19 avril 1991 - Seul le prononcé fait foi
Conférence de presse conjointe de MM. François Mitterrand, Président de la République, et Ion Iliescu, Président de la République de Roumanie, sur l'Europe et la confédération européenne, le problème des minorités nationales notamment en Roumanie et sur la Coopération économique entre la France et la Roumanie, Bucarest, le 19 avril 1991.
LE PRESIDENT ILIESCU.- Je suis heureux d'exprimer la satisfaction de pouvoir vous rencontrer aujourd'hui afin de vous faire part, en une brève introduction de certaines appréciations concernant la visite de M. François Mitterrand, Président de la République française, en Roumanie. Comme je l'ai déjà dit hier soir, dans mon allocution, nous apprécions hautement la signification de cette visite du chef de l'Etat français en Roumanie et nous le considérons comme un événement politique soulignant la marche ascendante des relations entre nos pays dans le contexte des changements profonds qui se produisent dans notre pays et en Europe. En même temps la visite a une forte charge émotionnelle, sentimentale, tenant compte des riches traditions d'amitié et de solidarité entre nos pays et nos peuples qui revêtent dans ces nouvelles conditions une nouvelle extension et diversification.
- Pendant les entretiens que j'ai eus avec M. le Président, nous avons procédé à l'examen du stade actuel et surtout des perspectives de nos relations bilatérales dans tous les domaines. Nous avons procédé à un vaste échange de vues sur les principales questions de la vie internationale contemporaine.
- Je voudrais souligner tout particulièrement l'esprit cordial d'entente, de respect mutuel qui a présidé à nos entretiens et l'atmosphère amicale détendue dans laquelle s'est déroulée la visite. Je tiens à souligner, en même temps, notre volonté commune de donner une nouvelle dimension aux traditionnelles relations d'amitié et de coopération entre la Roumanie et la France dans l'esprit de la Charte de Paris, de la Conférence pour la Sécurité et la Coopération en Europe afin de promouvoir un climat de paix et de coopération en Europe et dans la vie internationale.\
Nous nous sommes mis d'accord pour entamer des négociations afin de conclure un traité d'entente, de coopération et d'amitié entre la Roumanie et la République française. Nos ministres des affaires étrangères, MM. Roland Dumas et Adrian Nastase, ont déjà procédé à un échange de lettres sur cette question. Cet important document deva mettre en évidence de manière solennelle notre volonté commune d'affermir aussi bien les relations traditionnelles d'amitié et de coopération entre la Roumanie et la France que leur engagement devant les forums européens afin d'atteindre dans les plus brefs délais le desiderata commun d'édifier une Europe de la coopération, de la paix et de la sécurité.
- Les ministres et les hautes personnalités ayant accompagné M. le Président ont procédé à des conversations avec leurs homologues roumains. Ils ont examiné les possibilités concrètes permettant d'augmenter et de diversifier les échanges économiques, culturels, scientifiques entre nos pays, et ils se sont mis d'accord sur des mesures à même de valoriser le potentiel existant dans les nouvelles conditions roumaines. En même temps, aujourd'hui, on a procédé à la signature de deux autres documents : le premier concernant la création d'un institut roumano-français de management et un second concernant les échanges de jeunes.
- Je suis heureux de pouvoir souligner que l'échange de vues que j'ai eu avec M. le Président ainsi que l'échange de vues entre les ministres des affaires étrangères ont souligné la similitude des positions et des approches de nos pays concernant les problèmes de l'Europe, les voies visant à résoudre les états conflictuels dans le monde. C'est dans ce contexte que la Roumanie a exprimé son intérêt vis-à-vis de l'initiative du Président de la France visant à promouvoir l'idée d'une confédération européenne.
- Avant de terminer, je voudrais souligner que le dialogue au sommet roumano-français continuera et un autre moment important en sera la quatrième conférence des pays francophones qui se tiendra en novembre prochain à Paris, conférence à laquelle la Roumanie a été invitée. A cette occasion, nous pourrons continuer notre dialogue.
- Je vous remercie de votre attention. Je vais donner la parole à M. le Président François Mitterrand.\
LE PRESIDENT.- Mesdames et messieurs, l'essentiel de ce qui a été accompli pendant ce voyage vient d'être rappelé par le Président Ion Iliescu. Je n'y ajouterai rien, sinon à l'occasion des questions que vous pourriez nous poser.
- C'est une visite brève, suffisante dans la mesure où on a pu travailler, dialoguer et faire le tour des questions principales qui intéressent les relations entre la Roumanie et la France d'une part, la Roumanie et l'Europe d'autre part.
- Je suis sensible aux conditions de l'accueil qui m'a été réservé par le Président Ion Iliescu, par le Premier ministre M. Roman, et par les diverses autorités roumaines, notamment les Présidents des Assemblées.
- Jusqu'à ce soir, j'écouterai autant que je le puis, je regarderai et je partirai de ce pays avec le souhait et le goût d'y revenir. Dans ce pays où se déroule une expérience politique qui succède à une longue dictature, qui doit donc aménager le présent pour le futur, à partir de rien, de presque rien puisqu'il faut changer les institutions, les relations entre les pouvoirs, il faut voter une multitude de lois, transformer l'économie, parmi beaucoup d'autres choses. On ne peut que souhaiter bon travail et réussite à l'ensemble des forces qui prennent part à cette reconstruction.
- Je suis venu marquer l'amitié de la France pour la Roumanie. C'est une amitié séculaire, mais c'est aussi une amitié vivante. Ce n'est pas un objet de musée, l'hospitalité d'aujourd'hui en est la preuve.
- Maintenant je suis à votre disposition, mesdames et messieurs.\
QUESTION.- Je vais vous poser une question et une question également au Président Iliescu. Vous avez dit hier soir, monsieur le Président, que la Roumanie retrouve peu à peu l'Europe à laquelle elle appartient. Est-ce que la visite et les entretiens que vous avez eus vous ont raffermi dans cette conviction ?
- LE PRESIDENT.- Absolument. Il n'y a pas de choix de la Roumanie qui ne puisse être européen et la condition même de ce retour dans l'Europe politique, dans le groupe européen aujourd'hui composé de la plupart des Etats de notre continent s'accompagne par nécessité, par vocation aussi, du plein retour à la démocratie. Et rien de ce que j'ai entendu n'est venu contredire ce sentiment.\
QUESTION.- Monsieur le Président Iliescu, à quoi pensiez-vous concrètement hier soir au moment où vous avez exprimé l'espoir que la France vienne encourager et soutenir plus avant les efforts visant à unifier les structures de notre nouvelle société roumaine ?
- LE PRESIDENT ILIESCU.- J'ai envisagé le fait que l'ensemble du processus de transformation que connaît notre pays sur le plan politique, social, économique suppose non seulement des efforts venant de l'intérieur, non seulement le prix qu'il nous faut payer en tant que peuple afin de surmonter ces difficultés, mais aussi à la nécessité de développer une vaste coopération internationale afin de pouvoir restructurer notre vie économique pour normaliser la vie économique tout d'abord et résoudre les problèmes sociaux complexes auxquels nous sommes confrontés. Vous connaissez très bien les difficultés auxquelles nous nous sommes heurtés lorsque des crédits internationaux nous ont été refusés. Sans ces crédits nous ne pouvons assurer le ravitaillement de l'économie roumaine en matières premières. Vous savez très bien que des flux ont été interrompus au moment de la guerre du Golfe, des flux de matières premières qui étaient offertes à la Roumanie comme contrepartie pour les dettes envers la Roumanie.
- Le processus de transformation de la Roumanie pour ces structures de transition vers l'économie de marché suppose une vaste ouverture et coopération internationale et c'est en ce sens que j'ai salué l'ouverture de la France qui a été à nos côtés dès les premiers jours après la révolution de décembre. La France a été à nos côtés, nous a soutenus devant tous les organismes européens et internationaux afin de nous aider à surmonter cette phase de réserve manifestée vis-à-vis de la Roumanie.
- J'ai exprimé l'espoir que cet appui ira en se développant, ce que d'ailleurs la présence du Président de la France prouve, à savoir la volonté de la France d'être toujours aux côtés de la Roumanie.\
QUESTION.- On nous avait informés que vous aviez parlé avec le Président Iliescu de l'Europe. Et en ce qui concerne votre projet sur une confédération qui, peut-être, peut, si elle aboutit, amener à un changement, à un tournant historique dans l'Europe. Est-ce que vous pouvez, de Bucarest, nous donner votre point de vue sur une Confédération européenne future ?
- LE PRESIDENT.- Déjà l'Europe s'organise sérieusement. Il y a la Communauté européenne, ses douze pays et ses 340 millions d'habitants, il y a l'Europe du libre-échange avec ses six pays et ses 35 millions d'habitants et il y a l'Europe éclatée, celle du Centre et de l'Est qui après la fin de la tutuelle soviétique et la rupture de la période de Yalta, recherche à la fois les bases de sa démocratie et tente de fonder avec ses voisins d'Europe une nouvelle alliance au sein d'une structure commune.
- Cette structure ne peut pas être immédiatement une entrée dans la Communauté qui elle-même ne pourrait pas supporter d'arrivée massive. Il y a déjà des demandes autrichiennes, turques, suédoises. Il y a aussi les demandes sous-entendues et parfois mêmes exprimées de vos pays. Mais cela suppose des contraintes qui ne seraient pas supportées, de part et d'autre.
- Mais il existe par aillleurs, la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe qui a pris une forme vraiment organique au cours de ces dernières années, notamment en 1990, où l'on a vu tous les pays de l'Europe - à l'exception de l'Albanie - et deux pays de l'Amérique du Nord définir des conditions de la sécurité future. Puis on a signé une charte dite Charte de Paris où les anciens adversaires, les anciens ennemis sont désormais associés pour une construction européenne commune, autour de la sécurité, mais aussi autour du progrès.
