29 juillet 1992 - Seul le prononcé fait foi

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Entretien de MM. Mitterrand François, président de la république et Tognini Michel, cosmonaute, en direct depuis la station Mir, sur la coopération spatiale franco-soviétique et sur l'avenir de la navette européenne Hermès, le 29 juillet 1992.

LE PRESIDENT.- On voudrait vous dire : bon courage. (Bien entendu, cela ne vous manque pas) et surtout réussite dans ce travail collectif. Ne manquez pas de dire à vos compagnons de voyage qu'ils sont présents à notre pensée et que nous nous réjouissons de cette collaboration entre des pays différents pour une même oeuvre scientifique. Inutile de vous dire, à vous que je connais depuis quelques années, combien je pense à vous. Alors que se passe-t-il pour l'instant ?
- M. TOGNINI.- Eh bien nous venons juste d'arriver dans la station MIR. Nous avons décollé lundi matin, et nous avons pris deux jours pour monter l'orbite du Soyouz et venir faire l'arrimage sur la station MIR avec mes deux collègues, Sergueï Avdeiev qui est ici à ma gauche, et Anatoli Soloviev qui est à ma droite, qui lui en est à son troisième vol.
- LE PRESIDENT.- Je les salue, comme je viens de vous le dire et je me réjouis de vous savoir comme cela une bonne équipe.
- M. TOGNINI.- Non seulement c'est une très bonne équipe mais ce sont des gens très professionnels et nous sommes arrivés dans la station avec Vikorenko qui nous attendait ainsi que Kaleri qui sont...
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LE PRESIDENT.- Je me souviens d'avoir vu le départ de Jean-Loup Chrétien de Baikonour, d'ailleurs vous étiez là. J'ai encore dans l'oreille le bruit infernal du départ de leur fusée, et dans les yeux les flammes qui se dégageaient partout dans cette plaine de Baikonour. Alors, bien entendu, quand nous vous voyons vous lancer dans une entreprise pareille, on admire, et puis on attend de vous des commentaires sur les résultats scientifiques, biologiques en particulier, sur la fluidité des métaux et sur tant d'autres questions qui vous sont posées. Bref, quand on est cosmonaute, on devient universel, et de ce point de vue, vous avez confiance ?
- M. TOGNINI.- Il n'y a aucun problème. Vous ne serez pas déçu. Je me souviens très bien de ce que vous disiez lorsqu'on était à Baikonour. Vous aviez donné une conférence de presse, avant le départ de Jean-Loup, qui disait que nous allions faire encore plusieurs vols avec les Soviétiques, et à ce moment-là, je pensais vraiment faire le prochain vol. Donc je concrétise ce que vous aviez organisé dans l'accord avec les Soviétiques.\
M. TOGNINI.- Le moral de l'ensemble de la collectivité est très bon, le seul qui s'inquiète un peu dans cette affaire, bien que je doive faire un travail important ici, c'est moi parce que, comme vous le disiez tout à l'heure justement, je m'entraîne depuis maintenant quatre ou cinq ans avec les Russes, je deviens maintenant un cosmonaute professionnel et quand je me suis engagé dans cette voie de la cosmonautique, eh bien j'avais derrière moi l'idée du vol sur Hermès. Or, depuis quelques mois, on apprend par les média, qu'Hermès n'est pas en très bonne forme.
- Donc ce vol est un moment très important pour moi, mais je me dis : "après le vol, qu'est-ce qui va se passer pour Hermès ?" C'est cela qui m'inquiète un petit peu, est-ce que la volonté de vols habités, au niveau européen, ne serait pas un petit peu ternie ?
- LE PRESIDENT.- Pas du côté de la France en tous cas qui, comme vous le savez, relance cette affaire à chaque réunion des ministres compétents ou du Conseil des ministres. J'espère que tout cela sera dominé £ en tout cas les ministres de l'espace ont pris des dispositions positives dans ce sens et c'est vrai qu'il y a un frein financier qui vient d'autres pays que le nôtre. Nous, nous poussons à bloc, donc quand vous reviendrez, on pourra en reparler, et d'une façon constructive.
