6 mai 1991 - Seul le prononcé fait foi

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Extraits de la conférence de presse conjointe de MM. François Mitterrand, Président de la République et Mikhaïl Gorbatchev, Président de l'URSS, sur les relations franco-soviétiques, la conférence pour la paix au Proche-Orient et la situation en URSS, Moscou le 6 mai 1991.

LE PRESIDENT.- Je commencerai en remerciant M. Gorbatchev de son hospitalité et en le remerciant aussi des paroles aimables qu'il a bien voulu prononcer à l'occasion d'un anniversaire que je remarque moins que beaucoup d'autres, estimant que chaque jour est un anniversaire et qu'il ne faut pas se monter la tête sur celui-ci plutôt que sur celui-là. Mais je n'en suis pas moins sensible aux propos qui sont tenus par le Président Gorbatchev, qui s'exprime au nom d'un grand pays et qui veut bien parler de mon propre mandat avec une amitié que je tiens absolument à préserver dans les relations de nos deux pays.
- L'actualité est toujours exigeante. Nous avons parlé des problèmes spécifiquement européens liés à la mise en place des structures de la CSCE décidée à la conférence de Paris, des projets qui avancent de Confédération européenne, et des relations avec la Communauté des Douze. Nous avons parlé de coopération économique dans tous les domaines, des relations multilatérales, des relations bilatérales.
- Et, nous avons parlé des conséquences de la guerre du Golfe, des premières démarches qui ont lieu actuellement pour tenter de régler les graves conflits qui s'y déroulent, notamment le conflit israélo-palestinien, mais aussi, j'ai tenu à le rappeler, la situation du Liban, sans oublier bien entendu, les questions qui sont directement liées à cette guerre, aux événements qui se déroulent actuellement en Irak, au Nord et au Sud, Kurdes, Chiites etc...
- Bref, nous avons parlé de ce qui nous concerne directement, là où nos actions diplomatiques peuvent se rejoindre, lorsqu'elles ont à se rejoindre.
- Merci encore, cher Président. Cela fait partie de nos réunions, de nos rencontres qui sont devenues rituelles et qui me donnent l'occasion de vous revoir avec plaisir les uns ou les autres, ici. Ce n'est pas la première fois depuis 1985, année ou M. Gorbatchev est venu à Paris, j'espère que ce n'est pas non plus la dernière, mais qui le sait ? Simplement notre intention est de continuer à discuter en commun des intérêts de nos pays, dans un monde au sein duquel nous jouons le rôle auquel nous destine l'histoire de ces pays, et nous le faisons avec une volonté d'entente et de compréhension qui me paraissent fort importantes.
- Voilà, j'en ai fini avec cette présentation. Monsieur le Président, je ferai comme vous, j'écouterai les questions.\
QUESTION.- Ma question s'adresse aux deux Présidents. Comment voyez-vous l'idée de convoquer une Conférence internationale afin de résoudre le problème du Proche Orient, et quelles sont les possibilités de la participation palestinienne dans cette Conférence. Est-ce que vous reconnaissez le droit des Palestiniens à créer leur propre Etat indépendant ?
- LE PRESIDENT GORBATCHEV.- Eh bien puisque cette question est assez facile, je demanderai probablement au Président de commencer.
- LE PRESIDENT.- Avec plaisir. C'est malheureusement, ce que l'on appelle un sujet bateau depuis le temps que l'on en parle. Sur l'idée d'une conférence internationale pour examiner de quelle manière sortir du conflit permanent dans lequel sont engagés depuis trop longtemps Israël et ses voisins, les avis divergent. Quel type de conférence ? De toute manière, on ne parle que de Conférence internationale, car la conférence régionale préconisée par M. Shamir est bien une Conférence internationale. Simplement un peu plus limitée quant au nombre des participants que ce que pourrait être la Conférence que M. Gorbatchev et moi-même avions préconisée, il y a déjà cinq ou six ans. Mais, sur le fond du problème, il ne faut pas oublier qu'au moment où Israël a été heureusement fondée par décision des Nations unies - et je me suis réjoui de cette décision - les mêmes Nations unies, par la même résolution, avaient prévu la création d'un Etat palestinien. Et depuis, j'ai sans cesse répété à mes amis israéliens - que j'appelle ainsi même lorsqu'ils en doutent - qu'ils ne pourraient pas éviter d'avoir à traiter sérieusement le problème des aspirations des Palestiniens à l'existence d'une patrie où ils se reconnaîtraient, patrie dans laquelle ils pourraient édifier les structures étatiques, l'état de leur choix. Cela fait longtemps qu'on le répète. Mais si la situation n'évolue pas sur le fond, elle évolue quand même parce que les rapports de force, les passions qui se développent, les événements multiples qui se déroulent tout alentour font que l'on en revient immanquablement au même sujet et à la même procédure. Comment règler ce problème, d'une façon pacifique, une fois pour toutes ?
- Je ne veux pas engager le Président Gorbatchev, bien que je sache que nos deux positions sont très proches l'une de l'autre, si elles ne sont pas semblables. Je continue de penser qu'il faut une Conférence internationale qui devrait engager également, au moins à la fin du processus, les Nations unies qui sont à l'origine de la fixation du droit pour Israël et pour les Palestiniens. Je continue de penser qu'on n'échappera pas à cette logique-là et donc, malgré les refus répétés ici et là, je continue de croire que c'est la seule issue. Enfin je veux dire qu'il y en a une autre, qui est l'issue de la force, mais qui peut la souhaiter ?\
QUESTION.- Monsieur Mitterrand, le Président de mon pays a évoqué tout à l'heure la décennie de votre travail au poste suprême de la République française. En ce qui concerne les relations soviétiques-françaises, quelle est la décision, selon vous, la plus importante qui a été prise par votre gouvernement pendant ces dix dernières années ? La plus importante ou bien une décision décevante ? Est-ce que vous êtes satisfait du bilan de ces entretiens avec M. Gorbatchev sur le plan économique. Est-ce que l'on a réussi à régler certaines difficultés économiques entre l'Union soviétique et la France ?