- Vous avez enfin des endroits où se développent des théories communes sur la défense des droits de l'Homme et en particulier le Conseil de l'Europe.\
L'Europe existe, l'Europe s'accroît, se renforce tous les jours. La Communauté européenne va elle-même - elle l'étudie présentement - vers une unité monétaire, économique et politique. Mais il y a un concept qui ne me semble pas encore avoir été précisé : que deviendront les pays qui ne sont pas membres de la Communauté lorsqu'ils auront atteint un stade de développement supplémentaire et même dès maintenant, pour qu'il ne se crée pas des Europes différentes dont la seule frontière serait désormais la richesse et la pauvreté. Les uns qui auraient une capacité souveraine et entière, une dignité totalement affirmée, et les autres théoriquement souverains, mais en fait obligés de rechercher, de quémander leurs droits auprès des autres.
- La Communauté, c'est 340 millions d'habitants avec chacun des pays : voyez l'inégalité de départ dans les conditions d'une négociation avec la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Roumanie... Les traités d'association n'en sont pas moins les bienvenus, mais cette situation ne sera pas, à ma yeux, durable. Il faut dès maintenant concevoir une organisation correspondant à la réalité de notre continent et qui permettra à tous les pays de l'Europe, à égalité de droit et de dignité, de discuter ensemble des questions qui leur sont communes. Et très nombreuses sont les questions communes. On pense tout de suite à un environnement qui ne connaît pas de frontières. On pourrait ajouter les problèmes de l'énergie, les communications, j'ai dit tout à l'heure la sécurité, je pourrais continuer avec la technologie. Le progrès sera commun. Si l'on veut le mener en commun, il faut que chaque pays ait un droit égal à dire son mot et à défendre ses intérêts. C'est pourquoi j'ai parlé de Confédération qui suppose que toutes ces conditions soient remplies : une structure commune, permanente, des compétences vastes qui ne peuvent pas être aussi contraignantes que celles de la Communauté mais qui sont incomparablement plus précises que la simple coexistence de pays démocratiques.
- Voilà ce que j'entends faire. Et nous allons en discuter à Prague au mois de juin. Des personnalités roumaines s'y trouveront. Le Président Havel a, pour l'instant, l'initiative. Je me souviens : j'avais participé à la première conférence à La Haye - sous la présidence de Churchill - qui était composée de personnalités dont aucune ne représentait un Etat, aucune ne représentait un gouvernement, même s'il y a eu beaucoup d'hommes de gouvernement. Ils ont lancé une idée, approfondi une trace.
- C'est quand même à parti de là que, dans les années suivantes de l'Europe, le charbon et l'acier, puis des structures politiques, puis le Traité de Rome, etc, etc... Tout cela a suivi. Je pense donc que c'est une idée qui, à la fin de ce siècle et au cours du début du siècle prochain devrait s'épanouir.\
QUESTION.- Monsieur le Président, je suis de la République du Zaïre. Je suis journaliste à Télé Zaïre et correspondant de l'Interpresse en ce qui concerne les pays africains. Voici ma question, elle est adressée au Président de la Roumanie, M. Ion Iliescu. Monsieur le Président, peut-on qualifier en premier lieu cette visite officielle du Président Mitterrand comme étant un succès politique pour la Roumanie ?
- Vous avez dit tout à l'heure que la Roumanie sera présente à la prochaine réunion de la francophonie prévue en nombre prochain en France. C'était prévu d'abord à Kinshasa £ c'est confirmé pour la France. Je voudrais savoir, monsieur le Président, en quelle qualité la Roumanie sera présente à cette rencontre de la famille francophone ?
- LE PRESIDENT ILIESCU.- Pour la première question, je pense que ce n'est pas un succès politique de la Roumanie seulement. C'est un moment politique important pour nos relations bilatérales, pour les relations traditionnelles de la France et de la Roumanie. M. le Président Mitterrand a noté cette tradition, les racines profondes, sentimentales et politiques de ce développement. Alors je considère que c'est une concrétisation d'un développement naturel des relations bilatérales entre nos deux pays. Le succès ou le non-succès, je ne sais pas comment le qualifier. C'est une réalité, une réalisation que nous regardons avec satisfaction.
- En ce qui concerne la francophonie, nous avons reçu des invitations de la part du Président Mitterrand et du Président Senghor en ce qui concerne la filiation de la Roumanie à cette activité. Alors nous avons répondu avec plaisir et positivement, nous avons adhéré. Nous serons présents à Paris en qualité d'invités.
- LE PRESIDENT.- On parle autant le français en Roumanie que dans des pays fondateurs de la francophonie. Les Français sont toujours presque surpris de constater à quel point la Roumanie est restée fidèle à notre langue, combien de Roumains la parlent très aisément. C'est très bien d'encourager de regroupement des francophones. On pourrait tenir le même raisonnement pour beaucoup d'autres pays qui ne sont pas officiellement francophones mais qui pratiquent beaucoup le français.\
QUESTION.- Je représente l'agence roumaine de presse. Monsieur le Président Mitterrand, parmi les cinq ministres qui vous accompagnent dans votre visite en Roumanie, se trouve M. le ministre Michel Gillibert. On sait déjà qu'il s'est rendu à Bucarest à deux reprises, qu'il a rencontré le Premier ministre roumain avec lequel il a eu un très long entretien particulier en présentant ses projets dans le domaine du handicap. Je veux vous demander quels projets de coopération bilatérale entre la République française et la Roumanie, va mettre en place le gouvernement sur le handicap ?
- LE PRESIDENT.- Le problème des handicapés a été traité et continue de l'être ici par le Secrétaire d'Etat français spécialisé qui se trouve parmi nous. J'ai là même une note de ce qui a été conclu. Un plan d'urgence a été lancé au mois de novembre dernier, achevé en mars. Il s'agissait d'examiner comment passer l'hiver à propos de questions touchant les enfants roumains : des installations sanitaires, le chauffage pour 78 établissements, une aide alimentaire et médicale pour 25000 enfants. J'ai là la somme que cela a représenté. Mais ce n'est pas unes question marchande.
- Un nouveau programme de coopération va être lancé. Il comporte cinq actions principales : la définition d'une politique de protection maternelle et infantile, un dispositif territorial de protection sanitaire, la formation des personnels, le dépistage de la tuberculose et la rénovation de la production des vaccins. Voilà quel est le fruit des travaux auxquels a participé M. Gillibert, responsable français.\
QUESTION.- Monsieur le Président, un certain nombre d'opposants que vous avez reçus depuis hier, tout en se réjouissant, je crois, de vous rencontrer, ont estimé que votre visite était sinon inopportune, du moins prématurée. Quelle a été votre réponse ?
- LE PRESIDENT.- Que je ne partage pas ce sentiment. Quelle était l'opportunité de la présence avant moi, sous le régime précédent, des Présidents de la République qui m'ont précédé ? Effectivement il n'y a eu personne pour le leur dire. C'est toute la différence. QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez affirmé lors de votre exposé au Parlement que "penser veut dire d'habitude non" et que le temps est venu que "penser veut dire aussi oui". Est-ce que c'est un reproche que vous avez adressé à l'opposition de notre pays ? Serait-ce un appel adressé à l'opposition à collaborer avec le pouvoir ? Comment vous a-t-on présenté la situation de la Roumanie par l'opposition et les intellectuels lors de la réunion d'hier ?
- LE PRESIDENT.- Mais, monsieur, je ne m'occupe pas des problèmes intérieurs de la Roumanie ! Ce n'est pas de ma compétence. Ce qui m'intéresse, c'est de savoir si la Roumanie est effectivement sur le chemin de la démocratie. Parce que j'estime que tel est le cas, je suis venu. Quand j'estimais que tel n'était pas le cas, je ne suis pas venu. Il n'y avait aucune raison que la France fût absente davantage de la Roumanie, surtout de la Roumanie d'après sa révolution. Je n'ai pas de conseils à donner, j'écoute ce que l'on me dit. Je n'ai pas reçu spécialement les opposants roumains. Dans tous les pays où je me rends, je reçois toujours les opposants du pays en question. Je le fais aussi bien dans les pays où l'on peut estimer que la démocratie est ancienne. Je reçois le chef du parti travailliste en Grande-Bretagne, le chef des socio-démocrates en Allemagne, je reçois les chefs du parti conservateur en Espagne, etc, etc, etc. De même que j'ai reçu tous ceux que l'on appelait, à l'époque, les dissidents qui sont aujourd'hui les gouvernants, et à l'époque ils étaient persécutés dans leur pays. Je ne choisis pas ceux qui doivent gouverner et ceux qui doivent s'opposer.
- Vous faites un peu de dialectique subtile et qui déforme volontairement mes propos lorsque j'ai cité Alain, "penser cela veut dire non". Tous ceux qui m'écoutaient ont parfaitement compris ce que je voulais dire. C'est une attitude de philosophie, de critique nécessaire à toute démocratie, nécessaire à tout esprit libre. Je crois avoir déjà reconnu cela dans Voltaire et à la lecture de l'Encyclopédie, ce n'est pas nouveau. Il n'empêche qu'il est important pour un pays de parvenir de plus en plus à se faire comprendre de telle sorte qu'il puisse y avoir une pensée qui dise "oui" : c'est le consentement national, c'est la volonté démocratique. C'est une alchimie mystérieuse, bien difficile à définir. Je ne prétendrai pas être l'arbitre des élégances de pensée en Roumanie. Si vous voulez vous en charger à ma place, j'ai l'impression que cela vous plairait.\
QUESTION.- Monsieur le Président, aujourd'hui au Parlement, vous avez affirmé que le processus de réforme en Roumanie est irréversible, je voudrais vous demander si vous avez la même opinion à propos des processus qui se déroulent dans les autres pays communistes de l'Europe de l'Est, y compris l'Union soviétique ?
