26 août 1992 - Seul le prononcé fait foi

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Point de presse conjoint de MM. François Mitterrand, Président de la République et Helmut Kohl, chancelier d'Allemagne, sur la ratification du traité de Maastricht, sur le vote des Français et ses conséquences pour l'Europe et sur les raisons de ne pas s'engager militairement en Yougoslavie, Borkum le 26 août 1992.

LE CHANCELIER KOHL.- Je vous souhaite encore une fois monsieur le Président la bienvenue dans une partie particulièrement pittoresque de l'Allemagne, ici à Borkum. Dans le cadre de nos nombreuses rencontres privées et amicales, nous avons eu la chance de connaître pas mal de parties de l'Allemagne ces dix dernières années. Mon souhait était, après notre rencontre à La Rochelle, de vous montrer des îles de la mer du Nord. Je voudrais profiter de l'occasion pour dire un grand merci à madame le Maire, à toutes les autorités locales et à la population pour l'accueil très chaleureux qu'elle nous a réservé. Il s'est avéré toujours positif qu'à côté des consultations franco-allemandes en France et en Allemagne nous ayons pu établir ces contacts privés, amicaux et approfondis. Je formule l'espoir qu'il en sera de même à l'avenir étant donné que nous sommes à un moment très important de l'histoire européenne, mondiale et de la politique allemande.
- Premièrement nous avons parlé des discussions sur la ratification du traité de Maastricht et essentiellement du référendum en France. Monsieur le Président de la République va très certainement prendre la parole à ce sujet. Je voudrais tout simplement vous dire que nous avons plus que jamais besoin de l'Europe à l'heure actuelle et notamment nous les Allemands et les Français si l'on veut que le siècle à venir soit un siècle de la prospérité et de la paix. C'est ce que nous espérons. La condition est qu'en Europe nous parcourions un chemin en commun. Le traité de Maastricht constitue pour cela une base sûre et certaine. Nous resterons naturellement, cela va sans dire, de bons Français, de bons Allemands. Nous n'avons pas l'intention d'abandonner notre identité, nous resterons toujours inscrits dans notre histoire, dans nos traditions et dans nos caractéristiques propres. Mais au cours de ce siècle désastreux qui a connu des catastrophes désastreuses qui ont coûté la vie à des millions de gens en France, en Allemagne et partout en Europe, nous avons appris que pour la génération de nos enfants il est important et judicieux de nous engager sur cette voie en commun.\
LE CHANCELIER KOHL.- `Suite` Je voudrais en venir tout de suite au deuxième sujet pour répondre à ceux qui, ces derniers jours, disent : "pourquoi est-ce que les Européens ne font pas plus pour régler le problème yougoslave ?". S'il y avait l'union européenne et le traité de Maastricht, la situation serait tout à fait différente mais étant donné qu'en Europe nous n'avons pas encore créé cette union, notre position en ce qui concerne la Yougoslavie et les événements qui se déroulent est d'autant plus difficile et critique. François Mitterrand et moi-même nous en avons parlé aujourd'hui dans tous les détails et cet exemple nous servira pour montrer au monde entier que nous avons une politique commune comme cela a été le cas très souvent par le passé. Vous savez qu'aujourd'hui s'ouvre à Londres une conférence importante, nous formulons l'espoir que cette conférence soit couronnée de succès. Je voudrais évoquer ici deux domaines.
- Premièrement d'un commun accord nous sommes d'avis que la Communauté européenne et la communauté internationale, y compris les Nations unies, devront dès maintenant commencer à prendre toutes les mesures humanitaires nécessaires au profit des réfugiés. Ils sont plus de 500000 dans le voisinage de la Bosnie Herzégovine, de la Croatie et d'autres pays. D'ici trois mois nous serons en hiver et la solidarité devra s'exercer pour apporter de l'aide à ces populations.
