays et votre peuple des relations toujours maintenues et toujours vivantes. On se parle clairement, on parle parfois de querelles mais il n'y a pas de malentendu. Ce sont des vraies querelles, ce ne sont pas des querelles dissimulées. Il m'arrive de vous dire - si je lis les journaux - des choses qui ne plaisent guère £ je les répèterai aussi facilement mais à condition que nul ne s'y trompe. Israël et la France sont deux pays profondément amis, le destin qui leur est proposé est celui de l'affirmation des vertus de leurs peuples. Ils ont besoin de la paix et de la sécurité les uns et les autres. Ils doivent être les artisans des nouveaux ensembles qui occuperont la planète au cours des siècles prochains, ne manquons pas cette occasion.\
Monsieur le Président, vous nous avez réservé, à ma femme et à moi, l'accueil que nous savions devoir nous être réservé, non pas par des obligations de votre charge ou de la nôtre mais par le mouvement naturel du coeur. J'ai pu commencer les conversations qui se continueront demain avec M. le Premier ministre, recontré il y a quelques vingt années sur d'autres tribunes et dans d'autres lieux et j'ai le sentiment que ce dialogue peut être utile à tout le monde.
- En tout cas, soyez remercié pour votre extrême ouverture d'esprit, pour votre générosité de coeur, monsieur le Président.
- Je sais à qui je m'adresse, cela fait comme deux compagnons qui se retrouvent si l'on songe que, en 1981 pour moi, en 1983 pour vous - jusqu'à quand ? nous n'en savons trop rien, mais enfin les délais de nos mandats sont là - nous nous serons accompagnés pratiquement tout le long de nos fonctions à la tête de l'Etat. Cela incite à bien se comprendre, d'autant plus que, connaissant les origines de votre famille, je sais à quel point elle a été mêlée aux destinées de la France. Et vous, madame, qui connaissez la France et qui pénétrez si bien les finesses de son langage, sachez que nous avons trouvé près de vous l'accueil que nous espérions, celui d'une chaude hospitalité.
- Deux jours, presque trois, c'est bien peu de chose dans une vie £ c'est cependant le privilège qui nous aura été accordé, non seulement à moi mais aussi à toutes les personnalités françaises qui m'accompagnent. Nous nous trouvons très bien chez vous, monsieur le Président, à la limite nous y resterions davantage, mais ainsi va la vie, nous poursuivrons notre chemin mais sans vous oublier.
- A mon tour, je lève mon verre pour vous dire le voeu que je forme pour vos personnes, monsieur le Président et vous, madame, pour ceux que vous aimez, pour votre peuple, pour Israël des voeux de bonheur et de prospérité, des voeux de paix et de sécurité.\