11 septembre 1991 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, sur la fin de l'empire soviétique, l'unité et la sécurité en Europe, les accords entre l'Europe de l'Est et la CEE, le chômage, les privatisations partielles et le rôle du Premier ministre, Paris, le 11 septembre 1991.

Mesdames et messieurs,
- La révolution qui a pris son élan à Moscou, avec la Perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev, et qui, après avoir fait le tour des capitales d'Europe centrale et orientale sous direction communiste, est revenue à Moscou pour achever de s'accomplir, pose à l'Europe tout entière des questions que je veux évoquer dans ce bref préambule, afin d'en débattre avec vous.
- La fin des empires en Europe, particulièrement de l'empire soviétique, l'un de ces moments magistraux de l'histoire du monde a libéré des aspirations nationales trop longtemps contenues par la force. La force disparue, chaque nationalité tend à sa propre existence, à l'affirmation de soi, et veut que son identité s'inscrive dans le cadre d'un Etat souverain. J'ai relevé dix-sept situations de cet ordre, en attendant la suite. On assiste, de ce fait, à la naissance d'une nouvelle Europe. Trente-trois Etats hier, combien demain ? Ce mouvement est sain s'il se traduit par plus de liberté. L'autodétermination est un droit reconnu par la société internationale. C'est un principe fondamental. Il n'est pas discutable. Mais veillons à ce qu'il s'exerce de façon démocratique et en conformité avec les traités qui assurent la sécurité et la paix sur notre continent.
- Et dans le même temps et en sens inverse, un autre mouvement entraine l'Europe vers l'unité. Les pays qui se sont combattus, parfois détruits, au prix de millions et de millions de morts, l'ont compris. La Communauté des Douze, d'une part, la Conférence pour la Sécurité et la Coopération en Europe de l'autre, en témoignent, sans oublier les hommes d'Etat responsables de pays aujourd'hui déchirés et qui recherchent de nouvelles formes d'union institutionnelles. Ces deux mouvements, l'un vers l'unité, l'autre vers la dispersion vont-ils s'opposer ? La seule démarche d'avenir est, à mes yeux, celle qui les conciliera. Plus de liberté pour chacun, des institutions communes plus fortes pour tous. Tel doit être le mot d'ordre des Européens conscients des risques et des chances.\
Dans l'immédiat, il convient de savoir comment préserver notre sécurité.
- La sécurité nucléaire d'abord. L'incertitude venant de Moscou c'est à Moscou de dire où l'on en est, qui dispose de l'autorité, où se trouvent les armes atomiques, où elles iront en vue de les soumettre à un strict contrôle. Une réunion des quatre puissances détentrices de charges nucléaires en Europe me paraît indispensable à bref délai.
- Ensuite, le désarmement. Trop d'armes circulent encore en Europe notamment en direction des zones litigieuses. Continuons la mise en oeuvre des accords de Vienne sur le désarmement conventionnel.\
Enfin, la prévention et le règlement des conflits. Vous le savez, il n'y aura de paix durable en Europe que si le droit l'emporte sur la violence. Pour tenter de régler la crise yougoslave, la France a obtenu de la communauté des Douze, à l'unanimité, la création d'une commission d'arbitrage, composée de cinq présidents de Cour ou de Conseil constitutionnel d'Etats membres de la Communauté. Cette cour appréciera les problèmes institutionnels et frontaliers soulevés par les parties en cause, conformément aux principes reconnus par les démocraties. Vous avez sans doute appris qu'aujourd'hui même M. Robert Badinter avait été élu Président de cette Commission d'arbitrage.
- La France désire que cette procédure soit étendue à toute situation similaire. Elle souhaite également que les Nations unies envoient, le cas échéant, des forces d'interposition sur les lieux contestés. Si, pour des raisons juridiques, les Nations unies se récusent, la France attend de la communauté européenne qu'elle en prenne l'initiative et la responsabilité.
- M. Roland Dumas qui représente si diligemment notre pays, en a déjà saisi M. Perez de Cuellar.\
Sécurité, Stabilité. La France qui, avant le putsch de Moscou, insistait auprès de ses partenaires des sommets économiques, pour que la politique de M. Gorbatchev fut davantage aidée, estime que la stabilité en Europe commande aux pays plus prospères de contribuer à la reprise économique des pays dits de l'Est. Un plan d'envergure s'impose. On y travaille, et c'est sous cet angle que nous, Français, nous examinons la situation des importations des produits agricoles en provenance de l'Est.
- Qu'il soit bien clair que nous ne sommes pas hostiles au projet d'accord prévu entre la Communauté, la Pologne, la Tchécoslovaquie et la Hongrie. Nous demandons seulement des garanties. Je pense que ce problème sera réglé ce mois-ci à la satisfaction de tous.
- La deuxième question, après celle de la sécurité, est celle des structures. Quelle Europe succédera à celle de Yalta ? Heureusement, la Communauté des Douze et la CSCE sont là. Donnons leur plus de pouvoirs, plus de moyens. Il est impératif, j'insiste là-dessus, que la Communauté adopte pour la fin de l'année les Traités d'union économique, monétaire et politique actuellement débattus au sein des deux conférences intergouvernementales. Tout retard dans le calendrier serait l'amorce de l'échec. A ceux des Douze qui hésiteraient, je demanderais de réfléchir aux tensions qui naîtraient du retour aux luttes d'influence et pourquoi ne pas le dire au jeu des alliances. La Communauté n'y résisterait pas. Le choix de la France est fait. Ce pas franchi il conviendra, et le plus tôt sera le mieux, d'élargir le champ des actions communes entre Européens aux problèmes de sécurité et de défense. L'UEO constitue à cet égard un premier embryon.
- Les pays d'Europe centrale et orientale affrontent, on le voit bien, de grandes difficultés. Pour les résoudre, certains d'entre eux souhaitent adhérer à la Communauté. La France ne s'y oppose pas, en attendant elle favorisera la conclusion d'accords d'association entre la Communauté et ces Etats.
- Cependant, la Confédération européenne dont j'ai avancé naguère le projet me paraît plus que jamais nécessaire. Elle ne saurait se substituer à la Communauté, môle de toute structure. Mais ce serait créer un vide dangereux que d'attendre que tous les pays d'Europe centrale et orientale soient en mesure de rejoindre la Communauté avant d'instituer entre eux et avec nous et sur un pied d'égalité des rapports permanents d'échanges et de travail.
- Quoi qu'il en soit, je pense que la géopolitique de l'Europe a grand besoin, elle aussi, d'une théorie des ensembles. Le temps des empires s'éloigne. Commence celui des contrats, je veux dire des obligations mutuelles librement contractées, acceptées. Je pose une dernière question à ce stade de notre rencontre : Que feraient les Européens sans Europe ?
- Sur ces points qui viennent d'être traités, ou sur d'autres de politique extérieure touchant à l'Europe, je suis tout à fait prêt à vous répondre. Contrairement à un certain nombre de dessins très astucieux que je lis, je suis très content de vous revoir !\
QUESTION.- Monsieur le Président de la République, est-il de l'intérêt de la France et de l'Europe que cet espace géographique qui avait nom Union soviétique soit maintenu dans son intégralité, à l'exception de l'indépendance déjà acquise des Pays Baltes ?
- LE PRESIDENT.- On ne peut pas répondre strictement à la place de chacune des Républiques qui demande sa souveraineté. Je viens d'en parler à l'instant.
- Il est cependant souhaitable qu'il reste un corps central suffisamment uni par des liens institutionnels, librement consentis, pour qu'il existe, dans le Nord et l'Est de l'Europe, un pôle solide. Cela fait longtemps que nous les fréquentons, nous Français. Nous assistons en vérité non seulement à l'écroulement de l'empire de Staline, mais aussi à l'écroulement de l'empire de Pierre le Grand.
- On a connu la Russie à travers les siècles, nom générique pour beaucoup d'autres régions et beaucoup d'autres peuples, et la France a presque toujours (sauf peut-être sous les deux Bonaparte) entretenu des relations tout à fait amicales avec ce grand pays. C'est pourquoi j'ai dit que nous avions le plus grand besoin d'une "théorie des ensembles", là aussi.\
QUESTION.- Monsieur le Président, les Douze de la CEE ont-ils la possibilité d'imposer vraiment la fin des hostilités en Yougoslavie et que doit être, selon vous, pour la sécurité et la stabilité de l'Europe, la Yougoslavie de demain ?
- LE PRESIDENT.- Imposer, certainement pas. Les choses se font plus simplement.