- LE PRESIDENT.- Je mêle un peu, peut-être, mes certitudes et mes espérances en disant cela car je sais bien qu'il n'y a pas de démarches politiques sans rechute, sans recul et sans hésitation. Mais au total, je crois que la route est tracée et ce que je pense de la Roumanie, je le pense des autres Etats anciennement communistes d'Europe du centre, de l'est et je le pense de l'Union soviétique.\
QUESTION.- Ma question s'adresse à M. Iliescu : beaucoup de Roumains soucieux de voir la démocratie s'enraciner dans leur quotidien, s'inquiètent du report des élections locales. Pourriez-vous nous dire quand elles auront lieu ?
- LE PRESIDENT ILIESCU.- Oui, c'est prévu dans nos activités futures, prochaines. A la fin de cette année il y a cette intention d'organiser ces élections. Mais ce problème est lié à l'élaboration de l'organisation administrative et des organismes d'administration locale. C'est un projet de loi qui se trouve en voie d'être négocié, élaboré. Il sera présenté au Parlement dans les mois à venir, et sur cette base, on va organiser ces élections, parce qu'on discute l'organisation administrative des territoires, des districts existants on regarde s'il faut les modifier, prendre en considération des vieux districts qui ont été réorganisés il y a cinquante années. Sur cette base, il faudra organiser les élections.\
QUESTION.- Monsieur le Président, la politique roumaine au sujet des minorités nationales a été le thème d'une large critique à la Roumanie, soit en France, soit en d'autres pays de l'Europe. Après votre visite à Bucarest, et sûrement des informations que vous avez reçues de M. le Président Iliescu et ses collaborateurs, quelle est votre pensée au sujet de cet argument ?
- LE PRESIDENT.- Le problème des minorités n'est pas un problème roumain. Il était un problème propre, sauf rares exceptions, à tous les Etats d'Europe. Je pourrais continuer ainsi en disant qu'il est propre à tous les pays d'Afrique, comme j'ai eu l'occasion de développer ce thème récemment. Comme les Etats se sont toujours constitués par la domination d'un groupe, d'une classe, d'une hiérarchie, d'une ethnie sur les autres, cela ne recoupe pas naturellement exactement ce que l'on pourrait appeler le droit des minorités £ ou plutôt les minorités doivent affirmer leur droit de façon à préserver leur identité culturelle là où elles existent. Ce n'est donc pas un problème roumain, mais c'est aussi un problème roumain. Tout le monde est au courant des minorités qui existent ici, comme la minorité d'origine hongroise ou la minorité d'origine allemande, etc... Le problème est de savoir ce qu'elles veulent elles-mêmes. J'ai entendu plusieurs membres de l'opposition s'exprimer, tous ont dit : "nous voulons rester Roumains" mais nous voudrions que notre identité culturelle soit préservée".
- Moi, je vous rappelle : je ne suis pas juge, je pense simplement que dans le grand moment de transformation du droit international - on vient de le voir à propos des Kurdes - il est très important qu'il soit défini un statut qui permette à toutes les minorités de se voir respectées. Mais cela ne veut pas dire que nous soyons partisans de l'éclatement, de l'éparpillement, de l'explosion des Etats existants. Au demeurant, ils s'y refuseraient, ce serait une vue tout à fait arbitraire et illusoire. Seulement il faut, et je l'ai dit tout à l'heure, que chacun se sente bien là, et il se sentira bien s'il se sent respecté. Cela dépend des lois internes, des lois internationales, je viens de le dire, des garanties des minorités, et cela dépend des lois internes. Je crois avoir entendu dire que les Roumains se préoccupaient de leur constitution : c'est un des problèmes importants de leur Constitution. Le respect du droit de pensée, d'expression, de langage, de culture en particulier. Quand cette Constitution sera publiée, j'en jugerai. Je serai comme vous, j'apprécierai. J'espère pouvoir apprécier dans le bon sens, c'est tout ce que je peux dire.\
QUESTION.- C'est une question qui concerne également une minorité mais qui sort un peu du cadre de ce voyage, et je vous prie de m'en excuser. Si j'ai bien entendu les nouvelles de Paris, les forces armées françaises, britanniques, américaines mettent en commun leurs efforts pour créer des camps aux Kurdes irakiens et pour les défendre le cas échéant. S'agit-il de quelque chose qui s'inscrit dans le cadre des mesures des Nations unies ou s'agit-il d'une mesure nouvelle différente et qui marquerait un tournant ?
- LE PRESIDENT.- Oui. Tout a commencé avec le dépôt de la résolution française adoptée sur le numéro 688 par le Conseil de sécurité des Nations unies qui reconnaît un droit d'ingérence à la société internationale. Mais pas un droit d'ingérence comme ça, à tout moment, hors de propos. On se trouve là devant un véritable génocide, une persécution et cela devait être arrêté. Une fois définie cette position, encore fallait-il la mettre en oeuvre : d'où les propositions anglaises, françaises, maintenant américaines, pour que, dans la réalité, les minorités - il y en a plusieurs et notamment celle dont nous parlons, les Kurdes - puissent vivre chez elles et non pas en situation d'exil intérieur ou dans des camps, qu'elles puissent rentrer chez elles, dans leur maison, là où elles vivent, cultiver leurs champs, etc...
- C'est ce à quoi nous nous appliquons pour l'instant. L'initiative est triple : anglaise, américaine, française. J'aurais pu le dire dans un autre ordre, peu importe. Nous en avons discuté avec M. Perez de Cuellar que je recevais il y a seulement 48 heures, que le ministre des affaires étrangères, M. Roland Dumas verra ce soir.
- J'ai là le récit d'une dépêche qui marque les conditions de l'accord de Bagdad pour l'aide des Nations unies aux réfugiés. J'en connais le contenu, je sais de quelle manière les Nations unies et les centres humanitaires permettront cette assistance aujourd'hui autorisée sous forme de nourritures, de soins médicaux, de réhabilitations agricoles, de logements, de toutes autres mesures nécessaires de secours pour que la vie reprenne son cours.
- Tout ceci est à l'heure actuelle en gestation, cela se discute. C'est une matière complètement nouvelle. C'est une forme de révolution du droit, cela ne doit pas autoriser l'intrusion des autres Etats comme ça en permanence dans la vie de leurs voisins. Cela ne doit pas être considéré comme une incitation à un éclatement de ces Etats, le droit de souveraineté de ces Etats doit être respecté, mais, il y a un moment à partir duquel la négation du droit fondamental de vivre et la vie, ce n'est pas seulement la vie physique, c'est aussi la vie intellectuelle, c'est la vie de la culture qui peut être protégée contre des crimes, des barbaries, des génocides. Nous assistons à la naissance d'un droit nouveau et d'une importance considérable et là-bas en Irak, c'est effectivement les Français et les pays que vous avez cités - Grande-Bretagne, Etats-Unis d'Amérique -, mais c'est de plus en plus les Nations unies par le canal de leur secrétaire général qui définissent les clauses qui permettront la réussite de ce droit nouveau.
- Voilà ce que je peux vous répondre, ce sera une tâche très difficile. J'espère que l'on y parviendra.\
QUESTION.- En tenant compte de la crise du Kurdistan, est-ce que vous pensez maintenant que les forces de la coalition ont eu tort d'arrêter les actions militaires au moment auquel elles l'ont fait ?
- LE PRESIDENT.- On s'éloigne un peu de la Roumanie... Je ne veux pas juger cela. Vous-même peut-être, en tout cas vos confrères, nous assailliez dans les jours qui précédaient ce cessez-le-feu, en disant : "mais vous avez un autre objectif, vous avez changé d'objectif, vous êtes sortis, vous êtes en train de sortir du mandant des Nations unies, vous ne voulez pas vous contenter de libérer le Koweit, vous voulez vous emparer de l'Irak, vous voulez aller à Bagdad, vous voulez...". C'était un reproche, d'ailleurs tout à fait infondé. Là-dessus, une fois le Koweit libéré - et pour libérer le Koweit, il fallait nécessairement pénétrer dans le sud de l'Irak - vous avez dit : "pourquoi vous n'êtes pas montés plus haut, pourquoi n'êtes-vous pas montés vers le Nord, pourquoi vous n'avez pas conquis Bagdad, pourquoi vous n'avez pas mis à la raison Saddam Hussein, pourquoi... ?" Il faut choisir !
