10 juillet 1992 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, sur le conflit yougoslave et la décision d'envoyer des troupes pour protéger son action humanitaire à Sarajevo, Helsinki le 10 juillet 1992.

Mesdames et messieurs,
- La Conférence CSCE est maintenant terminée. Je pense que vous avez suivi d'assez près les débats et qu'il est donc inutile de faire une présentation des choses, j'écoute dès maintenant vos questions.
- QUESTION.- Monsieur le Président, une série de mesures assez semblables viennent d'être prises par différents organismes et à différents niveaux concernant le blocus de la Serbie. Est-il excessif de dire que c'est l'Europe qui a un peu tiré l'Amérique et l'OTAN dans cette direction ?
- LE PRESIDENT.- Je ne pense pas. Je ne pense pas que ce soit l'Europe qui ait tiré les Etats-Unis. Non, je pense qu'il y a eu toute une série d'interférences mutuelles.
- QUESTION.- Monsieur le Président quelle est votre impression globale sur cette réunion de la CSCE et pensez-vous que l'on aurait pu aller plus loin en ce qui concerne la Yougoslavie ?
- LE PRESIDENT.- Je pense que cette conférence, dont l'utilité a été déterminante pour la fin de la guerre froide, la fin des blocs et la réconciliation générale marquée par la Charte de Paris, doit maintenant s'adapter à un nouveau régime de croisière puisqu'elle a obtenu les résultats qu'elle souhaitait. Elle est restée un forum où ont été prises de fort importantes décisions pour les Droits de l'Homme et la sécurité. Elle ne s'est pas pour l'instant donné les moyens de prendre des décisions radicales dans un certain nombre de domaines qui supposent un consensus général. Je crois que c'est un point dont il faudra s'occuper, sans quoi le pouvoir de décision sera finalement absent.
- Pour le reste, on n'a pas noté l'éventualité d'une Conférence internationale à propos de l'ancienne Yougoslavie. Mais cela n'infirme en rien, je m'en suis inquiété naturellement, les positions prises par la Communauté à Munich, car les deux organisations n'ont pas à reprendre, à recouper exactement les mêmes dispositions. A la CSCE, l'on s'adresse à cinquante-deux pays qui ne sont pas intéressés de la même façon par les mêmes questions. Surtout qu'ici l'Europe fait une pointe audacieuse - tout à fait normale, puisqu'il s'agit de l'héritage de l'ancienne Union soviétique - jusqu'aux frontières de la Chine avec le Tadjikistan, dont la présence me réjouit notamment.
- Donc je n'ai rien relevé de particulier. La position à l'égard de la Serbie est d'appliquer les décisions prises : sanctions, embargo. Cela ne peut pas rester simplement au stade des belles paroles. Mais, la possibilité de dialoguer dans les différentes instances peut parvenir à convaincre les différents partenaires que c'est autour de la table qu'ils règleront leurs problèmes et non pas par les armes. Cela reste la vocation permanente de la CSCE. Et je crois que c'est une bonne direction.\
QUESTION.- Le projet franco-allemand de Cour de conciliation et d'arbitrage n'a pas été retenu à ce sommet. Comment expliquez-vous les objections qui lui ont été opposées et est-ce que vous pensez que cela sera approuvé au cours de la réunion ministérielle de Stockholm à la fin de l'année ?
- LE PRESIDENT.- En effet, il y a renvoi à cette date et je pense que cela devrait se passer de la manière dont vous le dites. Maintenant je vous répète que ce projet n'est pas exactement du même ordre quand on examine le problème à cinquante-deux pays qu'avec des pays directement intéressés à la fois par la proximité géographique et par l'enchevêtrement des intérêts historiques. Donc moi je n'y vois absolument aucune autre raison. Le pouvoir de décision, ai-je dit, y est tout à fait différent : vous avez pu constater qu'aussi bien sur les conflits ouverts - type Haut-Karabakh, type Moldavie, type Bosnie - la même situation est partout observée parce qu'il y a toujours un pays, ou quelques-uns, qui, dans le cadre des procédures actuelles, sont en mesure de s'opposer, de dire : "attendons", ce qui conduit à ne rien décider.
- Pour ce projet franco-allemand de Cour européenne de conciliation et d'arbitrage, il devrait voir enfin le jour, je pense, dans cinq mois à Stockholm.\
QUESTION.- Est-ce que vous pensez que les forces de l'UEO vont agir sous les auspices de l'OTAN ou bien est-ce que vous pensez que ce sont deux organisations qui auront à peu près le même "standing" et qui coopéreront ensemble, sans que l'une soit subordonnée à l'autre ?
- LE PRESIDENT.- Il n'y a pas de subordination. Mais les termes ont été soigneusement étudiés : on parle de coordination, coopération, consultation. Ce sont deux organisations qui ne vont pas agir au hasard. Elles agiront en accord et une subordination n'est pas nécessaire. Je considère que la manière dont ont été précisées, au cours de cette conférence, les relations entre l'UEO et l'OTAN correspond à une bonne définition.\
QUESTION.- Quand sera nommé le Haut Commissaire aux minorités ?
