7 février 1992 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse conjointe de MM. François Mitterrand, Président de la République, et Boris Eltsine, Président de la Fédération de Russie, sur les relations entre la France et la Russie, la sécurité et le contrôle nucléaires, ainsi que la réduction des armements, Paris, le 7 février 1992.

Mesdames et messieurs,
- Nous avons été heureux de recevoir la visite du Président de la République de Russie, M. Eltsine, accompagné d'une délégation comprenant plusieurs membres de son gouvernement.
- Nous avons, je crois, beaucoup travaillé. Je vous donnerai la liste succincte des accords principaux. Un traité a été signé, vous pourrez vous reporter très aisément à son contenu. Nous avons débattu avec le Président Eltsine de certains problèmes militaires touchant au désarmement nucléaire. De multiples rencontres, un emploi du temps naturellement chargé, ont permis au Président de Russie de rencontrer de nombreuses personnalités françaises, du monde politique, intellectuel et économique, de prendre l'air de Paris, qui nous réserve ce matin un beau soleil - on n'y verra pas de symbole, tant ce type de symbole échappe à la volonté des hommes - mais nous ne pouvons que nous réjouir lorsque nous constatons que nous sommes, à l'heure actuelle, en mesure de donner un tour nouveau aux relations de la France avec un pays, la Russie, qui reprend le fil d'une longue et grande histoire.
- Depuis déjà quelques années, s'étaient amorcées les évolutions qui nous ont permis d'en finir avec la guerre froide et avec la politique des blocs militaires. D'abord grâce à la perestroïka et à l'action de M. Gorbatchev, ensuite grâce à l'effort considérable accompli par le Président Eltsine et au courage qu'il a montré pour traverser les heures sombres qui auraient pu, l'an dernier, faire basculer les avancées démocratiques et arrêter le cours d'une évolution nécessaire.
- Cela a été fait par le Président de Russie avec courage, détermination, et il s'engage désormais dans une politique de rapprochement qui nous permet de penser que nous débattons entre nous comme entre des pays européens unis par des objectifs comparables et dont le comportement, a priori, est amical et non pas belliqueux.
- Nous nous efforçons de notre côté de contribuer au redressement de l'économie russe, afin précisément de lui donner tous les atouts dans sa marche vers la démocratie.
- Au cours de ces journées ont été établis un certain nombre d'accords indépendamment du Traité dont je vous ai parlé. Pour les affaires étrangères : un protocole de coopération entre les ministères et des arrangements sur les procédures de visa. Pour l'économie et les finances : un accord sur les relations économiques et financières entre nos deux pays. Vous savez que des crédits ont été alloués du côté français : deux milliards de francs pour l'achat de céréales, un milliard et demi de francs pour l'achat de biens industriels. Des échanges de lettres ont été signés sur la protection des investissements, sur la double imposition, sur la coopération bancaire financière, des accords sur l'utilisation des méthodes d'économie mixte, des programmes de coopération technique pour 1992 en vue d'adapter les anciennes structures et les anciens programmes de coopération franco-soviétique. De même, les ministres de l'intérieur ont discuté et sont parvenus à un arrangement administratif entre les deux ministères.\
Nous avons parlé sûreté nucléaire : échanges de lettres sur la coopération entre les instances compétentes en France et en Russie, création d'un groupe d'experts et, d'autre part, un texte marquant, que j'ai sous les yeux. Je le cite : "Conformément aux déclarations de leurs Présidents, la Russie et les Etats-Unis d'Amérique mènent des réductions profondes de leurs armes nucléaires selon un calendrier déterminé. S'agissant des armes stratégiques, lorsqu'un progrès considérable aura été accompli dans cette voie, et lorsque les réductions auront atteint une certaine qualité et un certain niveau dans un délai fixé, la France pourra se joindre à ces négociations".