- Le mandat que nous avions n'était pas celui-là, nous avons appliqué celui que nous avions. Mais la suite devait être traitée. C'est pourquoi nous avons complété la démarche initiale. On ne peut rien dire d'autre.\
QUESTION.- Avant tout, je vous souhaite la bienvenue du grand Paris dans le petit Paris. Je voudrais vous dire que vous êtes très connu chez nous en Roumanie et cette connaissance est très longue et ne date pas seulement depuis la parution de votre livre dans les librairies. Les médias ont annoncé votre visite mais nous vous connaissions déjà. Il y a un an, au mois de janvier dernier, lorsque vous avez fait une certaine déclaration à Budapest. Vous avez dit que deux tiers du territoire de la Hongrie se trouvaient sur la surface de d'autres pays. Permettez-moi de vous dire qu'il s'agissait là d'une inexactitude au point de vue de la vérité historique parce que si vous aviez dit que les deux tiers de l'ancien empire austro-hongrois appartenaient maintenant à d'autres pays, j'aurais fait confiance à votre déclaration. A l'époque, j'avais écrit une lettre à la présidence française essayant d'expliquer et de fournir une réponse à cette déclaration que vous avez faite à Budapest. Monsieur le Président, nous vivons ici depuis des milliers d'années. Au cours de l'histoire d'autres peuples sont venus vivre à nos côtés, en paix. Je voudrais que vous sachiez que 10 % de la population roumaine est représentée par des citoyens d'autres nationalités. Il y a chez nous 14 minorités nationales. Comment expliquez-vous le fait que les seuls problèmes que nous ayons soient avec la minorité hongroise et qu'il ne s'agit pas là que de questions historiques.\
`suite de la question` J'ai suivi aujourd'hui votre allocution devant le Parlement. J'ai apprécié les citations que vous avez choisies, j'ai bien aimé votre allocution. Alors permettez-moi d'en utiliser une, il s'agit d'un grand sage oriental qui disait que "ceux qui ne veulent pas connaître l'histoire risquent de la revivre". En ce qui concerne la minorité hongroise, nous risquons de revivre certains événements si nous ne faisons pas preuve d'une certaine prudence. La preuve est, qu'après votre déclaration, et après les événements du 22 décembre 1989, les choses étaient en quelque sorte prévisibles en Roumanie. Je voulais vous dire que l'union "vatra romaneasca" est apparue pour représenter un certain état d'esprit. Vous parliez aujourd'hui devant le Parlement de la science populaire de l'histoire, et je crois que vous ne vous trompiez pas. La même chose est valable pour "vatra romaneasca". Je voulais vous présenter ces considérations d'autant plus que l'ambassadeur français en Roumanie a porté certaines appréciations sur cette union nationale dont je suis le porte-parole dans le journal "la Roumanie libre". Je voudrais vous dire que notre union désire, en l'absence de la résurrection de la grande Roumanie, conserver l'héritage actuel.
- Et je reviens maintenant à ma question : Monsieur le Président, qu'est-ce qui vous a poussé à faire la déclaration de Budapest ? S'agissait-il d'une méconnaissance de l'Histoire et j'en doute fort ? S'agissait-il d'une politesse française d'être agréable aux autres ? Ou bien, s'agissait-il d'une aide qu'une grande puissance offrait au révisionnisme ? Ou s'agissait-il tout simplement d'une gaffe ? Ces suppositions que je fais me rappellent que le traité était signé à Trianon. Une fois de plus reprenant les paroles de notre grand poète national Mihaï Eminescu : qu'est-ce que l'Occident nous voulait, monsieur le Président ?\
LE PRESIDENT.- Le temps ne me permettra pas de répondre à chacune de vos questions, contenues dans une seule apparemment. Je croyais vous avoir répondu grâce à la question posée par l'un de vos confrères il y a un moment sur le droit des minorités. J'avais commencé par répondre, permettez-moi de vous le rappeler - cela c'est une histoire récente, cela date des dix minutes précédentes et ici dans cette salle - que tous les pays d'Europe ou presque tous étaient affrontés au problème des minorités, tous ou presque tous, et qu'il fallait définir un droit pour ces minorités. C'est le sujet auquel je me suis attaché depuis des années, que j'ai encore traité il y a encore un moment, que j'ai évoqué lors de mon voyage en Hongrie. Si vous voulez, les uns et les autres, réunir, récupérer tous les groupes minoritaires qui ont été projetés par les hasards de l'Histoire dans les pays voisins, vous n'en sortirez pas.
- J'ai d'ailleurs l'impression que si vous refusez - je vous comprends - à la Hongrie d'espérer retrouver des territoires perdus (parce qu'après tout il me semble que la Hongrie faisait partie de l'Empire austro-hongrois, à moins que ma mémoire historique déjà si critiquée ne se trompe une fois de plus) est-ce que la Hongrie considère comme siens des territoires qui sont aujourd'hui roumains ?\
Je vais vous poser la question : est-ce que la Roumanie ne considère pas comme siens des territoires qui sont aujourd'hui ailleurs ? J'évite de les énumérer pour ne pas avoir de nouveaux incidents diplomatiques. Mais je suis aussi au courant que vous ou presque. Est-ce que vous allez vous retourner vers le Nord de ce pays, l'Est, à l'Ouest ? Que vont faire les Allemands dont les terres étaient allemandes et sont devenues polonaises ?
- Que vont faire les Polonais qui se trouvent aujourd'hui projetés dans les territoires rattachés par l'Union soviétique ? C'est toute l'histoire de l'Europe et du siècle dernier qui n'a pas été avare de territoires arrachés ci et là. Est-ce qu'il faut reprendre tout cela ? Partout les minorités ainsi arrachées, à un moment donné, voudraient bien retrouver la dominante de leur culture, mais je n'ai entendu dire ici par personne, parmi les minoritaires, peut-être certains y pensent, qu'ils désiraient quitter la Roumanie. Ils ont tous demandé que la Roumanie dont ils sont citoyens, veuille bien se préoccuper de protéger leur identité. Ce sont des problèmes quand même différents, c'est peut-être même la manière de régler intelligemment ce problème. Cela n'empêchera pas toutjours d'avoir des populations chassées de chez elles, qui continueront d'en souffrir à travers les générations. Et le problème que j'ai traité à Budapest, c'était celui-là. Vous avez le droit, disais-je, aux Hongrois, comme je vous le dis à vous Roumains, de regretter que l'histoire du siècle vous ait fait perdre des territoires sur lesquels vous aviez autorité, avec des populations que vous estimiez les vôtres. Vous avez le droit de le penser, vous, Roumains, vous avez droit de le penser à l'égard d'autres territoires et de populations que vous estimez roumaines. Même si je disais : "Roumains, allez-y, récupérez ces territoires, vous ne seriez pas contre..." si j'ai bien compris la tonalité de votre intervention. Alors là, je serai aussi imprudent qu'à Budapest. Le droit des minorités, c'était mon sujet, ce n'était pas l'éclatement des Etats, je ne suis pas favorable à l'éclatement des Etats s'ils se comportent démocratiquement. S'ils se comportent en utilisant la terreur ou la persécution pour faire disparâitre les cultures minoritaires, alors je les condamnerai. Mais on n'en est pas là...
- J'espère que la Constitution roumaine répondra d'une façon utile à ce type de problème. Alors, vous pouvez choisir entre mon ignorance, mes gaffes ou le souci de plaire. Je crois répéter exactement ici ce que j'ai dit à Budapest £ je ne suis par l'arbitre entre la Hongrie et la Roumanie, et si vous m'en chargiez, je refuserais.\
QUESTION.- Monsieur le Président Mitterrand : les investisseurs, les hommes d'affaires français, ont été quelque peu timides vis-à-vis de la Roumanie cette année, ils sont certainement dépassés par la plupart des autres pays occidentaux, je crois qu'ils sont 6ème ou 7ème. Comment expliquez-vous ce manque d'empressement étant donné les avantages culturels, historiques et autres que vous avez mentionnés, et deuxièmement dans quelle mesure est-ce que votre visite ouvre la voie ou concrétise certaines négociations franco-roumaines commerciales ?
- LE PRESIDENT.- Ma visite n'est pas faite pour raison commerciale, ce n'est jamais le cas, partout où je vais. C'est un très beau métier d'être voyageur de commerce, mais ce n'est pas le mien. Mais c'est une occasion solennelle, ressentie par les populations, de mobiliser l'attention du gouvernement, pour dire il y a des problèmes qui traînent, on va les régler maintenant, ou bien, il y a des idées nouvelles qui naissent, on va essayer de les concrétiser. C'est ce qui s'est produit ici, comme cela se produit généralement. J'ai là la liste des problèmes économiques traités. Nous avons parlé tout à l'heure des relations bilatérales, d'un échange de lettres pour un traité franco-roumain. La négociation est ouverte, précisément à cette occasion. Des documents ont été signés, il y a trois quarts d'heure, par les ministres des affaires étrangères. Comme pour la Pologne, c'est un traité d'amitié et de solidarité, - ce sont les deux termes retenus - dans une perspective européenne. La France se fera le défenseur et l'avocat de l'entrée progressive mais certaine de ces pays dans l'ensemble européen. Il y a également un accord sur les échanges de zone. J'observe enfin - c'est là un cas particulier mais ce n'est pas négligeable - que nous avons décidé, de notre côté, de l'ouverture d'un Consulat général de Roumanie à Strasbourg.\
Sur le plan économique et commercial, en janvier 90, il y a eu des enveloppes de crédit garanties par l'Etat d'un montant total d'un milliard deux. Cinq cents millions ont été utilisés l'an dernier, les autres sont disponibles. Nous avons réactualisé une convention de protection et de garantie réciproque des investissements, signée en 1976. En 1976, nous avons déjà eu des Présidents de la République qui ont signé des contrats avec la Roumanie. Avaient-ils tort ? N'auraient-ils pas dû ? Auraient-ils dû ? A vous de trancher la question. Mais cela m'est plus facile, à moi en 1991 ? Parmi les principaux projets de coopération économique, on note une société mixte de productions de commutateurs téléphoniques, la modernisation de la filière sucre, la modernisation de l'Institut Pasteur pour la fabrication de vaccins vétérinaires, la création d'une société mixte entre les grandes sociétés de construction et les partenaires roumains, (avec notamment la reconstruction d'un hôtel, et d'un centre d'affaires) dont la signature a eu lieu aujourd'hui même à Bucarest. La coopération franco-roumaine a repris dans le secteur automobile. Bref, on observe un intérêt de plus en plus net des entreprises françaises pour ce qui se passe en Roumanie. Cela permet de démultiplier l'action des pouvoirs publics.
- Nous sommes également intervenus pour développer des relations avec la Communauté : le programme "Phare" pour la formation des personnels, le crédit à moyen terme de cinq cents millions de dollars - bien entendu il faut pouvoir entraîner les autres membres du groupe de vingt-quatre -. La Communauté a signé avec la Roumanie l'accord de coopération qui entrera en vigueur le 1er mai 1991.
