10 avril 1991 - Seul le prononcé fait foi
Conférence de presse conjointe de M. François Mitterrand, Président de la République, et de M. Lech Walesa, Président de la République de Pologne, sur le renforcement des relations franco-polonaises notamment dans le domaine économique et sur la sécurité européenne, Paris le 10 avril 1991.
Mesdames et messieurs,
- J'ai de nouveau le grand plaisir de recevoir M. le Président de la République polonaise et cette fois-ci c'est pour vous rencontrer afin que vous puissiez aussi librement que d'habitude poser les questions que vous souhaitez, soit à notre invité, soit à moi-même ou aux deux selon votre préférence.
- Je tiens à redire à M. Walesa à quel point je me réjouis de voir l'utilité de son voyage se confirmer au travers des différentes rencontres qui ont eu lieu depuis son arrivée et se poursuivront encore aujourd'hui et demain. Mais au-delà de toutes ces formules, il y a la réalité de l'amitié entre la Pologne et la France.
- Nous devons aborder bien des problèmes concrets et si vous voulez bien, mesdames et messieurs, nous y aider par vos questions, nous sommes à votre disposition.
- Si M. Walesa souhaite dire quelques mots, puis nous vous écouterons.
- LE PRESIDENT WALESA.- J'aimerais, premièrement vous remercier très cordialement, monsieur le Président, qui en 1989, avez débloqué les réformes polonaises. Les historiens vont certainement le noter £ les journalistes, surtout les plus jeunes, l'ont oublié. Aujourd'hui il serait difficile de s'imaginer l'évolution en Pologne si M. le Président n'avait pas débloqué les choses. Donc, ma carrière et la victoire, nous les devons dans une large mesure aux décisions de M. le Président et je tiens à l'en remercier publiquement. Je remercie également le peuple français pour cette grande aide durant ces dix dernières années, je ne vais pas remonter plus loin, le remercier de l'aide accordée à toutes les générations antérieures également. Aujourd'hui, les défis sont nouveaux, ces réformes conduites en Europe de l'Est et en Pologne devraient commencer à produire leurs fruits. Nous avons une grande opportunité aujourd'hui de participer à la création de quelque chose de nouveau, quelque chose qui peut être profitable et rentable. Je suis venu ici pour vous prouver et vous montrer quelles sont les grandes possibilités et les défis qui se posent à l'Europe et à la France qui est une puissance dans le domaine économique, politique, culturel.
- Voilà à titre d'introduction, je ne voudrais pas vous ennuyer trop et je suis à votre disposition pour vous présenter la démonstration de tous les faits et thèses que je vous ai présentés.\
QUESTION.- Monsieur le Président, je voudrais savoir comment vous percevez les perspectives des relations économiques polono-françaises et voyez-vous la possibilité de retour de ces relations au niveau où elles étaient dans les années 70 ? Quelles sont les conditions d'un tel retour ?
- LE PRESIDENT.- Que voulez-vous dire par 70, cela vous paraît vraiment le top idéal des relations entre la France et la Pologne ?
- Beaucoup d'événements se sont produits depuis lors, beaucoup de troubles, de désordres de toutes sortes. Cela dépend des industriels français. Les pouvoirs publics français sont décidés à faire ce qu'il faut, on pourra en parler tout à l'heure. Maintenant, il s'agit de donner l'élan à nos entreprises qui doivent retrouver confiance dans les échanges entre la Pologne et la France et j'espère que la réponse sera positive d'ici peu.\
QUESTION.- Ma question s'adresse au Président Walesa. Considère-t-il au moment précis de ce voyage que la France participe suffisamment aux réformes et est-il satisfait du geste financier que la France a consenti concernant la dette ?
- LE PRESIDENT WALESA.- Je dois vous dire que je ne suis pas satisfait de la participation de la France dans les processus économiques en Pologne mais je tiens tout de suite à m'expliquer. Après les expériences et après la participation de la France lors de l'époque du communisme cela peut nous décevoir. Aujourd'hui, je remarque parmi les hommes politiques et la population une certaine déception vis-à-vis des réformes, donc je trouve qu'il faut faire tout pour inverser le cours des événements et du raisonnement parce que comme jusqu'à présent il n'y a eu que des problèmes puisque cette place géo-politique qu'occupe la Pologne vous gênait aussi, aujourd'hui il y a de nouvelles opportunités.
