14 juillet 1992 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, à TF1, Antenne 2 et FR3 le 14 juillet 1992, sur le référendum pour la ratification du Traité de Maastricht, le climat social et le conflit pour le permis à points, les affaires de financement des partis politiques et de transfusion sanguine, les élections législatives de 1993 et le conflit yougoslave.

QUESTION.- Bonjour, monsieur le Président de la République.
- LE PRESIDENT.- Bonjour.
- QUESTION.- Merci d'avoir accepté, pour la 12ème année consécutive, ce rendez-vous du 14 juillet au Palais de l'Elysée.
- Avec mes confrères François-Henri de Virieu pour Antenne 2 et Paul Amar pour FR3, nous allons évoquer avec vous quelques grands sujets d'actualité. Ils ne manquent pas en ce 14 juillet, de Sarajevo à Maastricht, ou de Maastricht à Sarajevo, en passant par les dossiers français économiques, politiques et sociaux. On parlera peut-être aussi de l'intronisation de Michel Rocard par le Parti socialiste.
- Mais commençons, si vous le voulez bien, par Maastricht. Vous avez demandé aux Français de se prononcer par referendum. Donc, ils le feront dans deux mois, le 20 septembre. Est-ce que ce serait, monsieur le Président, un drame pour la France et pour l'Europe si le "non" l'emportait ?
- LE PRESIDENT.- Ce serait un événement redoutable. J'aurais pu m'adresser au Parlement, où il a été démontré que le "oui" disposait sans doute des quatre cinquièmes des voix. C'était une assurance contre tout risque.
- Pourquoi ai-je préféré un referendum ? Ce n'est pas tellement parce que je recherchais la difficulté, mais c'est parce qu'il me semblait que, puisque le referendum appartient à notre Constitution, c'était bien l'occasion, en raison de l'importance de ce choix, de s'adresser au peuple français lui-même. Alors, ce sera plus difficile, naturellement, parce que les opinions sont plus contrastées, mais l'explication est nécessaire £ précisément, vous me permettez de commencer à le faire et je vous en remercie.
- Le "non" au referendum aurait plusieurs conséquences. D'abord, ce serait mettre fin à quarante-cinq ans de politique étrangère de la France. Cela a commencé avec Robert Schuman et Jean Monnet, a continué avec De Gaulle, Pompidou, Giscard d'Estaing, moi-même. C'est la continuité même. Et pourquoi est-ce que ces chefs d'Etat ou ces chefs de gouvernement ont fait ce choix ? Parce qu'ils voyaient bien que c'était la manière pour la France de disposer d'un tremplin (et cela a été le cas) qui nous permettrait de développer nos échanges mais qui commencerait surtout par nous mettre à l'abri (on voit bien ce qui se passe en Europe centrale et orientale) de tous les à-coups des rivalités nationales, des risques de conflits de toutes sortes. C'est-à-dire que si l'on n'avait pas touché à cette politique étrangère comme elle se faisait depuis des siècles, eh bien ! on aurait pris le risque de conflits dont certains se sont achevés dans des guerres terribles, qui doivent appartenir au passé.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez employé tout à l'heure le mot "risque". Vous le prenez, vous l'assumez. Ne craignez-vous pas que ce referendum sur l'Europe ne se transforme en un referendum sur votre politique ?
- LE PRESIDENT.- Je ne le pense pas. Ce serait très inadapté. L'opinion que j'ai, moi, de l'Europe, favorable au "oui" (c'est pourquoi je recommande qu'on vote "oui") est partagée par beaucoup de responsables politiques, et de professionnels, de tous les domaines : spirituel, intellectuel et de toutes opinions.
- Je serais vraiment incapable de vous dire s'il y a plus de voix conservatrices ou modérées que de voix socialistes ou de gauche qui diront "oui" au referendum, c'est-à-dire "oui" à l'Europe. Et de ce fait je n'aurai pas la prétention de dire que ce referendum favorable l'aura été à ma personne, alors qu'il l'aura été à l'Europe, ce qui importe avant tout dans l'intérêt de la France.\
QUESTION.- Monsieur le Président, il y a beaucoup de gens qui pensent que dire "non", c'est simplement revenir à la situation antérieure.
- LE PRESIDENT.- Non, ce serait casser l'Europe. Cela ne fait pas le moindre doute. Il n'y aurait plus d'élan, ce serait fini, on n'y croirait plus.
- L'ensemble des pays de l'Europe, de la Communauté d'abord, mais aussi les autres, attendent de connaître la position de la France, qui sera déterminante, car il ne faut pas oublier que si un pays, le Danemark, a hésité à franchir cette ultime marche dans la construction de l'Europe, déjà d'autres pays (l'Irlande en particulier, qui est pourtant un pays neutre) ont accepté et les demandes d'adhésion à la Communauté, à partir du Traité de Maastricht, se multiplient. Il y a ceux dont la candidature sera acceptée sans aucun doute dans les mois qui viennent, à partir de 1993, je veux dire la Suède, la Suisse, l'Autriche, la Finlande. Il y a ceux qui vont demander bientôt, comme la Norvège, il y a ceux qui ont déjà demandé, comme la Turquie. Je ne veux pas faire une énumération trop longue, mais c'est pour montrer que c'est une espérance qui va bien au-delà de la France et qui représente une construction sans égal.
- Les gens ont besoin de la sécurité, de la paix, ils ont besoin aussi des échanges et il ne peut pas y avoir d'échanges économiques et de prospérité si l'on n'a pas de sécurité.
- QUESTION.- Monsieur le Président, vous faites une différence entre le vote français et le vote danois ? Vous dites : "Le vote français est plus important pour l'Europe que le vote danois, parce qu'on est un pays co-pilote ?
- LE PRESIDENT.- Le peuple danois mérite autant d'estime et de respect que tout autre, mais c'est vrai que la position de la France, elle, est décisive.
- Pourquoi ? Parce que la France a eu un rôle-moteur dans toute la construction de l'Europe, elle signifie, si je puis dire, l'Europe moderne, l'Europe contemporaine et, à partir de là, son refus apparaîtrait comme une sorte de négation totale à tout et l'on retournerait aux rivalités nationales.\
QUESTION.- Vous connaissez les arguments de ceux qui disent "non". Ils craignent essentiellement une perte de souveraineté nationale, alors essayons de comprendre et d'anticiper. Nous sommes en 1993, le "oui" l'emporte le 20 septembre selon votre voeu. Le traité de Maastricht est ratifié, l'ouverture des frontières se fait : que se passe-t-il le 14 juillet 1993 ? Est-ce qu'il y aura plus de bleu européen dans le drapeau français ? Est-ce que l'Europe nation va prendre la place de l'Etat nation ?
- LE PRESIDENT.- Non, non, il serait excessif de le dire. L'Europe n'est pas encore une nation, on peut très bien comprendre qu'on y tende, mais il faudra du temps : changer les moeurs, les habitudes, la manière de penser. A nos successeurs de trancher ce problème. Pour nous, nous aurons fait faire un progrès considérable à l'Europe de la Communauté, sans perdre en quoi que ce soit l'identité française, l'authenticité française et la capacité pour le gouvernement et les Français, le cas échéant, de décider ou de trancher sur la plupart des grands sujets. Simplement comme on le fait, je le répète, depuis quarante ans, il y aura un certain nombre de domaines dans lesquels la décision sera collective.