- Mais je veux laisser maintenant au Président Eltsine le soin de s'adresser à la presse qui nous écoute, après quoi, mesdames et messieurs, vous pourrez naturellement poser les questions de votre choix.\
LE PRESIDENT ELTSINE.- Je vous remercie monsieur le Président, mesdames et messieurs. Oui, vraiment, la visite a été extrêmement dense quant à son programme mais très utile. Notre délégation et moi-même sommes fort satisfaits du bilan de toutes les négociations. Tout d'abord des négociations des Présidents de la France et de Russie et de nos administrations, des ministres des affaires étrangères, des chefs des forces armées, des chefs des administrations économiques et autres. Nos négociations ont abordé, comme l'a fait remarquer le Président de France, M. Mitterrand, un vaste éventail de questions. Je ne vais pas répéter ce qu'il a dit. J'ajouterai simplement certaines questions qui avaient trait à la vente d'armes nucléaires, au respect des traités qui avaient été signés par l'ancienne Union soviétique et à l'assurance que nous avons donnée que nous appliquerons scrupuleusement les traités qui ont été signés par l'ancienne Union soviétique. Tout particulièrement s'agissant de la réduction de l'armement conventionnel en Europe, le traité CFE, la part russe déterminée par le traité sera rigoureusement respectée dans ce plan.
- Je suis satisfait de la réaction extrêmement opérationnelle de M. Mitterrand aux questions que je posais encore, le jour de mon arrivée le 5 février, ainsi que ma délégation. Aujourd'hui, pratiquement il ne subsiste plus aucune question. Nous nous séparons avec une compréhension totale qui s'accompagne d'un intérêt mutuel dans le développement de notre coopération. Naturellement, c'est une nouvelle époque, une ère nouvelle qui s'ouvre dans nos relations. Une ère nouvelle puisque nous ne sommes plus des adversaires. Nous ne sommes même plus des adversaires potentiels. Nous désirons devenir des alliés. C'est très important. Nous nous affranchissons de la peur qu'éprouvaient nos peuples et les dirigeants politiques. Naturellement, nous avons une confiance entière l'un envers l'autre et sur cette base notre coopération se développera de façon plus audacieuse. Au cours d'entretiens avec de nombreux hommes politiques français, outre le Président de la République, le Premier ministre Mme Cresson, le Président de l'Assemblée nationale M. Emmanuelli, le Président du Sénat, M. Alain Poher, le ministre des affaires étrangères M. Dumas, et ceux que j'ai eus avec les milieux d'affaire, nous avons abordé un vaste éventail de questions d'intérêt commun en matière de relations bilatérales. Nous avons également abordé la question de la solidarité européenne, s'agissant de l'entrée de la Russie dans la maison commune européenne sur une base d'égalité. En ce qui concerne, d'autre part, l'entrée de la Russie dans la communauté internationale, et la contribution que peut nous apporter la France, des relations personnelles excellentes se sont établies entre nous et les dirigeants français, et en premier lieu avec le Président Mitterrand. Ce dont personnellement je suis très heureux, croyez-le, car la France et la Russie ont une importance immense dans tous les processus en cours en Europe et dans le monde. Je suis reconnaissant de l'accueil rigoureux, solennel, protocolaire mais s'accompagnant de douceur, de bonté, d'estime de la part des dirigeants français, du Président, des Parisiens. Je leur en suis reconnaissant.\
LE PRESIDENT.- Je vais maintenant donner la parole à ceux qui la demanderont, non sans avoir réitéré à quel point nous sommes sensibles à la façon dont le Président Eltsine et sa délégation ont tenu à montrer leur désir d'entente avec la France pour la paix et pour le progrès .
- QUESTION.- Ma première question s'adresse à M. Eltsine. Nous, peuples arabes, avons l'impression que la direction de Russie ne s'intéresse plus à nos affaires. Je voudrais vous demander, s'agissant des négociations multinationales, on a l'impression d'une attitude un peu négative à l'égard du continent africain. Par ailleurs, nous savons que vous avez été l'initiateur du processus de réglement pacifique des problèmes au Moyen-Orient. Avez-vous abordé cette question ?
