11 juin 1991 - Seul le prononcé fait foi
Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur les jeunes et le problème de leur insertion sociale, la ville et notamment les problèmes de sécurité, et sur la police et le maintien de l'ordre public, à l'hôtel de ville de Charleville-Mézières, le 11 juin 1991.
Monsieur le maire,
- Je vous remercie de vos paroles et de votre accueil. Au-delà de votre personne, je remercie celles et ceux qui ont tenu à assister à cette réception et qui seront porteurs du message de gratitude que j'adresse à la population de votre ville dont j'ai pu éprouver l'attachement et la fidélité à travers les grandes circonstances qui nous ont rassemblés depuis plus de dix ans.
- Vous avez bien fait de rappeler mes précédentes visites. Elles ont été faites soit dans le cadre d'une mission ministérielle - les premières -, soit dans le cadre d'un combat politique, le mien et celui de beaucoup de personnes qui se trouvent dans cette salle. Mais je n'étais jamais venu en qualité de Président de la République et j'avais une dette envers vous car j'ai visité beaucoup de départements français et pas les Ardennes. Voilà un début de réparation. Peut-être l'occasion me sera-t-elle donnée de revenir parmi vous, dans d'autres parties de ce département.
- Vous m'avez fait voir le quartier Manchester qui fait partie de la trop longue liste des quartiers en difficulté, des banlieues où l'entassement, le type de populations, une certaine rareté de logements trop chers, le développement du chômage, ont fait que toute une partie de cette population se trouve instable et malheureuse. Cela provoque des réactions en chaîne dont on mesure les effets au travers des drames qui se produisent ici et là.
- Ces drames ont été épargnés au quartier Manchester. J'ai pu constater sur place l'effort qui était accompli pour rénover les façades des immeubles, pour les rendre plus agréables à voir et aussi plus agréables à habiter.
- J'ai pu remarquer que les espaces étaient quand même vastes, plus vastes que dans beaucoup d'autres de banlieues. Ceux qui ont conçu le développement de ces quartiers avaient quand même prévu qu'il serait nécessaire de prendre garde à la trop grande accumulation de population. Mais que ce soit Manchester ou d'autres lieux, on retrouve les mêmes caractères un peu partout et je voudrais rappeler ici les mots d'ordre que j'ai développés dans beaucoup d'autres villes.
- La tâche du gouvernement de la République - et précisément de l'actuel gouvernement conduit par Mme Edith Cresson - est naturellement universelle et ne doit éliminer personne. Il y a des priorités sur lesquelles il faut porter le meilleur de notre effort : l'école, la formation et la ville. Plus les enfants seront instruits à des disciplines multiples, plus ils seront aptes à remplir le rôle qui leur est dévolu dans la vie, à bénéficier d'un métier, d'un travail, bref, à être insérés dans la société française.\
On s'est rendu compte que, quel que soit le grand mérite des enseignants, cela ne suffisait pas. Nos habitudes de penser, nos traditions font que l'on a considéré comme noble certaines carrières ou certaines professions portées vers certains postes intellectuels, certaines professions libérales correspondant à un certain statut social tandis que, en dépit des immenses progrès accomplis par la classe ouvrière grâce au combat mené par eux et pour eux depuis la révolution industrielle, les métiers manuels ont été peu à peu déconsidérés. Je le disais tout à l'heure alors que je me trouvais à Troyes : dans une famille, on considère qu'a réussi l'enfant qui parvient à franchir toutes les étapes de l'éducation nationale, qui devient licencié, agrégé. Par contre, pour un enfant qui deviendra, par exemple, le meilleur ouvrier de France - ce n'est pas donné à tout le monde - on pensera qu'il a échoué.
- Eh bien, mesdames et messieurs, il n'y a pas de distinction à faire entre les études théoriques, entre les études abstraites, entre l'approche de la science pure, et l'approche de la science appliquée. Il n'y a pas de différence de valeur. Il y a simplement une distribution des qualités humaines et notre société a pour devoir de les considérer sur les mêmes plans. Quand je dis notre société, c'est l'Etat, et c'est aussi les familles. C'est une façon d'aborder l'avenir des enfants. Il faut que la société, - l'Etat, les régions, les départements, les communes - s'organisent pour que soient donnés à un jeune les moyens de choisir ce que sera sa vie.