- Et nous Français, nous souhaitons, - cela fait partie justement des avancées dans les relations amicales entre la Roumanie et la France - que l'on s'achemine vers un accord d'association d'un niveau beaucoup plus important entre la Roumanie et la Communauté. Parce que je peux vous dire que ce voyage a permis de mettre les points sur les "i", d'accélérer ce qui traînait, de commencer ce qui n'avait pas commencé. Disons que ces voyages ne peuvent pas se limiter simplement à un échange de propos aimables. Ce ne serait pas suffisant. La signification symbolique d'un voyage comme celui-ci, c'est qu'il existe entre la Roumanie et la France, quelles que soient les situations intérieures de nos deux pays, une permanence que j'entends célébrer dans mon voyage actuel.\
- Pendant les entretiens que j'ai eus avec M. le Président, nous avons procédé à l'examen du stade actuel et surtout des perspectives de nos relations bilatérales dans tous les domaines. Nous avons procédé à un vaste échange de vues sur les principales questions de la vie internationale contemporaine.
- Je voudrais souligner tout particulièrement l'esprit cordial d'entente, de respect mutuel qui a présidé à nos entretiens et l'atmosphère amicale détendue dans laquelle s'est déroulée la visite. Je tiens à souligner, en même temps, notre volonté commune de donner une nouvelle dimension aux traditionnelles relations d'amitié et de coopération entre la Roumanie et la France dans l'esprit de la Charte de Paris, de la Conférence pour la Sécurité et la Coopération en Europe afin de promouvoir un climat de paix et de coopération en Europe et dans la vie internationale.\
Nous nous sommes mis d'accord pour entamer des négociations afin de conclure un traité d'entente, de coopération et d'amitié entre la Roumanie et la République française. Nos ministres des affaires étrangères, MM. Roland Dumas et Adrian Nastase, ont déjà procédé à un échange de lettres sur cette question. Cet important document deva mettre en évidence de manière solennelle notre volonté commune d'affermir aussi bien les relations traditionnelles d'amitié et de coopération entre la Roumanie et la France que leur engagement devant les forums européens afin d'atteindre dans les plus brefs délais le desiderata commun d'édifier une Europe de la coopération, de la paix et de la sécurité.
- Les ministres et les hautes personnalités ayant accompagné M. le Président ont procédé à des conversations avec leurs homologues roumains. Ils ont examiné les possibilités concrètes permettant d'augmenter et de diversifier les échanges économiques, culturels, scientifiques entre nos pays, et ils se sont mis d'accord sur des mesures à même de valoriser le potentiel existant dans les nouvelles conditions roumaines. En même temps, aujourd'hui, on a procédé à la signature de deux autres documents : le premier concernant la création d'un institut roumano-français de management et un second concernant les échanges de jeunes.
- Je suis heureux de pouvoir souligner que l'échange de vues que j'ai eu avec M. le Président ainsi que l'échange de vues entre les ministres des affaires étrangères ont souligné la similitude des positions et des approches de nos pays concernant les problèmes de l'Europe, les voies visant à résoudre les états conflictuels dans le monde. C'est dans ce contexte que la Roumanie a exprimé son intérêt vis-à-vis de l'initiative du Président de la France visant à promouvoir l'idée d'une confédération européenne.
- Avant de terminer, je voudrais souligner que le dialogue au sommet roumano-français continuera et un autre moment important en sera la quatrième conférence des pays francophones qui se tiendra en novembre prochain à Paris, conférence à laquelle la Roumanie a été invitée. A cette occasion, nous pourrons continuer notre dialogue.
- Je vous remercie de votre attention. Je vais donner la parole à M. le Président François Mitterrand.\
LE PRESIDENT.- Mesdames et messieurs, l'essentiel de ce qui a été accompli pendant ce voyage vient d'être rappelé par le Président Ion Iliescu. Je n'y ajouterai rien, sinon à l'occasion des questions que vous pourriez nous poser.
- C'est une visite brève, suffisante dans la mesure où on a pu travailler, dialoguer et faire le tour des questions principales qui intéressent les relations entre la Roumanie et la France d'une part, la Roumanie et l'Europe d'autre part.
- Je suis sensible aux conditions de l'accueil qui m'a été réservé par le Président Ion Iliescu, par le Premier ministre M. Roman, et par les diverses autorités roumaines, notamment les Présidents des Assemblées.
- Jusqu'à ce soir, j'écouterai autant que je le puis, je regarderai et je partirai de ce pays avec le souhait et le goût d'y revenir. Dans ce pays où se déroule une expérience politique qui succède à une longue dictature, qui doit donc aménager le présent pour le futur, à partir de rien, de presque rien puisqu'il faut changer les institutions, les relations entre les pouvoirs, il faut voter une multitude de lois, transformer l'économie, parmi beaucoup d'autres choses. On ne peut que souhaiter bon travail et réussite à l'ensemble des forces qui prennent part à cette reconstruction.
- Je suis venu marquer l'amitié de la France pour la Roumanie. C'est une amitié séculaire, mais c'est aussi une amitié vivante. Ce n'est pas un objet de musée, l'hospitalité d'aujourd'hui en est la preuve.
- Maintenant je suis à votre disposition, mesdames et messieurs.\
QUESTION.- Je vais vous poser une question et une question également au Président Iliescu. Vous avez dit hier soir, monsieur le Président, que la Roumanie retrouve peu à peu l'Europe à laquelle elle appartient. Est-ce que la visite et les entretiens que vous avez eus vous ont raffermi dans cette conviction ?
- LE PRESIDENT.- Absolument. Il n'y a pas de choix de la Roumanie qui ne puisse être européen et la condition même de ce retour dans l'Europe politique, dans le groupe européen aujourd'hui composé de la plupart des Etats de notre continent s'accompagne par nécessité, par vocation aussi, du plein retour à la démocratie. Et rien de ce que j'ai entendu n'est venu contredire ce sentiment.\
QUESTION.- Monsieur le Président Iliescu, à quoi pensiez-vous concrètement hier soir au moment où vous avez exprimé l'espoir que la France vienne encourager et soutenir plus avant les efforts visant à unifier les structures de notre nouvelle société roumaine ?
- LE PRESIDENT ILIESCU.- J'ai envisagé le fait que l'ensemble du processus de transformation que connaît notre pays sur le plan politique, social, économique suppose non seulement des efforts venant de l'intérieur, non seulement le prix qu'il nous faut payer en tant que peuple afin de surmonter ces difficultés, mais aussi à la nécessité de développer une vaste coopération internationale afin de pouvoir restructurer notre vie économique pour normaliser la vie économique tout d'abord et résoudre les problèmes sociaux complexes auxquels nous sommes confrontés. Vous connaissez très bien les difficultés auxquelles nous nous sommes heurtés lorsque des crédits internationaux nous ont été refusés. Sans ces crédits nous ne pouvons assurer le ravitaillement de l'économie roumaine en matières premières. Vous savez très bien que des flux ont été interrompus au moment de la guerre du Golfe, des flux de matières premières qui étaient offertes à la Roumanie comme contrepartie pour les dettes envers la Roumanie.
- Le processus de transformation de la Roumanie pour ces structures de transition vers l'économie de marché suppose une vaste ouverture et coopération internationale et c'est en ce sens que j'ai salué l'ouverture de la France qui a été à nos côtés dès les premiers jours après la révolution de décembre. La France a été à nos côtés, nous a soutenus devant tous les organismes européens et internationaux afin de nous aider à surmonter cette phase de réserve manifestée vis-à-vis de la Roumanie.
- J'ai exprimé l'espoir que cet appui ira en se développant, ce que d'ailleurs la présence du Président de la France prouve, à savoir la volonté de la France d'être toujours aux côtés de la Roumanie.\
QUESTION.- On nous avait informés que vous aviez parlé avec le Président Iliescu de l'Europe. Et en ce qui concerne votre projet sur une confédération qui, peut-être, peut, si elle aboutit, amener à un changement, à un tournant historique dans l'Europe. Est-ce que vous pouvez, de Bucarest, nous donner votre point de vue sur une Confédération européenne future ?
- LE PRESIDENT.- Déjà l'Europe s'organise sérieusement. Il y a la Communauté européenne, ses douze pays et ses 340 millions d'habitants, il y a l'Europe du libre-échange avec ses six pays et ses 35 millions d'habitants et il y a l'Europe éclatée, celle du Centre et de l'Est qui après la fin de la tutuelle soviétique et la rupture de la période de Yalta, recherche à la fois les bases de sa démocratie et tente de fonder avec ses voisins d'Europe une nouvelle alliance au sein d'une structure commune.
- Cette structure ne peut pas être immédiatement une entrée dans la Communauté qui elle-même ne pourrait pas supporter d'arrivée massive. Il y a déjà des demandes autrichiennes, turques, suédoises. Il y a aussi les demandes sous-entendues et parfois mêmes exprimées de vos pays. Mais cela suppose des contraintes qui ne seraient pas supportées, de part et d'autre.
- Mais il existe par aillleurs, la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe qui a pris une forme vraiment organique au cours de ces dernières années, notamment en 1990, où l'on a vu tous les pays de l'Europe - à l'exception de l'Albanie - et deux pays de l'Amérique du Nord définir des conditions de la sécurité future. Puis on a signé une charte dite Charte de Paris où les anciens adversaires, les anciens ennemis sont désormais associés pour une construction européenne commune, autour de la sécurité, mais aussi autour du progrès.
- Vous avez enfin des endroits où se développent des théories communes sur la défense des droits de l'Homme et en particulier le Conseil de l'Europe.\
L'Europe existe, l'Europe s'accroît, se renforce tous les jours. La Communauté européenne va elle-même - elle l'étudie présentement - vers une unité monétaire, économique et politique. Mais il y a un concept qui ne me semble pas encore avoir été précisé : que deviendront les pays qui ne sont pas membres de la Communauté lorsqu'ils auront atteint un stade de développement supplémentaire et même dès maintenant, pour qu'il ne se crée pas des Europes différentes dont la seule frontière serait désormais la richesse et la pauvreté. Les uns qui auraient une capacité souveraine et entière, une dignité totalement affirmée, et les autres théoriquement souverains, mais en fait obligés de rechercher, de quémander leurs droits auprès des autres.