- LE PRESIDENT ELTSINE.- Dans la Russie nouvelle et démocratique, nous n'avons pas encore eu la possibilité de nous mettre en contact direct et étroit avec les dirigeants africains mais cela ne signifie nullement que nous avons un préjugé à l'encontre de ces pays, à l'encontre de la volonté de leur peuple et de leurs dirigeants, d'édifier à leur convenance leur vie. Récemment, en recevant les lettres de créance du premier ambassadeur d'Arabie Saoudite, - Premier à la fois pour l'ancienne Union et pour la Russie -, je lui ai dit que naturellement il nous faut développer nos contacts et que nous y sommes prêts. Et nous sommes également prêts à effectuer des visites dans certains pays d'Afrique. S'agissant de ma déclaration d'hier, croyez-moi, cela n'est nullement lié à notre attitude à l'égard des pays d'Afrique. J'ai dit que plus un pays était vaste, plus ce pays se prêtait difficilement à des expériences sociales et politiques. Un pays de moindre superficie pourrait se libérer plus facilement de ce fardeau si lourd ont nous avons pu nous affranchir. Enfin, je suis très heureux que les pays africains agissent dans ce sens.
- LE PRESIDENT.- Nous avons surtout parlé des relations entre la Russie et la France ainsi que de l'environnement immédiat européen, de l'ensemble des problèmes qui se posent sur le plan militaire et envisagé de quelle manière l'Europe pourrait se structurer. Nous n'avons pas fait le tour exhaustif de toutes les questions qui touchent la vie du monde.\
QUESTION.- Monsieur le Président, on a souvent parlé du péril potentiel que représentent les armes nucléaires situées sur le territoire de l'ancienne URSS. Après vos conversations avec le Président Eltsine, êtes-vous pleinement rassuré ? Et d'autre part la France va-t-elle participer à la destruction d'une partie de ces armes ?
- LE PRESIDENT.- Le Président Eltsine nous a affirmé que désormais les Républiques sur le sol desquelles se trouvent des armes nucléaires ont décidé de concentrer leurs forces et surtout d'accorder le pouvoir de décision central au Président de la République de Russie, lequel est assisté par le Maréchal Chapochnikov. Nous n'avons pas lieu, bien entendu, de mettre en doute ce qui nous a été ainsi indiqué. NOus continuerons ensemble à suivre l'évolution de cette situation si la nécessité s'en fait sentir, de façon qu'avec les autres - les puissances nucléaires qui ont des forces en Europe, je veux dire la Grande-Bretagne, les Etats-Unis d'Amérique, nous-même - nous puissions délibérer sur ces sujets afin que tout soit définitivement clair entre nous.
- Nous avons, en effet, parlé de ce que la France pourrait accomplir afin d'aider la Russie au démantèlement des forces qui seraient jugées superfétatoires par les accords à ce sujet. De ce point de vue, c'est entendu, il y aura coopération étroite dans ce sens. Les experts français pourront prendre part à ce travail nécessaire et très difficile qui risque d'être assez long.\
QUESTION.- Une question pour les deux Présidents. Peut-on dire, messieurs les Présidents, qu'après la journée d'aujourd'hui, il existe une relation spéciale entre la France et la Russie ? Et question annexe, est-ce que désormais les engins stratégiques nucléaires français n'ont plus d'objectif en Russie et inversement les engins nucléaires stratégiques russes n'ont plus d'objectif en France ?
- LE PRESIDENT.- Je vais vous répondre dès maintenant. Les relations sont forcément d'un type nouveau, puisque jusqu'alors nous débattions avec le Président ou les responsables de l'Union soviétique. Evénement capital dans notre histoire contemporaine, la Russie en tant que telle, est réapparue sur la scène de l'histoire et c'est avec la Fédération des peuples de Russie que nous discutons. D'une certaine manière, cela nous est facile, car il existe une tradition dans ce sens. Nombre de mes prédécesseurs ont eu à discuter avec les responsables russes. Nous retrouvons là une trace adaptée, bien entendu aux besoins de la fin de notre siècle. On peut dire, en effet, que c'est une relation, d'un type nouveau ou renouvelé, en tout cas oubliée depuis longtemps. Et pour moi c'est la première fois qu'il m'est donné de discuter de ces choses avec un tel partenaire et je me réjouis que cela ait pu être possible dans d'excellentes conditions avec le Président Eltsine.\
`Suite réponse sur les armes stratégiques` Deuxième question : les forces stratégiques françaises ont pour objet d'assurer la sécurité de la France et non pas d'agresser qui que ce soit. Telle était leur destination dès le point de départ, il y a de longues années : une force dissuasive, défensive. Un mouvement très important a été amorcé pour le désarmement, succédant à une période ininterrompue de surarmement. Cela a commencé avec MM. Reagan et Gorbatchev, cela s'est poursuivi et cela continue. Et très récemment vous avez pris connaissance des propositions importantes de M. Bush d'une part et de M. Eltsine d'autre part.