- Et pourquoi pas ? Est-ce que vous croyez vraiment que nous sommes aujourd'hui totalement indépendants dans des choix qui sont faits avec nous et encore plus en dehors de nous ? Est-ce que vous croyez que nous sommes indépendants des décisions qui sont prises sur le dollar, sur le yen, ou qui l'étaient, ou qui le sont encore, sur le mark ? Est-ce que vous croyez que les grandes décisions internationales se prennent simplement en nous demandant la permission ? En vérité, la France est un grand pays qui sera plus fort encore dans le cadre de l'Europe.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous ne vous êtes jamais expliqué sur votre décision du 18 juin de bloquer pendant quelques heures la procédure parlementaire de révision de la Constitution.
- LE PRESIDENT.- Je ne vois pas très bien de quoi vous parlez ?
- QUESTION.- Le 18 juin, lorsque le Sénat s'est arrogé des pouvoirs supplémentaires à l'occasion du débat sur la modification de la Constitution, vous avez bloqué le système...
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas bloqué le système, c'était un débat.
- QUESTION.- Vous avez dit : "Ce n'est pas bien". Est-ce que c'était de l'irritation ou bien est-ce que vous vouliez signifier...
- LE PRESIDENT.- J'ai très rarement de l'irritation ou alors j'aurais épuisé absolument ma réserve depuis onze ans et demi, douze ans.
- QUESTION.- La question qu'on se pose est de savoir si vous avez voulu signifier par là que le vote des Européens et l'égibilité européenne étaient aussi importants pour l'équilibre du traité que l'Union européenne ?
- LE PRESIDENT.- Non, non, j'ai voulu dire simplement qu'à l'occasion d'une révision constitutionnelle dans laquelle les deux Chambres ont des pouvoirs égaux - d'une façon générale, c'est l'Assemblée nationale et les députés qui ont le dernier mot dans les débats entre le Sénat et l'Assemblée nationale - il n'était pas bon que le Sénat saisisse toute occasion de révision pour voir ses pouvoirs confortés, accrus légèrement d'ailleurs. Ce n'est pas dramatique. Mais mon devoir est d'en faire l'observation, puisque je suis celui qui est chargé de garder la Constitution. Je sais dire mon opinion sur elle, je pense qu'il faut réviser un certain nombre de choses, mais tant que cela n'a pas été décidé par le peuple ou le Parlement, il faut la respecter.
- QUESTION.- Est-ce que c'est un sujet suffisamment important pour au fond arrêter la procédure ?
- LE PRESIDENT.- Mais pas arrêter ! Pourquoi dites vous arrêter ?
- QUESTION.- Cela crée un certain trouble.
- LE PRESIDENT.- Parce qu'on veut faire n'importe quoi et moi je ne veux pas qu'on fasse n'importe quoi !.\
QUESTION.- Pour clore ce dossier de Maastricht, je veux revenir sur le mélange des genres. Vous avez dénoncé chez vos prédécesseurs le référendum prenant presque toujours un caractère de politique intérieure, plébiscitaire. Comment concilier un engagement fort (on vient de vous entendre) véhément presque sur l'Europe et, éventuellement, si c'était le succès du "non", ne pas mettre en cause votre personne ?
- LE PRESIDENT.- Vous ne m'avez jamais entendu dire : "L'Europe de la Communauté, c'est ma propriété". Je ne l'ai pas dit et je ne dirai pas aux Français : si vous votez pour l'Europe, vous voterez pour moi, ce serait un abus de pouvoir, une interprétation erronée, ce serait même un peu malhonnête.
- QUESTION.- Ils peuvent le penser comme cela.
- LE PRESIDENT.- Certains ont le droit de penser ce qu'ils veulent, ils ont le droit aussi de ne pas réfléchir. Pour engager un acte aussi important, les Français, croyez-moi, sont mieux informés que vous ne le pensez £ ils ne sont peut-être pas informés sur les détails de ce traité, c'est d'ailleurs une matière épaisse et un peu complexe, mais sur l'essentiel, ils comprennent très bien que l'Europe, c'est la paix et ceux qui savent ce qu'a été le prix de deux guerres mondiales n'en veulent plus, d'une part, et, d'autre part, ils se rendent compte que s'il n'y avait pas d'Europe, il y aurait quand même les concurrences.
- Ce n'est pas parce qu'il n'y aurait pas l'Europe de Maastricht, qu'il n'y aurait plus l'Allemagne, les Etats-Unis, le Japon, la Grande-Bretagne et les autres. Simplement, ils se combattraient dans le désordre au lieu de s'organiser.\
QUESTION.- Monsieur le Président, tout à l'heure, mon confrère Gérard Carreyrou vous a dit : si le non l'emporte, que ferez vous ? Je vous pose la question différemment : si le oui l'emporte...
- LE PRESIDENT.- Je ne suis pas en cause dans cette affaire...
- QUESTION.- Ma question est différente...
- LE PRESIDENT.- Ni avec le oui, ni avec le non.
- QUESTION.- Si le oui l'emporte tout de même...
- LE PRESIDENT.- Je m'en réjouirai.
- QUESTION.- Quels enseignements politiques en tirerez-vous ? Le fait que M. Giscard d'Estaing appelle les Français à voter oui, que les autres hommes de l'opposition appellent à voter oui, le fait que des hommes socialistes comme Jean-Pierre Chevènement appellent à voter non, il y a quelque chose de baroque.
- LE PRESIDENT.- Sur toutes les grandes questions qui touchent à la vie de la France, j'ai observé, dans l'histoire de la République, que les positions n'étaient pas tranchées £ en soi c'est plutôt une preuve de bonne santé, les gens ne sont pas stéréotypés, ne sont pas figés. Ce n'est pas parce que vous adhérez à tel parti que vous êtes obligés d'en suivre de A à Z tous les commandements. Pourtant, moi, je suis tout à fait favorable à une certaine discipline républicaine bien entendu.
- QUESTION.- Est-ce que cela peut préfigurer d'autres majorités ?
- LE PRESIDENT.- Cela n'est pas mon affaire. Il y a des élections, donc des majorités. Les majorités s'organisent, moi j'ai pour charge de respecter la volonté du peuple, c'est tout.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que la ratification du traité de Maastricht ne va pas être tout de même, je reviens un peu sur la question que Paul Amar vous a posée tout à l'heure, dans une certaine mesure, l'otage du climat social qui règne actuellement en France ? Il y a un décalage, les Français croient, (les sondages le montrent) que la situation économique et sociale va en se dégradant...
- LE PRESIDENT.- Mais c'est le contraire !
- QUESTION.- Justement, il y a un certain décalage entre les indicateurs de la santé économique qui sont plutôt bons et puis l'humeur des Français qui est plutôt massacrante. Comment expliquez-vous cela ? Est-ce qu'il n'y a pas eu pas mal de fausses manoeuvres faites par le gouvernement ces derniers temps, qu'il s'agisse des routiers, des agriculteurs ?
- LE PRESIDENT.- Fausses manoeuvres ? Où cela ?
- QUESTION.- Pour les routiers, apparemment le sentiment que le Français moyen a eu, c'est que, premièrement, on n'avait pas prévu que cela pourrait éclater et, deuxièmement, on ne savait par quel bout le prendre...
- LE PRESIDENT.- Vous saviez comment vous ?
- QUESTION.- Je ne suis pas au courant, monsieur le Président...
- LE PRESIDENT.- Je vous en prie. Vous êtes un citoyen assez responsable, d'ailleurs vous parlez souvent de la politique, vous étiez donc parfaitement capable d'un jugement !
- QUESTION.- Est-ce que le gouvernement est bien informé ? Est-ce qu'il y a un système d'information à la hauteur...