- Il faut reconnaître que depuis la dernière guerre mondiale et jusqu'à une époque récente, on n'a pas suffisamment compris la nécessité d'adapter la formation des enfants aux nouvelles technologies. C'est cela la crise : c'est le manque d'adaptation d'une société trop lourde, trop figée, qui n'a pas franchi assez rapidement l'étape qui la mène d'une ère technologique à une autre. La société devrait donc être plus mobile et elle ne l'est pas. C'est pourquoi nous entendons porter notre effort sur la formation professionnelle en relation avec l'école. C'est ce que l'on appelle la formation par alternance : apprendre un métier, faire un bon apprentissage, être déjà inséré dans une entreprise ou dans un métier et en même temps poursuivre ses études, si on en a les moyens intellectuels, jusqu'au terme normal que tout jeune homme ou toute jeune fille peut attendre.\
Si le chômage existe dans les campagnes, c'est la ville qui est le réceptacle de toutes ces populations errantes, mal fixées et sans emploi. C'est elle qui doit aménager la situation des jeunes qui commencent à être marginalisés et finissent par être exclus par un mouvement redoutable qui les amène, aujourd'hui, dans les quatre cents quartiers qui ont été relevés, étiquetés, classés et dont M. Michel Delebarre, a la charge. Il faut que notre société, notre forme de civilisation, notre façon de vivre ensemble s'élargisse pour qu'il n'y ait pas d'exclus.
- Je me sens si proche de ces exclus et si triste de ne pouvoir toujours répondre à leur demande, au point qu'eux-mêmes ne savent plus ce qu'ils attendent. Ils ont perdu le contact. C'est pourquoi on a voulu que les individus les plus malheureux, les plus exclus puissent au moins récupérer un moyen de vivre, qu'ils puissent se réinsérer et avoir un métier. C'est pour cela que nous avons créé le RMI : pour que personne ne soit dans l'impossibilité de manger, de se vêtir et de se loger.
- C'est un très grand progrès. Mais il ne faudrait pas confondre cela avec de la simple assistance. Il ne faut pas faire une société d'assistés. Il faut que chacun d'entre nous devienne responsable. C'est pour cette raison qu'il est important de lier ces trois thèmes : l'école, la formation professionnelle et la ville. Quand nous aurons résolu une large part de ce chantier, alors nous ne parlerons plus de la même façon de ces grandes misères qui s'abattent sur ces quartiers.
- Il faut savoir, même si ce n'est pas une consolation mais simplement une façon de mieux apprécier l'ordre des choses, que ce mal est européen, que des pays comme la Grande-Bretagne ont connu des drames à répétition plus sanglants et destructifs que ce que nous pouvons connaître.\
Le gouvernement, et particulièrement M. le ministre de la ville, M. Delebarre, a fait adopter une loi récemment qui consiste à demander aux communes riches, et même très riches, de redistribuer une part des dotations qu'elles recevaient aux communes pauvres, et d'opérer une sorte de péréquation. Cette loi a été adoptée, on en est maintenant au point où l'on peut prévoir ce qui se passera. Je constatais dans le quartier Manchester qu'il y aurait seize communes de la région, qui ont des quartiers difficiles, qui recevront l'aide des autres. Les sommes que vous recevrez spécialement à Charleville-Mézières, seront quadruplées en l'espace de peu de temps, doublées peut-être dès l'année prochaine. Cela veut dire que ceux qui animent ces quartiers vont pouvoir disposer d'un financement important, pour réaliser tout aussitôt les améliorations qui sont attendues par la population.
- Dès lors que vivent des dizaines, des centaines, parfois des milliers de jeunes qui sont pratiquement coupés de tout lien avec la société alentour, des problèmes se posent, des problèmes majeurs, que personne ne peut prétendre régler par le seul fait de poser la question. Et il est inutile de se renvoyer la balle d'une formation politique à l'autre : tous les maires, quelle que soit leur appartenance politique, connaissent ces difficultés et cherchent à les aborder en général avec une réelle bonne volonté. Et tous les gouvernements doivent s'attaquer à ces problèmes qui prennent de l'ampleur, parce que les pays considérés comme riches - comme la France - sont forcément l'objet de convoitise. Que de populations qui souhaitent venir vivre chez nous, et avec nous ! Un rapport récent constate qu'il n'y a pas plus d'immigrés en 1991 qu'il n'y en avait en 1981, pas plus, pas davantage. Mais, l'immigration a changé de contenu : ce ne sont pas exactement les mêmes populations qui se déplacent. Cela complique souvent le problème pour des raisons de culture.