- Notre localisation cesse de vous gêner, que ce soit sur le plan militaire ou politique. Donc, il est possible de profiter de cet endroit intéressant en Europe qui est un croisement de chemins entre l'Est et l'Ouest, le Nord et le Sud. Cet endroit peut être béni à l'époque où nous vivons et, à cet endroit-là, on peut faire de bonnes affaires. Cette fois-ci, il ne s'agit pas d'avoir une coopération comme dans le temps, il ne s'agit pas de tendre la main pour quémander de l'argent : il s'agit tout simplement d'une coopération à tous égards et de faire des affaires dans tous les domaines. Donc, placer en première position l'intérêt. Dans certains cas, évidemment, il faut faire de nouveaux apports pour pouvoir rentabiliser alors que dans d'autres, vous n'avez pas à investir davantage. J'invite vos banques à venir s'établir chez nous. Là, on pourra se concerter sur le montant de l'impôt à payer et faire des affaires. Donc, nous sommes ouverts dans tous les domaines, ouverts à la France et sur la France. L'intérêt est grand, l'intérêt militaire également parce qu'un Français qui s'établira en Pologne pour fonder une usine, c'est comme si ce Français pouvait être comparé à une division tout entière.\
QUESTION.- Monsieur le Président Walesa, je voudrais me référer à votre réponse précédente. Vous avez eu une rencontre ce matin au siège du patronat français, est-ce que vous pourriez nous dire quelle est la réponse des hommes d'affaires à votre appel aux investissements en Pologne ?
- LE PRESIDENT WALESA.- A un certain moment, j'ai dit à ces messieurs que ma tâche est de démontrer qu'il y a des affaires à faire. Moi, je leur prouverai cela et puis c'est à eux de faire le reste. J'ai apporté la preuve et maintenant il ne dépend que d'eux de faire ces affaires. J'ai réussi à convaincre tout le monde. Evidemment, il reste encore le Premier ministre et les ministres pour élucider les points de détail de ces nouvelles possibilités sur lesquelles ils ont une responsabilité. Moi-même je suis président, et non pas l'exécutif.
- QUESTION.- Une question pour M. Walesa. Monsieur le Président, à chaque occasion vous appelez à l'étranger à développer la coopération économique avec la Pologne. Vous avez fait de même ici en France. Pensez-vous que les Français sont déjà convaincus de la nécessité de développer ces contacts ?
- LE PRESIDENT WALESA.- Les Français sont convaincus pour ces contacts quoiqu'il y a encore certaines réserves, certaines réticences parce que pendant des années entières, ils n'avaient que des problèmes avec la Pologne et le communisme. Mais maintenant, ils essaient de voir d'abord, ils souhaitent avoir des garanties, ils sont très prudents et c'est grâce à cette prudence que leur situation est si bonne. Par conséquent, il va falloir bien travailler, travailler davantage pour que plus de Français se retrouvent en Pologne et viennent en Pologne. Nous sommes en tout cas sur la bonne voie et j'espère que prochainement, avant mon retour en Pologne, il y aura déjà certains Français qui se rendront en Pologne.\
QUESTION.- J'ai une question qui s'adresse au Président Walesa et également au Président Mitterrand. Je voudrais savoir quelle est la valeur de ce traité qui a été signé, quelles décisions de ce traité paraissent les plus précieuses aussi bien dans la perspective française que polonaise ?
- LE PRESIDENT WALESA.- En tant qu'homme politique et Président, sans entrer dans des détails, je dirais que c'est l'ouverture de nouvelles possibilités pour une bonne coopération dans beaucoup de domaines. Maintenant, il s'agit de remplir d'un contenu tout ce qui a été inscrit dans le traité. Il ne dépend que de nous, Polonais et Français, d'ouvrir ces grandes possibilités. Pour le contenu, cela dépend de nos possibilités et de notre sagesse. Pour les détails, je ne tiens pas à les discuter parce que ce sont des hommes intelligents qui ont préparé le document d'un côté comme de l'autre, mais pour ma part, c'est l'ouverture d'un grand livre vierge sur les pages duquel il faut écrire un contenu.
- LE PRESIDENT.- Le Traité d'amitié et de solidarité prévoit d'un côté le soutien de la France, membre de la Communauté, pour que soit engagé un rapprochement entre la Pologne et la Communauté autour de l'accord d'association dont on a déjà parlé. Donc, l'association serait une mesure très proche qui permettrait d'assurer la transition vers ce que le traité lui-même propose, c'est-à-dire l'adhésion de la Pologne à la Communauté. Adhésion dont la France se fera le défenseur, dès lors qu'un certain nombre de conditions indispensables auront été réunies. Donc, association pour le court terme, adhésion à moyen terme. Il est même dit dans le traité que nous voulons travailler en commun à l'unité de l'Europe en vue d'une communauté de droit, de démocratie, et l'on note au passage l'idée d'une Confédération. Enfin il a été décidé, toujours par ce traité, que des conversations régulières auraient lieu entre nos ministres des affaires étrangères.