- Qui, à l'heure actuelle, en Europe, et même dans le monde, est en mesure de tenter un arbitrage, une conciliation et, s'il doit y avoir, comme on peut le penser, séparation, il faut que cette séparation se fasse dans le droit respecté de part et d'autre et qu'il n'y ait pas, ensuite, aux frontières nouvelles entre deux Etats qui seraient alors différents, une source permanente de conflits dont l'Europe entière pâtirait ? Donc, je crois que la Communauté a très bien réagi dès le point de départ - lors d'une réunion que nous tenions à Luxembourg - en envoyant trois de ses principaux représentants prendre langue là-bas avec les antagonistes et, en particulier, avec les représentants du pouvoir central. Voilà ce que je peux vous dire à ce sujet.
- Alors, comment décider ?.. Je le répète, ce n'est pas mon rôle de le faire à la place des Yougoslaves ou de ceux qui appartiennent ou appartenaient jusqu'à ce jour à la Yougoslavie. On peut penser, à la lueur de l'expérience de ces deux mois, que la Slovénie sera indépendante. A mon avis, la Croatie aussi. Mais cela, c'est une hypothèse. Je ne pense pas me tromper en disant que telle est leur volonté, leur volonté, pour ce qui concerne les Croates, soutenue par les armes.
- Je pense qu'une Yougoslavie, amputée des Républiques dont je viens de parler, ou d'autres, continuera d'exister, sauf si elle éclate tout entière. On n'en est pas là. Et je reprendrai mon raisonnement : comment, nous, pays européens, ayant des liens très forts avec les peuples de cette région, qui avons été notamment à l'origine de la création de la Yougoslavie au lendemain de la guerre de 1914 - 1918, comment pourrions-nous être indifférents au sort de ce pays qui, lui aussi, à sa manière, qui n'est pas forcément la nôtre, a maintenu une certaine réalité commune et politique dans cette partie de l'Europe ?
- J'ai en tête cette remarque de Bismarck après Sadowa, donc en 1866, auprès duquel on s'était étonné qu'il ne profitât pas de sa victoire sur l'Autriche pour dépecer l'Empire d'Autriche-Hongrie, comme ce fut le cas ensuite, en 1918, et Bismarck répondait : "Eux (l'Autriche-Hongrie), ils savent comment faire (c'est lui qui le disait...) avec les Slaves du Sud. Pas nous". Il n'avait donc pas voulu modifier l'équilibre dans cette région.
- Je crois qu'il faut répondre aux besoins d'indépendance là où ils sont évidents et je crois même qu'il faut que nous, pays démocratiques, nous insistions pour que ne s'installe pas une sorte de guérilla permanente entre des pays qui ont tout de même été à l'origine de plusieurs grandes guerres auxquelles nous avons été mêlés.\
QUESTION.- Monsieur le Président, un homme d'Etat polonais, M. Geremek, parle d'un vrai "rideau de fer" entre la Communauté et l'Europe de l'Est. Comment faire pour concilier, par exemple, la protection des agriculteurs français avec les besoins de pays comme la Pologne, comme la Hongrie ou comme la Tchécoslovaquie, qui ont besoin d'exporter leurs produits agricoles ? Est-ce qu'on n'arrive pas à un resserrement sur l'Europe des Douze au détriment de l'élargissement de l'Europe à une Europe géographique ?
- LE PRESIDENT.- Le terme de "rideau de fer" me paraît excessif. M. Geremek que j'estime beaucoup et dont l'amitié m'honore, s'est un peu trop souvenu d'une expression appliquée en d'autres lieux, en d'autres circonstances. Difficultés, c'est certain. Il y a les pays de la Communauté qui sont fortement structurés, qui ensemble représentent la première puissance commerciale du monde. Ils ont quelquefois quelques difficultés à consentir des avantages au détriment de leur propre économie. Et puis, ces pays de la Communauté, n'ont pas s'ils sont riches, eux, que des citoyens et des familles riches. Lorsqu'il s'agit des milieux agricoles, c'est bien le cas.
- Alors, on a discuté, vendredi dernier, des importations de viande, précisément de viande bovine. Dans le cadre d'une discussion beaucoup plus générale, où au moins dix autres dossiers ont été réglés favorablement, et ce n'était pas facile - parlons du textile - la France, des pays comme le Portugal par exemple, se sont battus, diplomatiquement, parce qu'ils sentaient leur propre santé économique en péril, ce n'est pas un pays riche, le Portugal. Eh bien ! Tous ces accords se sont faits, sauf un, celui pour les importations de viande de ces trois pays, Pologne, Tchécoslovaquie et Hongrie, vers les pays de la Communauté.
- Quelle était la position de la France, quelle est toujours la position de la France ? C'est qu'il faut que ces accords soient consentis, mais nous demandons des garanties, et ces garanties, la Commission est parfaitement en mesure de les accepter puisqu'en son temps, elle les a proposées. Cela consiste à dire : après tout, la part demandée par les trois pays dont nous parlons, Pologne, Tchécoslovaquie, Hongrie, cette part d'exportation qui devient importation chez nous, Européens des Douze, elle s'inscrit à l'intérieur d'un contingent global qui, lui, est invariable, enfin pour les années qui viennent. Il ne faut donc pas que cela s'ajoute, cela doit être pris sur le contingent. Au fond, tout le monde est d'accord, mais l'expérience nous a appris qu'il fallait quand même un contrôle, qu'il fallait être vigilant à l'égard de toute fraude à l'intérieur du contingent, puisque tout le monde est d'accord pour qu'on le précise. D'autre part, nous avons proposé, et ce n'est pas si absurde - j'ai lu des critiques à ce sujet - que la Communauté aide, par exemple, l'Union soviétique, naturellement par des aides financières, à acheter à ces trois pays et à d'autres, elle en a besoin, la famine menace l'Union soviétique. Si elle ne peut pas procéder à ces achats, c'est qu'elle n'en a pas les moyens. Fournissons-les lui. C'est une certaine forme, disons-le, de plan Marshall.
- Je demande que cette propositin dite "triangulaire" soit acceptée par nos partenaires. Voilà les propositions. J'ai dit tout à l'heure que je pensais que cela serait réglé d'ici très peu de temps.\
QUESTION.- Monsieur le Président, à propos des anciennes démocraties populaires, vous avez parlé d'association. Ces pays ne paraissent pas, pour le moment, intéressés par cette idée, qui n'est pas suffisante pour eux. Il n'est pas question, pour le moment, d'adhésion, puisque je crois que vous pensez que cela irait trop loin. N'est-il pas possible, eu égard aux exigences du moment, d'envisager des solutions peut-être un peu plus révolutionnaires, par exemple, celle d'une association politique, qui serait suivie d'une association économique ?
- LE PRESIDENT.- Une Confédération, quoi ? Il y a plusieurs malentendus dans votre propos. La France n'est pas hostile. Simplement, elle est franche. Ceux qui comme moi participent au débat interne de la Communauté, savent par exemple ce qui s'est passé à l'occasion de l'adhésion du Portugal et de l'Espagne. Avant que je ne siège ici, cette adhésion avait été refusée par la France, et j'entendais dire constamment dans ces rencontres internationales : "C'est la France qui ne veut pas". Les Espagnols, les Portugais commençaient à nous regarder d'un drôle d'air. "C'est la France". Alors, j'ai dit : "mais la France le veut", et à partir de là, les difficultés ont commencé. Ce n'est pas nous qui les suscitions. Cela avait été un révélateur.
- Croyez-moi, pour les pays de l'Est, cela risque d'être la même chose. On dit : "C'est la France". Non, la France ne s'oppose pas, mais elle sait que lorsqu'il s'agira d'accroître les versements nationaux à la Communauté, d'alourdir la charge de ceux qu'on appelle les contributeurs nets, dont la France fait partie, ils ne sont pas nombreux, c'est-à-dire ceux qui paient plus qu'ils ne reçoivent, à ce moment-là, beaucoup se désisteront. J'ai d'ailleurs entendu, ou lu dans la presse de ce matin, une déclaration du Président de la République allemande, von Weizsaecker, qui disait : "L'Allemagne a besoin de ses partenaires, elle ne pourrait pas supporter seule cette charge". D'ailleurs, personne ne le lui demande. La France non plus. On peut la supporter tous ensemble. Est-ce que nos partenaires y sont prêts ? Sur le papier, pour la propagande, oui. Dans la réalité je n'en suis pas sûr. J'essaierai de m'en assurer. Mais on ne s'y oppose pas.\
`Suite sur l'élargissement de la CEE aux pays de l'Est`
- Vous avez dit ensuite quelque chose qui également n'est pas tout à fait dans la ligne de la politique que je préconise, c'est donc un autre malentendu.
- Les pays en question ne sont pas contre des accords d'association. Ils les demandent. Ils savent bien qu'ils ne peuvent pas entrer comme cela dans la Communauté et ils ont besoin tout de suite de traités d'association, ils les demandent, mais il ne faudrait pas en rester là.
- C'est cela la petite différence d'explication entre vous et moi, mais il est vraisemblable que nous donnerions la même après £ ils ne veulent pas que cela dure éternellement, que ce soit un moyen de les laisser à la porte en disant : "Puisque vous avez un Traité, pourquoi en voulez-vous un autre ?".