- Alors, comment faire ? Les problèmes de l'immigration ne sont pas ceux que je veux traiter ici, je les traiterai en d'autres circonstances, mais il y a un problème d'ordre public. Il y a assez souvent, trop souvent, des désordres, et parfois des crimes qui se produisent dans ces populations pratiquement privées de tout encadrement, de toute espérance, de tout avenir. Il faut donner un avenir : tout cela est lié à l'emploi, c'est-à-dire à la diminution et à la réduction du chômage.\
Prenons le problème tel qu'il est aujourd'hui, tel qu'il s'est posé à Mantes-la-Jolie, tel qu'il s'était posé dans d'autres villes, à Sartrouville, à Vaux-en-Velin, etc... vous connaissez cette tragique litanie. Il faut aborder honnêtement ces problèmes : la police se sent trop peu soutenue, un peu montrée du doigt comme n'étant pas capable de maintenir l'ordre, comme coupable de sévices, comme toujours coupable. On ne peut pas adopter cette attitude d'esprit qui fait que celui qui a la charge de l'ordre public, lorsqu'il le fait, et c'est souvent un métier difficile, soit considéré comme devant s'expliquer ou se faire pardonner alors que cette police républicaine ne fait généralement, dans la quasi totalité des cas, que son devoir.
- Nous savons, et je sais, les conditions difficiles dans lesquelles les policiers exercent leur métier, qui est de protéger et de rassurer les citoyens. C'est difficile en milieu urbain, encore plus difficile dans la périphérie des grandes villes. Il faut que ces policiers sachent que le gouvernement de la République et que l'ensemble des Français les comprennent et les soutiennent.
- Si les problèmes de délinquance se posent avec plus d'acuité dans les banlieues, les agents de l'Etat chargés de l'ordre public qui se trouvent là, ne doivent pas se sentir isolés, mais au contraire associés aux travaux et au maintien de la sécurité dans la Nation.\
Cette paix publique, elle vous touche tous. L'Etat républicain doit en être le garant, et j'entends que cette paix soit assurée partout, dans les banlieues comme ailleurs. Sans la paix publique, croyez-vous qu'il y aurait une démocratie ? La paix publique protège d'abord les plus faibles, les personnes âgées, et même si cela paraît un paradoxe, les plus jeunes. La paix publique, c'est le fondement d'un droit fondamental reconnu par la Déclaration des droits de l'homme et des citoyens, le droit d'aller et de venir. Chacun d'entre vous en ressent la nécessité. Et l'autorité de l'Etat doit s'exercer en permanence, en tout lieu. Il n'y a pas de zone interdite pour le respect de la loi, et pour qu'elle soit respectée, croyez-moi, en dépit de ce que je lis ou entend ici et là, les instructions les plus fermes sont données par le ministre de l'intérieur. Le sacrifice de cette jeune femme policier, Marie-Christine Baillet - si le ministre de l'intérieur n'est pas avec moi aujourd'hui, c'est parce que je lui ai demandé d'être présent auprès de la famille de cette jeune femme - ce sacrifice rappelle que chaque jour, chaque nuit, les policiers assurent leur mission au péril de leur vie. La force publique est instituée pour l'avantage de tous, au nom de l'intérêt général. Policiers et gendarmes prennent des risques graves : c'est la grandeur et la servitude de leur métier qui exigent de nous, de la Nation, reconnaissance et soutien. Et je veux, de Charleville-Mézières, leur apporter le témoignage de notre reconnaissance et de notre soutien. Voilà pour le premier point qui est essentiel. Il en est un autre qui a été précisé de la même façon par Mme le Premier ministre et par le ministre de l'intérieur : oui, cette mission doit s'exercer mais dans le respect du droit. Nous sommes une société civilisée. Les jeunes, quelle que soit leur origine, sont égaux devant la loi, tous font partie de notre communauté, aucun n'est à rejeter. Il faut aussi qu'ils ne se sentent pas victimes d'une sorte de suspicion permanente, il faut qu'ils soient l'objet des mêmes attentions que les autres. Ce n'est pas pour rien que je répéterai qu'il existe un Etat républicain, et la République, cela veut dire quelque chose. Les jeunes gens qui entrent dans la police ou dans la gendarmerie sont nourris de la République, respectent la République, aiment la République : s'il en est qui pensent autrement, ils peuvent aller ailleurs. A partir de là, il faut que les plus grands soins soient apportés pour que la jeunesse, et spécialement la jeunesse issue de l'immigration, devenue française dans la plupart des cas, se sente respectée, j'aimerais pouvoir ajouter : se sente aimée. Vous me direz : "oui, c'est de leur faute"... C'est de la faute de personne, ou c'est de la faute à tout le monde, c'est de la faute à la difficulté des temps, et le devoir des citoyens responsables, c'est de dominer la difficulté des temps.\