- On ne se voit pas aujourd'hui à Paris pour se séparer ensuite pendant des mois ou des années, nous créons un cadre dans lequel nos gouvernements travailleront. Il est également à noter que sera encouragé le développement de relations économiques, financières, techniques, culturelles, administratives. Un traité, ça a déjà une signification d'incitation, ça fixe un cadre, on ne prétend pas déterminer l'ensemble des accords d'application. Cependant je remarque au passage que certaines de ces dispositions sont entrées dans la réalité, en particulier à travers la position que la France a prise au sein du Club de Paris pour l'allégement de la dette polonaise jusqu'à 50 %, indépendamment des discussions qui doivent s'ouvrir pour de nouvelles mesures. D'autre part est prévu l'encouragement aux échanges de jeunes, au contact entre ressortissants dont la première manifestation a été la suppression des visas pour les courts séjours. Le contenu d'un traité exprime un état d'esprit, et cet état d'esprit vous l'avez déjà, je le crois, bien compris, il est tout entier exprimé dans ce qui a été dit par le Président Walesa et par moi-même au cours de nos rencontres.\
QUESTION.- Monsieur le Président, il est vrai que la visite se poursuit encore, mais déjà des entretiens très importants ont eu lieu. Que considérez-vous, monsieur le Président, comme l'acquis le plus important de cette visite jusqu'à maintenant ? Existe-t-il des points où vous pourriez préciser davantage vos opinions, au sujet des relations franco-polonaises ou peut-être plus largement après vos entretiens avec le Président Walesa ?
- LE PRESIDENT.- Ce voyage a été organisé. C'est le premier je crois qu'effectue le Président polonais dans un pays d'Europe occidentale en sa qualité de Président de la République. Je l'attendais moi-même avec impatience. Ce n'est pas la première fois que nous nous rencontrions. Si nous nous rencontrons ce n'est pas simplement pour le symbole, c'est aussi pour donner aux relations entre la Pologne et la France un nouveau départ et enrichir le contenu de ces relations. Est-ce que j'ai observé des progrès ? Il y en a eu avant, il y en aura pendant, la personnalité du Président Walesa est une forte personnalité £ chacun le sait. Il est en mesure d'atteindre la plupart des milieux français, de convaincre notre opinion, c'est ce qu'il fait, et nous l'y encourageons.
- Les pouvoirs publics ont déjà fait beaucoup £ s'il faut faire davantage, nous en discuterons à mesure que la situation économique de la Pologne au cours de cette année s'améliorera comme je le pense. Nous n'avons pas l'intention, ni le Président ni moi, de laisser en chemin l'entreprise à laquelle nous sommes attelés. Quant aux forces économiques françaises qui ne dépendent pas de la décision du gouvernement, même si le gouvernement peut accorder des facilités, ce qu'il fait et fera, eh bien il faut que nos entreprises comprennent que le marché mondial et que le marché européen sont à conquérir dans la difficulté c'est-à-dire dans la concurrence, tandis que la Pologne, grand pays, très peuplé, doué d'une longue tradition de relations avec la France, offre un vaste champ d'action. Il y a des difficultés, nous avons souvent des économies semblables : la richesse de la Pologne c'est sa puissance alimentaire, industriellement c'est son textile, son acier : nous en fabriquons nous aussi. Très vite, naturellement, même après avoir passé des accords tendant à favoriser l'intensification de nos échanges, on bute sur le souci de ne pas nuire à nos propres intérêts nationaux. Mais il doit y avoir de nombreux moyens de reconvertir, de diriger autrement nos efforts, d'aider la Pologne à se diriger précisément vers des secteurs de moindre concurrence à l'intérieur de la Communauté européenne £ tous les chemins nous sont ouverts. C'est déjà très important d'avoir pu les explorer, en parler franchement, de connaître les besoins de la Pologne tels qu'ils sont très clairement exprimés par le Président polonais. Les conversations d'aujourd'hui et de demain nous permettront de persuader et de convaincre, d'assurer l'élan. Il faut que la confiance soit là, la confiance politique existe, la confiance économique est à construire, cela dépendra de la Pologne et cela dépendra aussi de la France.
- Je puis vous garantir, si vous désirez le savoir, que le contenu de nos conversations est de ce point de vue utile, car il va dans cette direction. C'est notre intention, c'est notre volonté, il faut maintenant que la machine suive.\
QUESTION.- Ma question est pour Lech Walesa. Monsieur le Président, vous vous souvenez probablement dans les années précédentes quand nous venions vous voir en Pologne, quand on vous posait des questions sur la possible idée d'accéder au pouvoir, vous écartiez tout cela d'un geste de la main en disant "ce n'est pas possible". Aujourd'hui vous êtes là, vous êtes sous toutes ces dorures, vous logez dans un palais. Après votre dîner hier soir, en vous endormant, vous avez pensé à quoi ?