- LE PRESIDENT.- Peut-être, peut-être pas, à vous de conclure. Ce que je peux dire, c'est que les Français ont le droit de grève, le droit de manifestation. Il arrive parfois qu'ils dépassent un peu les limites normales et ce n'est pas la première fois qu'on voit les routiers bouger, et je trouve moi, personnellement, que le gouvernement, dans ce problème terriblement difficile, dans lequel tout était mélangé, s'en est bien tiré.
- Une dizaine de jours extrêmement pénibles pour les Français, mais finalement, écoutez, cela marche.\
LE PRESIDENT.- Les routiers, il fallait se poser ce problème et on se l'est posé, on ne l'a pas mal résolu, il faudra le résoudre encore. Ils étaient mécontents de ce permis à points qui marche dans beaucoup de pays, mais qu'il fallait maintenir à tout prix, et moi, j'ai toujours encouragé le gouvernement à ne pas broncher là-dessus. Il fallait préserver l'autorité naturelle de l'Etat puisque c'est pour le bien des Français.
- Mais, à mon sens, pour beaucoup de routiers, non seulement, cette mesure paraissait soudain trop sévère ou beaucoup plus sévère que le système antérieur et, d'autre part, je pense qu'ils souffraient d'une certaine situation sociale dans leur vie professionnelle quotidienne qui est très dure. C'est un labeur qui ne connaît pas d'heures, c'est extrêmement fatigant, ces routiers sont éloignés de leur famille et je ne crois pas qu'ils disposent du statut social, ni souvent des salaires qui correspondent à leur travail.
- Le gouvernement a très intelligemment pensé que ce problème était peut-être aussi important que l'autre sinon plus et a discuté du problème social, des garanties et des droits des routiers.
- Quant à la façon de conduire sur les routes, les routiers seront traités comme les autres et c'est bien normal. D'ailleurs, après tout, ils ne sont pas si mal, ils conduisent bien sur les routes en général, mais il y a trop d'accidents et moi je ne peux pas supporter la vue, comme cela m'arrive souvent, de ces hôpitaux avec ces personnes, surtout ces jeunes qui sont étendus pour la vie, qui souffrent d'incapacités qui gâchent tout, non seulement leur vie à eux, mais celle de leur famille. C'est un spectacle tellement triste, tellement désolant, sans parler des morts bien entendu.
- La France battait ce triste record, environ 10000 morts par année, ce n'est pas possible, et quand on voit ces enfants tués, la douleur des parents, ces vies sacrifiées, moi je pense que le devoir du gouvernement était d'être extrêmement ferme sur ce sujet. Il devra l'être encore demain si le problème se posait. Mais le problème social, lui, est là et il faut essayer de le résoudre.
- QUESTION.- Deux mots encore sur ce problème des routiers, monsieur le Président : le recours aux engins de l'armée, c'était la première fois depuis 1981, cela ne vous a pas gêné ?
- LE PRESIDENT.- Pas du tout, je l'ai plutôt recommandé, il faut que l'Etat se fasse obéir lorsque vraiment le degré de désordre à ne pas dépasser est atteint.\
QUESTION.- Deuxième question.- Un des ministres du gouvernement Bérégovoy, M. Bianco, a dit : "Aucun relai n'a fonctionné " On a l'impression, en effet, qu'il y a une sorte de panne actuellement, lorsqu'il y a un problème social, une panne des relais en France... On l'a vu pour les infirmières...
- LE PRESIDENT.- Pour les infirmières, peut-être... Vous voulez dire une crise syndicale ? Il y a d'excellents dirigeants syndicaux, mais qui sentent, comme les autres, qu'il y a un changement de moeurs, des habitudes...
- QUESTION.- Les routiers sont peu syndiqués, pourtant...
- LE PRESIDENT.- Ils sont peu syndiqués, c'est vrai.
- QUESTION.- Est-ce que le problème n'est pas plus profond sur l'état du pays ? On voit comme cela se succéder des colères ponctuelles : les agriculteurs...
- LE PRESIDENT.- Les agriculteurs sont extrêmement inquiets. Je crois qu'ils exagèrent leur inquiétude, mais il est quand même normal que des gens qui vivent difficilement (lorsqu'ils vivent difficilement... ce n'est pas le cas de tous) soient angoissés dès qu'il y a une modification des règles du jeu.
- Or, la politique agricole commune, (celle de l'Europe), il faut bien savoir qu'elle a fait la prospérité de la plupart des agriculteurs européens et, particulièrement, de l'agriculture française, là où cette politique s'appliquait. Je pense, en particulier, aux céréaliers. La politique agricole ne couvre pas tous les secteurs et, ceux qui ne sont pas vraiment protégés, il faudra qu'on veille à y remédier, mais ceux qui ont été intégrés dans cette politique commune ont réalisé des gains importants.
- Et j'ajoute que si les prix agricoles français devaient être alignés sur les prix mondiaux qui sont beaucoup plus bas, ce serait un désastre général. L'Europe nous a sauvés de cela.
- QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que la crise agricole n'est pas une crise du discours, au fond ? Un de vos très proches ex-collaborateurs, M. Edgar Pisani qui a été ministre de l'agriculture, a fait un article dans "Le Monde" dans lequel il disait : "Au fond, notre pays ne sait pas envoyer un message simple et fort à nos agriculteurs !"
- LE PRESIDENT.- C'est assez vrai et Edgar Pisani était capable de le faire, vous avez tout à fait raison. Il faut faire mieux, il faut expliquer mieux. Mais la politique, elle, est saine.\
QUESTION.- Je repose ma question sur l'état du pays. On voit donc se succéder des colères ponctuelles (agriculteurs, routiers, infirmières, étudiants) et on assiste à une indifférence, pour ne pas dire une indolence, des autres couches de la population. Est-ce qu'il n'y a pas un problème dans le pays ? Est-ce que le pays n'est pas morcelé ? Est-ce que ce n'est pas la règle du "chacun pour soi" ? Est-ce que ce n'est pas difficile de fédérer le pays autour d'un projet commun ?
- LE PRESIDENT.- L'Europe en est un. Mais il en est d'autres. Je pense que tous les hommes sur la terre, et particulièrement les Français (parce que, depuis Vercingétorix, on les connaît !), ont tendance à se disperser dans les périodes où il ne leur est pas proposé (parce qu'il n'y en aurait pas, ou parce que c'est difficile) d'objectif qui les dépasse. C'est aussi, souvent, une maladie des pays prospères. Mais tous les Français ne sont pas prospères et c'est là le travail essentiel d'un gouvernement comme celui de Pierre Bérégovoy. Tous les Français ne sont pas prospères...
- QUESTION.- Il y a le chômage, monsieur le Président...
- LE PRESIDENT.- Et les inégalités...
- QUESTION.- ... La montée du chômage...
- LE PRESIDENT.- Cela fait partie évidemment des misères ou des manques. Mais le pays, lui, dans son ensemble, se trouve à l'heure actuelle le mieux placé en Europe.
- Notre travail doit être de veiller à ce que les bienfaits de cette prospérité soient davantage répartis sur le maximum de Français, mais au total, dans la conscience nationale, (si on ne le croit pas, il faut aider à cette prise de conscience) la France est bien gouvernée.\
QUESTION.- Monsieur le Président, il y a un autre problème de cohésion sociale, c'est celui des banlieues. Il y a eu des incidents à Brunoy il y a quelques jours. Il y a eu des incidents la nuit dernière à Epinay-sous-Sénart. On a l'impression d'une sorte de feu qui couve à nouveau dans ces banlieues... Qu'est-ce que vous pouvez dire éventuellement à ces jeunes des banlieues pour éviter qu'ils ne redescendent dans la rue tout au long de l'été ?
- LE PRESIDENT.- Je peux leur dire...
- QUESTION.- ... Qu'on s'occupe d'eux ?