- En particulier, les dernières propositions de MM. Bush et Eltsine marquent une accélération, une ampleur encore jamais atteinte. Nous observons ce mouvement avec beaucoup d'intérêt et nous en approuvons le sens. C'est bien dans cette direction-là que nous aussi nous comptons aller. Simplement, j'en reviens à des données plusieurs fois répétées ici : les arsenaux américains et russes sont considérablement plus importants que l'arsenal français. Cela ne nous gêne pas, puisque notre objectif - vous connaissez les termes, ils sont consacrés, ils ont une signification bien précise - est celui de la suffisance. Nous avons besoin d'un nombre d'armes suffisant pour être assurés que nul ne pourrait nous agresser si jamais telle en était l'intention, intention qui à l'évidence aujourd'hui s'estompe dans le passé.
- Et cette notion de suffisance continue de nous inspirer. D'ailleurs si j'ai bien compris les propositions du Président Eltsine telles qu'elles ont été communiquées il y a quelques semaines, lui-même escompte, après avoir fait une réduction drastique des armements soviétiques, préserver une part d'armement minimum qui doit, j'imagine, correspondre dans son esprit à cette notion de suffisance, la suffisance adaptée à un territoire plus vaste que celui de la France, celui de la Russie. Et puis après tout, cela engage aussi ou engagera, puisqu'il s'agit d'une arme nucléaire détenue par plusieurs Républiques, des territoires qui ne couvrent pas absolument l'autorité des territoires de l'ancienne Union soviétique, mais dont vous connaissez l'importance.\
`Suite réponse sur les armes stratégiques` Eh bien nous avons le même raisonnement, je l'ai répété au Président Eltsine. La France n'appartient pas aux forces intégrées de l'OTAN pour une raison simple : nous avons tenu à garder notre liberté de choix, notre stratégie est autonome. Avec la Russie, nous disons très clairement : nous nous associerons à votre mouvement de réduction. Quel sera le signal, le moment à partir duquel la qualité, c'est-à-dire la puissance, et la quantité des armes auront été réduites de telle sorte qu'il n'y aura pas un décalage trop grand qui créerait une telle inégalité que nous serions obligés d'accroître notre puissance nucléaire pour rester dans le cadre de la suffisance ? Mais ce qui se fait à l'heure actuelle engage un mouvement inverse. Nous pouvons ralentir, nous pouvons diminuer. Nous choisirons nous-mêmes, nous avons déjà diminué, soit le nombre de sous-marins, soit le type de missiles. J'avais déjà réduit, mais il ne s'agit pas là d'armes stratégiques proprement dites, le nombre des Hadès par exemple. Tout cela va dans le bon sens. Mais le "top" comme on dit, le moment à partir duquel la France se joindra aux négociations reste conforme à ce que j'avais annoncé aux Nations unies en 1983. Il faudra qu'il y ait une certaine comparaison possible dans les potentiels.
- C'est le sens du texte que nous avons signé. Déjà ce qui est accompli par la Russie permet à la France de modérer ses programmes. Nous n'allons pas constamment monter sur "l'échelle du perroquet" et opérer une politique de programmation militaire qui irait exactement en sens contraire de ce qui est pratiqué chez nos principaux partenaires détenteurs de l'arme nucléaire.