- LE PRESIDENT WALESA.- Je me suis dit que l'impossible est devenu réalité. La réforme polonaise pour laquelle nous avons lutté ensemble m'a forcé à rechercher des solutions sur ce plan également. Evidemment je ne suis pas un président du type classique. D'ailleurs, je n'en ai pas l'air. Mais en revanche, j'essaie de résoudre les problèmes difficiles de la Pologne conjointement avec les syndicalistes, les masses populaires. Ce sont des problèmes difficiles. Pour les résoudre il faut avoir l'appui de la population, de la société et c'est la raison pour laquelle je me trouve là où je me trouve. Mais nous avons aussi des problèmes, c'est une situation un peu difficile parce que je ne suis pas habitué à bon nombre de choses, après tout. Un navire ce n'est pas un palais, ce n'est pas Paris. Et cela me force à voir les choses différemment. En tout cas, j'essaie de faire bien ce que je fais et je concentrerai tous mes efforts afin que cette possibilité de construire une Europe, une et unie, le soit sans qu'un seul coup de feu ne soit tiré. Vous savez, nous avons une énorme chance devant nous. Jamais dans l'histoire nous n'avions eu une telle occasion de bâtir une Europe de sagesse, une Europe unie et pacifique. L'Allemagne est occupée par ses problèmes internes, la France est la plus proche de nous, c'est elle qui a le plus d'expérience, c'est elle qui a le plus participé à la construction de l'Europe et c'est la raison pour laquelle nos yeux se tournent vers la France. Non pas pour en profiter et pour l'exploiter comme c'est souvent arrivé dans le passé. Aujourd'hui il faut tout simplement essayer de récupérer tout ce que nous avons perdu et c'est une des raisons pour lesquelles je suis Président moi-même.\
LE PRESIDENT.- Vous savez aussi que nous ne laissons pas beaucoup de temps au Président Walesa pour rêver. Nous l'avons mobilisé hier soir jusqu'à pratiquement minuit et demi, une heure. Il était contraint de se lever avant sept heures. J'espère qu'il est tombé d'un sommeil lourd et qu'il ne s'est pas fatigué à rêver à autre chose qu'à ce qui l'occupe ici, c'est-à-dire être en forme, pour la négociation qu'il mène avec la France. Bon alors les ors, vous voulez dire qu'il n'était pas habitué, à Gdansk, mais moi non plus à Jarnac en Charente. On sait bien que nous ne sommes que des passagers, des locataires de circonstance. Dans cette salle, vous savez, ont défilé beaucoup d'autres présidents de la République et beaucoup d'autres chefs d'Etat, et aucun je le suppose, enfin j'espère qu'aucun n'a emporté les ors qui vous intéressent tant. Donc il faut se réhabituer très vite à l'absence d'or. Je crois que c'est une vision sympathique, mais il faut éviter les images d'Epinal, cela ne se passe pas exactement comme ça. Alors si nous pouvons offrir au Président Walesa l'accueil le plus conforme aux traditions de la France, c'est parce que nous voulons rendre hommage à un homme et à un pays. Je vous dis cela simplement pour fixer un peu les idées. Vous êtes allés à Varsovie, à Cracovie. Justement, Cracovie n'a rien à envier au Palais où nous recevons M. Walesa. Et Gdansk ma foi ce n'est pas si mal. Bon alors disons que nous parlons de ce point de vue-là à égalité d'ancienneté, d'histoire et de civilisation.
- LE PRESIDENT WALESA.- J'ai eu la chance d'être interné dans un palais. J'ai eu cette chance lors de l'état de siège après le 13 décembre. J'ai été dans un palais donc bien qu'en prison et je me suis habitué un petit peu aux palais. En ce qui concerne la journée d'hier, en effet nous nous sommes couchés un peu tard mais j'ai encore une femme jeune et Paris a ses droits alors je crois que ma femme s'est souvenue des beaux temps d'amour.\
QUESTION.- Monsieur le Président, le pacte de Varsovie a disparu. Est-ce que vous avez échangé des idées sur la façon dont ces nouvelles démocraties à l'est - la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Hongrie etc... - pourraient avoir un nouveau cadre de sécurité. Quel type de sécurité peut-on assurer à ces pays qui, aujourd'hui, deviennent une zone tampon entre l'Europe occidentale et l'Union soviétique ?
- LE PRESIDENT.- Il n'y a plus de pacte de Varsovie. Il y a encore une Alliance atlantique et à l'intérieur de cette alliance un certain nombre de pays en Europe qui disposent de forces armées conséquentes. Deux d'entre eux, la Grande-Bretagne et la France disposent d'un armement nucléaire. Un embryon de défense, par un débat sur la stratégie, et sur l'utilisation des forces en commun est aujourd'hui placé dans le cadre de ce que l'on appelle l'UEO : l'Union de l'Europe Occidentale. Nous n'avons pas entrepris de démarches de caractère militaire ou stratégique avec la Pologne. Mais vous n'ignorez pas plus que moi que c'est un sujet qui préoccupe les Polonais et que nous sommes appelés tout naturellement a évoquer ce type de problèmes. Mais disons que ce n'est pas l'aspect dominant de l'heure.\
QUESTION.- En tant que Président de la France quelle est votre estimation de ces discussions sur l'Europe ? Quelle est l'état de votre discussion avec M. Kohl et sur ces plans ?
