26 novembre 1991 - Seul le prononcé fait foi

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Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, sur les relations franco-andorranes et l'élaboration d'une Constitution pour l'instauration d'un Etat de droit souverain et démocratique, Paris, le 26 novembre 1991.

Nous voici de nouveau ensemble, selon un usage dont vous savez bien qu'il remonte à plusieurs siècles, pour exprimer la continuité et la force des liens qui unissent les Andorrans au Co-Prince.
- Nous sommes très attachés à cette cérémonie qui me donne l'occasion - pour la sixième fois - de recevoir ici les représentants élus du peuple andorran et de traiter avec eux, directement, des affaires de la Principauté, je suis particulièrement heureux d'accueillir, aujourd'hui, ceux d'entre eux que je n'ai pas encore eu le plaisir de rencontrer depuis qu'ils exercent leurs hautes fonctions.
- En venant pour la remise de la Questia, vous montrez la fidélité profonde que vous portez à nos traditions. Attachement qui n'a rien de nostalgique, je le suppose, car vous êtes en même temps résolument tournés vers l'avenir £ une volonté ferme vous anime de participer pleinement au mouvement du monde contemporain. L'essor économique remarquable des Vallées au cours des dernières décennies en témoigne, comme la modernisation de vos institutions. Entreprise il y a dix ans, celle-ci a pris un nouvel élan ces deux dernières années.\
Depuis notre dernière rencontre en 1989, une étape décisive a été franchie pour le futur de la Principauté. Il s'agit de la Constitution dont les élus andorrans ont souhaité qu'elle fût dotée. Lors de la précédente cérémonie de la Questia, j'avais fait part de ma disposition à favoriser les évolutions dans l'ordre interne et dans l'ordre international, dès lors qu'elles répondraient aux inspirations légitimes du peuple andorran. C'est dans cet esprit que j'ai naturellement approuvé et appuyé la demande unanime exprimée par le Conseil général des Vallées d'élaborer une Constitution en accord avec le Co-Prince Evêque et le concours actif des élus andorrans dont je tiens à saluer ici le sens élevé de l'intérêt général, un accord est intervenu sur la méthode de travail, sur les objectifs et sur l'architecture du projet constitutionnel.
- Ainsi sont déjà inscrits, dans le projet déjà très avancé, des principes aussi fondamentaux que l'instauration d'un Etat de droit démocratique et souverain, la reconnaissance de la souveraineté populaire, le respect de l'organisation territoriale des paroisses héritée de l'histoire, la garantie des droits et libertés, l'établissement d'un régime parlementaire assorti des règles assurant l'autorité du gouvernement et l'efficacité du contrôle du Conseil général des Vallées.
- Vous êtes également résolus à simplifier et à unifier l'organisation de la justice dans le respect très strict de son indépendance avec le souci de mieux assurer et de garantir les droits des justiciables en vous inspirant des principes et des règles définies par la Convention européenne des Droits de l'Homme. En attendant, sans doute, que la Principauté adhère à cette convention.
- Je souscris pleinement à ces principes et je me réjouis des résultats importants déjà obtenus. Je tiens à vous en féliciter.
- Je suis confiant dans votre volonté, dans votre capacité de poursuivre les travaux de préparation de la Constitution au rythme où ils ont progressé jusqu'à présent grâce à l'excellent esprit de collaboration qui anime les réunions conjointes de votre délégation et de celle des deux Co-Princes. Je suis en effet convaincu que nous saurons mener à bien cette tâche en vue d'une mise en oeuvre rapide et démocratique du texte constitutionnel, élaboré de concert par le Conseil général des Vallées et les Co-Princes. Cette méthode de concertation permanente a montré son efficacité. La Commission tripartite s'est réunie neuf fois depuis le mois d'avril 1991 chez vous, à la Maison des Vallées. Ses travaux toujours constructifs ont permis d'éviter les malentendus et de surmonter les difficultés de tout ordre.\
Nous ne dissimulons pas cependant les réalités. Vous êtes en vue de l'objectif mais le chemin pour l'atteindre est encore difficile. Cela est inévitable, c'est même naturel. Toute oeuvre d'innovation, surtout dans le domaine politique, s'accompagne d'espérances, de craintes, stimule le nécessaire débat démocratique, tout comme les ambitions légitimes et la ferveur de l'engagement personnel.
- Je pense que rien ne viendra affaiblir votre détermination. Les hommes de la montagne que vous êtes savent accorder leur souffle et régler leur pas à la longueur ou à la difficulté de l'ascension. Vous êtes des hommes d'expérience, de patience. Vous savez, ce n'est pas moi qui vous l'apprendrai, qu'une fois décidé d'un commun accord, la course vers le sommet n'offre aucun autre choix que de réussir ou que d'échouer ensemble. Vous venez très récemment d'administrer la preuve de votre sens des responsabilités en vous rapprochant malgré vos divergences politiques pour mieux surmonter les obstacles et atteindre cet objectif que vous vous êtes fixé.
- Le peuple ambitieux et fier que vous représentez connaît le prix de l'effort et celui de la persévérance. Je ne saurais trop vous encourager à poursuivre, persuadé que je suis que vous saurez légiférer, gouverner, administrer, rendre la justice, en un mot assumer pleinement les responsabilités de la Principauté qui vous seront bientôt totalement dévolues.
- Sans doute vous faudra-t-il, au moins au début, agir avec audace, mais aussi avec le souci de préserver la richesse de vos traditions, d'identité des paroisses qui depuis l'origine se sont réunies pour constituer l'Andorre.
- Dans cette oeuvre désormais largement entamée, je suis à vos côtés pour que prévale la justice sociale, sans laquelle il ne peut y avoir de véritable progrès économique, et que les élus andorrans exercent pleinement la souveraineté interne d'Andorre sans laquelle il n'y a pas de reconnaissance internationale.\
La France et sans doute l'Espagne, vos voisins, seront bien sûr les premiers à établir avec le futur Etat d'Andorre des relations d'amitié et de coopération.
- La signature de l'accord d'association entre la CEE et l'Andorre a constitué le premier pas vers l'insertion de la Principauté dans l'espace économique européen. D'autres suivront. L'intérêt que vous portez en particulier à la réglementation de la profession bancaire et au contrôle des flux financiers internationaux témoigne de votre souci de ne pas rester à l'écart des solidarités nouvelles qui se mettent en place pour faire prévaloir dans l'ordre international le droit et l'équité.
- Vous serez désormais, pleinement responsable de la Principauté. Les nouvelles institutions constitueront le ciment librement consenti de votre nation. Votre liberté, exprimée par le suffrage, viendra fortifier vos traditions et permettra à votre pays d'accéder à la communauté internationale tout en affirmant la force de son originalité, de son histoire et de sa culture.
- Voilà, messieurs, ce que je souhaitais vous dire. Vous aurez l'obligeance de bien vouloir transmettre l'essentiel au peuple andorran et maintenant, il nous restera donc quelques moments à demeurer ensemble et à approfondir notre connaissance mutuelle et à passer des instants utiles, féconds et amicaux que requière notre relation.\