- Quant à la négociation, qui ferait que l'on mettrait sur la table notre armement et en particulier nos sous-marins, nous attendrons de constater dans les faits les réductions des autres pays. Et pendant ce temps nos experts continueront de discuter. Je l'ai dit au Président Eltsine : il faut que nos militaires et aussi nos gouvernements bien entendu, suivent leurs efforts respectifs, qu'ils se tiennent au courant. Ce sera beaucoup plus facile le jour où la France, convaincue de l'effort accompli par ses partenaires, dira : nous aussi, nous travaillons avec vous pour une réduction globale.
- C'était peut-être un peu long, mais votre question exige beaucoup de précisions. Vous me pardonnerez, mais c'est ce que je viens de faire. M. le Président Eltsine voudra peut-être vous dire quelques mots.\
LE PRESIDENT ELTSINE.- Je réponds à la première question. Je n'utiliserai pas le terme de relations particulières, comme vous l'avez fait en posant votre question.
- Je suis d'accord avec le Président de France, M. Mitterrand. Il s'agit de relations tout à fait nouvelles de part leur qualité. Oui, sans aucun doute, c'est le caractère que nos relations vont revêtir. L'essentiel c'est l'ouverture, l'information honnête à l'égard l'un de l'autre sur la politique de chacun. La confiance, voilà ce sur quoi se fonde notre politique.
- S'agissant des armements nucléaires stratégiques, après notre examen, suffisamment détaillé, de cette question avec le Président de France, je comprends et je respecte sa position, la position de la France. Naturellement au jour d'aujourd'hui on ne peut comparer le nombre des rampes de lancement, des têtes nucléaires, des missiles stratégiques qui se trouvent ici, en France alors que nous en avons 12500 dans 4 pays de la CEI. Nous avons l'intention de les réduire de 6 fois et de les ramener à 2500 en estimant que c'est là le niveau minimal de suffisance pour dissuader toute attaque à l'encontre de la Russie. Nous modifions en conséquence notre doctrine militaire et nous allons modifier les plans de vol pour les missiles stratégiques qui restent, qui n'auront plus pour objectif les anciens adversaires de l'ancienne union de l'ancienne Russie. Ils seront dirigés à l'encontre d'actions non sanctionnées et ne seront pas dirigés contre les villes de France ou les villes d'autres Etats.\
QUESTION.- Je voudrais poser une question aux deux Présidents. Quelles influences auront les nouvelles relations entre la France et la Russie sur les rapports avec d'autres pays de la région, je pense surtout à l'Europe Centrale ?
- LE PRESIDENT.- Pour ce qui me concerne, je ne vois pas ce que je puis vous répondre. Il n'y a rien de changé. Nous avons des relations tout à fait clairement définies avec des pays comme la Tchécoslovaquie, la Hongrie et la Pologne. Nous avons même avec la Pologne et depuis longtemps des relations, on peut dire particulières. Nous entendons les maintenir. Pourquoi est-ce que la relation avec la Russie aurait une influence diminuante, réductrice ou nuisible aux relations entre la Pologne et la France ? Aucune raison, d'ailleurs personne ne nous l'a demandé.
- LE PRESIDENT ELTSINE.- Je voudrais répondre également à votre question. Dans le Traité que nous venons de signer figure un article particulier en disant que ce Traité n'a aucune influence sur les traités signés avec des pays tiers. C'est pourquoi je suis d'accord avec le Président de France, cela ne peut influer en aucune sorte sur nos rapports avec d'autres pays, tout particulièrement avec les pays voisins d'Europe. Nous regrettons que l'année dernière, alors que l'Union soviétique, en tant qu'Empire avait déjà vacillé et que la Russie n'était pas encore devenue un Etat, mes contacts et les relations contractuelles qui existaient avec les pays de l'Europe de l'Est, y compris avec la Pologne, aient été rompus ou notablement diminués. Nous sommes en train de remédier à cette situation. Nous avons conclu un accord avec la Tchécoslovaquie, la Bulgarie, nous avons préparé des accords avec la Pologne, la Roumanie et la Hongrie et nous voulons que pareils traités soient signés afin d'avoir des rapports pleins et entiers entre des Etats indépendants qui ne sont pas limités par l'idéologie.\
QUESTION.- Monsieur Mitterrand, Monsieur Eltsine, pouvez-vous nous dire quelle est la particularité, l'originalité de cette visite ? Deuxième question adressée à Boris Eltsine, dans quelle mesure les accords économiques qui ont été signés au cours de votre visite à Paris peuvent-ils aider la Russie à parvenir aux objectifs qu'elle s'est fixée ?