- LE PRESIDENT... Que cela fait déjà pas mal de temps qu'on a pris le taureau par les cornes et je me souviens d'avoir prononcé une allocution à Bron à partir de laquelle on a décidé un certain nombre de mesures extrêmement importantes, qui sont en cours de réalisation.
- Il faut plusieurs années pour parvenir au résultat. On a recensé les quartiers difficiles. On en a relevés 400, parmi lesquels une centaine particulièrement délicats. C'est dû au type de construction, au type d'univers concentrationnaire, à l'absence d'espaces verts, à l'absence de travail. Et là s'accumulent souvent des populations immigrées, ou de la deuxième génération, ceux qu'on appelle les "beurs", d'une façon un peu trop générale, qui souffrent beaucoup de la situation présente. Comme il y a beaucoup de jeunes, ils vivent là, si j'ose dire, en vase clos, souvent désoeuvrés, sentant une sorte d'hostilité à caractère raciste et les conditions de l'explosion se réunissent peu à peu.
- QUESTION.- Comme dans les ghettos américains, monsieur le Président. Est-ce que vous ne craignez pas qu'on en arrive là ? LE PRESIDENT.- J'espère que non, on n'en est pas là. Mais c'est le cas de la plupart des pays d'Europe, des pays dit "riches" (qui ne le sont pas absolument, mais dits "riches"), c'est le cas de l'Allemagne, c'est le cas de la Grande-Bretagne, c'est le cas de quelques autres. Vous avez même dû voir à la télévision bien des images de Grande-Bretagne, il n'y a pas de commune mesure entre ce qui se passe là-bas et ce qui se passe chez nous. Mais de toutes manières, tous ces éléments sont des signes précurseurs auxquels il faut faire attention.\
QUESTION.- Vous avez pris une très bonne décision, qui a été de créer un ministère de la ville. On aurait dû le faire depuis longtemps, vous l'avez fait. Mais est-ce qu'on peut avoir une politique de la ville continue en changeant de ministre tout le temps ? M. Delebarre, M. Tapie, M. Loncle...
- LE PRESIDENT.- On ne change pas tout le temps !
- QUESTION.- On change souvent... trop souvent...
- LE PRESIDENT.- On essayera de veiller à un peu plus de fixité, mais le départ de M. Tapie n'a pas été dû essentiellement au gouvernement. Simplement, M. Tapie a désiré se mettre en accord avec un usage (non pas avec la loi). Et, à partir du moment où, pour une obscure question de conflit privé avec un autre chef d'entreprise, à laquelle je ne connais rien (d'ailleurs, je n'ai rien à y connaître), dans laquelle un juge d'instruction lui a demandé des explications, il a jugé qu'il n'était pas possible de cumuler le rôle d'un homme qui s'explique devant la justice (ce qui ne veut pas du tout dire qu'il soit coupable) et, d'autre part, un poste public comme celui de ministre de la ville.
- Moi, je l'ai beaucoup regretté, car c'est un homme tout à fait remarquable, dans le domaine qui lui a été confié j'en attendais beaucoup. D'ailleurs, il n'est pas dit qu'il ne sera pas en mesure de reprendre des fonctions de ce type dès lors que la justice aura mis au clair cette affaire de caractère privé où il n'y a pas de fonds publics en cause.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous nous donnez l'occasion d'ouvrir un autre chapitre qui porte, justement, sur la justice, sur les relations entre le monde politique, très malmené actuellement, et les magistrats.
- Comment réagissez-vous à ce qui n'est pour l'instant qu'une rumeur : l'éventuelle inculpation de M. Henri Emmanuelli, l'ancien trésorier du Parti socialiste ?
- LE PRESIDENT.- S'il s'agit de parler d'une personne, je commencerai par dire que j'ai la plus grande estime et considération pour Henri Emmanuelli, qui est un homme qui s'est fait tout seul, issu d'une famille extrêmement modeste, un homme plein de conviction et de force et d'une grande intégrité. Alors, vraiment, je le plains, j'ai mal au coeur quand je pense au sort qui lui est réservé, c'est-à-dire d'avoir à s'expliquer devant la justice et d'être le cas échéant (parce qu'après tout, les procédures sont assez bizarres dans cette affaire) inculpé.
- Inculpé en quelle qualité ? De trésorier du Parti socialiste. Imaginez un peu, une mesure d'ensemble qui consisterait à inculper collectivement tous les trésoriers des partis qui se sont succédé, à l'époque où il n'y avait pas de loi qui assurait le financement des partis. Alors, comment est-ce qu'ils se débrouillaient ? Comment est-ce qu'ils faisaient...
- QUESTION.- Abus de biens sociaux généralisé !
- LE PRESIDENT.-... depuis les débuts de la République ? D'où nécessité, le cas échéant, de s'expliquer devant la justice... ou bien, je ne sais pas, moi, les valises invisibles, mais pleines de billets qu'on distribue. Qu'est-ce que cela veut dire ? C'était malodorant, tout cela !
- QUESTION.- Pourquoi avez-vous attendu neuf ans pour faire cette loi, qui est une bonne loi ?
- LE PRESIDENT.- Pourquoi la République a-t-elle attendu cent ans avant moi pour ne pas le faire ? Ce que je veux dire, c'est que moi, je l'ai fait, je l'ai demandé plusieurs fois avant de l'obtenir, et finalement je crois que la loi qui a été adoptée au temps du gouvernement Rocard est une bonne loi.
- A partir du moment où il y a des règles, il faut s'y soumettre et cela mériterait toutes les inculpations si l'on ne devait pas s'y soumettre £ mais qu'Henri Emmanuelli puisse être responsable comme trésorier (c'est-à-dire une sorte de restauration de la responsabilité collective), qu'est-ce que cela veut dire ?\
`suite réponse sur l'inculpation d'Henri Emmanuelli` Mais moi, je n'incrimine pas, je n'accable pas le juge, je pense qu'il est aussi embarrassé que nous par les termes d'une procédure pénale désuète : c'est cette histoire d'inculpation. C'est pourquoi je tiens absolument à ce que, dans la prochaine session parlementaire, on adopte la réforme du Code de procédure pénale, afin que l'inculpation change de sens, qu'il n'y ait plus d'inculpation. Des masses de gens qui ne sont pas connus sont souvent inculpés : dans la rue où ils habitent, ou dans le village ou la ville où on les connaît,ils sont déconsidérés. Eh bien ! Moi, je ne pense pas du tout que le juge ait voulu déconsidérer Henri Emmanuelli ou d'autres hommes politiques aujourd'hui en situation délicate, mais il a pensé, s'il le fait (car, après tout, ce n'est pas encore absolument certain), que c'était le moyen dont il disposait. Il ne veut pas déconsidérer, mais il en passe par là et il déconsidère ! Il faut donc être extrêmement prudent dans un domaine comme celui-là.
- D'autre part, il existe d'autres lois qui exigent que toute cette procédure soit secrète. Or, elle figure dans les journaux avant même que l'inculpation soit prononcée, ce qui veut dire que de mauvaises moeurs se sont répandues partout, y compris dans la justice.\
QUESTION.- Vous croyez à un complot politique, comme certains de vos amis politiques ?
- LE PRESIDENT.- Je ne crois pas à un complot. Je pense simplement qu'à partir du moment où l'on tient un bout par lequel des hommes politiques connus et un parti dominant dans la vie politique française se trouvent mis en cause, peut-être oublie-t-on un peu trop que c'est une situation générale qu'il faudrait examiner. Mais je ne crois pas au complot. Non. Je crois simplement que tout le monde est à l'heure actuelle dans l'obligation, naturellement, de mettre en application des lois qui ne sont plus adaptées.
