11 juin 1991 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur la contribution de Vitry-le-François au développement économique, à la compétitivité et à la présence de la France au sein de l'Europe, Vitry-le-François le 11 juin 1991.

Monsieur le maire,
- Mesdames et messieurs,
- Il m'est très agréable de terminer cette journée de visite en Champagne-Ardenne par Vitry-le-François. Cela me ramène vers des souvenirs déjà anciens, depuis le jour où mon ami Georges Matras, ici présent, m'invitait à venir en cet endroit d'où, à partir de cette mairie, nous n'apercevions que des ruines. J'ai vu ce qu'avait été le désastre de Vitry-le-François et j'ai aperçu venant jusqu'ici à quel point le renouveau s'était affirmé. Vous me direz, c'est bien la moindre des choses, plus de quarante ans après. Mais enfin cela a été fait et cette foule qui m'accueille très gentiment et vous-mêmes mesdames et messieurs les représentants des différents secteurs de l'activité politique, économique et sociale, je dois vous dire que votre présence et votre témoignage ont pour moi beaucoup de prix.
- Tant de signes de renouveau, de renaissance et une volonté, monsieur le maire, qui me paraît intacte ou peut-être même renouvelée de tirer le meilleur des difficultés qui sont les vôtres. Vous me dites que Vitry-le-François est un peu trop éloigné des grands axes routiers, c'est la plainte que j'entends dans beaucoup d'endroits, trop enclavés, trop enfermés. Vous avez la force d'ouvrir les portes, le cas échéant de les casser pour parvenir à vous relier à tous les endroits vitaux qui feront demain le devenir de l'Europe. Vous avez une situation, vous l'avez dit vous-mêmes, qui vous permet de prendre place sans crainte dans la grande compétition qui s'ouvrira au début de 1993. On sent bien que sont réunies beaucoup des conditions de la prospérité à venir.
- Il y a surtout un capital humain, une vaillance, une résolution, une inébranlable espérance. Vous avez parfaitement compris qu'il fallait bâtir des types de solidarité correspondant à la réalité géographique et humaine.\
Je suis venu chez vous avec plaisir, j'ai passé une journée où j'ai pu voir dans l'Aube et dans les Ardennes des réalisations de toutes sortes. Ici je passe un peu vite, j'ai pu quand même visiter l'usine Nobel Plastiques. La nature même de cette entreprise, la manière dont les salariés ont su assurer le relais, la manière aussi dont est assurée, dans des conditions supérieures à celles que je rencontre le plus souvent, la formation, l'indispensable formation, hors de laquelle il n'y aura pas de renouvellement industriel, pas d'adaptation aux mutations technologiques.
- Si l'on veut agir en sens inverse, ce à quoi s'applique, avec la plus grande énergie, le gouvernement de Mme Edith Cresson, inverser le mouvement des choses qui conduirait normalement à une déperdition de forces, la France a les moyens de s'en sortir. La France, en dépit des marchés perdus, des occasions manquées, bien que sa population soit encore au-dessous de 60 millions d'habitants, face à de grands ensembles de 150, 200, 250 millions de gens actifs qui ont pris place sur la compétition mondiale, reste quand même le quatrième pays du monde pour son développement économique, pour ses exportations et pour sa capacité industrielle. La France, sur quelque domaine qu'on s'appesantisse, reste l'un des premiers pays. Alors on voudrait qu'elle soit plus souvent le premier. Moi aussi, je le voudrais. Cela dépend quand même beaucoup de vous, peut-être même plus de vous que de moi. Mais il faut avoir cette ambition.\
Celle qui ne pourrait pas être satisfaite le sera par le relais qu'assurera l'Europe, l'Europe de la Communauté qui est déjà la première puissance commerciale du monde, qui pourrait être, il suffirait qu'elle ait un peu plus d'unité économique et politique, la première puissance technologique et industrielle du monde. On célèbrera dans quelques jours, le cinquième anniversaire d'Eureka. Eureka est une idée que j'ai proposée, il y a quelques années, pour que toutes les technologies de pointe de l'Europe puissent s'associer à leur guise. Alors on voit naître des associations entre une usine danoise, une usine espagnole, une usine française. Il y a à l'heure actuelle 300 à 400 liens de ce genre en Europe, qui dépassent les limites de la Communauté européenne des Douze puisqu'il y a à l'heure actuelle 18 pays adhérents. Et je serai, le 18 juin, au matin à la Haye pour célébrer cet anniversaire et pour donner à Eureka un nouvel élan, car, en raison de ce qui s'est passé en Europe, avec la destruction de tous les murs qui séparaient notre continent, mur politique, idéologique, spirituel, économique, social, que sais-je encore, maintenant c'est toute l'Europe qui aspire à prendre part aux constructions futures. De même, je serai vendredi prochain à Prague, à l'invitation commune du Président de la République tchécoslovaque et de la mienne, pour débattre avec 150 personnalités venues de tous les pays d'Europe, de la manière dont on pourrait considérer la Confédération européenne future où chacun, à égalité de droits, aura son mot à dire pour le développement de l'Europe et la sauvegarde de chacun de ses peuples.\
Vitry-le-François, le département de la Marne, la Champagne ont leur rôle à jouer dans tout cela. C'est un pays qui a fait ses preuves déjà, dans beaucoup de domaines, où est universellement connue la qualité de son travail. C'est à la fois toute une économie, c'est toute une esthétique, c'est un art de vivre. Ceux qui aiment l'histoire, c'est mon cas, lorsqu'ils lisent des livres, rencontrent toutes les quatre pages, la Champagne, qui fut, dès le point de départ, l'un des points forts de la construction du royaume de France, avant d'apporter sa contribution à la République et quelle contribution, si l'on fait le compte de ceux qui se sont sacrifiés au cours des guerres que nous avons vécues.
