12 janvier 1992 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, accordée au journal "Le Républicain lorrain" du 12 janvier 1992, sur l'impact de l'accord de Maastricht sur la construction européenne et les priorités de l'Allemagne et de la France.

QUESTION.- Dans la mesure où les chefs d'Etat et de gouvernement sont convenus à Maastricht d'avoir, cette année encore, un débat sur les inévitables adaptations institutionnelles de la Communauté européenne dans la perspective d'une Europe élargie à quinze, dix-sept et peut-être vingt-cinq pays, comment voyez-vous le rôle et la place des petits pays, et plus particulièrement du Luxembourg, notamment au regard des présidences tournantes, de la composition de la Commission de Bruxelles, de la représentation au Parlement européen ? En somme, n'y aura-t-il pas, selon vous, altération du jeu institutionnel au détriment des petits pays ?
- LE PRESIDENT.- Toute l'histoire de la Communauté montre que "les petits pays", pour reprendre votre formule, ont été, à chaque étape, essentiels. Et cela pour une raison simple, et qui demeurera : tous les Etats, quelle que soit leur importance économique ou leur poids démographique, ont le même droit fondamental.
- Vous savez que je suis attaché à cette notion, et à ses conséquences pour ce qui concerne la représentation de chaque pays dans les différentes instances communautaires. D'ailleurs, l'élargissement que vous évoquez, et dont on peut penser qu'il concernera, dans un premier temps, l'Autriche et la Suède, doit être l'occasion de confirmer ces principes.
- Au sein de la Communauté tous les pays sont égaux en droits et c'est parce qu'il en est ainsi que l'Europe réussit.\
QUESTION.- Avec un recul de quelques semaines, quel regard portez-vous sur les premières répercussions de Maastricht ?
- LE PRESIDENT.- Maastricht est, sans aucun doute, l'événement le plus important que la Communauté ait connu depuis la signature du Traité de Rome. Si j'en juge par l'ampleur des prises de position qui ont suivi le sommet, et cela aussi bien en France qu'ailleurs parmi les Douze, nombreux sont ceux qui partagent notre appréciation. Ils mesurent qu'au terme du processus dont nous avons convenu à Maastricht et dès lors que les traités seront ratifiés, c'est une grande puissance de plus de 350 millions d'habitants, un pôle de stabilité politique, de dynamisme économique et de progrès social qui verra ainsi le jour. Alors que le monde est menacé par l'instabilité, le désordre et même la violence, l'Europe a franchi à Maastricht une étape capitale qui permettra aux peuples qui composent la Communauté de préparer l'avenir, celui de leurs enfants, dans un environnement plus sûr. Maastricht est une chance pour la France et nous devons mesurer combien cela suscite d'espoirs dans toute l'Europe.\
QUESTION.- L'esprit, sinon la lettre, de l'union monétaire et de la politique étrangère commune n'a-t-il pas été remis en cause par les décisions de l'Allemagne de relever unilatéralement ses taux d'intérêt et de reconnaître la Slovénie et la Croatie sans attendre ses partenaires ?
- LE PRESIDENT.- Nous avons réussi à Maastricht pour beaucoup de raisons mais en particulier parce que la France et l'Allemagne partagent les mêmes priorités et la même volonté pour l'Europe. Le Chancelier Kohl a accepté, comme tous, des compromis qui ont fait progresser la construction communautaire, permis d'arrêter les étapes et le calendrier de l'Union économique et monétaire et ouvert la voie à une politique extérieure et de sécurité commune.
- Sur la proposition que j'ai faite, au nom de la France, nous nous sommes mis d'accord à Douze, sur les critères et les conditions qui doivent être réunis pour que la reconnaissance des nouvelles républiques se réalise conformément aux principes énoncés par l'Acte final d'Helsinki et la Charte de Paris qui a mis fin à la guerre froide.
- Bien entendu, beaucoup reste encore à faire pour que les Douze mettent en oeuvre une politique extérieure commune. N'oubliez pas que jusqu'à Maastricht, cela n'était même pas envisageable. Désormais, nous pourrons nous engager dans cette voie.
- En ce qui concerne les décisions monétaires prises par la Banque centrale d'Allemagne, elles sont largement liées au coût de la réunification. Faut-il rappeler que nos entreprises et nos exportations en ont grandement bénéficié.
- Depuis près de 30 ans maintenant, l'entente franco-allemande a été un moteur de la construction européenne. Le Chancelier Kohl et moi-même poursuivons dans cette voie, dans l'intérêt de nos pays et dans l'intérêt de l'Europe.\
QUESTION.- Pensez-vous toujours, malgré ce genre d'aléas, que la construction européenne soit susceptible de remobiliser les Français en cette période de morosité générale ?
- LE PRESIDENT.- La ratification des accords de Maastricht est une affaire nationale, à laquelle, pour ce qui me concerne, je n'entends mêler aucun problème de politique intérieure. Je saisirai le Conseil constitutionnel afin qu'il précise les aspects sur lesquels devra porter la révision constitutionnelle propre à l'approbation de Maastricht. Mais il n'y aura ni demande subreptice, ni question adjointe qui porteraient sur un autre sujet. La ratification de ce traité sera un acte solennel pour la France. Comme je l'ai déjà souligné, j'aimerais la voir à la tête de la marche qui s'engage vers la conquête de l'Europe, conquête pacifique, par la Communauté, ensuite, par la création, l'invention de l'Europe dans sa réalité historique et géographique. La Communauté sera utile aux intérêts des douze pays qui la composent, elle sera utile aux intérêts profonds de la France. Et je suis convaincu que les Français sauront tirer le meilleur parti de cette chance, pour l'avenir, qui s'offre à eux.\