- On a voté la loi sur le mode de financement des partis. C'est très bien. Il faut maintenant avoir un Code de procédure pénale qui permette à un juge de demander des explications à quiconque sans qu'aussitôt une marque d'infamie ne s'applique à cette personne, Henri Emmanuelli, vraiment, ne le mérite pas, et moi, je sens cela comme une souffrance.
- QUESTION.- Monsieur le Président, en attendant cette réforme que vous préconisez, est-ce que vous êtes pour cette espèce de jurisprudence d'honneur qui s'est instituée : Tapie démissionnant parce qu'il était inculpé, Léotard démissionnant parce qu'il était inculpé, Emmanuelli demain ?
- LE PRESIDENT.- Non, chacun agit selon l'idée qu'il s'en fait. La situation est d'ailleurs différente selon les cas. J'ai parlé tout à l'heure de Bernard Tapie, Bernard Tapie est à l'heure actuelle confronté à un problème de conflit d'ordre privé. C'est d'une nature complètement différente.
- Je ne connais pas le cas de François Léotard, bien qu'a priori je réagisse exactement à son égard comme je réagis pour d'autres £ rien n'est prouvé, l'inculpation ne signifie pas culpabilité. On le répète sans arrêt mais c'est un peu sans effet, et je n'ai aucune raison d'avoir à son égard un jugement qui serait défavorable. J'estime qu'il a le droit, comme tout autre, de défendre ses droits, son honneur de citoyen et d'homme, et il le mérite lui aussi.
- Mais démissionner lorsqu'on est mis en cause pour une raison collective, c'est-à-dire qu'on a géré la trésorerie d'un parti... je pense que les autres trésoriers des autres partis devraient se dire : "Alors, ma vie politique et ma responsabilité sont à la merci de je ne sais quelle décision d'un juge ?" Cela pourrait être dangereux, même pour les institutions.\
QUESTION.- Monsieur le Président, acceptez-vous l'idée que les élus fassent état de leur patrimoine ?
- LE PRESIDENT.- Oui, c'est moi qui l'ai demandé et je suis même un peu ennuyé que cela mette tellement de temps. Il faudrait que les patrimoines soient connus et publiés, pas simplement d'ailleurs ceux des hommes politiques, mais de tous ceux qui contribuent à la vie publique : d'abord, naturellement, les parlementaires, les membres du gouvernement, le Président de la République, c'est déjà le cas, et tous ceux qui pèsent sur la vie nationale.
- Je pense que cela devrait être fait aussi dans d'autres cas, je pense aux grands moyens d'informations qui disposent d'une influence considérable, eh bien pour les juges, les hommes politiques, ce ne serait pas mal que leurs principaux dirigeants puissent rendre compte de la même façon de leur situation.\
QUESTION.- Monsieur le Président, dans l'affaire du sang contaminé, les Français ont eu le sentiment (et c'est une affaire d'Etat, puisque l'organisme qui le commercialisait est un organisme administratif) que certains ministres fuient leurs responsabilités. C'est probablement injuste, mais c'est la multiplication des impressions de ce type qui contribue au climat actuel. C'est un problème horriblement complexe, mais comment voyez-vous, vous, monsieur le Président, le problème de la responsabilité politique dans une société scientifique comme la nôtre où, finalement, la décision est partagée avec une multitude d'experts ?
- LE PRESIDENT.- Oui, c'est un sujet très difficile. Moi, à l'époque, j'étais déjà Président de la République, et je n'ai jamais été saisi de ce problème. Pourquoi ? Sans doute, parce que c'est la décision scientifique qui l'emporte et que lorsqu'un ministre demande conseil aux plus hautes sommités de la science médicale ou de la recherche biologique et ne reçoit par l'avis formel que telle ou telle technologie ou thérapeutique risque d'être désastreuse, vous comprenez qu'il ne peut pas se substituer à eux.
- A partir du moment où les choses sont devenues évidentes, c'est-à-dire que le danger était là, le Premier ministre de l'époque Laurent Fabius, a réagi plus vite que la plupart des chefs de gouvernements de toutes les sociétés industrielles qui étaient touchées par le même mal. La France est, je crois, pour le dépistage, le deuxième ou le troisième pays dans le monde à avoir réagi et pour le chauffage du sang qui paraît-il (vous voyez ce sont les savants qui le disent, moi, après tout je n'en sais rien)...
- QUESTION.- On le sait maintenant, on ne le savait pas à l'époque.
- LE PRESIDENT.- Est-ce qui permet de protéger contre le sida, contre le sang contaminé. Il semble bien que les décisions prises dans les autres pays ont été plus tardives que chez nous.
- Je crois que nous sommes le deuxième pays à l'avoir fait £ ce n'est pas une excuse, mais je pense que l'état de la science ne permettait pas aux hommes politiques de trancher.\
QUESTION.- Dernière question sur la justice, monsieur le Président. Est-ce que vous n'avez pas l'impression qu'elle est parfois plus expéditive, plus rapide pour certaines affaires somme toute relativement mineures que par exemple pour juger les responsables de la rafle du Vel'd'Hiv dont on commémore le cinquantième anniversaire ?
- LE PRESIDENT.- C'est d'un ordre différent. Est-ce que vous voulez préciser votre pensée.
- QUESTION.- Je veux dire, par exemple, qu'un certain nombre de responsables de cette rafle n'ont toujours pas été jugés.
- LE PRESIDENT.- Si, si, ils l'ont été, certains l'ont été dans les années qui ont suivi la Libération. Il est possible que les dossiers d'avant 1950 ne contenaient pas les documents qui sur cette rafle ou sur d'autres choses ont été révélés par l'histoire ou par la connaissance des archives, mais les responsables ont été jugés. On ne peut pas dire que les lendemains de la Libération aient été particulièrement indulgents pour ceux qui s'étaient rendus coupables de crimes contre la patrie ou simplement contre les hommes, c'est-à-dire qui avaient torturé, dénoncé, collaboré.
- QUESTION.- Certains s'en sont assez bien sortis, monsieur le Président. Je pense à M. Bousquet qui est rapidement redevenu un banquier important, administrateur de sociétés et qui, aujourd'hui, est inculpé.
- LE PRESIDENT.- René Bousquet est passé devant la Haute Cour de justice, il a été finalement condamné et sa peine a été remise par la Cour elle-même, même son indignité nationale, comme c'est arrivé à un certain nombre de ministres de Vichy.
- N'entrons pas, si vous le voulez, dans les cas personnels. Nous ne sommes pas en état, ni vous, ni moi, de juger à la place de la justice.
- QUESTION.- Alors, parlons de l'Etat.- LE PRESIDENT.- Mais seulement dans cette affaire, il y a une loi postérieure qui a retenu la notion de crime contre l'humanité. Donc dans le cadre des procédures normales de la justice traditionnelle, tout cela a déjà été fait sur le plan de ce qu'on appelle le "crime contre l'humanité".
- QUESTION.- C'est-à-dire est-ce prescriptible ?
- LE PRESIDENT.- C'est bien ce qui a été fait sous un gouvernement que j'avais moi-même nommé à propos du procès Barbie.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous allez demain commémorer un triste anniversaire, celui de la déportation des juifs donc de la rafle du Vel'd'Hiv'. Vous savez que certains attendent de l'Etat français qu'il reconnaisse sa responsabilité dans ce crime.
- LE PRESIDENT.- Mais qu'est-ce que cela veut dire ? Ce sont des gens que je connais pour la plupart, dont certains sont de mes amis personnels, et qui ne doutent pas une seconde des positions que j'ai toujours eues depuis ma jeunesse, pendant les années tragiques de la guerre et pendant les années tragiques qui ont suivi à l'égard du martyr des juifs.