- LE PRESIDENT.- Nous, nous appartenons à l'Alliance atlantique. Nous avons, nous Français, un statut spécial au sein de l'organisation militaire. Nous sommes des alliés loyaux et nous assurons notre autonomie stratégique avec la force de dissuasion nucléaire. Nous participons à l'ensemble des entreprises engagées par nos alliés, chaque fois que nous en décidons, à l'intérieur de l'aire, prévue par la Traité de l'alliance. Nous sommes engagés dès l'abord.
- Pour tout ce qui est en dehors de ce théâtre d'opérations, nous sommes amenés à examiner particulièrement le problème qui nous est posé. On peut dire "oui", on peut dire "non". Nous avons dit "oui" lors de la guerre du Golfe. Il peut nous arriver de dire "non" dans d'autres circonstances, là où nous n'avons pas d'engagements ou de contrats préalables. Chacun sait que le pacte de Varsovie est dissous, n'a plus de valeur réelle et tous les pays d'Europe centrale et orientale qui en relevaient sont aujourd'hui disponible pour assurer par d'autres moyens leur propre sécurité.
- La CSCE regroupe pratiquement tous les pays d'Europe, les Etats-Unis d'Amérique et le Canada. Nous avons signé à Paris à 34 pays, dont la Pologne, une charte sur la sécurité et la coopération. Il y a un premier accord de désarmement conventionnel, il y a d'autres négociations envisagées pour réduire les armements conventionnels. De même, nous sommes heureux de voir s'appliquer les accords américano-soviétiques sur la suppression des forces nucléaires intermédiaires. Nous nous réjouissons de voir ces deux pays poursuivre leurs négociations sur la réduction de l'arsenal nucléaire stratégique. Tout cela protège la Pologne comme la France. Simplement nous n'avons pas de traité ou d'accord particulier à caractère militaire entre ces pays, dont la Pologne, et l'Alliance atlantique.
- Par rapport à l'Allemagne c'est encore différent puisque depuis le Traité de l'Elysée de 1963, auquel nous avons donné un contenu militaire en 1983, il existe des garanties spéciales entre nos deux pays, une Brigade mixte, une coordination dans l'énoncé des stratégies, enfin, une alliance dans l'alliance.
- Nous avons l'intention de continuer et nous encourageons vivement les puissances européennes qui appartiennent à la Communauté, à se doter raisonnablement, selon la nécessité, sans nuire à l'Alliance atlantique, d'une forme proprement européenne de défense. Je ne peux pas vous en dire davantage.\
QUESTION.- Monsieur le Président Walesa, vous êtes le garant de la démocratie polonaise actuelle, mais ce processus n'est pas encore achevé. Vous remportez actuellement des grands succès internationaux, mais ces succès suffiront-ils pour obtenir la majorité pour les réformes au sein du parlement polonais. Qu'en pensez-vous ? Est-ce que cette aide accordée actuellement par l'Occident est suffisante pour pousser les réformes polonaises assez loin pour obtenir une majorité au Parlement polonais lors des prochaines élections ?
- LE PRESIDENT WALESA.- Oui, je suis convaincu que cela doit avoir une influence sur les forces réformatrices au sein de la population polonaise. Evidemment cela ne va pas se faire tout seul. Il faut dire aussi cette vérité, que le système communiste a formé la population même si cette instruction est quelque peu défectueuse ici ou là. Mais, c'est une société raisonnable qui sait comment se comporter et je dois dire qu'à chaque retour de l'étranger, je vois que de nouveaux partis se forment, une vingtaine après chaque visite étrangère !
- QUESTION.- Oui, mais quand même, Président Walesa, par rapport à ce que vous venez de dire. Au fond, quel modèle vous voulez pour la Pologne des anciens de la Nomenklatura, des profiteurs actuels qui peuvent s'enrichir très bien et aussi une Pologne, disons des laissés pour compte. Le million et demi de chômeurs actuel, les retraités, ceux qui voient leur revenu diminué, ce qui peut avoir le risque d'aggraver quand même des tensions sociales ?
- LE PRESIDENT WALESA.- Non. Si la conception que nous présentons ici, que nous discutons ici, si cette conception réussit, eh bien cela résoudra par soi-même un bon nombre de problèmes. Je sais que vous travaillez depuis longtemps à la télévision. Si par exemple, je vous offre une chaîne de télévision, vous n'allez pas accepter des gens de la Nomenklatura. Si l'on retrouve les propriétaires, personne ne va employer des gens de la Nomenklatura. Les gens de la Nomenklatura peuvent s'offrir mutuellement du travail, mais cela c'est leur affaire ! Les réformes permettent donc de régler les problèmes avec la Nomenklatura et la bureaucratie. Alors que, lorsqu'il n'y a pas de réformes, eh bien à ce moment-là, tout le monde tend à s'entourer de carcans et cela pose des problèmes.