- LE PRESIDENT.- Je reviens sur ce qui a été dit. L'aspect particulier de cette visite c'est que ce n'est pas la première visite des personnes, mais c'est la première rencontre de la Russie et de la France puisque la Russie est devenue entité politique de droit international. C'est la première fois, il faut donc innover ! Bien évidemment nous nous inspirons d'accords passés avec l'Union soviétique, il n'y a pas une rupture de l'histoire telle que nous devions ignorer le passé qui a occupé les trois-quarts du siècle.
- Mais la Russie, aujourd'hui, c'est un Etat, un Etat souverain. Je veux dire que, pour nous Français, il est tout à fait aisé, facile de retrouver cette tradition car nos deux pays ont été le plus souvent associés, rares ont été les conflits à travers les siècles. Ils ont laissé une trace, surtout pendant le 1er Empire français. Mais, il n'empêche pas que la constante a été l'entente. Il y a un siècle, il y a eu un traité signé en France, un traité de commerce, un traité important et à chaque époque quelque ait été le régime intérieur, de l'un ou de l'autre on a su maintenir cette pérennité. La Russie et la France sont amies et le disent et fondent les bases de leurs relations. Que puis-je vous dire d'autre ?
- LE PRESIDENT ELTSINE.- Je voudrais ajouter quelques mots parce que M. Mitterrand a réellement dit l'essentiel. C'est le premier traité entre la Russie libre et démocratique et la France. Un traité qui touche à tous les domaines de nos relations bilatérales et particulièrement dans le domaine des affaires économiques. Oui, en arrivant, nous avions des questions mais elles ont été réglées de façon si opérationnelle sur les indications du Président que nous savons maintenant que, outre les lignes de crédit qui existaient, il y a deux lignes de crédit supplémentaires : deux milliards pour les céréales et pour la vente de produits de consommation courante et un milliard et demi pour les biens d'équipement. En outre, on a confirmé l'accord de troc, pour deux milliards trois cents millions, en céréales contre des matières premières. Donc vous voyez que c'est là un soutien aux réformes économiques de la Russie, ce dont je suis reconnaissant à M. le Président.\
QUESTION.- Dans votre interview à la télévision, vous avez dit que Gorbatchev vous avait promis de ne plus s'occuper de politique et que vous le croyez. Je voudrais vous demander si pareille promesse se fait sur des conditions, si oui, lesquelles ?
- LE PRESIDENT ELTSINE.- Voyez-vous, pour la première fois depuis 1917, le chef de notre pays est parti avec les honneurs qui lui sont dûs, et nous respectons le rôle qu'a joué Gorbatchev dans l'histoire de notre ancienne Union, tout particulièrement au cours des premières années de son activité. On a réglé toutes les questions qu'il avait posées, s'agissant d'assurer sa vie après qu'il aurait quitté le poste présidentiel, et lors de notre dernière rencontre, nous avons examiné ensemble de nombreux problèmes et j'avais exprimé une certaine inquiétude disant qu'il y avait des forces en Russie, les forces dites "rouges et brunes", qui voudraient saper nos réformes. En réponse, lui-même, sur son initiative, a déclaré que je n'aurais pas à m'inquiéter, que lui-même ne participerait pas à des jeux politiques et à une lutte politique, et, à cet égard, je le crois.\
LE PRESIDENT.- Là, vous nous entraînez dans la politique intérieure russe, ce n'est pas l'objet de la conférence de presse.
- QUESTION.- Monsieur le Président, quelle va être la politique française vis-à-vis des autres Etats de la CEI en matière de crédits ?