- Ils parlent de l'Etat français, mais l'Etat français, si j'ose dire, cela n'existe pas. Il y a la République. Et la Première République, parmi les premiers gestes, en tout cas révolutionnaires, qu'elle a faits, a reconnu non plus un statut des juifs en France, mais que les juifs français étaient Français. C'est-à-dire que cela a été une mesure révolutionnaire et essentiellement républicaine. Et la République à travers toute son histoire, la 1ère, la 2ème, la 3ème, la 4ème et la 5ème ont constamment adopté une attitude totalement ouverte pour considérer que les droits des citoyens devaient être appliqués à toute personne reconnue comme citoyen et en particulier les juifs français.
- Alors, ne lui demandez pas de compte à cette République, elle a fait ce qu'elle devait. C'est la République qui a, pratiquement depuis deux siècles où les Républiques se sont succédé, décidé toutes les mesures d'égalité, de citoyenneté.
- C'est elle qui a décidé que les juifs d'Algérie cessent d'être considérés comme une sorte de race inférieure entre ce qu'on appelle les "Pieds noirs", c'est-à-dire les Européens d'Algérie, les arabes et une situation intermédiaire. La République a toujours été celle qui a tendu la main pour éviter les ségrégations et spécialement les ségrégations raciales. Alors, ne demandons pas de comptes à la République.
- Mais, en 1940, il y a eu un Etat français, ne séparez pas les termes "Etat" et "Français", l'Etat français c'était le régime de Vichy, ce n'était pas la République, et à cet Etat français on doit demander des comptes, je l'admets naturellement, comment ne l'admettrais-je pas ? Je partage totalement le sentiment de ceux qui s'adressent à moi, mais précisément la Résistance puis le gouvernement de De Gaulle, ensuite la 4ème République, et les autres, ont été fondés sur le refus de cet Etat français. Il faut être clair.\
QUESTION.- Monsieur le Président, nous sommes d'accord, et on aurait voulu ne pas vous poser cette question aujourd'hui, mais n'est-ce pas affligeant de constater que cinquante ans après ces drames, cela fasse l'objet de controverses aujourd'hui en France ?
- LE PRESIDENT.- Il n'y a pas de controverses !
- QUESTION.- L'indulgence accordée à Touvier...
- LE PRESIDENT.- C'est une décision de la magistrature. Elles ne sont pas toutes parfaites.
- QUESTION.- Revenons au débat.
- LE PRESIDENT.- Moi j'occupe une fonction qui m'interdit de m'exprimer aussi librement que je le ferais si j'étais à votre place sur certaines des décisions de ce genre, car je dois veiller à l'équilibre du pouvoir et respecter l'indépendance de la magistrature, mais ce qui est dramatique, et ce qui est juste en même temps, c'est que cinquante ans après, on puisse ressentir aussi cruellement l'injustice - c'est pire que l'injustice - l'inhumanité, la barbarie, avec laquelle on a traité les familles juives à cette époque et les enfants juifs. Comment n'en souffrirait-on pas cinquante ans après ? C'est encore présent dans les mémoires.
- Mais sur le plan du droit, je peux dire que la République a fait ce qu'elle devait.\
QUESTION.- Monsieur le Président, venons-en aux échéances prochaines. Il y a ce référendum du 20 septembre, on en a parlé. Il y a les élections législatives en mars et puis il y avait ce projet de réforme constitutionnelle. Alors, où le mettez-vous dans le calendrier et sous quelle forme ?
- LE PRESIDENT.- Le calendrier se resserre un peu !
- QUESTION.- Beaucoup même. Est-ce que l'autre référendum ?...
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas très facile. Il ne faut pas abuser des référendums, mais cela n'empêchera pas, tout de même, avec le temps qui reste, de poser quelques questions importantes pour que nos institutions s'accordent mieux avec l'évolution des moeurs et les besoins des citoyens, et j'ai placé précisément certaines réformes de la justice au premier rang de mes préoccupations.
- QUESTION.- Mais avant les élections législatives ?
- LE PRESIDENT.- Si je peux le faire oui, puisqu'il n'y a plus qu'une session de trois mois, celle qui ira d'octobre à la fin décembre. Mais enfin, je poserai de toute manière les problèmes, le législateur les résoudra s'il le peut £ je le souhaite.
- QUESTION.- Sur la durée du mandat présidentiel.
- LE PRESIDENT.- On m'en parle à chaque fois, cela fait déjà pas mal de temps £ qu'est-ce que je vais vous dire de nouveau ? Cela fait partie des préoccupations dont nous parlons.\
QUESTION.- Est-ce que vous êtes de ceux qui pensez que les élections législatives peuvent être encore gagnées par la majorité actuelle ? LE PRESIDENT.- Je le pense.
- QUESTION.- Ou de ceux qui pensent que la défaite est inéluctable ?
- LE PRESIDENT.- Il n'y a pas de choses inéluctables dans la vie politique. Il faut avoir confiance en soi et surtout dans la beauté et le sérieux des idées que l'on défend. On est toujours, naturellement, perfectible, on fait des erreurs, l'opinion est très sévère, la presse aussi, disons que c'est leur devoir.
- QUESTION.- Mais vous ne faites pas l'impasse sur les législatives ? Il y en a qui disent : "peut-être les présidentielles après".
- LE PRESIDENT.- Je ne fais sûrement pas l'impasse.
- QUESTION.- Cela vous concerne les législatives ?
- LE PRESIDENT.- Forcément.
- QUESTION.- Ne serait-ce pas que la cohabitation qui s'en suivrait...
- LE PRESIDENT.- Oui, mais je considère que jusqu'au dernier jour, des gens qui ont conscience de ce qu'ils font, qui aiment la République et qui aiment leurs idées, doivent expliquer au peuple qu'on aurait peut-être raison de les garder, c'est plus sûr.
- QUESTION.- Eh bien, justement, pour cette raison, le Parti socialiste, à qui vous avez adressé un message...
- LE PRESIDENT.- Les socialistes ont bien gouverné, vous savez. Ils ont des défauts, ils n'ont pas tout réussi, mais cherchez un gouvernement ou un système qui dans les années précédentes pourrait se targuer d'avoir parfaitement réussi.
- D'ailleurs, ils ont été remerciés par le peuple ! Mais là, en ce qui nous concerne, j'estime qu'on peut se défendre.
- QUESTION.- Le parti vous a entendu, puisqu'il s'est mis en ordre de bataille ce week-end dernier à Bordeaux.
- LE PRESIDENT.- J'ai vu cela avec intérêt.\
QUESTION.- Justement, cela ne vous irrite pas que votre parti préféré mette déjà en avant son candidat préféré, Michel Rocard ?
- LE PRESIDENT.- Moi, j'arrive au bout de mon mandat. De toute façon il n'y a pas trois ans avant la date fixée, 1995. Voyez en Amérique, comme ici aussi, les candidats de l'avenir se préparent et le font savoir deux ou trois ans avant.
- QUESTION.- Michel Rocard, c'est aussi votre candidat virtuel ?
- LE PRESIDENT.- Mon candidat sera celui du Parti socialiste. Je ne suis pas soumis aux idées du Parti socialiste, mais je suis suffisamment en symbiose avec lui à qui il appartient de désigner son candidat, et son candidat je le trouverai très bien.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous n'avez pas répondu sur la cohabitation. Si elle doit avoir lieu vous l'accepterez, ce sera pour vous la deuxième expérience ? S'il y avait une majorité écrasante de l'opposition à l'Assemblée, le Président de la République pourrait avoir envie de partir. Vous n'aurez pas envie de partir ?