Toute une série de mesures sont préparées par les ministères compétents, particulièrement celui de la ville assurément, puisqu'il en a la responsabilité directe, ces mesures touchent l'emploi, la formation mais aussi une présence sur le terrain £ si d'un côté, il y a les forces de l'ordre, si de l'autre côté il y a la jeunesse, une partie de la jeunesse, et entre les deux, rien, on arrivera aux pires excès. Il faut absolument qu'il y ait interpénétration entre des deux milieux. Lorsque dans un quartier, comme dans nos villages, la population reste sur place assez longtemps pour se connaître, ça marche bien, ils se connaissent et ils se respectent. S'il y a trop de changement, trop de mutation, si tout d'un coup on devient des inconnus, souvent aussi on devient des adversaires, alors il faut veiller à cela.
- Cette interpénétration, je sais que vous y avez pensé, monsieur le ministre, en développant ce que l'on appelle "l'îlotage", en souhaitant que les forces de l'ordre soient à l'intérieur de ces quartiers non pas pour être chargées de sévir mais pour être chargées de comprendre et d'aider. Ils sont présents, donc plus nombreux. Pour leur propre sentiment de sécurité, ce sera mieux, et vous disiez, vous aviez raison qu'il faudrait aussi que ces jeunes puissent prendre part eux-mêmes à l'organisation de leur quartier, soit sur le plan sportif, soit sur le plan culturel, soit sur le plan de la construction, soit sur le plan du logement, de la restauration, qu'ils puissent en bénéficier. On disait tout à l'heure à Manchester : pourquoi ne contribueraient-ils pas à la restauration des HLM du quartier ? Pourquoi ne participeraient-ils pas à la défense de la République ? Pourquoi est-ce qu'ils n'accéderaient pas eux-mêmes aux forces du respect de la loi ? Bref, il ne faut pas de ségrégation, c'est cela aussi le maître-mot. J'en appelle vraiment à cette compréhension mutuelle mais elle a besoin de moyens et ce sont ces moyens qui seront étoffés par le ministère de l'intérieur, par le ministère de la ville, par le ministère de l'éducation nationale.
- Mesdames et messieurs, je voulais vous dire cela à Charleville, parce qu'au-delà de vous c'est au pays tout entier que je m'adresse, c'est lui que je souhaite convaincre, il faut qu'il m'entende. Vous m'en avez fourni l'occasion, vous-même, monsieur le maire, mesdames et messieurs les membres du conseil municipal et vous tous, ici présents. Portez le message le plus loin possible, qu'il vous pénètre vous-mêmes, comme il me pénètre. Je sens que c'est la mission qui vous incombe aujourd'hui : souder la population de notre pays autour de grands objectifs, de vastes desseins et dépasser les différences qui risquent autrement de devenir plus que des différences, des ruptures. Nous n'en sommes pas là. Prenons garde simplement aux phénomènes qui annoncent la possibilité qu'une société finalement disparaisse, oubliant sa propre civilisation ! Mais vous êtes là, vous m'entendez, on s'y met tous et je vous le dis, mesdames et messieurs, nous réussirons. C'est la tâche du gouvernement d'aujourd'hui comme c'était la tâche de ses prédécesseurs, simplement l'accent est devantage mis sur les thèmes que je viens de développer. Je compte sur votre concours et je vous remercie.\
- Je vous remercie de vos paroles et de votre accueil. Au-delà de votre personne, je remercie celles et ceux qui ont tenu à assister à cette réception et qui seront porteurs du message de gratitude que j'adresse à la population de votre ville dont j'ai pu éprouver l'attachement et la fidélité à travers les grandes circonstances qui nous ont rassemblés depuis plus de dix ans.