- LE PRESIDENT.- Quand ils nous poseront la question, je pourrai vous répondre. Nous n'en sommes pas là.\
QUESTION.- Monsieur le Président Eltsine, les choses se sont beaucoup améliorées mais pourtant les journalistes étrangers et les étrangers en général sont encore soumis en Russie à des tracasseries et à des restrictions à leurs déplacements. Est-ce que vous avez l'intention d'y mettre fin ?
- LE PRESIDENT ELTSINE.- Bien sûr, nous en avons l'intention. Et la première décision, qui a été adoptée dans ce sens est au degré présidentiel £ j'y ai apposé ma signature et elle prévoit que dix de nos grandes régions sont devenues accessibles et ouvertes aux étrangers qui peuvent les visiter librement. Il s'agit de l'Oural, de l'ensemble de l'Oural, zone qui auparavant était interdite aux étrangers, il s'agit du port de Vladivostok, et de dix autres régions et villes. C'est une premier décision. Il y a une deuxième décision qui est à l'étude, nous espérons que cela se fera dans la réciprocité avec les autorités britanniques, qui avaient restreint les déplacements de nos diplomates et de nos journalistes sur le territoire anglais. Lorsque je suis allé à Londres, nous avons discuté de ceci avec le Premier ministre Major et nous sommes disposés à octroyer aux journalistes le libre accès à l'ensemble du territoire à l'exception des sites militaires, ce que vous comprendrez aisément.
- QUESTION.- Dans le cadre de cette visite, vous faites souvent référence au patriotisme russe, hier en particulier.
- LE PRESIDENT ELTSINE.- Comment définir le patriotisme russe ? Je suis tout à fait disposé à me joindre au Président français. Il s'agit de politique intérieure et je vous prie de me poser cette question à Moscou.\
QUESTION.- Comment avez-vous engagé les relations de la Russie avec la Communauté européenne et comment avez-vous exposé vos idées sur la Confédération européenne et quelle a été la réaction de M. Eltsine ?
- LE PRESIDENT.- Non, je ne me suis pas exprimé au nom de la Communauté. La Communauté n'est pas présidée actuellement par la France, mais par le Portugal et je n'avais pas demandé un mandat particulier pour discuter au nom des Douze. D'autre part, les accords de Maastricht sont encore en gestation. Enfin, ils ont été engagés par les Douze, il y a maintenant deux mois, mais ils sont tout juste en forme, ils ne sont pas ratifiés. Donc, la France s'exprimait en tant que telle au demeurant, même plus tard, il y aura toujours des intérêts français à défendre et la France le fera.
- Nous avons parlé des structures futures de l'Europe, donc forcément le terme de Confédération est venu dans nos discussions, de même que nous avons parlé de la CSCE, et du Conseil de l'Europe. Mais cela n'a pas été au centre de nos conversations.\
QUESTION.- La question s'adresse à M. Eltsine. Monsieur le Président, vous avez promis aux Allemands vivant en Russie ainsi qu'au gouvernement de Bonn de rétablir la République allemande autonome, la fameuse République de Volga. Il semble que vous êtes revenu sur votre promesse et il semble que vous encouragiez le départ massif de ces Allemands. Pourriez-vous donc nous préciser votre politique en la matière ?
- LE PRESIDENT ELTSINE.- Il ne s'agit pas d'exode massif, permettez-moi d'exprimer mon désaccord avec vous. Deuxièmement, je n'ai pas changé d'attitude et je confirme ce que j'ai dit au Chancelier Kohl lors de mon séjour en Allemagne. Nous sommes disposés à mettre en place, à réaliser progressivement la reconstitution de l'autonomie allemande dans la région de la Volga. Je disais qu'il était difficile d'envisager ceci dans des régions de populations très denses. Il nous faut trouver des territoires où la population est moins dense. Et nous sommes disposés conjointement avec les populations de souche allemande à chercher ces territoires. Nous en avons trouvé, nous continuerons cette recherche. C'est un programme qui sera réalisé de la manière la plus ferme.\
QUESTIONS.- Une question à M. Mitterrand toute simple. Est-ce que vous avez l'intention de vous rendre bientôt en Russie ? Une question à M. le Président Boris Eltsine : comment vous situez-vous par rapport au paradoxe actuel qui fait que vous semblez avoir plus de facilité à vous entendre avec François Mitterrand, avec George Bush avec qui vous entretenez maintenant des relations amicales, qu'avec certains des Présidents des autres Etats de la CEI ? Et je pense en particulier au Président Kravtchouk. Comment comptez-vous sortir du conflit russo-ukrainien ?
