5 mai 1992 - Seul le prononcé fait foi

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Entretien de MM. François Mitterrand, Président de la République, et Felipe Gonzalez, Président du gouvernement espagnol, avec la presse, sur la ratification du traité de Maastricht, l'ordre du jour du sommet de Lisbonne et le terrorisme, Madrid, le 5 mai 1992.

M. GONZALEZ.- Demain, c'est la journée de la France à l'Exposition. Le pavillon de la France a beaucoup de succès à l'Exposition universelle. Il a fait très beau aujourd'hui en Andalousie.
- Je tiens à vous remercier publiquement de l'effort réalisé dans la lutte contre la violence et dans le domaine de la coopération entre nos deux pays.
- Nous nous sommes entretenus brièvement, pendant le moment dont nous avons disposé, de la construction de l'Europe. Puisque nous avons très peu de temps, je tiens à nouveau à souhaiter la bienvenue au Président Mitterrand. Je tiens à nouveau à le remercier et je lui donne la parole.
- LE PRESIDENT.- M. Felipe Gonzalez et moi nous nous rencontrons souvent et nous avons donc l'occasion de suivre de très près les problèmes internationaux qui se posent à nous, spécialement sur le plan de l'Europe en voie de construction et naturellement nous nous informons de la situation intérieure de nos pays. C'est ce que nous venons de faire à l'instant. Comme vous le savez, je viens en Espagne pour procéder à l'inauguration demain du Pavillon français de Séville. A cette occasion je rencontrerai les autorités locales et régionales et je suis surtout très curieux de voir cette fameuse exposition. Puisque je venais en Espagne, j'en ai profité pour prendre l'avion un peu plus tôt que prévu et passer la soirée à Madrid, ce qui m'aura permis de rencontrer le Premier ministre et le Roi d'Espagne. Je suis à votre disposition, ainsi que M. le Président du gouvernement, pour répondre à vos questions.\
QUESTION.- Y a-t-il une relation, comme l'ont établi certains moyens de communication, entre les dernières arrestations de terroristes de l'ETA en France et ce qui s'est fait récemment et votre visite, ici, en Espagne ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas très bien compris la relation entre les deux phénomènes. Je crois vous avoir dit à l'instant que j'étais venu pour l'Exposition universelle. J'aimerais bien que tous les terroristes soient déjà arrêtés, cela me paraît une démarche utile mais assez compliquée sur laquelle on a fait, dans une très bonne entente avec le gouvernement espagnol, de grands progrès. Enfin je ne suis pas venu pour cela.\
QUESTION.- Les débats qui se tiennent actuellement dans différents pays sur la ratification des accords de Maastricht donnent une certaine déprime à la conjoncture européenne. Que faudrait-il pour que le prochain sommet européen de Lisbonne, dans un mois et demi, soit pour vous un sommet réussi ? La question s'adresse au Président Mitterrand et au Président Gonzalez.
- LE PRESIDENT.- Ce sommet aura lieu bientôt, dans quelques semaines, fin juin. Il serait bon que les procédures parlementaires soient avancées dans beaucoup de pays, ce serait un bon signe. De ce point de vue la France a plutôt voulu donner l'exemple afin que l'élan de la construction européenne soit poursuivi sans doute possible. Indépendamment de cela, il y a toujours des problèmes qui se posent dans chaque réunion au sommet. Je ne peux pas vous dire comment ce sommet pourra être plus réussi qu'un autre. J'aimerais bien avoir une question plus précise, que vous me demandiez par exemple : par rapport à tel problème concret estimez-vous que des progrès peuvent être faits ?
- QUESTION.- Comment peut-on avancer sur la construction européenne à Lisbonne ?
- LE PRESIDENT.- Il y a un ordre du jour fixé par nos amis Portugais. On tourne toujours autour des mêmes questions. Dans le sommet précédent il était question de Maastricht, c'est-à-dire des deux traités d'union réunis en un seul. Cela nous a pris beaucoup de temps, maintenant c'est derrière nous. Ce n'est plus aux Sommets européens de s'en occuper. On va naturellement suivre de près, entre le mois de juin et le mois de décembre, ce qui se passe sous la présidence du Portugal, et en décembre, nous pourrons faire un premier bilan. Car le Traité stipule que l'on doit avoir pris une décision avant le 1er janvier 1993.
- Il y aura d'autres questions qui sont, si j'ose dire un peu traditionnelles :
- Nous parlerons du problème des fonds structurels et donc de la cohésion économique et sociale entre les différents pays de l'Europe des Douze.
- Nous allons également sûrement commencer à parler de l'élargissement, bien qu'aucune décision ne soit à attendre avant l'année suivante. Mais comme il y a beaucoup de demandes (l'Autriche, la Suède, la Turquie, peut-être la Finlande, peut-être la Norvège, Chypre, etc...), je pense qu'il sera difficile de ne pas procéder à un examen préliminaire de cette situation. J'ai évoqué le problème des fonds structurels puisque la construction de l'Europe provoquera des contributions plus fortes de chaque pays. On va donc en discuter pour se mettre d'accord, trouver un moyen terme entre les demandes qui sont faites et l'acceptation qui sera donnée.\
M. GONZALEZ.- Je voudrais simplement ajouter qu'avant le sommet de Maastricht tout le monde avait beaucoup d'espoir et attendait avec beaucoup d'impatience de voir si on allait arriver à un accord ou non. Ensuite, vous vous en souviendrez, il y a eu également beaucoup de scepticisme quant à la possibilité de tomber d'accord à Maastricht. Cet accord nous y sommes parvenus. A mon avis, ceci a été d'une grande importance pour le processus de construction européenne et la première chose à dire c'est que personne ne peut s'attendre à ce que tous les six mois le même genre de choses se produise.