- Vous avez bien fait de rappeler mes précédentes visites. Elles ont été faites soit dans le cadre d'une mission ministérielle - les premières -, soit dans le cadre d'un combat politique, le mien et celui de beaucoup de personnes qui se trouvent dans cette salle. Mais je n'étais jamais venu en qualité de Président de la République et j'avais une dette envers vous car j'ai visité beaucoup de départements français et pas les Ardennes. Voilà un début de réparation. Peut-être l'occasion me sera-t-elle donnée de revenir parmi vous, dans d'autres parties de ce département.
- Vous m'avez fait voir le quartier Manchester qui fait partie de la trop longue liste des quartiers en difficulté, des banlieues où l'entassement, le type de populations, une certaine rareté de logements trop chers, le développement du chômage, ont fait que toute une partie de cette population se trouve instable et malheureuse. Cela provoque des réactions en chaîne dont on mesure les effets au travers des drames qui se produisent ici et là.
- Ces drames ont été épargnés au quartier Manchester. J'ai pu constater sur place l'effort qui était accompli pour rénover les façades des immeubles, pour les rendre plus agréables à voir et aussi plus agréables à habiter.
- J'ai pu remarquer que les espaces étaient quand même vastes, plus vastes que dans beaucoup d'autres de banlieues. Ceux qui ont conçu le développement de ces quartiers avaient quand même prévu qu'il serait nécessaire de prendre garde à la trop grande accumulation de population. Mais que ce soit Manchester ou d'autres lieux, on retrouve les mêmes caractères un peu partout et je voudrais rappeler ici les mots d'ordre que j'ai développés dans beaucoup d'autres villes.
- La tâche du gouvernement de la République - et précisément de l'actuel gouvernement conduit par Mme Edith Cresson - est naturellement universelle et ne doit éliminer personne. Il y a des priorités sur lesquelles il faut porter le meilleur de notre effort : l'école, la formation et la ville. Plus les enfants seront instruits à des disciplines multiples, plus ils seront aptes à remplir le rôle qui leur est dévolu dans la vie, à bénéficier d'un métier, d'un travail, bref, à être insérés dans la société française.\
On s'est rendu compte que, quel que soit le grand mérite des enseignants, cela ne suffisait pas. Nos habitudes de penser, nos traditions font que l'on a considéré comme noble certaines carrières ou certaines professions portées vers certains postes intellectuels, certaines professions libérales correspondant à un certain statut social tandis que, en dépit des immenses progrès accomplis par la classe ouvrière grâce au combat mené par eux et pour eux depuis la révolution industrielle, les métiers manuels ont été peu à peu déconsidérés. Je le disais tout à l'heure alors que je me trouvais à Troyes : dans une famille, on considère qu'a réussi l'enfant qui parvient à franchir toutes les étapes de l'éducation nationale, qui devient licencié, agrégé. Par contre, pour un enfant qui deviendra, par exemple, le meilleur ouvrier de France - ce n'est pas donné à tout le monde - on pensera qu'il a échoué.
- Eh bien, mesdames et messieurs, il n'y a pas de distinction à faire entre les études théoriques, entre les études abstraites, entre l'approche de la science pure, et l'approche de la science appliquée. Il n'y a pas de différence de valeur. Il y a simplement une distribution des qualités humaines et notre société a pour devoir de les considérer sur les mêmes plans. Quand je dis notre société, c'est l'Etat, et c'est aussi les familles. C'est une façon d'aborder l'avenir des enfants. Il faut que la société, - l'Etat, les régions, les départements, les communes - s'organisent pour que soient donnés à un jeune les moyens de choisir ce que sera sa vie.