- Moi, ce que j'essaye de faire, c'est d'attirer les entrepreneurs, d'attirer tout ceux qui sont intéressés à constituer des joint-ventures. Si je ne réussis pas à faire ce que j'entends à ce moment-là, c'est la bureaucratie et la Nomenklatura qui risque de sévir.\
QUESTION.- Question à M. le Président Walesa de la part de la radio israélienne. Monsieur le Président Walesa, vous irez très bientôt en Israël où vous serez accueilli, soyez-en sûr avec autant de respect et de chaleur qu'ici. Qu'attendez-vous de cette visite ? Aidera-t-elle à dissiper les malentendus survenus, suite à certains propos sur le peuple juif qui ont été entendus pendant votre dernière campagne électorale ?
- LE PRESIDENT WALESA.- Le problème est que, plus je prouve que je n'ai rien à faire avec l'antisémitisme, plus on me soupçonne d'antisémitisme. C'est affreux, mais j'avoue que je suis à bout de forces sur ce point. J'ai des preuves que, de temps à autre, ici et là, on voit apparaître des informations ou des désinformations. A maintes reprises, j'avais prouvé que tant en Pologne qu'ailleurs, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour effacer ces mauvais antécédents d'antisémitisme et pour qu'il n'y en ai plus à l'avenir. Parce qu'au XXème siècle, l'homme ne peut être antisémite, ne peut être raciste puisque cela porte atteinte à l'honneur. C'est ainsi que je vois les choses. C'est la raison pour laquelle, je vous demande à vous et à ceux qui travaillent dans l'information de faire quelque chose pour nous débarasser de ces fléaux du XXème siècle et qui portent atteinte à notre honneur à nous tous. Et, pour ceux qui voudraient des preuves de manipulations, j'ai mon porte-parole qui est ici. Il a tout un dossier constitué avec des photos, des bouts de phrases qui ont été prononcées ici et là à Paris, ce qui m'avait surpris énormément, parce que je me suis dit, j'ai tant d'amis ici à Paris... Mais cela c'est du passé, et la Pologne, la France, le peuple juif ont un tel passé, nous avons été traumatisés et nous avons tous souffert tant de fois, alors, c'est pourquoi il faut arrêter.
- LE PRESIDENT.- Je remercie le Président Walesa de sa participation éminente à cette conférence de presse et il faut que le reste du programme de la journée, très chargé, croyez-moi, puisse se poursuivre.\
- J'ai de nouveau le grand plaisir de recevoir M. le Président de la République polonaise et cette fois-ci c'est pour vous rencontrer afin que vous puissiez aussi librement que d'habitude poser les questions que vous souhaitez, soit à notre invité, soit à moi-même ou aux deux selon votre préférence.
- Je tiens à redire à M. Walesa à quel point je me réjouis de voir l'utilité de son voyage se confirmer au travers des différentes rencontres qui ont eu lieu depuis son arrivée et se poursuivront encore aujourd'hui et demain. Mais au-delà de toutes ces formules, il y a la réalité de l'amitié entre la Pologne et la France.
- Nous devons aborder bien des problèmes concrets et si vous voulez bien, mesdames et messieurs, nous y aider par vos questions, nous sommes à votre disposition.
- Si M. Walesa souhaite dire quelques mots, puis nous vous écouterons.
- LE PRESIDENT WALESA.- J'aimerais, premièrement vous remercier très cordialement, monsieur le Président, qui en 1989, avez débloqué les réformes polonaises. Les historiens vont certainement le noter £ les journalistes, surtout les plus jeunes, l'ont oublié. Aujourd'hui il serait difficile de s'imaginer l'évolution en Pologne si M. le Président n'avait pas débloqué les choses. Donc, ma carrière et la victoire, nous les devons dans une large mesure aux décisions de M. le Président et je tiens à l'en remercier publiquement. Je remercie également le peuple français pour cette grande aide durant ces dix dernières années, je ne vais pas remonter plus loin, le remercier de l'aide accordée à toutes les générations antérieures également. Aujourd'hui, les défis sont nouveaux, ces réformes conduites en Europe de l'Est et en Pologne devraient commencer à produire leurs fruits. Nous avons une grande opportunité aujourd'hui de participer à la création de quelque chose de nouveau, quelque chose qui peut être profitable et rentable. Je suis venu ici pour vous prouver et vous montrer quelles sont les grandes possibilités et les défis qui se posent à l'Europe et à la France qui est une puissance dans le domaine économique, politique, culturel.
- Voilà à titre d'introduction, je ne voudrais pas vous ennuyer trop et je suis à votre disposition pour vous présenter la démonstration de tous les faits et thèses que je vous ai présentés.\
QUESTION.- Monsieur le Président, je voudrais savoir comment vous percevez les perspectives des relations économiques polono-françaises et voyez-vous la possibilité de retour de ces relations au niveau où elles étaient dans les années 70 ? Quelles sont les conditions d'un tel retour ?