- Ce qui s'est fait à Maastricht ne peut pas se répéter. Il y aura une révision qui sera faite en 1996 sur ce que peut être l'impulsion post-Maastricht du processus institutionnel. Certains journalistes viennent d'entendre le Premier ministre portugais qui vient de vous parler des questions essentielles qui seront traitées lors de la Conférence au sommet de Lisbonne :
- Pour le marché intérieur, il reste encore 46 ou 47 directives. Le Portugal pendant ce semestre va en mettre au point 22 ou 24 et donc, d'ici la fin de l'année, on pourra mener à bien toutes les décisions qui ont été prises dans le cadre de l'Acte unique et du Livre Blanc sur le marché intérieur.
- Ensuite, le Président Mitterrand vous en a parlé, il y aura une première discussion sur le paquet financier, discussion qui je l'espère sera fructueuse. Puis il y aura également un premier débat, qui j'espère aussi sera fructueux, sur l'élargissement. Je me souviens qu'à Maastricht, nous avons décidé que l'élargissement ou l'autorisation de négocier un éventuel élargissement de la Communauté se ferait après l'approbation du paquet financier. Par conséquent, nous avons juin et décembre pour avancer dans ce domaine.
- Il y aura probablement un débat ou un certain progrès à propos de la politique agricole commune, la PAC.
- L'ordre du jour de la réunion de Lisbonne sera très dense. Mais je crois qu'il ne faudrait pas trop attendre de chaque conférence au sommet, il ne faudrait pas en attendre autant que ce que nous avions à attendre de Maastricht. BIen sûr, cette conférence est très importante pour une communauté de pays, il s'agit d'un processus historique. Mais maintenant, il nous faut assimiler Maastricht, maintenant nous sommes un peu dans l'après-Maastricht, dans un processus de digestion, d'assimilation de Maastricht.\
QUESTION.- Cette question s'adresse aux deux Présidents. J'aimerais savoir si après le succès de la collaboration dans la lutte contre le terrorisme on peut amplifier encore, renforcer encore cette collaboration entre l'Espagne et la France ? Et j'aimerais savoir si les progrès qui ont été réalisés peuvent aller plus loin et si nous sommes maintenant au cours du préambule de la fin du terrorisme ?
- M. GONZALEZ.- Permettez-moi, comme je le disais, d'abuser de votre attention en vous rappelant notre dernière conférence de presse commune. Le Président Mitterrand nous a rendu visite il y a quelques mois et nous avons répondu à certaines questions concernant cette collaboration dans la lutte contre le terrorisme.
- Je dois vous dire qu'aujourd'hui, nous n'avons pas à expliquer cette réponse. Quand se terminera cette collaboration, cette coopération, comment pourra-t-elle se compléter ? Probablement quand le problème lui-même prendra fin.
- Tout ce que nous pouvons constater avec rigueur, avec sérieux et également avec reconnaissance, c'est que l'un des piliers de l'élimination de la violence c'est bien la coopération, la collaboration entre nos deux pays. Cette coopération a fonctionné de façon très satisfaisante et l'action de la police a très bien fonctionné. L'accord interne en Espagne, lui aussi a très bien fonctionné jusqu'à présent. Nous espérons que cela va continuer ainsi.
- Par conséquent, il faut toujours voir les choses avec prudence, mais il faut voir avec un certain optimisme que nous avançons dans ce domaine de l'élimination de la violence.\
QUESTION.- Question au Président Mitterrand. Que pensez-vous des annonces répétées, même dans des messages remis au gouvernement français, de certains groupes nationalistes basco-espagnols proches de l'ETA, quant à la possibilité de voir la violence qui existe actuellement en Espagne s'étendre au sud de la France, autrement dit au Pays basque français. Bien sûr je parle de Herri Batasuna et les différents messages transmis au gouvernement d'après les conférences de presse qu'ils ont données au pays ?
- LE PRESIDENT.- Tout est possible. Notre attitude n'est pas commandée par la menace de cette éventualité. Nous avons établi avec le gouvernement espagnol une coopération étroite pour lutter contre le terrorisme. Cela s'appelle terrorisme en Espagne, cela s'appelle terrorisme en France, dans les deux cas il faut agir de la même façon, donc je ne vois pas de différence entre la manière de faire ici et là. Mais enfin nous prendrons naturellement et nous prenons déjà les mesures qui devraient nous permettre de limiter ce type d'action.\
QUESTION.- Monsieur le Président avez-vous évoqué l'idée d'un réajustement monétaire au sein du système monétaire européen pour éventuellement parvenir à diminuer le taux d'intérêt dont deux pays pratiquent actuellement des niveaux élevés en particulier l'Espagne et la République fédérale ? L'idée d'un réajustement étant éventuellement de pouvoir baisser ces taux d'intérêt ?
- LE PRESIDENT.- Je n'en ai pas entendu parler mais, s'il en avait été question, je pense que je n'en ferais pas la déclaration ce soir. Ce que je peux vous dire c'est que les taux d'intérêt sont à mes yeux trop élevés, il doit y avoir d'autres moyens de les réduire.
- M. GONZALEZ.- Je partage son opinion. Je préférerais un taux d'intérêt plus bas, c'est bien pour tous.\