- Deuxièmement nous voudrions que la guerre soit terminée aussi vite que possible. Il faut trouver une solution politique et pacifique qui ne peut pas être d'entériner la terreur et de la considérer comme étant un fait accompli. C'est dans cet esprit que la France et l'Allemagne profiteront des possibilités qui s'offrent à elles pour apporter leur soutien. C'est une honte, de voir qu'en 1992, au coeur de l'Europe même, de tels conflits puissent avoir lieu, conflits ethniques, religieux qui se traduisent par la haine et par la lutte les uns contre les autres.\
LE PRESIDENT.- Le Chancelier a parfaitement résumé les éléments de notre conversation. Il est vrai que nous nous sommes attelés à la construction de l'Europe à un moment particulièrement décisif dont le vote du peuple français sera un élément majeur. Il est vrai également que, tout autour, nous voyons bien de quelle façon l'Europe unie et communautaire se trouverait confrontée à bien d'autres problèmes qui viendraient de l'extérieur. D'abord de l'intérieur, en Europe, comme l'affaire de la Yougoslavie par exemple, indépendamment de toute autre qui viendrait à surgir. De l'extérieur aussi comme en témoigne la situation dans laquelle se trouve le dollar qui entraîne des réactions en chaînes. La solidité de cette Europe communautaire est, sans aucun doute, le meilleur instrument dont nous disposions. C'est lui qui met les pays de la Communauté à l'abri de toutes menaces de guerre ou de division profonde. C'est également cette Europe communautaire dotée d'une Union économique et monétaire qui permettra de résister aux vagues récessionnistes qui peuvent se produire ici ou là. Aussi bien aux Etats-Unis qu'au Japon.
- Donc, là-dessus, nous n'avions aucune peine à nous accorder, puisque nous travaillons sur ce thème ensemble, depuis maintenant de longues années.
- Je remercie le Chancelier Kohl et les autorités allemandes de cette île qui nous ont reçus, comme vous pouvez le voir vous-mêmes, de la façon la plus cordiale et la plus ouverte. Cette relation constante et constamment renouvelée entre l'Allemagne et la France est un facteur déterminant de la stabilité de l'Europe et une réponse à apporter aux questions brûlantes que l'Histoire nous propose.\
QUESTION.- Avez-vous discuté des conséquences d'une réponse négative au référendum organisé le 20 septembre en France ? Quelles en seraient les conséquences, par exemple pour la coopération franco-allemande et la construction européenne ?
- LE PRESIDENT.- Nous n'en sommes pas là ! Le vrai test sera le vote des Français le 20 septembre, et c'est le type de questions qu'on ne pourrait poser et auxquelles on ne pourrait répondre qu'après avoir connu ce résultat. Je ne vois pas pourquoi on partirait de l'hypothèse que le vote serait négatif.
- QUESTION.- Les sondages actuels donnent un fort pourcentage en France d'intentions de votes négatifs, quelles impressions vous font ces pourcentages ? Je pose la question au chancelier et au président.
- LE CHANCELIER KOHL.- Tout d'abord, je voudrais dire que les sondages ne peuvent se substituer à la décision du peuple français. Ceci est vrai pour toutes les élections. La décision que les citoyens et les citoyennes français vont prendre, on la connaîtra le jour même, c'est-à-dire, le 20 septembre. A ce moment-là, il faudra respecter le vote exprimé par la population française. Deuxièmement, je crois qu'en France, c'est maintenant seulement que s'engage le processus nécessaire à une telle décision à savoir que les hommes soient conscients de l'enjeu. Naturellement, je respecte la décision du peuple français et je n'ai pas l'intention de m'immiscer dans les affaires intérieures de la France, mais est-ce que ce sont vraiment des problèmes internes à la France ? Ils concernent toute l'Europe.
- Dans huit ans se terminera ce siècle. Un siècle qui a jeté la misère, la mort sur l'Europe. Souvenez-vous, il y a quelques années, en 1984, j'étais à Verdun, avec François Mitterrand. A l'occasion des morts de la première et de la deuxième guerre mondiales, nous avons voulu, en nous serrant la main, faire un geste symbolique pour montrer que les Allemands et les Français, les Français et les Allemands, ont appris les leçons de l'Histoire. Nous avons voulu montrer que nous voulions nous engager en commun sur la voie de l'avenir. Moi-même, j'ai pensé, ce jour-là, à mon père qui ne vivait plus, mais qui avait participé à la première guerre mondiale à Verdun et le Président Mitterrand, en tant que jeune soldat en 1940 avait été blessé près de Douai. Ce jour-là, mes fils participaient à cette cérémonie. Avec eux, il y avait beaucoup de jeunes Français et beaucoup de jeunes Allemands.
- Ce que nous faisons maintenant, c'est pour la génération de nos enfants, et petits-enfants, c'est pour le XXIème siècle. Nous voulons que ce soit un siècle de la paix et de la liberté pour l'Europe et pour l'humanité.