- LE PRESIDENT.- Cela, je ne le sais pas, le plus tôt possible. Je pense qu'il vaudrait mieux qu'il soit désigné avant que n'aient été poursuivies un certain nombre d'opérations nuisibles aux minorités nationales. Donc je pense qu'il devrait y avoir accélération. Mais je ne suis pas chargé de cette décision.\
QUESTION.- Apparemment, selon les agences de presse, M. Pornic est arrivé ici à Helsinki. Est-ce que vous pensez que vous aurez une rencontre avec lui ?
- LE PRESIDENT.- Non, cela n'a pas été prévu. J'ai, en effet, appris la présence de M. Panic à Helsinki, mais nous n'avons pas eu d'entretien. Ce qui est prévu pour l'instant après avoir eu le plaisir de vous rencontrer, c'est de rentrer à Paris.
- QUESTION.- Monsieur le Président, le Premier ministre britannique vient de faire une allusion aux forces que vous avez envoyées à Sarajevo hier et il a parlé de gestes qui peuvent être dangereux pour les Nations unies qui sont déjà là. Quelles sont vos réactions ?
- LE PRESIDENT.- Je ne suis pas chargé de l'analyse des propos de M. Major. En raison de nos excellentes relations, cela m'étonnerait d'ailleurs beaucoup qu'il passe son temps à critiquer les initiatives françaises. Non, je ne vois pas pourquoi il pourrait y avoir critique dès lors que nous mettons nos forces à la disposition des Nations unies. La France ne fait que ce qu'elle croit devoir faire, mais non pas avec excès. Je craindrais même plutôt que beaucoup d'autres pays aient pêché par économie de moyens lorsqu'il s'agit d'un drame humain de cette sorte. Mais nous agissons uniquement dans le cadre des actions humanitaires.\
QUESTION.- Monsieur le Président, je pense que notre Europe, après la ratification de Maastricht, peut prendre à nouveau une position déterminante pour le destin de notre planète. J'aimerais entendre votre opinion à ce sujet.
- LE PRESIDENT.- On y travaille beaucoup en tout cas. La France a pris beaucoup d'initiatives sur toutes les questions à l'heure actuelle en suspens. Elle a pris la plupart des initiatives touchant la résolution des conflits de l'ancienne Yougoslavie. Elle a pris beaucoup d'initiatives touchant à la mise au net du Traité de Maastricht, sur lequel elle se prononcera elle-même dans quelques temps. Elle a toujours été très favorable au développement de la CSCE. Je ne sais pas si vous vous souvenez que lorsqu'on en doutait un peu partout, il a fallu que la France donnât son accord public à la proposition de M. Gorbatchev pour que soit décidée la série des trois conférences de Moscou, Paris (où l'on a signé la Charte) et Helsinki. Oui, nous travaillons à cette unification, du moins à l'unité des démarches pour sauvegarder la paix, pour l'asseoir, pour développer la démocratie. Il est devenu évident que nous avons assisté, en l'espace de trois ans, à une des plus grandes révolutions des temps modernes. Il faut maintenant savoir gérer cette situation nouvelle et c'est tout le problème £ on s'y appliquera.\
QUESTION.- Envisagez-vous d'envoyer des troupes terrestres pour combattre en Yougoslavie ?
- LE PRESIDENT.- Il est évidemment très facile de faire se battre le monde entier sur des hypothèses de ce genre. Mais enfin puisque cela vous plaît je vais vous répondre.
- La France ne considère pas que l'action humanitaire à Sarajevo, pour l'instant, ait échoué, puisqu'elle a commencé de s'exercer, déjà depuis longtemps, mais avec l'ouverture de l'aéroport depuis cette semaine, cela est rendu plus facile. Ensuite on a amélioré la possibilité de transport et de communication entre l'aéroport et la ville. On en est là. Les secours humanitaires arrivent.
- Le problème posé à Sarajevo - il fallait bien prendre un exemple - peut être multiplié, car à l'heure actuelle il y a d'autres villes qui souffrent de sièges de cette sorte et qui subissent pertes humaines, souffrance, famine, etc. Il est évident qu'il faut arriver à une solution du problème de la guerre qui frappe à l'heure actuelle la Bosnie. D'un côté, il y a les sanctions, il y a les embargos, d'un autre côté il y a toutes les démarches diplomatiques : celles que mènent MM. Carrington et Cyrus Vance, et celles qui seraient menées d'une façon beaucoup plus cohérente et complète dès lors que nous aurions réuni la Conférence internationale que nous appelons de nos voeux et à laquelle les Sept ont déjà décidé de donner leur appui. Vous vous placez dans l'hypothèse de la guerre, de la guerre à laquelle seraient mêlées les Nations unies. La France exécutera les décisions des Nations unies. Mais en tant que membre permanent du Conseil de Sécurité, la France ne demandera pas l'envoi d'armées sur le sol yougoslave. Elle n'est pas dans l'état d'esprit d'envoyer des troupes pour le combat sur le terrain. D'ailleurs, je vous dirais tout de suite que personne ne nous l'a demandé. Donc nous n'avons pas eu à le refuser. Vous vous substituez opportunément sans doute, aux différentes autorités politiques qui en ont la charge ! Personne ne nous l'a demandé. Si on nous le demandait sous la forme où vous l'avez fait, nous dirions que d'autres méthodes nous paraissent préférables.
- Nous sommes dans la disposition d'esprit d'envoyer des troupes pour assurer la protection des secours humanitaires. Est-ce que cela vous paraît clair ?\