- Il faut reconnaître que depuis la dernière guerre mondiale et jusqu'à une époque récente, on n'a pas suffisamment compris la nécessité d'adapter la formation des enfants aux nouvelles technologies. C'est cela la crise : c'est le manque d'adaptation d'une société trop lourde, trop figée, qui n'a pas franchi assez rapidement l'étape qui la mène d'une ère technologique à une autre. La société devrait donc être plus mobile et elle ne l'est pas. C'est pourquoi nous entendons porter notre effort sur la formation professionnelle en relation avec l'école. C'est ce que l'on appelle la formation par alternance : apprendre un métier, faire un bon apprentissage, être déjà inséré dans une entreprise ou dans un métier et en même temps poursuivre ses études, si on en a les moyens intellectuels, jusqu'au terme normal que tout jeune homme ou toute jeune fille peut attendre.\
Si le chômage existe dans les campagnes, c'est la ville qui est le réceptacle de toutes ces populations errantes, mal fixées et sans emploi. C'est elle qui doit aménager la situation des jeunes qui commencent à être marginalisés et finissent par être exclus par un mouvement redoutable qui les amène, aujourd'hui, dans les quatre cents quartiers qui ont été relevés, étiquetés, classés et dont M. Michel Delebarre, a la charge. Il faut que notre société, notre forme de civilisation, notre façon de vivre ensemble s'élargisse pour qu'il n'y ait pas d'exclus.
- Je me sens si proche de ces exclus et si triste de ne pouvoir toujours répondre à leur demande, au point qu'eux-mêmes ne savent plus ce qu'ils attendent. Ils ont perdu le contact. C'est pourquoi on a voulu que les individus les plus malheureux, les plus exclus puissent au moins récupérer un moyen de vivre, qu'ils puissent se réinsérer et avoir un métier. C'est pour cela que nous avons créé le RMI : pour que personne ne soit dans l'impossibilité de manger, de se vêtir et de se loger.
- C'est un très grand progrès. Mais il ne faudrait pas confondre cela avec de la simple assistance. Il ne faut pas faire une société d'assistés. Il faut que chacun d'entre nous devienne responsable. C'est pour cette raison qu'il est important de lier ces trois thèmes : l'école, la formation professionnelle et la ville. Quand nous aurons résolu une large part de ce chantier, alors nous ne parlerons plus de la même façon de ces grandes misères qui s'abattent sur ces quartiers.
- Il faut savoir, même si ce n'est pas une consolation mais simplement une façon de mieux apprécier l'ordre des choses, que ce mal est européen, que des pays comme la Grande-Bretagne ont connu des drames à répétition plus sanglants et destructifs que ce que nous pouvons connaître.\
Le gouvernement, et particulièrement M. le ministre de la ville, M. Delebarre, a fait adopter une loi récemment qui consiste à demander aux communes riches, et même très riches, de redistribuer une part des dotations qu'elles recevaient aux communes pauvres, et d'opérer une sorte de péréquation. Cette loi a été adoptée, on en est maintenant au point où l'on peut prévoir ce qui se passera. Je constatais dans le quartier Manchester qu'il y aurait seize communes de la région, qui ont des quartiers difficiles, qui recevront l'aide des autres. Les sommes que vous recevrez spécialement à Charleville-Mézières, seront quadruplées en l'espace de peu de temps, doublées peut-être dès l'année prochaine. Cela veut dire que ceux qui animent ces quartiers vont pouvoir disposer d'un financement important, pour réaliser tout aussitôt les améliorations qui sont attendues par la population.
- Dès lors que vivent des dizaines, des centaines, parfois des milliers de jeunes qui sont pratiquement coupés de tout lien avec la société alentour, des problèmes se posent, des problèmes majeurs, que personne ne peut prétendre régler par le seul fait de poser la question. Et il est inutile de se renvoyer la balle d'une formation politique à l'autre : tous les maires, quelle que soit leur appartenance politique, connaissent ces difficultés et cherchent à les aborder en général avec une réelle bonne volonté. Et tous les gouvernements doivent s'attaquer à ces problèmes qui prennent de l'ampleur, parce que les pays considérés comme riches - comme la France - sont forcément l'objet de convoitise. Que de populations qui souhaitent venir vivre chez nous, et avec nous ! Un rapport récent constate qu'il n'y a pas plus d'immigrés en 1991 qu'il n'y en avait en 1981, pas plus, pas davantage. Mais, l'immigration a changé de contenu : ce ne sont pas exactement les mêmes populations qui se déplacent. Cela complique souvent le problème pour des raisons de culture.