- Mesdames et messieurs, beaucoup de raisons de satisfaction dans un climat que l'on dit morose. Assurément, si l'on veut se borner à considérer toutes les raisons d'angoisse ou d'inquiétude, chaque fait, pris isolément, répercuté abondamment, parfois avec complaisance, par les grands médias, finit par fausser l'image. On a l'impression d'un pays à l'encan, qui désormais se trouverait porté là où le courant le pousse, mais cela n'est pas vrai du tout. Il y a en face de cela, les réussites et il y a surtout la volonté des Français, exprimée par la volonté de leur gouvernement, et si vous voulez bien tenir compte aussi de la volonté du chef de l'Etat, il y a un faisceau de volontés, d'énergies, qui trouvera à quoi s'employer, mais qui surtout ne cessera pas de croire à la réussite, à la victoire de nos efforts, bref aux chances de la France à l'entrée du siècle prochain. Une visite comme celle-là m'aide à le comprendre et m'assure encore davantage d'un diagnostic optimiste sur la capacité française.\
Alors je vous remercie beaucoup, monsieur le maire, de vos propos et de votre accueil. Vous voudrez bien transmettre à la population très nombreuse que j'ai rencontrée le long de ces avenues les remerciements que je lui dois. Je n'ai pas pu m'exprimer à l'égard de chacun d'entre eux. Comment voulez-vous que je fasse ? C'est impossible, quelquefois un signe amical, un mouvement, un appel, et puis on passe, et puis la vie continue. Je serai tout à l'heure à Paris, j'étais auparavant à Charleville. C'est cela ma vie, c'est un peu la vôtre aussi, même si vous êtes plus, comment dirais-je, sédentaire. Vous savez bien que tout cela va et que notre devoir essentiel est d'assurer la permanence d'un certain nombre de valeurs qui font la grandeur, la force d'un pays. C'est notre rôle à nous tous, quelle que soit l'opinion que l'on a choisie, quelle que soit la tendance qui est à votre préférence. C'est notre devoir commun et je vous invite, en cette fin de journée, à développer ici même, dans cette ville, comme partout où vous vous rendez, dans votre métier, votre profession, dans votre quartier, un certain nombre de thèmes qui feront penser que la France est présente, plus que jamais présente, qu'elle peut agir, autant qu'elle veut, que c'est un des rares pays du monde qui a le champ libre, une volonté libre, une indépendance assurée. Ces choix en faveur de la Communauté européenne, ce sont des choix volontaires, nul ne nous y oblige. C'est parce que nous avons le sentiment que telle est la leçon de l'histoire. Alors avançons fiérement, là où nous sommes engagés, ayons confiance en nous, et laissons de côté le discours éternellement pessimiste. Je ne verse pas, moi, dans un optimisme béat. Je suis né, moi, pendant une guerre mondiale et j'ai fait, avec quelques-uns d'entre vous, la deuxième. J'ai vu la France vaincue, occupée, j'ai vu la France redressée, dans le camp des vainqueurs. J'ai vu la France détruite, Vitry-le-François en est un témoignage. J'ai vu la France reconstruite, j'ai vu la France abattue, j'ai vu la France espérante, j'en suis là, et je continuerai. Vive Vitry-le-François !\