- LE PRESIDENT.- Dans ce cas-là, avoir envie de partir ? Vous savez, c'est un rude métier, mais moi je suis élu par le peuple, je l'ai été deux fois, je me suis trouvé confronté à de grandes difficultés en 1984, elles étaient très lourdes à supporter £ en 1986, il y a eu la cohabitation, ce qui n'était pas tellement facile et en 1988, j'ai été réélu.
- Je ne veux pas dire que ce schéma soit indéfiniment renouvelable, mais cela indique que l'opinion publique peut changer, que les gouvernements peuvent se faire comprendre. Pourquoi les Français changeraient-ils s'ils se rendent compte que le gouvernement gouvernement bien, que la France a été très bien gérée et que s'il existe un déficit social, il est souvent la conséquence du chômage qui est lourd, en France, bien que, depuis un an et demi par rapport à la progression du chômage dans les autres pays industriels, la progression française beaucoup trop excessive, n'a pas suivi le même rythme, et est plutôt inférieure alors que le total semble supérieur.\
QUESTION.- On approche quand même des trois millions de chômeurs.
- LE PRESIDENT.- C'est beaucoup trop. Même si on n'en est pas à 3 millions, il serait tout à fait triste qu'on en arrivât là et le plan de Pierre Bérégovoy s'adressant aux chômeurs de longue durée (qui sont au nombre de 900000) devrait, je l'espère, porter ses fruits à partir de l'automne.
- Mais on ne peut pas juger que d'après cela. Sur l'ensemble des critères qui font que l'on juge une politique économique, la France reçoit plutôt les compliments ou les satisfecits de tous les experts mondiaux.
- Nous sommes, à l'heure actuelle, les premiers en Europe. Nous avons, sur d'autres terrains, la situation allemande qui est tout à fait respectable, et puis il y a, à l'extérieur, le Japon et les Etats-Unis, mais la France se défend bien.
- Moi, je suis surtout désireux de voir ce progrès français, cette bonne gestion française (avec ses défauts, bien entendu), profiter davantage au plus grand nombre de Français. J'ai des préoccupations de cet ordre, que j'espère voir mettre en oeuvre dans les mois qui restent, notamment sur le plan social.
- Tenez ! Je ne sais pas si vous vous souvenez, j'avais fait une intervention à Auxerre dans laquelle j'avais dit : "Il faut absolument relancer les conventions collectives, il faut que les conventions collectives relèvent les minima par rapport au SMIC, qu'il y ait davantage de travailleurs qui soient payés plus que le SMIC, avec des discussions par branches de travail..." Et puis, j'avais dit aussi : "Il faut modifier la convention collective pour permettre les promotions, pour que le statut social des catégories les moins rémunérées ne soit pas figé, qu'on puisse avoir une perspective de carrière, qu'on puisse commencer très modestement et puis qu'à travers le temps, avant d'atteindre l'heure de la retraite, on connaisse un grand progrès (si on le mérite) non seulement en rémunération, mais en statut social".
- Eh bien ! J'estime qu'il faut reprendre cette discussion. Elle a donné de bons résultats, mais pas assez. Il existe même encore un million de Français, je crois, qui ne sont pas véritablement couverts par les conventions collectives ! Ils ont des situations vraiment très difficiles. Il faut reprendre cette discussion.
- Je suis convaincu que les organisations syndicales le désirent, car ce sont des organisations qui interprètent avec beaucoup de fidélité les besoins des catégories de travailleurs.
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QUESTION.- Monsieur le Président, puisqu'on en est à juger l'action du gouvernement, qu'est-ce que vous pensez de l'accord passé entre M. Jack Lang et les autorités religieuses sur le paiement des arriérés de l'école libre ? Est-ce que c'est un mauvais coup porté à la laïcité, comme on l'a encore entendu ces derniers jours au Congrès du Parti socialiste, ou est-ce que c'est, comme l'a dit le Cardinal Lustiger, un grand geste de réconciliation ?
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas un mauvais coup porté à la laïcité.
- Des engagements ont été pris par les gouvernements afin d'assurer, à l'égard de l'enseignement privé, un certain nombre d'obligations. Ces engagements ont été pris, ils faut les respecter. D'ailleurs, Lionel Jospin avait donné un certain nombre de garanties sur ce sujet et elles ont été conclues par Jack Lang, peut-être autrement... Je ne sais pas de quelle façon on peut juger l'action des uns et des autres, mais tout ce qui contribue à la pacification des esprits pour une plus forte unité du peuple français, surtout à la veille des grandes échéances qui l'attendent (et je pense de nouveau à l'Europe), je pense que c'est bon.
- Bien entendu, il ne faut pas renoncer au principe de la laïcité, mais plusieurs lois depuis la fin de la deuxième guerre mondiale sont intervenues qui ont donné à l'enseignement privé un certain nombre d'avantages qui ne lui étaient pas reconnus au temps de la IIIème République £ il ne s'agit pas d'exagérer cet effort, mais il faut respecter ces engagements.\
QUESTION.- Deux mot sur la Défense et les armées, puisqu'on est le 14 juillet.
- On n'attend pas de vous, comme il y a deux ans, que vous nous annonciez la réforme du service national, mais tout de même, il s'est passé quelque chose d'assez nouveau, c'est la négociation contre M. Bush et M. Eltsine, le mois dernier, à New-York. Ils ont décidé de réduire leurs armements nucléaires, leurs fusées inter-continentales, dans des proportions...
- LE PRESIDENT.- C'est très bien.
- QUESTION.-... que je qualifierais de très importantes.
- LE PRESIDENT.- C'est très bien.
- QUESTION.- Est-ce que, pour vous, cela apporte un élément nouveau, ou est-ce que vous vous contentez de les féliciter, ou est-ce que vous considérez que cela crée (si bien sûr c'est ratifié par les Parlements nationaux et appliqué) une situation nouvelle qui pourrait conduire la France à accepter elle-même une révision de son armement nucléaire, puisque vous avez toujours refusé jusqu'à présent de la faire ?
- LE PRESIDENT.- Pas encore, parce que la réduction des armements stratégiques nucléaires ex-soviétiques, en tout cas russes, ukrainiens, etc..., et américains, situe encore ces armements très au-dessus de la capacité nucléaire française. Bref, plusieurs pays (les Etats-Unis d'Amérique, la Russie, l'Ukraine, le Kazakhstan, la Biélorussie... ne parlons pas de la Chine pour l'instant, qui a pourtant une arme nucléaire) disposent d'un armement, sauf la Grande-Bretagne, très supérieur à celui de la France.\
`suite de la réduction des armements nucléaires` La France veille simplement à maintenir sa force de dissuasion nucléaire, qui est le coeur même de notre défense, donc de notre sécurité, de notre indépendance nationale. Il faut la préserver et j'entends bien la préserver.
- Je ne pourrai, ou mes successeurs, examiner une modification, de ce point de vue stratégique, que lorsque les principaux détenteurs de l'arme stratégique (Russes et Américains pour parler simplement) auront considérablement diminué le nombre de leurs charges nucléaires. Elles se situaient à 12 ou 13000, mais la France n'en avait pas 500 ! Il faut simplement que ce qu'on appelle "le seuil de suffisance" c'est-à-dire en avoir assez pour dissuader (je ne dis pas pour attaquer, pour dissuader, pour qu'on n'ait pas envie de nous attaquer) -, soit maintenu.