- LE PRESIDENT.- Que voulez-vous dire par 70, cela vous paraît vraiment le top idéal des relations entre la France et la Pologne ?
- Beaucoup d'événements se sont produits depuis lors, beaucoup de troubles, de désordres de toutes sortes. Cela dépend des industriels français. Les pouvoirs publics français sont décidés à faire ce qu'il faut, on pourra en parler tout à l'heure. Maintenant, il s'agit de donner l'élan à nos entreprises qui doivent retrouver confiance dans les échanges entre la Pologne et la France et j'espère que la réponse sera positive d'ici peu.\
QUESTION.- Ma question s'adresse au Président Walesa. Considère-t-il au moment précis de ce voyage que la France participe suffisamment aux réformes et est-il satisfait du geste financier que la France a consenti concernant la dette ?
- LE PRESIDENT WALESA.- Je dois vous dire que je ne suis pas satisfait de la participation de la France dans les processus économiques en Pologne mais je tiens tout de suite à m'expliquer. Après les expériences et après la participation de la France lors de l'époque du communisme cela peut nous décevoir. Aujourd'hui, je remarque parmi les hommes politiques et la population une certaine déception vis-à-vis des réformes, donc je trouve qu'il faut faire tout pour inverser le cours des événements et du raisonnement parce que comme jusqu'à présent il n'y a eu que des problèmes puisque cette place géo-politique qu'occupe la Pologne vous gênait aussi, aujourd'hui il y a de nouvelles opportunités.
- Notre localisation cesse de vous gêner, que ce soit sur le plan militaire ou politique. Donc, il est possible de profiter de cet endroit intéressant en Europe qui est un croisement de chemins entre l'Est et l'Ouest, le Nord et le Sud. Cet endroit peut être béni à l'époque où nous vivons et, à cet endroit-là, on peut faire de bonnes affaires. Cette fois-ci, il ne s'agit pas d'avoir une coopération comme dans le temps, il ne s'agit pas de tendre la main pour quémander de l'argent : il s'agit tout simplement d'une coopération à tous égards et de faire des affaires dans tous les domaines. Donc, placer en première position l'intérêt. Dans certains cas, évidemment, il faut faire de nouveaux apports pour pouvoir rentabiliser alors que dans d'autres, vous n'avez pas à investir davantage. J'invite vos banques à venir s'établir chez nous. Là, on pourra se concerter sur le montant de l'impôt à payer et faire des affaires. Donc, nous sommes ouverts dans tous les domaines, ouverts à la France et sur la France. L'intérêt est grand, l'intérêt militaire également parce qu'un Français qui s'établira en Pologne pour fonder une usine, c'est comme si ce Français pouvait être comparé à une division tout entière.\
QUESTION.- Monsieur le Président Walesa, je voudrais me référer à votre réponse précédente. Vous avez eu une rencontre ce matin au siège du patronat français, est-ce que vous pourriez nous dire quelle est la réponse des hommes d'affaires à votre appel aux investissements en Pologne ?
- LE PRESIDENT WALESA.- A un certain moment, j'ai dit à ces messieurs que ma tâche est de démontrer qu'il y a des affaires à faire. Moi, je leur prouverai cela et puis c'est à eux de faire le reste. J'ai apporté la preuve et maintenant il ne dépend que d'eux de faire ces affaires. J'ai réussi à convaincre tout le monde. Evidemment, il reste encore le Premier ministre et les ministres pour élucider les points de détail de ces nouvelles possibilités sur lesquelles ils ont une responsabilité. Moi-même je suis président, et non pas l'exécutif.
- QUESTION.- Une question pour M. Walesa. Monsieur le Président, à chaque occasion vous appelez à l'étranger à développer la coopération économique avec la Pologne. Vous avez fait de même ici en France. Pensez-vous que les Français sont déjà convaincus de la nécessité de développer ces contacts ?
- LE PRESIDENT WALESA.- Les Français sont convaincus pour ces contacts quoiqu'il y a encore certaines réserves, certaines réticences parce que pendant des années entières, ils n'avaient que des problèmes avec la Pologne et le communisme. Mais maintenant, ils essaient de voir d'abord, ils souhaitent avoir des garanties, ils sont très prudents et c'est grâce à cette prudence que leur situation est si bonne. Par conséquent, il va falloir bien travailler, travailler davantage pour que plus de Français se retrouvent en Pologne et viennent en Pologne. Nous sommes en tout cas sur la bonne voie et j'espère que prochainement, avant mon retour en Pologne, il y aura déjà certains Français qui se rendront en Pologne.\
QUESTION.- J'ai une question qui s'adresse au Président Walesa et également au Président Mitterrand. Je voudrais savoir quelle est la valeur de ce traité qui a été signé, quelles décisions de ce traité paraissent les plus précieuses aussi bien dans la perspective française que polonaise ?