- La Communauté, c'est 340 millions d'habitants avec chacun des pays : voyez l'inégalité de départ dans les conditions d'une négociation avec la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Roumanie... Les traités d'association n'en sont pas moins les bienvenus, mais cette situation ne sera pas, à ma yeux, durable. Il faut dès maintenant concevoir une organisation correspondant à la réalité de notre continent et qui permettra à tous les pays de l'Europe, à égalité de droit et de dignité, de discuter ensemble des questions qui leur sont communes. Et très nombreuses sont les questions communes. On pense tout de suite à un environnement qui ne connaît pas de frontières. On pourrait ajouter les problèmes de l'énergie, les communications, j'ai dit tout à l'heure la sécurité, je pourrais continuer avec la technologie. Le progrès sera commun. Si l'on veut le mener en commun, il faut que chaque pays ait un droit égal à dire son mot et à défendre ses intérêts. C'est pourquoi j'ai parlé de Confédération qui suppose que toutes ces conditions soient remplies : une structure commune, permanente, des compétences vastes qui ne peuvent pas être aussi contraignantes que celles de la Communauté mais qui sont incomparablement plus précises que la simple coexistence de pays démocratiques.
- Voilà ce que j'entends faire. Et nous allons en discuter à Prague au mois de juin. Des personnalités roumaines s'y trouveront. Le Président Havel a, pour l'instant, l'initiative. Je me souviens : j'avais participé à la première conférence à La Haye - sous la présidence de Churchill - qui était composée de personnalités dont aucune ne représentait un Etat, aucune ne représentait un gouvernement, même s'il y a eu beaucoup d'hommes de gouvernement. Ils ont lancé une idée, approfondi une trace.
- C'est quand même à parti de là que, dans les années suivantes de l'Europe, le charbon et l'acier, puis des structures politiques, puis le Traité de Rome, etc, etc... Tout cela a suivi. Je pense donc que c'est une idée qui, à la fin de ce siècle et au cours du début du siècle prochain devrait s'épanouir.\
QUESTION.- Monsieur le Président, je suis de la République du Zaïre. Je suis journaliste à Télé Zaïre et correspondant de l'Interpresse en ce qui concerne les pays africains. Voici ma question, elle est adressée au Président de la Roumanie, M. Ion Iliescu. Monsieur le Président, peut-on qualifier en premier lieu cette visite officielle du Président Mitterrand comme étant un succès politique pour la Roumanie ?
- Vous avez dit tout à l'heure que la Roumanie sera présente à la prochaine réunion de la francophonie prévue en nombre prochain en France. C'était prévu d'abord à Kinshasa £ c'est confirmé pour la France. Je voudrais savoir, monsieur le Président, en quelle qualité la Roumanie sera présente à cette rencontre de la famille francophone ?
- LE PRESIDENT ILIESCU.- Pour la première question, je pense que ce n'est pas un succès politique de la Roumanie seulement. C'est un moment politique important pour nos relations bilatérales, pour les relations traditionnelles de la France et de la Roumanie. M. le Président Mitterrand a noté cette tradition, les racines profondes, sentimentales et politiques de ce développement. Alors je considère que c'est une concrétisation d'un développement naturel des relations bilatérales entre nos deux pays. Le succès ou le non-succès, je ne sais pas comment le qualifier. C'est une réalité, une réalisation que nous regardons avec satisfaction.
- En ce qui concerne la francophonie, nous avons reçu des invitations de la part du Président Mitterrand et du Président Senghor en ce qui concerne la filiation de la Roumanie à cette activité. Alors nous avons répondu avec plaisir et positivement, nous avons adhéré. Nous serons présents à Paris en qualité d'invités.
- LE PRESIDENT.- On parle autant le français en Roumanie que dans des pays fondateurs de la francophonie. Les Français sont toujours presque surpris de constater à quel point la Roumanie est restée fidèle à notre langue, combien de Roumains la parlent très aisément. C'est très bien d'encourager de regroupement des francophones. On pourrait tenir le même raisonnement pour beaucoup d'autres pays qui ne sont pas officiellement francophones mais qui pratiquent beaucoup le français.\
QUESTION.- Je représente l'agence roumaine de presse. Monsieur le Président Mitterrand, parmi les cinq ministres qui vous accompagnent dans votre visite en Roumanie, se trouve M. le ministre Michel Gillibert. On sait déjà qu'il s'est rendu à Bucarest à deux reprises, qu'il a rencontré le Premier ministre roumain avec lequel il a eu un très long entretien particulier en présentant ses projets dans le domaine du handicap. Je veux vous demander quels projets de coopération bilatérale entre la République française et la Roumanie, va mettre en place le gouvernement sur le handicap ?
- LE PRESIDENT.- Le problème des handicapés a été traité et continue de l'être ici par le Secrétaire d'Etat français spécialisé qui se trouve parmi nous. J'ai là même une note de ce qui a été conclu. Un plan d'urgence a été lancé au mois de novembre dernier, achevé en mars. Il s'agissait d'examiner comment passer l'hiver à propos de questions touchant les enfants roumains : des installations sanitaires, le chauffage pour 78 établissements, une aide alimentaire et médicale pour 25000 enfants. J'ai là la somme que cela a représenté. Mais ce n'est pas unes question marchande.
- Un nouveau programme de coopération va être lancé. Il comporte cinq actions principales : la définition d'une politique de protection maternelle et infantile, un dispositif territorial de protection sanitaire, la formation des personnels, le dépistage de la tuberculose et la rénovation de la production des vaccins. Voilà quel est le fruit des travaux auxquels a participé M. Gillibert, responsable français.\
QUESTION.- Monsieur le Président, un certain nombre d'opposants que vous avez reçus depuis hier, tout en se réjouissant, je crois, de vous rencontrer, ont estimé que votre visite était sinon inopportune, du moins prématurée. Quelle a été votre réponse ?
- LE PRESIDENT.- Que je ne partage pas ce sentiment. Quelle était l'opportunité de la présence avant moi, sous le régime précédent, des Présidents de la République qui m'ont précédé ? Effectivement il n'y a eu personne pour le leur dire. C'est toute la différence. QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez affirmé lors de votre exposé au Parlement que "penser veut dire d'habitude non" et que le temps est venu que "penser veut dire aussi oui". Est-ce que c'est un reproche que vous avez adressé à l'opposition de notre pays ? Serait-ce un appel adressé à l'opposition à collaborer avec le pouvoir ? Comment vous a-t-on présenté la situation de la Roumanie par l'opposition et les intellectuels lors de la réunion d'hier ?
- LE PRESIDENT.- Mais, monsieur, je ne m'occupe pas des problèmes intérieurs de la Roumanie ! Ce n'est pas de ma compétence. Ce qui m'intéresse, c'est de savoir si la Roumanie est effectivement sur le chemin de la démocratie. Parce que j'estime que tel est le cas, je suis venu. Quand j'estimais que tel n'était pas le cas, je ne suis pas venu. Il n'y avait aucune raison que la France fût absente davantage de la Roumanie, surtout de la Roumanie d'après sa révolution. Je n'ai pas de conseils à donner, j'écoute ce que l'on me dit. Je n'ai pas reçu spécialement les opposants roumains. Dans tous les pays où je me rends, je reçois toujours les opposants du pays en question. Je le fais aussi bien dans les pays où l'on peut estimer que la démocratie est ancienne. Je reçois le chef du parti travailliste en Grande-Bretagne, le chef des socio-démocrates en Allemagne, je reçois les chefs du parti conservateur en Espagne, etc, etc, etc. De même que j'ai reçu tous ceux que l'on appelait, à l'époque, les dissidents qui sont aujourd'hui les gouvernants, et à l'époque ils étaient persécutés dans leur pays. Je ne choisis pas ceux qui doivent gouverner et ceux qui doivent s'opposer.
- Vous faites un peu de dialectique subtile et qui déforme volontairement mes propos lorsque j'ai cité Alain, "penser cela veut dire non". Tous ceux qui m'écoutaient ont parfaitement compris ce que je voulais dire. C'est une attitude de philosophie, de critique nécessaire à toute démocratie, nécessaire à tout esprit libre. Je crois avoir déjà reconnu cela dans Voltaire et à la lecture de l'Encyclopédie, ce n'est pas nouveau. Il n'empêche qu'il est important pour un pays de parvenir de plus en plus à se faire comprendre de telle sorte qu'il puisse y avoir une pensée qui dise "oui" : c'est le consentement national, c'est la volonté démocratique. C'est une alchimie mystérieuse, bien difficile à définir. Je ne prétendrai pas être l'arbitre des élégances de pensée en Roumanie. Si vous voulez vous en charger à ma place, j'ai l'impression que cela vous plairait.\
QUESTION.- Monsieur le Président, aujourd'hui au Parlement, vous avez affirmé que le processus de réforme en Roumanie est irréversible, je voudrais vous demander si vous avez la même opinion à propos des processus qui se déroulent dans les autres pays communistes de l'Europe de l'Est, y compris l'Union soviétique ?
- LE PRESIDENT.- Je mêle un peu, peut-être, mes certitudes et mes espérances en disant cela car je sais bien qu'il n'y a pas de démarches politiques sans rechute, sans recul et sans hésitation. Mais au total, je crois que la route est tracée et ce que je pense de la Roumanie, je le pense des autres Etats anciennement communistes d'Europe du centre, de l'est et je le pense de l'Union soviétique.\
QUESTION.- Ma question s'adresse à M. Iliescu : beaucoup de Roumains soucieux de voir la démocratie s'enraciner dans leur quotidien, s'inquiètent du report des élections locales. Pourriez-vous nous dire quand elles auront lieu ?