- J'ajoute que c'est un peu la même question qui se pose quand je parle de Confédération. Est-ce que ce n'est pas un moyen de nous laisser comme cela avec vous et entre nous mais avec un statut moindre que ceux des membres de la Communauté ? Seulement, la Communauté a des règles, des contraintes strictes, et moi je ne veux pas - je ne veux pas, il faut bien qu'on m'entende en dehors de nos frontières - que la Communauté devienne une vaste zone de libre échange, comme certains pays de la Communauté le souhaitent depuis le premier jour. Je ne le veux pas.
- Voilà, c'est là que se situe le débat. Il ne faut pas que les Pays de l'Est en soient victimes et je pense que s'il doit y avoir un certain temps, que je vais bien me garder d'évaluer, entre la discussion de ce soir et l'adhésion à laquelle nous ne nous opposerons pas de tel ou tel Etat d'Europe centrale ou orientale, eh bien ce sont les accords d'association qui rempliront le hiatus.
- Cela sera aussi la Confédération car la Confédération doit recouvrir toute l'Europe, l'Europe tout entière. On opposait par exemple l'existence d'une Union soviétique idéologiquement, politiquement, socialement typée et jugée insupportable par les anciens pays sous tutelle. Mais tout cela n'existe plus.
- A partir de là, je pense que la Confédération sera demandée de plusieurs parts. C'est tout ce que je voulais dire. Si on va vers le mieux, c'est-à-dire vers un rapide progrès des économies de ces pays et une adhésion pleine et entière à la Communauté, ce sera très bien, sous les conditions qui ont été définies par les traités.
- Il ne faut pas que chaque fois que quelqu'un arrive, un peu des Traités, ce qui ferait beaucoup au total, disparaisse. Vous savez bien que c'est ce qui a failli arriver au moment de l'adhésion de la Grande-Bretagne.\
QUESTION.- Depuis ce qu'il est convenu d'appeler le début de l'accélération de l'Histoire en Europe, le début des événements que vous venez d'évoquer à l'instant, on a souvent entendu des critiques selon lesquelles, à certains moments, la France avait peut-être tardé un peu à réagir. Estimez-vous qu'il s'agit d'un mauvais procès ?
- LE PRESIDENT.- Je ne l'aurais pas dit mais vous parlez très bien.\
QUESTION.- Monsieur le Président, comment espérez-vous réussir en moins de quatre ans dans le cadre d'un ensemble européen ce que vous n'avez pas réussi en dix ans dans le cadre national, je veux dire : vaincre le chômage ?
- LE PRESIDENT.- Ce que nous n'avons pas réussi depuis 1973 ! vous personnalisez un peu le débat, c'est par amitié pour moi sûrement !.. Le chômage visiblement n'obéit pas aux gouvernements, gouvernements mis au pluriel. Et il n'obéit pratiquement dans aucun pays de la Communauté, il obéit peut-être un peu mieux en Suède, m'a-t-on dit, d'après les statistiques mais tout cela est fragile.
- Tous les experts, et en particulier M. Delors, qui est le meilleur d'entre eux, me disait récemment encore que renforcer la communauté vers le Marché unique, comme nous l'avons décidé en 1985 à Luxembourg, comme cela va se faire le 1er janvier 1993, c'est la meilleure façon de créer des millions d'emplois.
- Quant à la politique française proprement dite, j'en parlerai dans un moment, madame, puisque je crois que c'est convenu ainsi, c'est plus simple pour ne pas passer constamment d'un sujet de politique extérieure à un sujet de politique intérieure.\
QUESTION.- Monsieur le Président, face à l'urgence d'aider les pays de l'Est et l'Union soviétique, de faire la nouvelle construction de l'Europe, que va-t-il se passer avec le dialogue Nord-Sud et l'aide aux pays de l'Amérique latine et du tiers monde ?
- LE PRESIDENT.- Je me contenterai, parce que c'est un sujet très vaste, mais nécessaire, que je traite très souvent, de vous dire que la Communauté et en particulier à la demande de la France, a bien montré que cette inquiétude n'était pas justifiée puisque dans le même moment elle a, d'une façon importante accru les crédits consentis aux pays d'Afrique, du Pacifique et des Caraïbes, sous le titre de ce que l'on appelle les accords de Lomé.
- Il ne faut pas perdre cela de vue, j'en parle à chaque réunion des grands pays industriels, je continuerai.\
QUESTION.- Vous avez à peine abordé les questions de désarmement, mais il y a un missile français, le HADES, qui fait l'objet de vives critiques en Allemagne, aussi bien à gauche qu'à droite, et au moment où ce type d'arme à courte portée semble voué à disparaître de l'arsenal des deux grands en Europe, qu'est-ce que vous répondez à ces critiques ?
- LE PRESIDENT.- Je réponds que la situation de la France est particulière, puisqu'elle est l'une des deux puissances occidentales d'Europe à disposer d'un arsenal atomique, donc c'est un problème qui pourrait se poser à la Grande-Bretagne, qui se pose à la France.
- C'est vrai que nous disposons de ce que l'on appelle des missiles HADES, qui sont destinés, vous le savez, puisque vous vous intéressez à ces problèmes - je ne veux pas entrer dans la langue de bois militaire - à l'ultime avertissement. Cela fait partie de notre stratégie, ce n'est pas une arme tactique, c'est donc lié à l'ensemble de nos armes stratégiques. On ne peut pas imaginer qu'on va tirer, comme cela, un coup d'artillerie isolé, sans qu'il y ait l'ouverture d'une guerre atomique. Or cette guerre atomique est exclue, elle a été exclue dans les faits pendant plus de quarante ans, à plus forte raison aujourd'hui, vous l'imaginez bien, ce n'est pas la peine de faire un dessin.
- De plus la stratégie de la France de dissuasion est faite non pas pour gagner la guerre, mais pour l'empêcher. Donc le HADES est une arme, comme les autres, d'empêchement de la guerre. Je vous l'explique mais c'est une vérité d'évidence, si vous suivez de près ce que fait notre armée, ce que pensent ses chefs, ce que pense le gouvernement, mais on ne me croira pas forcément sur parole.
- Quelle est la réalité ? La réalité, c'est que j'ai considérablement réduit - ce sont des décisions prises - le nombre de HADES, par rapport aux prévisions initiales. Le chiffre fixé à l'heure actuelle c'est une production de 30 HADES, 30 missiles. Ces missiles seront stockés, il n'y aura pas de nouvelle unité disposant des HADES en situation de tirs. L'unité responsable aujourd'hui aura pour mission en dépôt de veiller sur ces armes d'un type quand même assez spécial. Aucun HADES n'est déployé. Alors, me direz-vous, pourquoi s'ils ne servent à rien...? Permettez... une négociation nucléaire a commencé entre les Etats-Unis d'Amérique et l'Union soviétique depuis déjà longtemps, cela n'a pas beaucoup avancé, même si cela a avancé, mais pas beaucoup. La France dispose de quelques centaines de charges nucléaires, les Etats-Unis et l'Union soviétique, aujourd'hui encore, disposent de 13 à 14000 charges nucléaires, ils ont promis de diminuer considérablement leur potentiel, leur arsenal, qu'ils le fassent ! Quand ils seront à un chiffre d'un certain niveau, j'ai déjà dit, notamment à la tribune des Nations unies, que la France prendrait part à la négociation £ ce ne sera pas inutile d'avoir quelque chose à négocier.
- J'ajoute que les armes nucléaires AN 52 - cela ne vous dira rien, ce sont celles qui équipaient l'avion Jaguar - ont été comme prévu, retirées du service, le 1er septembre de cette année, 1991, et d'autre part le système Pluton - je vous l'annonce - sera retiré du service en 1993 ou 1994. Il reste donc ces 30 HADES, eh bien que nos amis allemands se rassurent, nous n'avons pas l'intention de nuire en quoi que ce soit aux intérêts et à la vie des Allemands. Hypothèse folle, ce sont nos amis et nos alliés £ de plus les objectifs de ce que l'on appelle "l'ultime avertissement" sont des objectifs militaires. Voilà je vous ai tout dit là-dessus. Cela restera comme cela, à l'avenir, jusqu'à une négociation globale.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que vous ne craignez pas que George Bush et le nouvel ordre mondial qu'il souhaite instaurer viennent interférer avec ce que l'on pourrait appeler "les affaires de la nouvelle Europe" ?
- LE PRESIDENT.- Ce ne serait pas surprenant puisque cela a déjà été fait. Eh bien, préparons-nous. Comme nous avons une relation constante, c'est très facile d'en parler. D'ailleurs, j'ai envoyé le ministre de la défense à Washington, il en revient. Il pourrait vous donner des informations intéressantes. Il y serait parfaitement autorisé.\
QUESTION.- Monsieur le Président, la Présidence néerlandaise du Conseil européen semble vouloir remettre d'actualité le projet dit d'Europe à deux vitesses pour lequel vous avez déjà exprimé votre peu d'entrain. Il semble que la Grande-Bretagne et l'Allemagne le voient d'un meilleur oeil. Est-ce que vous pensez que si ce projet était adopté ce serait ce que vous avez appelé tout à l'heure l'amorce d'un échec ou la France finirait-elle par s'y rallier ?