- Alors, comment faire ? Les problèmes de l'immigration ne sont pas ceux que je veux traiter ici, je les traiterai en d'autres circonstances, mais il y a un problème d'ordre public. Il y a assez souvent, trop souvent, des désordres, et parfois des crimes qui se produisent dans ces populations pratiquement privées de tout encadrement, de toute espérance, de tout avenir. Il faut donner un avenir : tout cela est lié à l'emploi, c'est-à-dire à la diminution et à la réduction du chômage.\
Prenons le problème tel qu'il est aujourd'hui, tel qu'il s'est posé à Mantes-la-Jolie, tel qu'il s'était posé dans d'autres villes, à Sartrouville, à Vaux-en-Velin, etc... vous connaissez cette tragique litanie. Il faut aborder honnêtement ces problèmes : la police se sent trop peu soutenue, un peu montrée du doigt comme n'étant pas capable de maintenir l'ordre, comme coupable de sévices, comme toujours coupable. On ne peut pas adopter cette attitude d'esprit qui fait que celui qui a la charge de l'ordre public, lorsqu'il le fait, et c'est souvent un métier difficile, soit considéré comme devant s'expliquer ou se faire pardonner alors que cette police républicaine ne fait généralement, dans la quasi totalité des cas, que son devoir.
- Nous savons, et je sais, les conditions difficiles dans lesquelles les policiers exercent leur métier, qui est de protéger et de rassurer les citoyens. C'est difficile en milieu urbain, encore plus difficile dans la périphérie des grandes villes. Il faut que ces policiers sachent que le gouvernement de la République et que l'ensemble des Français les comprennent et les soutiennent.
- Si les problèmes de délinquance se posent avec plus d'acuité dans les banlieues, les agents de l'Etat chargés de l'ordre public qui se trouvent là, ne doivent pas se sentir isolés, mais au contraire associés aux travaux et au maintien de la sécurité dans la Nation.\
Cette paix publique, elle vous touche tous. L'Etat républicain doit en être le garant, et j'entends que cette paix soit assurée partout, dans les banlieues comme ailleurs. Sans la paix publique, croyez-vous qu'il y aurait une démocratie ? La paix publique protège d'abord les plus faibles, les personnes âgées, et même si cela paraît un paradoxe, les plus jeunes. La paix publique, c'est le fondement d'un droit fondamental reconnu par la Déclaration des droits de l'homme et des citoyens, le droit d'aller et de venir. Chacun d'entre vous en ressent la nécessité. Et l'autorité de l'Etat doit s'exercer en permanence, en tout lieu. Il n'y a pas de zone interdite pour le respect de la loi, et pour qu'elle soit respectée, croyez-moi, en dépit de ce que je lis ou entend ici et là, les instructions les plus fermes sont données par le ministre de l'intérieur. Le sacrifice de cette jeune femme policier, Marie-Christine Baillet - si le ministre de l'intérieur n'est pas avec moi aujourd'hui, c'est parce que je lui ai demandé d'être présent auprès de la famille de cette jeune femme - ce sacrifice rappelle que chaque jour, chaque nuit, les policiers assurent leur mission au péril de leur vie. La force publique est instituée pour l'avantage de tous, au nom de l'intérêt général. Policiers et gendarmes prennent des risques graves : c'est la grandeur et la servitude de leur métier qui exigent de nous, de la Nation, reconnaissance et soutien. Et je veux, de Charleville-Mézières, leur apporter le témoignage de notre reconnaissance et de notre soutien. Voilà pour le premier point qui est essentiel. Il en est un autre qui a été précisé de la même façon par Mme le Premier ministre et par le ministre de l'intérieur : oui, cette mission doit s'exercer mais dans le respect du droit. Nous sommes une société civilisée. Les jeunes, quelle que soit leur origine, sont égaux devant la loi, tous font partie de notre communauté, aucun n'est à rejeter. Il faut aussi qu'ils ne se sentent pas victimes d'une sorte de suspicion permanente, il faut qu'ils soient l'objet des mêmes attentions que les autres. Ce n'est pas pour rien que je répéterai qu'il