- LE PRESIDENT ILIESCU.- Oui, c'est prévu dans nos activités futures, prochaines. A la fin de cette année il y a cette intention d'organiser ces élections. Mais ce problème est lié à l'élaboration de l'organisation administrative et des organismes d'administration locale. C'est un projet de loi qui se trouve en voie d'être négocié, élaboré. Il sera présenté au Parlement dans les mois à venir, et sur cette base, on va organiser ces élections, parce qu'on discute l'organisation administrative des territoires, des districts existants on regarde s'il faut les modifier, prendre en considération des vieux districts qui ont été réorganisés il y a cinquante années. Sur cette base, il faudra organiser les élections.\
QUESTION.- Monsieur le Président, la politique roumaine au sujet des minorités nationales a été le thème d'une large critique à la Roumanie, soit en France, soit en d'autres pays de l'Europe. Après votre visite à Bucarest, et sûrement des informations que vous avez reçues de M. le Président Iliescu et ses collaborateurs, quelle est votre pensée au sujet de cet argument ?
- LE PRESIDENT.- Le problème des minorités n'est pas un problème roumain. Il était un problème propre, sauf rares exceptions, à tous les Etats d'Europe. Je pourrais continuer ainsi en disant qu'il est propre à tous les pays d'Afrique, comme j'ai eu l'occasion de développer ce thème récemment. Comme les Etats se sont toujours constitués par la domination d'un groupe, d'une classe, d'une hiérarchie, d'une ethnie sur les autres, cela ne recoupe pas naturellement exactement ce que l'on pourrait appeler le droit des minorités £ ou plutôt les minorités doivent affirmer leur droit de façon à préserver leur identité culturelle là où elles existent. Ce n'est donc pas un problème roumain, mais c'est aussi un problème roumain. Tout le monde est au courant des minorités qui existent ici, comme la minorité d'origine hongroise ou la minorité d'origine allemande, etc... Le problème est de savoir ce qu'elles veulent elles-mêmes. J'ai entendu plusieurs membres de l'opposition s'exprimer, tous ont dit : "nous voulons rester Roumains" mais nous voudrions que notre identité culturelle soit préservée".
- Moi, je vous rappelle : je ne suis pas juge, je pense simplement que dans le grand moment de transformation du droit international - on vient de le voir à propos des Kurdes - il est très important qu'il soit défini un statut qui permette à toutes les minorités de se voir respectées. Mais cela ne veut pas dire que nous soyons partisans de l'éclatement, de l'éparpillement, de l'explosion des Etats existants. Au demeurant, ils s'y refuseraient, ce serait une vue tout à fait arbitraire et illusoire. Seulement il faut, et je l'ai dit tout à l'heure, que chacun se sente bien là, et il se sentira bien s'il se sent respecté. Cela dépend des lois internes, des lois internationales, je viens de le dire, des garanties des minorités, et cela dépend des lois internes. Je crois avoir entendu dire que les Roumains se préoccupaient de leur constitution : c'est un des problèmes importants de leur Constitution. Le respect du droit de pensée, d'expression, de langage, de culture en particulier. Quand cette Constitution sera publiée, j'en jugerai. Je serai comme vous, j'apprécierai. J'espère pouvoir apprécier dans le bon sens, c'est tout ce que je peux dire.\
QUESTION.- C'est une question qui concerne également une minorité mais qui sort un peu du cadre de ce voyage, et je vous prie de m'en excuser. Si j'ai bien entendu les nouvelles de Paris, les forces armées françaises, britanniques, américaines mettent en commun leurs efforts pour créer des camps aux Kurdes irakiens et pour les défendre le cas échéant. S'agit-il de quelque chose qui s'inscrit dans le cadre des mesures des Nations unies ou s'agit-il d'une mesure nouvelle différente et qui marquerait un tournant ?
- LE PRESIDENT.- Oui. Tout a commencé avec le dépôt de la résolution française adoptée sur le numéro 688 par le Conseil de sécurité des Nations unies qui reconnaît un droit d'ingérence à la société internationale. Mais pas un droit d'ingérence comme ça, à tout moment, hors de propos. On se trouve là devant un véritable génocide, une persécution et cela devait être arrêté. Une fois définie cette position, encore fallait-il la mettre en oeuvre : d'où les propositions anglaises, françaises, maintenant américaines, pour que, dans la réalité, les minorités - il y en a plusieurs et notamment celle dont nous parlons, les Kurdes - puissent vivre chez elles et non pas en situation d'exil intérieur ou dans des camps, qu'elles puissent rentrer chez elles, dans leur maison, là où elles vivent, cultiver leurs champs, etc...
- C'est ce à quoi nous nous appliquons pour l'instant. L'initiative est triple : anglaise, américaine, française. J'aurais pu le dire dans un autre ordre, peu importe. Nous en avons discuté avec M. Perez de Cuellar que je recevais il y a seulement 48 heures, que le ministre des affaires étrangères, M. Roland Dumas verra ce soir.
- J'ai là le récit d'une dépêche qui marque les conditions de l'accord de Bagdad pour l'aide des Nations unies aux réfugiés. J'en connais le contenu, je sais de quelle manière les Nations unies et les centres humanitaires permettront cette assistance aujourd'hui autorisée sous forme de nourritures, de soins médicaux, de réhabilitations agricoles, de logements, de toutes autres mesures nécessaires de secours pour que la vie reprenne son cours.
- Tout ceci est à l'heure actuelle en gestation, cela se discute. C'est une matière complètement nouvelle. C'est une forme de révolution du droit, cela ne doit pas autoriser l'intrusion des autres Etats comme ça en permanence dans la vie de leurs voisins. Cela ne doit pas être considéré comme une incitation à un éclatement de ces Etats, le droit de souveraineté de ces Etats doit être respecté, mais, il y a un moment à partir duquel la négation du droit fondamental de vivre et la vie, ce n'est pas seulement la vie physique, c'est aussi la vie intellectuelle, c'est la vie de la culture qui peut être protégée contre des crimes, des barbaries, des génocides. Nous assistons à la naissance d'un droit nouveau et d'une importance considérable et là-bas en Irak, c'est effectivement les Français et les pays que vous avez cités - Grande-Bretagne, Etats-Unis d'Amérique -, mais c'est de plus en plus les Nations unies par le canal de leur secrétaire général qui définissent les clauses qui permettront la réussite de ce droit nouveau.
- Voilà ce que je peux vous répondre, ce sera une tâche très difficile. J'espère que l'on y parviendra.\
QUESTION.- En tenant compte de la crise du Kurdistan, est-ce que vous pensez maintenant que les forces de la coalition ont eu tort d'arrêter les actions militaires au moment auquel elles l'ont fait ?
- LE PRESIDENT.- On s'éloigne un peu de la Roumanie... Je ne veux pas juger cela. Vous-même peut-être, en tout cas vos confrères, nous assailliez dans les jours qui précédaient ce cessez-le-feu, en disant : "mais vous avez un autre objectif, vous avez changé d'objectif, vous êtes sortis, vous êtes en train de sortir du mandant des Nations unies, vous ne voulez pas vous contenter de libérer le Koweit, vous voulez vous emparer de l'Irak, vous voulez aller à Bagdad, vous voulez...". C'était un reproche, d'ailleurs tout à fait infondé. Là-dessus, une fois le Koweit libéré - et pour libérer le Koweit, il fallait nécessairement pénétrer dans le sud de l'Irak - vous avez dit : "pourquoi vous n'êtes pas montés plus haut, pourquoi n'êtes-vous pas montés vers le Nord, pourquoi vous n'avez pas conquis Bagdad, pourquoi vous n'avez pas mis à la raison Saddam Hussein, pourquoi... ?" Il faut choisir !
- Le mandat que nous avions n'était pas celui-là, nous avons appliqué celui que nous avions. Mais la suite devait être traitée. C'est pourquoi nous avons complété la démarche initiale. On ne peut rien dire d'autre.\
QUESTION.- Avant tout, je vous souhaite la bienvenue du grand Paris dans le petit Paris. Je voudrais vous dire que vous êtes très connu chez nous en Roumanie et cette connaissance est très longue et ne date pas seulement depuis la parution de votre livre dans les librairies. Les médias ont annoncé votre visite mais nous vous connaissions déjà. Il y a un an, au mois de janvier dernier, lorsque vous avez fait une certaine déclaration à Budapest. Vous avez dit que deux tiers du territoire de la Hongrie se trouvaient sur la surface de d'autres pays. Permettez-moi de vous dire qu'il s'agissait là d'une inexactitude au point de vue de la vérité historique parce que si vous aviez dit que les deux tiers de l'ancien empire austro-hongrois appartenaient maintenant à d'autres pays, j'aurais fait confiance à votre déclaration. A l'époque, j'avais écrit une lettre à la présidence française essayant d'expliquer et de fournir une réponse à cette déclaration que vous avez faite à Budapest. Monsieur le Président, nous vivons ici depuis des milliers d'années. Au cours de l'histoire d'autres peuples sont venus vivre à nos côtés, en paix. Je voudrais que vous sachiez que 10 % de la population roumaine est représentée par des citoyens d'autres nationalités. Il y a chez nous 14 minorités nationales. Comment expliquez-vous le fait que les seuls problèmes que nous ayons soient avec la minorité hongroise et qu'il ne s'agit pas là que de questions historiques.\
`suite de la question` J'ai suivi aujourd'hui votre allocution devant le Parlement. J'ai apprécié les citations que vous avez choisies, j'ai bien aimé votre allocution. Alors permettez-moi d'en utiliser une, il s'agit d'un grand sage oriental qui disait que "ceux qui ne veulent pas connaître l'histoire risquent de la revivre". En ce qui concerne la minorité hongroise, nous risquons de revivre certains événements si nous ne faisons pas preuve d'une certaine prudence. La preuve est, qu'après votre déclaration, et après les événements du 22 décembre 1989, les choses étaient en quelque sorte prévisibles en Roumanie. Je voulais vous dire que l'union "vatra romaneasca" est apparue pour représenter un certain état d'esprit. Vous parliez aujourd'hui devant le Parlement de la science populaire de l'histoire, et je crois que vous ne vous trompiez pas. La même chose est valable pour "vatra romaneasca". Je voulais vous présenter ces considérations d'autant plus que l'ambassadeur français en Roumanie a porté certaines appréciations sur cette union nationale dont je suis le porte-parole dans le journal "la Roumanie libre". Je voudrais vous dire que notre union désire, en l'absence de la résurrection de la grande Roumanie, conserver l'héritage actuel.