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas tout à fait la même chose parce que rendez-vous est déjà pris pour la fin de l'année 1991. Depuis 1985 et les années suivantes, rendez-vous est pris pour l'union économique, monétaire, politique. Des organismes spécialisés comme les conférences intergouvernementales travaillent là-dessus. C'est là que serait l'échec. Cela ne veut pas dire que c'est l'échec de la Communauté, dès qu'il y a quelque chose qui va moins bien. Donc, je n'assimile pas votre question à ce dont j'ai parlé.
- Quant à la position hollandaise, sur le système à deux vitesses, nous comprenons les soucis hollandais, mais nous ne les partageons pas et nous préférons que les douze marchent de la même manière.
- QUESTION.- Vous venez de faire allusion aux travaux de réforme du Traité de Rome. Je voudrais vous demander si vous estimez que ces réformes, le Traité d'union monétaire et le Traité d'union politique, devraient prendre en compte les modifications géopolitiques de l'Europe, et dans ce cas, comment ?
- LE PRESIDENT.- Non, non, il ne faut pas toujours courir après l'événement et attendre ce qui se passera demain pour conclure aujourd'hui. Les pays qui adhéreront à la Communauté, la porte leur est ouverte à condition de se soumettre aux mêmes contraintes. Ces pays-là, eh bien ils connaîtront très exactement l'ensemble de leurs obligations, notamment celles qu'implique l'union économique, monétaire et politique. S'ils ne veulent pas, ils n'adhéreront pas.\
QUESTION.- Je voulais savoir, monsieur le Président, si les événements qu'on a connus en Europe de l'Est au cours des dernières années, le socialisme est toujours une idée qui fait son chemin, et si oui, sous quelle forme ?
- LE PRESIDENT.- Je pense que oui et qu'il ne faut pas confondre le socialisme pour lequel ont combattu et combattent beaucoup d'hommes et de femmes, qui fait partie des grandes traditions politiques et sociales de la France, depuis les années 1840, et le libéralisme, lui-même étant légérement plus ancien, plus vieillot, plus archaïque, d'une vingtaine d'années, avec Adam Smith. Je pense que cette idée-là continuera son chemin.
- C'était à la fois une théorie, une espérance, parfois un rêve. Un certain nombre de théoriciens ont bâti une société idéale sur le papier, dans leur intelligence, le phalanstère en particulier. Puis, il y a eu une autre école, celle de Blanqui en particulier, et puis la naissance du mouvement que j'appellerai léniniste pour bien faire comprendre.
- Les voies ont divergé. A partir de 1917 cela a été la révolution marxiste, léniniste, à Leningrad et à Moscou. Mais à partir de 1920, 1921, cela a été le grand déchirement de cette famille socialiste qui, jusque-là n'avait pas été confrontée à ce type de problème. D'ailleurs aucune d'entre elles n'a gouverné.
- Léon Blum a levé le flambeau de la liberté en disant - à Tours, chacun s'en souvient - : je refuse des ordres venus de l'extérieur et je refuse ce qu'on appelle le centralisme démocratique, qui en réalité est une négation de la démocratie. Il a d'abord été vaincu puisqu'il n'a gardé avec lui que le quart des socialistes de l'époque.
- Et puis lorsque les forces du travail ont triomphé en 1936, c'est lui qui a tenu le gouvernement de la France et symbolisé les grandes réformes de l'époque. C'était le grand choix.\
`Suite réponse sur le socialisme`
- Eh bien nous sommes de cette école. Moi je suis socialiste. Si ma charge veut, et je m'y soumets absolument parce que c'est mon devoir, que je représente tous les Français dans leur diversité, personne ne me demande de renoncer à ce que je suis.
- Je suis convaincu que les sociétés humaines ont besoin, au delà de la libération annoncée par la Révolution de 1789, libération individuelle, d'une libération collective, que le prolétariat avait besoin d'être libéré de ses graves entraves, que c'était un combat nécessaire.
- Cela reste un combat quand même, car il y a des catégories, des couches sociales, on pourrait dire des classes sociales qui ont dominé ou été exploitées. C'est un combat permanent, vous savez, dans toute société.
- Donc les socialistes, qui ont été les plus fidèles défenseurs de la liberté, qui n'ont pas été séduits par les dictatures que moi j'ai connues dans ma jeunesse.. Songez que lorsque j'avais vingt ans, lorsque j'étais soldat de la deuxième guerre mondiale, il y avait autour de nous Hitler, Franco, Mussolini, Salazar, Staline, et puis d'autres encore dans plusieurs pays de moindre importance.
- On disait partout, beaucoup d'éditorialistes de l'époque : mais que pourront faire les démocraties, ces pauvres petites démocraties, avec leurs crises ministérielles, avec leurs dirigeants à veston, à grosses moustaches, parfois à grandes barbes, incapables de résister à ces hommes admirablement habillés, avec des uniformes, à ces centaines de milliers d'hommes militarisés ? Qu'est-ce qu'ils peuvent faire ? Eh bien ce sont les hommes à lorgnons et à barbes qui ont gagné, c'est la démocratie qui l'a emporté !
- Cela n'empêche pas du tout, d'ailleurs, je les respecte, les dits éditorialistes de continuer à prophétiser avec la même assurance. Alors voilà, moi je suis de cette école de pensée-là. Vraiment, j'y crois et j'admire les socialistes défenseurs de la liberté qui ont eu beaucoup à souffrir du schisme qui les a opposés à leurs frères de la veille ou de l'avant-veille ou du siècle précédent, qui étaient abandonnés au socialisme de la dictature, enfin ce qu'on appelle le communisme. Voilà ce que je pense de cette affaire. Je n'ai pas l'intention de me renier et, lorsque j'entends tout ce que j'entends après la chute du communisme, cela devient très facile ! Je pourrais même suivre l'itinéraire de chacun de ceux qui en parlent, ils n'ont pas toujours eu la même raideur. Maintenant c'est le Parti communiste. En France, en particulier, on se retourne du côté des socialistes en disant : "mais vous vous êtes entendus avec eux". C'était une excellente chose que de travailler à l'unité de l'ensemble des femmes et des hommes qui travaillaient durement et qui subissaient la loi des plus forts. Cette loi est éternelle, elle ne va pas cesser demain matin.\
QUESTION.- Monsieur le Président, on disait autrefois, il n'y a pas si longtemps d'ailleurs, que la Gauche était morale. On le disait à tort ou à raison, mais on le disait. On disait aussi que votre présidence serait morale. Qu'en est-il aujourd'hui et, d'une façon plus générale, croyez-vous qu'on puisse concilier la morale et la politique ?
- LE PRESIDENT.- A la dernière question, la première réponse. On peut concilier bien entendu la morale et la politique et c'est le cas de l'immense majorité des responsables politiques, croyez-moi ! Ce n'est pas le cas de tous, comme dans toute profession. La proportion est-elle plus forte ? Je n'en sais rien. Naturellement, pour les responsables politiques, c'est plus visible, donc plus choquant.
- Ma présidence a-t-elle été le siège de plus de scandales financiers que d'autres ? Je préfère ne pas faire le compte, dans certaines circonstances, il serait accablant, mais pas pour moi.. Je ne pense pas à une époque récente, je veux dire que je ne remonte pas à 1974, cela va beaucoup plus loin.
- Une affaire centrale a concentré tous les tirs et je dois dire que je le comprends, c'est l'affaire du financement des partis politiques. Ce financement des partis politiques a vu le parti socialiste, d'une certaine manière plus que d'autres, rechercher le moyen de soutenir des campagnes de manière illicite, comme les autres, différemment sans doute.. C'est pourquoi j'avais demandé une loi sévère, avant 1986, loi qui a été complètement vidée de sa substance par le gouvernement qui a suivi. Je l'ai redemandée, cette fois-ci il s'agissait de Michel Rocard et lui a pleinement appliqué ce que j'avais souhaité. La loi actuelle est une bonne loi, elle doit interdire tout retour aux mauvaises moeurs. Si ce n'était pas le cas, alors il faudrait des dispositions encore plus sévères pour frapper ceux qui se rendraient coupables.
- Mais, vous savez, il n'y a pas que les milieux politiques. C'est vrai que j'observe une certaine démoralisation qui peut être due - ce sont les effets pervers des meilleures lois - à l'extraordinaire diffusion des centres de décision - décentralisation par-ci, par-là.