- Quand ils auront plus encore réduit leurs armements, le Président de la République du moment pourra parfaitement envisager une modification. Ce n'est pas une vérité d'évangile, l'arme nucléaire, et j'ai moi-même pris la décision, pour bien montrer la volonté de la France, de "geler" les expériences nucléaires à Mururoa pour la saison d'été 1992...
- QUESTION.- Vous allez pouvoir maintenir cette interdiction sans amoindrir notre force de frappe ?
- LE PRESIDENT.- On peut tenir facilement cette année-là, mais si les autres pays, comme il semble, comme ils l'ont presque tous dit, soit reprennent leurs expériences (je pense aux Russes), soit continuent (je pense aux Américains et aux Anglais), eh bien, ce sera un devoir que de reprendre, n'ayant pas été entendu. Cela aurait été une grande chose pour la paix !.\
QUESTION.- Monsieur le Président, la défense, c'est aussi la mission humanitaire confiée actuellement à l'armée française dans l'ex-Yougoslavie.
- Vous avez pris une initiative spectaculaire en vous rendant à Sarajevo. La Communauté internationale se montre sévère en édifiant un blocus contre la Serbie et le Montenegro. Hier soir, ce matin, des obus ont été tirés contre le Quartier général des Nations unies à Sarajevo.
- Est-ce que vous n'avez pas le sentiment d'un échec de la communauté internationale ? Est-ce qu'il ne faudrait pas être plus intraitables à l'égard de certains, qui semblent se moquer des avertissements de l'ONU ?
- LE PRESIDENT.- Vous voulez dire faire la guerre ?
- QUESTION.- Arrêter la guerre !
- QUESTION.- Faut-il faire la guerre, comme dans le Golfe, monsieur le Président ?
- LE PRESIDENT.- Ce sont des mots...
- QUESTION.- En gros, c'est ce que les Français se demandent. Il y eu l'humanitaire, est-ce qu'il faut faire le militaire ?
- LE PRESIDENT.- La France a pris beaucoup d'initiatives. Mon voyage à Sarajevo... Moi, je suis allé passer... Quoi ? Un certain nombre d'heures, même pas la valeur de toute une journée. Et il y a des milliers, des centaines de milliers de gens qui y vivent tous les jours, et tous les jours de la semaine, et toutes les semaines du mois, des mois... alors ne comparons pas ! Mais la France a pris beaucoup d'initiatives. La mienne s'est bordée à essayer d'ouvrir le blocus qui pesait sur la ville de Sarajevo, avec 400000 personnes dans un état de misère extrême, d'ouvrir l'aéroport, et la route qui va de l'aéroport à la ville. Cela a suivi. Tant mieux. Il y a tant de choses à faire dans d'autres villes qui sont aujourd'hui assiégées...\
`suite sur le conflit yougoslave` La France a pris beaucoup d'initiatives. C'est elle qui a saisi les Nations unies, dès l'année dernière, et elle n'a pas été suivie. Ensuite, c'est revenu, mais avec du retard. C'est elle qui a saisi la communauté européenne, c'est elle qui a demandé l'institution d'une Cour d'arbitrage. Je pense qu'on a peut-être un peu inversé l'ordre des décisions à prendre, contre l'avis de la France. J'aurais préféré qu'on définisse le droit des minorités car au fond, là-bas, ce sont des minorités qui vivent dans la terreur, qui ne sont pas défendues, qui ne sont pas garanties, qui n'ont pas un statut international en tant que minorités, pour la sauvegarde de leur vie et de leur identité.
- J'aurais préféré que cela fût décidé d'abord, avant de reconnaître les souverainetés. Cela n'a pas été fait, tant pis, mais veillons en tout cas à sauver les minorités £ elles sont multiples dans ces pays, et elles se détestent, parce qu'elles vivent dans la terreur £ elles ont toujours été massacrées à travers les siècles et ces souvenirs historiques pèsent sur la mémoire collective de ces peuples.\
`suite sur le conflit yougoslave` Les Nations unies ont envoyé des soldats. La France a entrepris des initiatives. A l'heure actuelle, il y a près de 3000 Français là-bas (il y a 5000 Français qui sont dans des missions de paix et de sécurité, répandus sur le monde), beaucoup plus que n'importe qui.
- La proposition Badinter sur la Cour d'arbitrage a été adoptée, mais elle n'a pas pu entrer encore dans les faits, parce que ni la Serbie, ni la Croatie, n'ont jusqu'ici désiré faire appel à cela. Et puis, il y a une volonté serbe d'annexer les territoires peuplés par des Serbes, et comme il est très difficile de savoir exactement où s'arrête ce type de frontière intérieure - qui va d'ailleurs contre le droit international -, c'est un problème presque insoluble. Et les Croates font la même chose, toujours sur cette malheureuse Bosnie-Herzegovine. Le blocus et les sanctions des Nations unies, c'est quand même important. Cela n'a pas encore été décisif. Vous avez vu qu'il y avait un renforcement par les voies maritimes, dans l'Adriatique, afin de tenir plus serré ce blocus. Doit-on passer à la phase suivante, c'est-à-dire tout simplement à l'envoi d'armées, d'avions qui bombardent, de fantassins et d'artilleurs qui se déplacent sur le terrain ? Il faut aborder ce problème avec une extrême prudence. Une guerre de plus, et sur quel terrain ? Et dans quelles conditions ? Moi, personnellement, je pense qu'il faut maintenir le blocus, la coalition internationale pour parvenir à convaincre la Serbie, le cas échéant la Croatie, le cas échéant les autres, qu'il convient d'en arriver à la discussion pacifique.\
`suite sur le conflit yougoslave` Voilà pourquoi j'ai demandé une conférence internationale. Cette conférence internationale aura forcément lieu. On se rangera un jour à l'avis de la France. Mieux vaudrait se dépêcher...
- QUESTION.- Vous la voyez comment, monsieur le Président, cette conférence internationale ? Vous avez dans l'idée quelque chose comme le Cambodge ?
- LE PRESIDENT.- La France a été déterminante pour le Cambodge. Je pense qu'il faudrait qu'au moins il y ait les partenaires des Balkans £ je pense qu'il faudrait qu'il y ait les partenaires du Conseil de Sécurité des Nations unies, au moins les cinq membres permanents, (donc la France, la Grande-Bretagne, la Russie, les Etats-Unis d'Amérique), je pense qu'il faudrait qu'il y ait quelques-uns des principaux pays désignés à cet effet par la Communauté européenne, je pense à l'Allemagne, je pense à l'Italie... Je pense que l'ensemble de ces pays extrêmement responsables pourraient enfin obtenir des uns et des autres, et d'abord des Serbes, qu'ils mettent fin à ce triste dialogue qui consiste à envoyer des obus et à tirer à la mitrailleuse !
- QUESTION.
- Monsieur le Président, je me souviens des questions que nous vous posions après l'invasion du Koweït par l'Irak, avant la guerre du Golfe : "Si l'embargo échoue, que déciderez-vous ?" Je vous pose la même question : si le blocus échoue, si cela continue...
- LE PRESIDENT.- C'est une décision internationale. La France n'ira pas faire la guerre dans les Balkans, en envoyant ses armées, par sa propre décision. La France appliquera les décisions des Nations unies.\
QUESTION.- Puisqu'on vient de parler de l'Irak, je voudrais vous poser une question personnelle : qu'avez-vous éprouvé lorsque Mme Danielle Mitterrand et M. Kouchner ont échappé à un attentat qui a fait plusieurs morts ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas à faire connaître mon opinion. Vous pouvez facilement l'imaginer.
- QUESTION.- Monsieur le Président, merci d'avoir répondu à de très nombreuses questions pour ce 14 juillet. A l'année prochaine.
- LE PRESIDENT.- Je vous remercie.\