existe un Etat républicain, et la République, cela veut dire quelque chose. Les jeunes gens qui entrent dans la police ou dans la gendarmerie sont nourris de la République, respectent la République, aiment la République : s'il en est qui pensent autrement, ils peuvent aller ailleurs. A partir de là, il faut que les plus grands soins soient apportés pour que la jeunesse, et spécialement la jeunesse issue de l'immigration, devenue française dans la plupart des cas, se sente respectée, j'aimerais pouvoir ajouter : se sente aimée. Vous me direz : "oui, c'est de leur faute"... C'est de la faute de personne, ou c'est de la faute à tout le monde, c'est de la faute à la difficulté des temps, et le devoir des citoyens responsables, c'est de dominer la difficulté des temps.\
Toute une série de mesures sont préparées par les ministères compétents, particulièrement celui de la ville assurément, puisqu'il en a la responsabilité directe, ces mesures touchent l'emploi, la formation mais aussi une présence sur le terrain £ si d'un côté, il y a les forces de l'ordre, si de l'autre côté il y a la jeunesse, une partie de la jeunesse, et entre les deux, rien, on arrivera aux pires excès. Il faut absolument qu'il y ait interpénétration entre des deux milieux. Lorsque dans un quartier, comme dans nos villages, la population reste sur place assez longtemps pour se connaître, ça marche bien, ils se connaissent et ils se respectent. S'il y a trop de changement, trop de mutation, si tout d'un coup on devient des inconnus, souvent aussi on devient des adversaires, alors il faut veiller à cela.
- Cette interpénétration, je sais que vous y avez pensé, monsieur le ministre, en développant ce que l'on appelle "l'îlotage", en souhaitant que les forces de l'ordre soient à l'intérieur de ces quartiers non pas pour être chargées de sévir mais pour être chargées de comprendre et d'aider. Ils sont présents, donc plus nombreux. Pour leur propre sentiment de sécurité, ce sera mieux, et vous disiez, vous aviez raison qu'il faudrait aussi que ces jeunes puissent prendre part eux-mêmes à l'organisation de leur quartier, soit sur le plan sportif, soit sur le plan culturel, soit sur le plan de la construction, soit sur le plan du logement, de la restauration, qu'ils puissent en bénéficier. On disait tout à l'heure à Manchester : pourquoi ne contribueraient-ils pas à la restauration des HLM du quartier ? Pourquoi ne participeraient-ils pas à la défense de la République ? Pourquoi est-ce qu'ils n'accéderaient pas eux-mêmes aux forces du respect de la loi ? Bref, il ne faut pas de ségrégation, c'est cela aussi le maître-mot. J'en appelle vraiment à cette compréhension mutuelle mais elle a besoin de moyens et ce sont ces moyens qui seront étoffés par le ministère de l'intérieur, par le ministère de la ville, par le ministère de l'éducation nationale.
- Mesdames et messieurs, je voulais vous dire cela à Charleville, parce qu'au-delà de vous c'est au pays tout entier que je m'adresse, c'est lui que je souhaite convaincre, il faut qu'il m'entende. Vous m'en avez fourni l'occasion, vous-même, monsieur le maire, mesdames et messieurs les membres du conseil municipal et vous tous, ici présents. Portez le message le plus loin possible, qu'il vous pénètre vous-mêmes, comme il me pénètre. Je sens que c'est la mission qui vous incombe aujourd'hui : souder la population de notre pays autour de grands objectifs, de vastes desseins et dépasser les différences qui risquent autrement de devenir plus que des différences, des ruptures. Nous n'en sommes pas là. Prenons garde simplement aux phénomènes qui annoncent la possibilité qu'une société finalement disparaisse, oubliant sa propre civilisation ! Mais vous êtes là, vous m'entendez, on s'y met tous et je vous le dis, mesdames et messieurs, nous réussirons. C'est la tâche du gouvernement d'aujourd'hui comme c'était la tâche de ses prédécesseurs, simplement l'accent est devantage mis sur les thèmes que je viens de développer. Je compte sur votre concours et je vous remercie.\