- C'est vrai qu'il y a nécessité d'un fort redressement. J'ai bien l'intention et j'en ai parlé à Mme le Premier ministre, de prendre les dispositions qui frapperont sévèrement ce type de pratique. Je ne parle pas là des milieux politiques.
- Quant aux milieux politiques, j'ai l'impression que la leçon a été sévère. Je pense qu'elle sera retenue. Il y a des moyens, des systèmes. Pourquoi est-ce qu'on ne les mettrait pas en oeuvre ?
- Par exemple, pourquoi est-ce que tous les parlementaires français - tous les parlementaires français - ne se verraient-ils pas soumis à la publicité sur leur situation de fortune ?
- En accord avec M. Pierre Mauroy, premier secrétaire du parti socialiste, avec lequel j'en ai parlé, cette proposition sera faite dès la prochaine session.
- A ce moment-là, vous comparerez.\
QUESTION.- Monsieur le Président, l'Européen convaincu que vous êtes n'a-t-il pas des craintes de voir la France être confrontée par rapport à l'élargissement de l'Europe à une situation de "finistérisation", c'est-à-dire que la France serait une espèce de Finistère de l'Europe ?
- LE PRESIDENT.- Je sais que vous avez inspiré un programme à la DATAR sur "Perspectives et territoire" qui le concerne - on en revient même à la politique intérieure - mais la question que je pose est une question de doctrine : en matière de politique étrangère, ne sommes-nous pas en train d'être distancés par rapport à la place et au rang de la France ? Est-ce que la France fait partie d'un sous-ensemble de l'Europe ? Mais où avez-vous pris cela ?
- QUESTION.- Parce que c'est la théorie des grands ensembles.
- LE PRESIDENT.- Eh bien, nous faisons partie d'un grand ensemble.
- QUESTION.- Donc, nous parlerons en tant qu'Européens même en dehors de nos frontières ?
- LE PRESIDENT.- Et même en tant que Français.
- QUESTION.- Ah bon.
- LE PRESIDENT.- Enfin, je ne fais que cela pour l'instant. Je serai ravi de parler au nom de l'Europe un autre jour mais je n'en ai pas la charge. Où avez-vous pris cela ? Vous avez lu, comme moi sans doute : "La France, ce petit cap à l'extrême Occident". Tout le monde sait cela par coeur ! La France est un des grands pays dans le monde, beaucoup plus important par la réalité de son influence que par le nombre de ses habitants.
- QUESTION.- Donc, cela reste une grande puissance ?
- LE PRESIDENT.- C'est à vous d'en juger !\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez jugé tout à l'heure indispensable une réunion des puissances détentrices des charges nucléaires en Europe. Quand et comment une telle réunion pourrait-elle se tenir et quelles propositions la France y ferait-elle ?
- LE PRESIDENT.- Vous allez un peu vite en besogne. M. Dumas en est chargé. M. Joxe a déjà entrepris des rencontres avec ses deux collègues anglais et américains. Elles seront poursuivies quand on saura exactement à qui parler avec les représentants de l'Union des Etats souverains qui ont perdu leur nom mais dont la réalité n'en est pas moins respectable. M. Dumas a déjà reçu des instructions. D'ailleurs, il n'en a pas tellement besoin, il connaît ces problèmes par coeur et il se débrouille pas mal.
- Avant de vous dire tout de suite ce qu'il a l'intention de dire, laissez passer quelques jours. Nous avons besoin d'assurer notre sécurité par rapport à l'éclatement des pouvoirs de décision dans l'ancienne Union soviétique. C'est tout. C'est aussi simple que cela.\
QUESTION.- Je suis journaliste yougoslave. J'écrivais dans les journaux yougoslaves, croates, serbes, monténégrins, macédoniens. Je ne suis ni Serbe, ni Croate. Je voudrais être Yougoslave, si possible. Il y a un proverbe formidable dans mon pays qui dit : "J'ai mon pays et la France". J'ose parler devant cette forte assistance et c'est ce proverbe qui me donne le courage, monsieur le Président, de le faire. Quand la Slovénie a exprimé le souhait d'être indépendante et la Croatie également, l'Autriche et l'Allemagne se sont mises tout de suite derrière deux pays qui ont provoqué deux fois de grands malheurs dans ce pays et, pour la troisième fois, ils sont pour la dispersion de ce pays.
- Je voulais vous dire, M. Mitterrand, que vous étiez un grand espoir pour tous les intellectuels yougoslaves au début des hostilités. Je vis en France et je reçois des coups de fil des intellectuels me disant : que fait la France ? Que fait M. Mitterrand ? On a tous l'espoir !
- Alors, vous avez vu que nos dirigeants politiques sont incapables de résoudre nos problèmes. Ils sont même à l'origine des difficultés économiques...
- LE PRESIDENT.- Madame, il faut aller vite et j'ai très bien compris la question.
- QUESTION.- Vous êtes au courant de tout ce que je voulais dire. Je voulais dire, monsieur, que vous étiez l'espoir yougoslave puisque l'Allemagne et l'Autriche sont derrière la Slovénie et la Croatie. Aujourd'hui, j'ai compris que vous êtes peut-être pour la reconnaissance de l'indépendance... ce serait très bien.
- LE PRESIDENT.- Non madame, si vous le permettez, on ne va pas faire deux conférences.
- QUESTION.- Pour les Croates et les Serbes, c'est la guerre. Maintenant, il ne s'agit plus de sauver la Yougoslavie mais la paix. Vous ne pouvez pas imaginer quelle est la situation de guerre chez nous. Pouvez-vous donc sauver la paix ?
- LE PRESIDENT.- La France est à l'origine de la cour arbitrale qui va pouvoir permettre de traiter, je l'espère, je n'en suis pas sûr - c'est une tentative très importante - la conciliation entre ces pays. J'en ai discuté avec le Président croate et aussi avec le Président de Serbie. Ce dernier lui-même dit que si la Croatie veut son autodétermination, elle ne lui sera pas refusée mais il restera à régler un problème de frontières. Ce sera toujours le problème majeur. Cela se posera dans l'ancienne Union soviétique, partout.
- M. Eltsine l'a déjà dit. Cela se pose là-bas mais nous ne sommes pas spécialement, nous, pour telle République, contre telle autre et nous serions très heureux que la Yougoslavie parvienne à surmonter les difficultés internes qu'elle connaît et qui ne sont pas d'aujourd'hui.\
Nous passons quand même à la suite, à la politique intérieure. Je voudrais vous dire, à cet égard, qu'il y a quatre mois j'ai donné pour mission à Mme Edith Cresson, Mme le Premier ministre, de préparer la France à l'ouverture du marché unique européen, le 1er janvier 1993. Vous imaginez ce que c'est. Proximité de cette échéance, âpreté de la concurrence internationale, plus de frontières et plus de barrières entre 340 millions d'Européens de douze pays, donc plus de protection. Voilà l'enjeu. Il faut naturellement que les Français se mobilisent au service de la France et de l'intérêt de leur pays. Le premier objectif que j'ai fixé à Mme Edith Cresson, c'est de donner à notre industrie les atouts qui lui manquent. La politique économique conduite par M. Pierre Bérégovoy constitue un socle solide, sain, d'un grand mérite. A partir de là, il convient d'activer, d'accentuer le dynamisme de nos entreprises. Voilà le premier sujet.
- C'est pourquoi - je pense que cela vous intéressera que j'aborde ce sujet - parlons d'abord des entreprises publiques. C'est un patrimoine national. Il a été valorisé, c'est facile à démontrer, depuis 1981. Pour accroître l'investissement, pour développer l'appareil de production, pour accroître nos capacités d'emploi, j'ai autorisé le gouvernement à associer des capitaux privés au financement de certaines de ces entreprises publiques.
- L'Etat restera présent partout et majoritaire là où il l'est. Le gouvernement devra veiller à ce que ces opérations se déroulent dans la plus grande transparence. Les ressources financières ainsi dégagées serviront aux entreprises et n'iront pas çà et là combler quelques trous. Elles permettront, c'est leur utilité, la création d'emplois. C'est là le premier point.\
D'autre part, Mme le Premier ministre exposera lundi prochain 16 septembre à Bordeaux un plan de grande ampleur en direction des PME et PMI, qui constituent un réseau considérable en tous domaines. Elles donnent vie à l'espace rural, elles alimentent le corps économique de la nation. Deux salariés sur trois de l'industrie, du commerce et des services y travaillent. Leur activité se porte sur l'ensemble du pays, fortifie le réseau industriel. Bref, la politique de l'emploi recevra de ce fait une impulsion nouvelle.
- Mais, naturellement, tout est lié à la formation. Il n'y a pas d'économie compétitive sans système de formation lui-même compétitif, concret en permanence, axé sur l'entreprise. Je pense en particulier, Mme le Premier ministre l'a fort bien dit et y travaille, à l'apprentissage et à la formation en alternance.