- Et je reviens maintenant à ma question : Monsieur le Président, qu'est-ce qui vous a poussé à faire la déclaration de Budapest ? S'agissait-il d'une méconnaissance de l'Histoire et j'en doute fort ? S'agissait-il d'une politesse française d'être agréable aux autres ? Ou bien, s'agissait-il d'une aide qu'une grande puissance offrait au révisionnisme ? Ou s'agissait-il tout simplement d'une gaffe ? Ces suppositions que je fais me rappellent que le traité était signé à Trianon. Une fois de plus reprenant les paroles de notre grand poète national Mihaï Eminescu : qu'est-ce que l'Occident nous voulait, monsieur le Président ?\
LE PRESIDENT.- Le temps ne me permettra pas de répondre à chacune de vos questions, contenues dans une seule apparemment. Je croyais vous avoir répondu grâce à la question posée par l'un de vos confrères il y a un moment sur le droit des minorités. J'avais commencé par répondre, permettez-moi de vous le rappeler - cela c'est une histoire récente, cela date des dix minutes précédentes et ici dans cette salle - que tous les pays d'Europe ou presque tous étaient affrontés au problème des minorités, tous ou presque tous, et qu'il fallait définir un droit pour ces minorités. C'est le sujet auquel je me suis attaché depuis des années, que j'ai encore traité il y a encore un moment, que j'ai évoqué lors de mon voyage en Hongrie. Si vous voulez, les uns et les autres, réunir, récupérer tous les groupes minoritaires qui ont été projetés par les hasards de l'Histoire dans les pays voisins, vous n'en sortirez pas.
- J'ai d'ailleurs l'impression que si vous refusez - je vous comprends - à la Hongrie d'espérer retrouver des territoires perdus (parce qu'après tout il me semble que la Hongrie faisait partie de l'Empire austro-hongrois, à moins que ma mémoire historique déjà si critiquée ne se trompe une fois de plus) est-ce que la Hongrie considère comme siens des territoires qui sont aujourd'hui roumains ?\
Je vais vous poser la question : est-ce que la Roumanie ne considère pas comme siens des territoires qui sont aujourd'hui ailleurs ? J'évite de les énumérer pour ne pas avoir de nouveaux incidents diplomatiques. Mais je suis aussi au courant que vous ou presque. Est-ce que vous allez vous retourner vers le Nord de ce pays, l'Est, à l'Ouest ? Que vont faire les Allemands dont les terres étaient allemandes et sont devenues polonaises ?
- Que vont faire les Polonais qui se trouvent aujourd'hui projetés dans les territoires rattachés par l'Union soviétique ? C'est toute l'histoire de l'Europe et du siècle dernier qui n'a pas été avare de territoires arrachés ci et là. Est-ce qu'il faut reprendre tout cela ? Partout les minorités ainsi arrachées, à un moment donné, voudraient bien retrouver la dominante de leur culture, mais je n'ai entendu dire ici par personne, parmi les minoritaires, peut-être certains y pensent, qu'ils désiraient quitter la Roumanie. Ils ont tous demandé que la Roumanie dont ils sont citoyens, veuille bien se préoccuper de protéger leur identité. Ce sont des problèmes quand même différents, c'est peut-être même la manière de régler intelligemment ce problème. Cela n'empêchera pas toutjours d'avoir des populations chassées de chez elles, qui continueront d'en souffrir à travers les générations. Et le problème que j'ai traité à Budapest, c'était celui-là. Vous avez le droit, disais-je, aux Hongrois, comme je vous le dis à vous Roumains, de regretter que l'histoire du siècle vous ait fait perdre des territoires sur lesquels vous aviez autorité, avec des populations que vous estimiez les vôtres. Vous avez le droit de le penser, vous, Roumains, vous avez droit de le penser à l'égard d'autres territoires et de populations que vous estimez roumaines. Même si je disais : "Roumains, allez-y, récupérez ces territoires, vous ne seriez pas contre..." si j'ai bien compris la tonalité de votre intervention. Alors là, je serai aussi imprudent qu'à Budapest. Le droit des minorités, c'était mon sujet, ce n'était pas l'éclatement des Etats, je ne suis pas favorable à l'éclatement des Etats s'ils se comportent démocratiquement. S'ils se comportent en utilisant la terreur ou la persécution pour faire disparâitre les cultures minoritaires, alors je les condamnerai. Mais on n'en est pas là...
- J'espère que la Constitution roumaine répondra d'une façon utile à ce type de problème. Alors, vous pouvez choisir entre mon ignorance, mes gaffes ou le souci de plaire. Je crois répéter exactement ici ce que j'ai dit à Budapest £ je ne suis par l'arbitre entre la Hongrie et la Roumanie, et si vous m'en chargiez, je refuserais.\
QUESTION.- Monsieur le Président Mitterrand : les investisseurs, les hommes d'affaires français, ont été quelque peu timides vis-à-vis de la Roumanie cette année, ils sont certainement dépassés par la plupart des autres pays occidentaux, je crois qu'ils sont 6ème ou 7ème. Comment expliquez-vous ce manque d'empressement étant donné les avantages culturels, historiques et autres que vous avez mentionnés, et deuxièmement dans quelle mesure est-ce que votre visite ouvre la voie ou concrétise certaines négociations franco-roumaines commerciales ?
- LE PRESIDENT.- Ma visite n'est pas faite pour raison commerciale, ce n'est jamais le cas, partout où je vais. C'est un très beau métier d'être voyageur de commerce, mais ce n'est pas le mien. Mais c'est une occasion solennelle, ressentie par les populations, de mobiliser l'attention du gouvernement, pour dire il y a des problèmes qui traînent, on va les régler maintenant, ou bien, il y a des idées nouvelles qui naissent, on va essayer de les concrétiser. C'est ce qui s'est produit ici, comme cela se produit généralement. J'ai là la liste des problèmes économiques traités. Nous avons parlé tout à l'heure des relations bilatérales, d'un échange de lettres pour un traité franco-roumain. La négociation est ouverte, précisément à cette occasion. Des documents ont été signés, il y a trois quarts d'heure, par les ministres des affaires étrangères. Comme pour la Pologne, c'est un traité d'amitié et de solidarité, - ce sont les deux termes retenus - dans une perspective européenne. La France se fera le défenseur et l'avocat de l'entrée progressive mais certaine de ces pays dans l'ensemble européen. Il y a également un accord sur les échanges de zone. J'observe enfin - c'est là un cas particulier mais ce n'est pas négligeable - que nous avons décidé, de notre côté, de l'ouverture d'un Consulat général de Roumanie à Strasbourg.\
Sur le plan économique et commercial, en janvier 90, il y a eu des enveloppes de crédit garanties par l'Etat d'un montant total d'un milliard deux. Cinq cents millions ont été utilisés l'an dernier, les autres sont disponibles. Nous avons réactualisé une convention de protection et de garantie réciproque des investissements, signée en 1976. En 1976, nous avons déjà eu des Présidents de la République qui ont signé des contrats avec la Roumanie. Avaient-ils tort ? N'auraient-ils pas dû ? Auraient-ils dû ? A vous de trancher la question. Mais cela m'est plus facile, à moi en 1991 ? Parmi les principaux projets de coopération économique, on note une société mixte de productions de commutateurs téléphoniques, la modernisation de la filière sucre, la modernisation de l'Institut Pasteur pour la fabrication de vaccins vétérinaires, la création d'une société mixte entre les grandes sociétés de construction et les partenaires roumains, (avec notamment la reconstruction d'un hôtel, et d'un centre d'affaires) dont la signature a eu lieu aujourd'hui même à Bucarest. La coopération franco-roumaine a repris dans le secteur automobile. Bref, on observe un intérêt de plus en plus net des entreprises françaises pour ce qui se passe en Roumanie. Cela permet de démultiplier l'action des pouvoirs publics.
- Nous sommes également intervenus pour développer des relations avec la Communauté : le programme "Phare" pour la formation des personnels, le crédit à moyen terme de cinq cents millions de dollars - bien entendu il faut pouvoir entraîner les autres membres du groupe de vingt-quatre -. La Communauté a signé avec la Roumanie l'accord de coopération qui entrera en vigueur le 1er mai 1991.
- Et nous Français, nous souhaitons, - cela fait partie justement des avancées dans les relations amicales entre la Roumanie et la France - que l'on s'achemine vers un accord d'association d'un niveau beaucoup plus important entre la Roumanie et la Communauté. Parce que je peux vous dire que ce voyage a permis de mettre les points sur les "i", d'accélérer ce qui traînait, de commencer ce qui n'avait pas commencé. Disons que ces voyages ne peuvent pas se limiter simplement à un échange de propos aimables. Ce ne serait pas suffisant. La signification symbolique d'un voyage comme celui-ci, c'est qu'il existe entre la Roumanie et la France, quelles que soient les situations intérieures de nos deux pays, une permanence que j'entends célébrer dans mon voyage actuel.\