- M. TOGNINI.- Bien, monsieur le Président. Je l'espère parce qu'il faut absolument que toutes les expériences que nous faisons ici avec les Russes, (c'est maintenant le quatrième vol habité en coopération entre la France et soit l'URSS, soit la Russie, soit les Etats-Unis) il faut que cette expérience sur la prolongation de l'activité de l'homme dans l'espace se poursuive et il faut que l'Europe puisse s'affirmer dans ce domaine-là.\
LE PRESIDENT.- Vous incarnez pour l'instant l'immense conquête de l'avenir. La conquête de l'espace c'est la maîtrise de l'avenir, alors inutile de vous dire que la réussite de ces vols, - indépendamment ce qui n'est pas négligeable, de la sécurité des personnes - cela représente une avancée pour l'humanité, si considérable que rien ne doit passer avant cela. Vous étiez dans le Soyouz tout à l'heure, vous êtes maintenant dans la station MIR, j'ai l'impression que vous avez un peu plus de place, c'est peut-être un peu plus agréable à vivre et en tout cas, c'est une première opération réussie.
- M. TOGNINI.- C'est vrai que l'ensemble tel qu'il existe en ce moment chez les Russes est un ensemble très opérationnel et très complet. Vous voyez par les images que filme en ce moment Viktorenko que c'est un ensemble qui correspond à un laboratoire de travail, un laboratoire universel, où l'on pourrait faire n'importe quelle expérience.
- LE PRESIDENT.- Je vois les drapeaux derrière vous. Cela nous fait plaisir : un peu de France avec vous et avec notre emblème national, beaucoup de France, c'est à l'heure actuelle à quelque 500 kilomètres au-dessus de la Terre.
- M. Tognini.- Nous sommes à 420 kilomètres au-dessus de la Terre en ce moment...
- LE PRESIDENT.- Et vous êtes à quel endroit au-dessus de la planète ? En direction de la Manche et de la France, je le sais, mais vous n'y êtes pas encore.
- M. TOGNINI.- On va vous montrer l'image où l'on se trouve. On est entre l'Amérique du Sud et la France. Il faut dix minutes en général entre l'Amérique du Sud et la France, que j'ai déjà pu observer pendant les deux journées dans le vol Soyouz. Je pensais à tout ce qui se passait en ce moment en France notamment l'Espagne avec les Jeux Olympiques. D'ailleurs on a emporté un emblème des Jeux Olympiques, l'emblème des Jeux Olympiques à Albertville et maintenant qui continuent en Espagne. C'est un moment important et nous voudrions saluer de même que tous mes camarades russes, nous voudrions saluer tous les grands sportifs qui se présentent en ce moment et qui travaillent comme nous, qui donnent le meilleur de leur personne pour ces compétitions sportives.\
LE PRESIDENT.- Je vais vous dire encore un mot avant de vous laisser continuer votre travail. Quand je vous ai rencontré, vous étiez impatient d'agir, votre vie était faite d'une ascèse quotidienne pour vous préparer à devenir un cosmonaute dans l'espace. C'est une rude affaire.
- Vous aviez hâte que cela se produise un jour. Et bien vous y êtes. Il faut que vous sachiez - et vous le savez bien - que tous les jeunes de France mais sans doute d'Europe et bien au-delà pensent qu'être à votre place, c'est une tâche admirable. Ils en ont peut-être envie et je suis très heureux qu'un Français puisse comme cela servir de référence et d'exemple. On en a bien besoin.
- Alors dites aussi à vos camarades russes, qui assument la même tâche et je ne les sépare pas dans ma pensée et dans celle des Français, bonne chance, continuez. On va vous suivre jusque dans les premiers jours d'août. Vous serez toujours présent dans la mémoire des millions de vos compatriotes qui savent qu'un des leurs est aujourd'hui en pointe et que de toute part, on se demande ce qu'il va nous rapporter. L'espace, ce n'est pas monotone j'ai l'impression !
- M. Tognini.- Pas du tout, cela commence très très bien. Je vous remercie pour vos mots d'encouragement, Monsieur le Président, que je ne manquerai pas de transmettre à tous mes collègues russes qui sont à côté de moi, qui sont déjà en train de commencer les expériences que nous allons faire d'ici un quart d'heure et je suis persuadé que les résultats seront bons. Je sais déjà à l'avance qu'ils ne peuvent être que bons parce que lorsque l'on commence une entreprise avec les Russes, notamment dans le domaine spatial, c'est toujours un parcours sans faute.
- LE PRESIDENT.- J'espère bien vous voir au mois d'août dès votre retour et quand vous serez un peu reposé. Encore une fois bonne chance. On pense à vous.
- M. TOGNINI.- Merci beaucoup Monsieur le Président et à bientôt au mois d'août.\