- J'attends du gouvernement, mais je n'attendrai pas longtemps, qu'il s'y attaque avec audace, sans préjugés, afin d'obtenir des résultats rapides.\
Voilà trois questions. J'en citerai une quatrième, celle qui touche à l'agriculture. Les difficultés, on les connait, ainsi que les propositions de Bruxelles. La politique agricole commune a plus de trente ans. Il est normal qu'on songe, comme on le fait actuellement à Bruxelles, à apporter des modifications, mais je tiens au respect des principes de base.
- L'avenir de l'agriculture et de l'espace rural, c'est un vrai souci pour nombre de nos concitoyens, cela les touche au coeur, et c'est un souci que je partage. Voilà pourquoi j'ai demandé aux ministres compétents de mener une réflexion en profondeur avec les responsables de la profession.
- Mais il n'y a pas que l'industrie, il n'y a pas que l'agriculture, il faut que cela avance du même pas avec la cohésion sociale. Il faut sauvegarder l'environnement. A quoi cela servirait sinon ? On ne peut pas dissocier cela de l'efficacité économique.\
Alors, associer le progrès économique, l'efficacité industrielle et la cohésion sociale, le respect du patrimoine industriel et de l'environnement, voilà un rude problème, mais prioritaire. Il est passé au gouvernement, à tout le gouvernement, parce que le chômage, c'est vraiment très cruel pour notre société et d'abord pour ceux qui vivent cette situation. La situation ne s'améliorera vraiment que lorsqu'aura été repris par les pays industriels, les grands pays industriels, le chemin de la croissance. Ce moment, si j'en juge par les travaux des experts, est proche, mais je ne saurais le fixer.
- Une remarque au passage à propos du chômage : je constate des situations peu compréhensibles et c'est un des points sur lesquels Mme Martine Aubry applique sa réflexion et son action. Malgré le nombre de demandeurs d'emploi, savez-vous que beaucoup d'entreprises se plaignent de ne pas trouver la main d'oeuvre dont elles ont besoin ? Le gouvernement prend ce problème à bras le corps. Pendant l'été, on a recensé avec les professions les demandes par métier et par région, c'est la première fois que l'on fait cela d'une façon systématique, et les premières formations répondant aux besoins recensés seront d'ici peu en place.
- Deuxième observation du même type : malgré les besoins multiples, garde des enfants, des personnes âgées, des malades, le développement des emplois dits de proximité dans les familles se fait vraiment très lentement et pourtant ce sont de vrais métiers qui rendent la vie des familles plus facile. Tout cela doit être traité. J'avais demandé une négociation sur les bas salaires en 1990, à Auxerre. C'est très bien engagé, on a déjà de bons résultats. Le ministre d'Etat, qui avait cette charge à l'époque, aujourd'hui chargé de la fonction publique, prendra les contacts nécessaires à l'ouverture de négociations dans la fonction publique. C'est imminent.
- Et puis, la sauvegarde de l'environnement, la qualité de la vie, voilà encore une exigence très forte. Les mesures qui sont égrenées au cours de ces dernières semaines sous l'autorité de Mme le Premier ministre et de M. Brice Lalonde, à l'instigation de ce dernier, ont été nombreuses et remarquables.
- Voilà, mesdames et messieurs, partout en France, je rencontre des hommes et des femmes qui font leur métier avec coeur, il ne faut pas croire le contraire, ils agissent et ils se battent, partout des initiatives, partout des innovations. Eh bien, aidez-moi à cela, mesdames et messieurs, aidez-moi à cela. En tant que Français, en tant que patriotes. Que les Françaises et les Français soient plus nombreux encore à prendre leur avenir en main, qu'ils sachent que, dans beaucoup de domaines, ils sont capables, ils sont déjà les meilleurs. Au gouvernement de mieux les comprendre, si besoin est, est de donner l'impulsion, notamment Mme le Premier ministre, mais je n'ai pas besoin de le lui répéter, je lui fais confiance.\
QUESTION.- Merci, monsieur le Président. Vous avez qualifié tout à l'heure la politique de M. Bérégovoy de socle sain et solide, mais depuis le début de l'année, il y a quand même 230000 chômeurs de plus, alors souhaiteriez-vous une inflexion de cette politique sous forme, notamment, d'une relance à travers les dépenses du budget, qui est en train de décider aujourd'hui ? En ce qui concerne les privatisations, leur produit financier ira-t-il seulement à la musculation de l'industrie ou bien au désendettement de l'Etat ?
- LE PRESIDENT.- Monsieur Bérégovoy vous dirait comme moi qu'on ne connaît pas, depuis les expériences de 1973, de cas où le retour à l'inflation par la relance de la consommation ait jamais réussi à réduire le chômage. Finalement, le résultat a été le contraire. Alors, je ne vois pas pourquoi on ne tirerait pas bénéfice de l'expérience vécue ?
- Donc, sa politique est une politique saine et le budget, on le serre beaucoup, mais n'y a pas que là que l'on pourra réveiller l'emploi. Les mesures dont je vous ai parlé tout à l'heure et que Mme Edith Cresson a proposées au pays, croyez-moi, seront beaucoup plus efficaces qu'une relance budgétaire, parce que le budget est déjà très important, il a de quoi occuper et faire travailler beaucoup de Français. Il faut tout de même bien se rendre compte de cela. Vous avez parlé de privatisations. Je ne connais pas. Enfin, j'ai connu cela il y a quelques années...
- QUESTION.- Le capital privé pourra entrer en partie...
- LE PRESIDENT.- C'était un raccourci propre à un certain nombre d'hommes politiques et de journalistes, qui montre bien leur vraie pensée.. Mais il s'agit de vendre des actifs minoritaires d'un certain nombre d'entreprises publiques. En effet, il n'y a pas de raison que cet argent soit "gelé" et, puisqu'il sera employé, il n'ira pas boucher les trous du budget, et même pas désendetter la France, qui n'est d'ailleurs pas plus endettée que la plupart des pays concurrents. Il servira à développer, je l'ai dit, l'investissement et l'emploi de ces sociétés, qui auront besoin de moins de fonds propres et qui libéreront, de ce fait, des sommes aujourd'hui budgétaires, et l'ensemble de ces sommes seront mobilisées pour l'emploi. Voilà ce que je peux vous dire, peut-être de façon insuffisante, mais qui dit bien ce que nous pensons.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez changé de gouvernement le 16 mai. Etes-vous pleinement satisfait de cette opération de relance gouvernementale ? Le referiez-vous aujourd'hui dans les mêmes formes ? Et comment expliquez-vous l'impopularité actuelle du Premier ministre ?
- LE PRESIDENT.- Je pense, tout en ayant beaucoup de considération pour Michel Rocard, avec lequel j'ai très bien travaillé, qu'un gouvernement, généralement, s'essouffle au bout de trois ans. C'est arrivé très souvent. C'est arrivé à Jacques Chaban-Delmas, c'est arrivé à Pierre Mauroy, c'est arrivé à Michel Debré. C'est arrivé à Michel Rocard. Ce n'est pas une catastrophe particulière qui lui était spécialement destinée. En dépit de ce que j'ai lu ici et là, il a très bien travaillé.
- Donc, il me paraissait utile d'avoir un gouvernement neuf, avec de bons ministres - c'est le cas - pour occuper cette dernière phase de la législature, surtout jusqu'au 1er janvier 1993. On dit : "C'est le mois de mars...", mais, pour moi, Michel Rocard n'était pas du tout un Premier ministre anti-électoral, au contraire, donc ce n'est pas le problème. C'est le problème du 1er janvier 1993 pour la mobilisation industrielle, et pour bien d'autres choses encore. Je ne vais pas vous refaire mon petit discours.
- Donc, je ne regrette absolument pas. Pourquoi regretterais-je ? Croyez-moi, cela a été un acte volontaire. Je ne me suis pas réveillé un matin en me disant : "Tiens ! Je vais changer de gouvernement " Cela ne se fait pas comme ça. Non, j'en avais parlé déjà à Michel Rocard dans les semaines qui précédaient. Je pense que les choses ont été faites correctement et cordialement, et je suis très content d'avoir désigné Mme Edith Cresson.
- Vous parlez de son impopularité. Mais les Français ne la connaissaient pas ! Vous pourriez me dire que cela pourrait être une raison de popularité, c'est déjà arrivé ! Vous avez pu remarquer qu'il y a un certain nombre de courbes qui font que beaucoup de Premiers ministres sont très bien vus au début, et moins bien vus à la fin. Eh bien ! Si le phénomène contraire se produit (assez injustement traitée au départ et bien considérée à la fin), est-ce que ce n'est pas mieux ?
- Moi, j'ai confiance dans l'oeuvre du Premier ministre et je connais ses qualités. Je ne vais pas les répéter, cela vous ferait sourire, non pas parce que vous douteriez de mes propos, mais parce que vous trouveriez que je commence à me répéter et vous en chercheriez peut-être la cause ! Bon.. Le gouvernement travaille très bien et déjà son oeuvre est importante. A l'heure qu'il est, je ne vais pas vous la récapituler. D'ailleurs, vous la connaissez très bien.