- LE PRESIDENT.- Pour ce qui me concerne j'avais adopté un rythme de rencontres avec le Président d'Union soviétique, M. Gorbatchev. Nous nous sommes vus pratiquement - enfin n'entrons pas dans le détail - chaque année, même quelquefois plusieurs fois par an. Je pense qu'avec la République de Russie nous parviendrons très vite à mettre au point un calendrier de façon à ne pas passer une année sans pouvoir au moins échanger nos vues.
- LE PRESIDENT ELTSINE.- Je tiens à confirmer ce que vient de dire le Président Mitterrand. Je serai heureux de l'accueillir sur le sol Russe.
- En ce qui concerne la question que vous venez de poser sur nos relations avec les dirigeants des autres Etats de la Communauté, je tiens à souligner que nous avons d'excellentes relations avec tous les chefs des Etats de la CEI. Nous avons des relations personnelles, des relations d'affaires. Nous sommes constamment en contact. La Communauté est née il y a seulement deux mois. Par conséquent, il faut consolider la Communauté à chacune de nos rencontres. Or, nous nous voyons une fois par mois : le 16 janvier à Moscou, le 14 février à Minsk, bientôt. Nous améliorons ces relations. En effet, les relations avec l'Ukraine sont, comment dirais-je, peut-être un peu inhabituelles. Mais il s'agit de l'attitude de l'Ukraine et nous ne pouvons qu'éprouver du respect à l'égard de l'attitude de l'Ukraine et continuer à bâtir nos relations sur des principes d'amitié. Nous trouverons une entente sur toutes les questions qui nous séparent, nous n'allons pas nous faire la guerre avec l'Ukraine. C'est inadmissible, ce n'est pas réel, nos peuples ont des relations millénaires. Nous trouverons un langage commun, ne vous inquiétez pas.\
QUESTION.- Une question aux deux Présidents sur la Kirghizie et le Kurdistan. Monsieur le Président, comme vous le savez, les Républiques d'Asie centrale ont toujours eu, avant 1917, le Kurdistan en particulier, des relations avec la Russie. Avez-vous envisagé, dans le cadre de ces pourparlers l'évolution des relations avec l'Asie Centrale ? Pour la Russie c'est la maison européenne commune : que reste-t-il à l'Asie centrale ?
- LE PRESIDENT.- Moi, je n'ai rien à ajouter. Chaque République qui aura acquis son statut d'autonomie et de souveraineté pourra engager des conversations avec la France. Pour l'instant, le problème qui se traite essentiellement, prioritairement, c'est le problème de la réorganisation de l'ensemble des régions ou Etats qui relevaient de l'Union soviétique. C'est donc d'abord ce problème qui doit être réglé.
- LE PRESIDENT ELTSINE.- De la manière la plus concrète, en ce qui concerne le Kurdistan, j'ai beaucoup d'estime pour le Président Nazarbaev, nous avons d'excellents contacts avec lui. Nous venons de signer un accord sur la mise en place d'un espace rouble avec la participation de la Biélorussie, un espace comportant ni tarif douanier, ni octroi, ni douane. Nous avons l'intention de signer un accord de ce genre avec le Président Nazarbaev. Cela montre que nous avons d'excellentes relations et j'espère que ces relations vont se développer et s'approfondir. Nous sommes très proches les uns des autres.
- LE PRESIDENT.- Il faut conclure cette conférence, il ne faut pas abuser de notre hôte et je vous remercie mesdames et messieurs de votre contribution.\