- Ce que nous avons essayé de réaliser par le traité de Maastricht constitue la base contractuelle pour nous doter d'un toit européen solide, permettant d'être de bons Français, de bons Allemands, de bons Italiens et de bons Britanniques et de le rester. Sachant que nous aurons à lever des défis économiques face à l'Extrême-Orient, le Japon, les Etats-Unis, avec le Mexique et le Canada, l'union économique est nécessaire. Nous avons donc ainsi la chance de sauvegarder l'identité européenne et l'identité des Français. Et je suis convaincu que lorsque les Français se souviennent de la deuxième guerre mondiale et certains même de la première guerre mondiale, et lorsque leurs enfants voient tous les soirs à la télévision des images de terreur sur le territoire de l'ancienne Yougoslavie, avec des femmes et des enfants torturés, ils réalisent que la voie de l'avenir ne peut être que l'Europe. C'est pourquoi je reste optimiste pour ce qui est du résultat du référendum en France le 20 septembre.\
LE PRESIDENT.- Ces sondages montrent tout simplement aux partisans de l'Europe, dans ses derniers développements traduits par le traité de Maastricht, qu'il leur faut expliquer, expliquer, expliquer pour convaincre, convaincre et convaincre. C'est la première fois depuis quarante ans que les Français se trouvent mêlés au débat national sur l'Europe à laquelle, dans son acception générale, j'en suis convaincu, une grande majorité est favorable. C'est la première fois que les Français se trouvent véritablement engagés dans une dialectique, dans une discussion, dans une controverse. Il était urgent de faire de l'Europe une affaire populaire et pas seulement un domaine réservé aux politiques ou aux techniciens. Eh bien l'épreuve montre que cela est difficile si l'on ne s'explique pas suffisamment. C'est ce que nous allons continuer de faire jusqu'au 20 septembre, sans à aucun moment abandonner l'espoir et la volonté de l'emporter. Non pas pour nous même, mais pour notre pays et pour la grande oeuvre engagée il y a maintenant plusieurs décennies et qui a besoin d'être poursuivie, c'est-à-dire de réaliser l'étape supplémentaire. C'est cette étape que signifie le traite de l'Union européenne soumis à l'heure actuelle au peuple français.\
QUESTION.- Monsieur le Président Mitterrand, l'Allemagne, pour des raisons historiques et d'autres raisons, ne plaide pas en faveur d'une opération militaire en Yougoslavie. Quelle est l'attitude de la France étant donné que apparemment l'embargo des Nations unies n'a aucun impact, aucun résultat positif ?
- LE PRESIDENT.- J'ai précisé moi-même en France, peut-être n'en avez vous pas été informés, qu'il n'était pas dans l'intention de la France de s'engager dans une expédition militaire et d'engager un combat sur le terrain. Nous avons privilégié la négociation, le dialogue qui s'engagent maintenant dans des conditions naturellement difficiles. Nous avons précisé les positions diplomatiques, assuré la protection de tout ce qui peut être concours ou aide humanitaire aux populations qui souffrent. Nous devons maintenant chercher avec les intéressés les réponses pacifiques à un débat qui n'aurait autrement d'autre issue qu'un drame quotidien. L'Allemagne a des raisons constitutionnelles de ne pas engager d'opération militaire, peut-être a-t-elle également des raisons politiques. La France, elle, n'a pas d'obstacles institutionnels, mais sa connaissance de l'histoire et le rôle qu'elle joue dans le monde depuis déjà plusieurs siècles, lui permet de penser aujourd'hui que la réponse strictement militaire ne serait pas la bonne réponse. Il ne faut pas imaginer ce qui se passe en Yougoslavie comme une bataille en rase campagne avec un camp militaire d'un côté, un autre de l'autre et des terrains délimités entre eux. C'est une toute autre affaire aujourd'hui. En réponse à un certain nombre de sollicitations dont j'ai fait l'objet, j'ai exposé en France mes propositions et je vous les rappelle aujourd'hui :
- La France doit rester à la disposition des Nations unies pour effectuer avec d'autres les missions qui lui seraient demandées. Pour ce qui concerne une expédition militaire, la France n'a absolument pas l'intention de se livrer isolément à quelque action de cette nature que ce soit. Voilà je croyais m'être déjà fait entendre dans le passé mais puisque l'occasion m'est donnée de me répéter, je le fais.\