- Peut-être, monsieur Lemarque, vous qui êtes si soucieux du destin de Mme Cresson, pourriez-vous nous donner un coup de main, vous et beaucoup d'autres, plus que vous ne le faites, hein ? Avec vous, je me sens solide et pratiquement imbattable, Mme Cresson étant Premier ministre. Naturellement, sans vous ce serait plus difficile. Vous me demandez de faire mon examen de conscience. Je ne m'adresse pas à vous, monsieur Lemarque, mais faites le vôtre, mesdames et messieurs.\
QUESTION.- Monsieur le Président, il y a quelques années, vous vous étiez engagé à baisser les prélèvements obligatoires. Ils ont effectivement baissé légèrement, mais maintenant, avec la dernière augmentation de la cotisation de Sécurité sociale et peut-être la prochaine pour l'assurance chômage, ils risquent de recommencer à progresser. Qu'en pensez-vous ? Est-ce que ce n'est pas un frein à l'emploi ?
- LE PRESIDENT.- Non, monsieur, les prélèvements obligatoires, depuis que j'en ai pris la décision, ont légèrement baissé, et ce "légèrement baissé" ne doit pas vous faire oublier que, depuis près de dix ans, ils augmentaient chaque année de près de 1 %. Le ministère des finances était tellement habitué à cela que lorsque j'ai décidé de casser cette mécanique en demandant une réduction de 1 %, Jacques Delors, ministre des finances à l'époque, m'a dit : "Mais, les services ont déjà prévu le 1 % futur " Donc, mon 1 %, c'était 2 %. J'ai dit : "Heureusement que j'ai arrêté cela " et Jacques Delors en était cent fois d'accord, car c'est un gestionnaire sérieux. On a donc arrêté l'augmentation des prélèvements obligatoires. Elle a légèrement repris en 1987. Vous me dites : est-ce que cela ne va pas repartir maintenant ? Je vous dis non, et on prendra toutes les mesures qu'il faut pour l'empêcher.
- Quand à l'augmentation des cotisations sociales, vous connaissiez un autre moyen pour sauver à ce moment-là la Sécurité sociale ? Oui, d'autres moyens, cela pouvait être la CSG, mais de toutes manières, c'était une demande adressée à beaucoup de Français.
- Il faut absolument stopper l'éventuelle hémorragie qui, soit sur le plan des prélèvements sociaux, soit sur le plan des impôts d'Etat, (je ne suis pas comptable des impôts locaux qui sont nombreux et souvent lourds) peut toucher ce qu'on appelle les prélèvements obligatoires.
- Il n'y aura pas d'augmentation d'impôts. Il y a eu depuis trois ans de très sérieuses diminutions d'impôts. Les cotisations sociales ont été augmentées. Nous emploierons tous les moyens normaux pour qu'il y ait compensation pour le revenu des salariés et des gens en difficulté.\
QUESTION.- Vous avez parlé à l'instant de Jacques Delors. Est-ce que vous lui voyez une place de Premier ministre un jour, ou même de candidat à l'élection présidentielle ?
- LE PRESIDENT.- Pour l'instant, Mme le Premier ministre remplit très bien son office. Elle n'est pas au terme des trois ans fatidiques... que je ne lui ai d'ailleurs pas fixé. Je ne suis pas un maniaque ! Ce que je veux dire, c'est que si on fait cela en termes de substitution de personne, je ne vous suis pas.
- S'il s'agit de porter une appréciation sur tel ou tel responsable politique, je vous dirai tout de suite que j'ai la plus haute estime et beaucoup d'amitié pour Jacques Delors, avec lequel je travaille depuis tant d'années. Je vous dirai que s'il est Président de la Commission, c'est parce que j'ai pu obtenir, grâce à Helmut Kohl, de substituer au candidat allemand un candidat français, alors que c'était loin d'être le tour de la France. (il y avait encore beaucoup de pays qui étaient candidats à plus juste titre, car M. Ortoli avait présidé peu de temps auparavant). Et j'ajouterai que, depuis cette époque, Jacques Delors est allé vraiment de réussite en réussite et est devenu une des personnalités principales du monde politique européen. Donc, je ne veux faire que des éloges à son propos.
- A-t-il un avenir ? Bien entendu. Est-ce à moi de le fixer... mais là, vous me faites sortir de mon rôle, et vous sortez peut-être un peu du vôtre, sauf que le vôtre, c'est quand même celui de la curiosité, et la curiosité, en particulier avec vous, elle n'a pas de limites, j'imagine.. Je n'ai rien d'autre à dire. Je demande à Mme Cresson de se sentir pleinement responsable. Je n'ai d'ailleurs pas besoin de le lui dire.\
QUESTION.- Toutes les enquêtes indiquent que les Français sont très vivement inquiets. Ils sont inquiets pour l'emploi, bien sûr, alors qu'une vague de licenciements affecte de nombreux secteurs de l'économie £ ils sont inquiets pour l'avenir de leurs enfants en constatant que la société est de plus en plus inégalitaire £ ils sont inquiets pour leurs salaires, leurs revenus, ils ont des problèmes d'argent, pour parler vite. Ne croyez-vous donc pas, monsieur le Président, que le temps est venu de changer fondamentalement les orientations de la politique de la France et de faire la politique que le peuple de gauche attend depuis si longtemps ?
- LE PRESIDENT.- Il faut faire la politique qui finalement sera utile à ceux dont vous parlez, qui m'intéressent autant que vous, mais je ne suis pas maître des courants économiques internationaux. Je ne peux pas prendre à rebrousse-poil une crise qui vient d'ailleurs, au point de l'aggraver pour la France, mais je suis résolument optimiste. D'abord, parce que je compte sur ceux dont vous parlez, c'est-à-dire les travailleurs français, sur les salariés en particulier. Je compte beaucoup sur eux et je peux leur faire confiance. Ils m'ont fait confiance, au demeurant, dans le passé. Les difficultés sont multiples, on n'arrive pas à les surmonter toutes. On a parlé du chômage, vous avez raison d'insister là-dessus, c'est un drame. J'ai l'impression que la manière d'aborder ce problème avec la perspective d'un retour de la croissance devrait vous permettre de ne pas tenir le même langage la prochaine fois que nous nous rencontrerons.\
QUESTION.- Je voulais savoir si, depuis le 14 juillet, vous aviez reçu des propositions intelligentes en matière de réforme électorale et, si oui, lesquelles vous comptiez retenir ?
- LE PRESIDENT.- Ah ! Ecoutez-moi, je souhaite des réformes électorales, départementales, régionales, sénatoriales, parce que les lois actuelles sont injustes et il faut que les Français en prennent conscience. J'en parle moi quelquefois pour qu'ils en prennent conscience. Est-ce qu'il est normal, vraiment, en dehors de toute politique, qu'il ait deux régions présidées par les gens de groupes de progrès dits "de gauche" sur 22 en métropole ? 2 sur 22 ? Est-ce que cela correspond à la réalité populaire ? On sait bien que ce n'est pas vrai. Est-il normal qu'il n'y ait que 25 Présidents de Conseil général sur une centaine ? Ce n'est pas juste. Est-ce qu'il est juste que ce soient les Conseils généraux des cantons ruraux (j'ai été pendant trente-trois ans Président du Conseil général d'un petit département, j'en parle très librement, j'ai aimé ces fonctions et j'ai aimé ces régions, je continue de les voir souvent) que ce soit les représentants de populations très minoritaires qui décident du sort des dizaines de millions de gens qui habitent dans les centres urbains ? Il ne faut pas non plus renverser la preuve, il faut garder à ces régions, à ces cantons nouveaux, à ces petits pays, il faut leur garder toute leur force. Il faut donc un meilleur équilibre. Vous croyez que c'est normal que le Sénat soit élu par.. Bon. Très bien. Alors j'en ai parlé.
- Pour les deux premières, j'ai fait un pronostic. Il n'y a pas de majorité parlementaire ? Très bien. Mais au moins, ce sera dit, ce sera discuté, les Français s'en rendront compte.
- D'autre part, pour les élections législatives, j'aimerais bien que ce soit plus juste. Depuis que la République existe, chacun s'interroge sur les moyens d'y parvenir. On dit que la proportionnelle, c'est plus juste. C'est vrai. Mais c'est moins efficace que le scrutin uninominal qui permet d'avoir une majorité, mais qui est moins juste. Et puis, les groupes moins importants, mais importants quand même, ne sont jamais représentés. Est-ce que c'est juste ? Quelquefois, cela suscite ma réflexion mais je n'ai pas d'intention précise. Nous avons le temps d'en parler.\
QUESTION.- Au cours d'un de ses discours, le Général de Gaulle avait déclaré, je cite : "La France est un évangile de la fraternité des races et de l'égalité des chances". A la lumière des déclarations de plusieurs hommes politiques français, toutes tendances confondues, pensez-vous que la France puisse toujours se prévaloir de cette image ?