- LE PRESIDENT.- Je commencerai par votre deuxième question. Les échanges ont été je crois féconds. Ils devraient aboutir à de nouvelles décisions souhaitées par l'un et l'autre pays. On a beaucoup parlé de l'énergie, de l'agriculture, de l'industrie agro-alimentaire. On a aussi évoqué les récents accords et en particulier les accords culturels d'aujourd'hui. De même, nous entendons développer un certain nombre de contrats dans le domaine industriel proprement dit. Tout cela est venu à son heure. Je quitterai Moscou avec le sentiment que nous devrions vraiment avancer dans des échanges qui pendant trop longtemps sont restés au dessous du niveau désirable.
- Quant à la première question, alors vous me prenez de court. D'abord, j'ai décidé de ne pas célébrer cet anniversaire moi-même parce que je m'aperçois qu'en France, en particulier, beaucoup s'en chargent : ceux qui se réclament de mon amitié et qui le font avec beaucoup de gentillesse, ceux qui se réclament de l'opposition et qui se mêlent au concert pour célébrer le même événement. Je tiens, par votre canal, à les en remercier. Naturellement, ils ne le font pas dans la même intention, mais finalement cela revient au même. Cela prouve que cette date les intéresse.
- Maintenant la décision, je ne peux pas vous dire, il y en a trop. Cela mérite vraiment réflexion. Alors, je vous répondrai une autre fois. Je cherche à vous faire plaisir en choisissant dans tout cela, mais je n'aime pas me hasarder. Je crois que la meilleure décision que j'ai prise, c'était de me présenter.\
QUESTION.- Monsieur Mitterrand, une partie de l'opinion russe a été choquée à tort ou à raison par l'accueil réservé il y a quelques semaines à Boris Eltsine en France. Est-ce que vous pourriez expliquer s'il s'agissait d'une question de forme ou d'une question de fond ? Comment est-ce que vous évaluez le phénomène Eltsine oue le personnage Eltsine puisque vous lui avez serré la main. Et monsieur Gorbatchev, est-ce que vous verriez d'un bon oeil que monsieur Mitterrand rencontre un jour éventuellement Boris Eltsine ?
- LE PRESIDENT.- Mais, j'ai rencontré M. Eltsine et je l'ai reçu. J'ai lu des récits tout à fait fantaisistes à ce sujet. Il a d'abord eu une conversation approfondie avec le secrétaire général de l'Elysée. Après quoi, je l'ai reçu dans mon bureau et nous avons échangé pendant vingt minutes, peut-être vingt-cinq minutes, les propos de circonstance que nous avions à tenir. J'avais informé précédemment, comme je le fais toujours, le chef de l'Etat, en la circonstance M. Gorbatchev, de mon intention d'avoir cet échange de vues. Je ne vois donc pas comment on aurait pu recevoir bien ou mal ce type de réception qui a été parfaitement courtoise, tout en restant dans les limites normales que ce type de rencontre doit avoir. Le fait que cette question me soit posée aujourd'hui, prouve que vous lui attribuez une importance finalement qu'elle n'avait pas.\
QUESTION.- Ma question s'adresse à deux Présidents à la fois. Monsieur Mitterrand, la situation de l'Union soviétique est assez compliquée. Sur le plan économique extérieur, cela paraît sans doute logique : dans quelle mesure cela influe sur votre attitude par rapport à l'Union soviétique ? Ma question qui est adressée au Président soviétique Gorbatchev : tous les événements des six dernières années, c'est une sorte de tempête, soit à droite, soit à gauche, sans parler de tendance politique, j'ai en vue plutôt les courants d'opinions. Si on compare le poste de Président au rôle du commandant de bord, est-ce que vous avez manqué à un certain moment à la maîtrise de ce gouvernail ? Ce récent accord, au sein des Neuf, est-ce bien la continuation de votre ligne politique ou bien est-ce plutôt une nécessité que vous ressentez en tant que Président de l'Union soviétique de faire quelque chose pour préserver l'Union soviétique ?
- LE PRESIDENT.- Que le Président de l'Union soviétique ait des difficultés, cela paraît évident pour tous et en particulier au Président de l'Union soviétique. Ces difficultés sont connues du monde entier : on n'amorce par une véritable révolution aussi profonde dans un pays, comme l'a fait le Président Gorbatchev sans s'exposer à de multiples conséquences. D'autant plus que là où la liberté apparaît, elle se fait très vite, très exigeante. Quand vous additionnez les difficultés économiques, l'expression souvent très ferme des nationalismes locaux, de justes revendications fédérales ou d'autonomie, cela ne peut pas se régler aisément. Les changements sont considérables, ils en appellent d'autres, ils ne peuvent pas être réglés par miracle. Et j'admire le courage de ceux, et particulièrement de celui, qui ont pris la responsabilité d'un tel changement tout en restant fidèles à leur propre conviction. Je compte bien, en France, et dans les enceintes internationales continuer de plaider pour que l'on aide, autant qu'il est possible, je le répète, non seulement le Président Gorbatchev, mais la perestroïka. Je ne vois pas pourquoi je changerais d'avis.\