- LE PRESIDENT.- Absolument. Je parlais ce matin au Conseil des ministres de l'intervention de la France pour obtenir et maintenir une aide très importante à l'Algérie à l'instar de ce qui avait été consenti à la Pologne, et l'Algérie nous avait demandé de défendre sa cause. Nous l'avons fait avec succès.\
QUESTION.- Vous venez de battre le record de longévité de la Vème République. Vous savez qu'ici ou là, dans l'opposition et parmi certains commentateurs, on parle de l'usure du pouvoir. Ressentez-vous cela comme existant et deuxièmement, est-ce que l'idée du quinquennat à la lumière de ces dix ans à l'Elysée refait surface et devient davantage d'actualité ?
- LE PRESIDENT.- Comme le dit une marque à laquelle je ne vais pas faire de publicité, on ne s'use que si on sert, bien qu'on sache que ceux qui ne servent à rien s'usent beaucoup ! Quant au record dont vous me parlez, vraiment, je ne suis pas spécialement un amateur de record, et j'ai été plus frappé par les records du 4 fois 100 mètres, d'abord, c'étaient des Français, cela m'a fait plaisir, ensuite, c'étaient des Américains £ très bien.. Je n'y prétendais pas... ou bien par la victoire de Marie-José Perec. Quant à l'autre dont vous me parlez, ça va, ça vient, n'insistons pas. Vous me parlez maintenant du quinquennat. C'est une question qui vaut d'être posée. La réponse viendra à son heure.\
QUESTION.- Permettez-moi de reprendre d'une façon sans doute moins bien formulée, la question d'un de mes confrères. Que répondez-vous à ceux qui disent que vous n'avez pas assez soutenu M. Gorbatchev, lors du putsch de Moscou, alors que vous étiez un de ses amis les plus intimes et que vous battiez un peu froid Eltsine ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas battu froid M. Eltsine. Je me demande ce que vous voulez dire. Je sais qu'il a été battu froid, ici ou là, mais pas par moi, pas à l'Elysée. Il a été reçu tout à fait comme il devait l'être. Il m'a d'ailleurs, à l'époque, envoyé une lettre de remerciement qu'il a réitérée, à d'autres titres, depuis lors. Les relations sont donc excellentes.
- Quant à M. Gorbatchev, c'est votre interprétation, c'est celle de beaucoup de gens, mais ce n'est pas l'interprétation de l'ensemble des Français. Si j'ai donné cette impression, après tout, je n'ai pas à incriminer votre bonne fois et je ne le fais pas.
- Mais, M. Gorbatchev a répondu hier à une chaîne de télévision qui l'interrogeait dans la rue, c'est votre chaîne ?.. alors vous êtes un bon témoin. Il vous a dit : "La France et M. Mitterrand ont été les meilleurs amis de l'Union soviétique, non seulement pour les dernières périodes mais depuis toujours et je suis heureux de dire cela à une télévision française".
- C'est tout. Voilà ce que je peux vous répondre. Le reste, laissons passer. Ce sont des petits jeux de politique intérieure, mais vous savez dans mes relations avec l'opinion publique française, avec les Français je m'en arrange.\
QUESTION.- Pendant la guerre du Golfe, l'opposition dans son ensemble a toujours approuvé vos positions. Là, avec les événements de l'Est, c'est exactement l'inverse. Les critiques fusent. Vous avez été vous-même un opposant, à quel moment l'opposition est-elle dans son rôle ?
- LE PRESIDENT.- D'abord quand vous dîtes, dans un raccourci puissant et inexact, que l'opposition m'a toujours approuvé pendant la guerre du Golfe, ce n'est pas vrai. Elle m'a approuvé à partir du moment où elle a compris que cela tournait mal pour elle, mais j'en ai entendu jusqu'au 15 janvier y compris jusqu'au plan de paix français ! Et avant, cela n'allait pas, ce n'était pas le moment, il fallait agir plus tôt. Tous ces spécialistes du conseil siègent sur de très hauts piédestals, ils vaticinent facilement, ils au pluriel, je vois déjà les yeux qui s'allument ! Ils tranchent dans le vif.
- Pour revenir à l'affaire soviétique, je ne sais pas comment je me suis comporté avec mon ami Gorbatchev, qui lui me considère comme un ami, je n'étais pas l'ami de quelques autres... j'arrête là, je ne vais pas me lancer dans cette polémique. Je dis seulement que pendant la guerre du Golfe cela a été dur.
- Cela a été dur pour l'unité allemande. Lorsque je me suis exprimé le 3 novembre, six jours avant la chute du mur de Berlin, à Bonn, en compagnie du Chancelier Kohl, pour dire "je ne crains pas l'unité allemande", la première position officielle de l'opposition, a été de dire : "M. Mitterrand a eu tort de parler d'unité allemande".
- Tout se discute, d'ailleurs, je respecte l'opin ion des autres. J'aimerais bien qu'on respecte un peu plus la mienne. Mais cela... ce sont les Français qui trancheront ensuite.
- Donc lorsque vous dites que l'opposition m'a toujours approuvé pendant la guerre du Golfe, ce n'est pas vrai. A partir du moment où cela a été une guerre vite gagnée, j'ai eu une énorme troupe derrière moi. J'ai eu des lieutenants des plus fidèles, que je ne connaissais pas. Ils ont vite enlevé leur fausse barbe, il a fallu huit jours. C'est tout, qu'est-ce-que vous voulez que je dise ?...
- Je suis habitué à être critiqué. Je n'ai qu'une règle finalement, c'est d'obéir à la conscience que j'ai de mes devoirs. La France est un grand pays, l'un des pays les plus présents sur la surface du globe et des plus respectés. Il y en a qui ne le croient pas ou qui font semblant de ne pas le croire. C'est leur affaire. Je vous le répète, c'est le peuple français qui dira le dernier mot.\
QUESTION.- A propos de l'opposition, toujours, celle-ci semble absolument assurée de gagner les législatives. Vous ne partagez peut-être pas ce sentiment. Trouvez-vous que vos amis socialistes se battent avec assez de force et que pensez-vous de leur idée de débaptiser le Parti socialiste et de le transformer en Parti social démocrate ?
- LE PRESIDENT.- Le Parti socialiste ? Ecoutez, je suis socialiste, je ne suis pas dirigeant du Parti socialiste je ne le suis plus. Je reste l'ami des socialistes et de leurs dirigeants. Le jour où ils me demanderont mon avis - Pierre Mauroy m'a quand même entretenu de cela hier soir - je le leur déconseillerai.
- Le Parti socialiste tel qu'il est, tel qu'on le connait, c'est un parti de liberté. Que dans le discours il ajoute "démocratique" pour mettre quatre points sur le même "i", je veux bien. Mais le Parti, c'est le Parti socialiste, c'est en tout cas comme cela que je le sens. Il ne faut pas avoir peur de ce que l'on est, il ne faut pas craindre son histoire, il faut avoir confiance dans son avenir. Cela représente une telle somme de sacrifices et d'idéal, pourquoi laisser cela au bord de la route ? Cela dit, chaque formation politique y compris celle-là fera comme elle voudra.\
QUESTION.- Vous venez d'accepter des privatisations partielles...
- LE PRESIDENT.- Non.
- QUESTION.- Une forme de privatisation partielle. Vous avez attendu trois ans depuis les dernières élections avant d'accepter cela. Est-ce qu'on peut imaginer que, dans deux ans, lors des prochaines législatives, vous irez jusqu'au bout de la logique, vous lèverez l'interdit idéologique complètement et vous accepterez une vraie privatisation pour une société, une entreprise publique, pour la faire respirer, comme l'on dit ?
- LE PRESIDENT.- Il n'y a pas d'idéologie là-dedans, puisque ce qui est public reste public.. Le reste, ce sont des procédures et des modalités. Au demeurant, depuis trois ans j'ai accepté, parce que les avis de Michel Rocard étaient souvent très judicieux sur cette matière, j'ai accepté, comme vous dites - c'est dit en termes excellents dans une loi de 1984 ou 1985 - plusieurs formes de respiration. J'avais accepté pour les filiales, cela avait été un motif de rupture de l'Union de la Gauche, lors de la réactualisation du Programme commun. Nous sommes logiques avec nous-mêmes. Donc ce sont des cessions d'actifs d'entreprises publiques. L'Etat restera majoritaire, restons-en là. Pourquoi voulez-vous tirer d'un côté ce que je vous dis ? Vous vous intéressez à nos reniements, comme vous dites ? Quels sont-ils ?
- QUESTION.- C'est peut-être cela, je ne sais pas, c'est à vous de le dire.\