- LE PRESIDENT WALESA.- En tant qu'homme politique et Président, sans entrer dans des détails, je dirais que c'est l'ouverture de nouvelles possibilités pour une bonne coopération dans beaucoup de domaines. Maintenant, il s'agit de remplir d'un contenu tout ce qui a été inscrit dans le traité. Il ne dépend que de nous, Polonais et Français, d'ouvrir ces grandes possibilités. Pour le contenu, cela dépend de nos possibilités et de notre sagesse. Pour les détails, je ne tiens pas à les discuter parce que ce sont des hommes intelligents qui ont préparé le document d'un côté comme de l'autre, mais pour ma part, c'est l'ouverture d'un grand livre vierge sur les pages duquel il faut écrire un contenu.
- LE PRESIDENT.- Le Traité d'amitié et de solidarité prévoit d'un côté le soutien de la France, membre de la Communauté, pour que soit engagé un rapprochement entre la Pologne et la Communauté autour de l'accord d'association dont on a déjà parlé. Donc, l'association serait une mesure très proche qui permettrait d'assurer la transition vers ce que le traité lui-même propose, c'est-à-dire l'adhésion de la Pologne à la Communauté. Adhésion dont la France se fera le défenseur, dès lors qu'un certain nombre de conditions indispensables auront été réunies. Donc, association pour le court terme, adhésion à moyen terme. Il est même dit dans le traité que nous voulons travailler en commun à l'unité de l'Europe en vue d'une communauté de droit, de démocratie, et l'on note au passage l'idée d'une Confédération. Enfin il a été décidé, toujours par ce traité, que des conversations régulières auraient lieu entre nos ministres des affaires étrangères.
- On ne se voit pas aujourd'hui à Paris pour se séparer ensuite pendant des mois ou des années, nous créons un cadre dans lequel nos gouvernements travailleront. Il est également à noter que sera encouragé le développement de relations économiques, financières, techniques, culturelles, administratives. Un traité, ça a déjà une signification d'incitation, ça fixe un cadre, on ne prétend pas déterminer l'ensemble des accords d'application. Cependant je remarque au passage que certaines de ces dispositions sont entrées dans la réalité, en particulier à travers la position que la France a prise au sein du Club de Paris pour l'allégement de la dette polonaise jusqu'à 50 %, indépendamment des discussions qui doivent s'ouvrir pour de nouvelles mesures. D'autre part est prévu l'encouragement aux échanges de jeunes, au contact entre ressortissants dont la première manifestation a été la suppression des visas pour les courts séjours. Le contenu d'un traité exprime un état d'esprit, et cet état d'esprit vous l'avez déjà, je le crois, bien compris, il est tout entier exprimé dans ce qui a été dit par le Président Walesa et par moi-même au cours de nos rencontres.\
QUESTION.- Monsieur le Président, il est vrai que la visite se poursuit encore, mais déjà des entretiens très importants ont eu lieu. Que considérez-vous, monsieur le Président, comme l'acquis le plus important de cette visite jusqu'à maintenant ? Existe-t-il des points où vous pourriez préciser davantage vos opinions, au sujet des relations franco-polonaises ou peut-être plus largement après vos entretiens avec le Président Walesa ?
- LE PRESIDENT.- Ce voyage a été organisé. C'est le premier je crois qu'effectue le Président polonais dans un pays d'Europe occidentale en sa qualité de Président de la République. Je l'attendais moi-même avec impatience. Ce n'est pas la première fois que nous nous rencontrions. Si nous nous rencontrons ce n'est pas simplement pour le symbole, c'est aussi pour donner aux relations entre la Pologne et la France un nouveau départ et enrichir le contenu de ces relations. Est-ce que j'ai observé des progrès ? Il y en a eu avant, il y en aura pendant, la personnalité du Président Walesa est une forte personnalité £ chacun le sait. Il est en mesure d'atteindre la plupart des milieux français, de convaincre notre opinion, c'est ce qu'il fait, et nous l'y encourageons.
- Les pouvoirs publics ont déjà fait beaucoup £ s'il faut faire davantage, nous en discuterons à mesure que la situation économique de la Pologne au cours de cette année s'améliorera comme je le pense. Nous n'avons pas l'intention, ni le Président ni moi, de laisser en chemin l'entreprise à laquelle nous sommes attelés. Quant aux forces économiques françaises qui ne dépendent pas de la décision du gouvernement, même si le gouvernement peut accorder des facilités, ce qu'il fait et fera, eh bien il faut que nos entreprises comprennent que le marché mondial et que le marché européen sont à conquérir dans la difficulté c'est-à-dire dans la concurrence, tandis que la Pologne, grand pays, très peuplé, doué d'une longue tradition de relations avec la France, offre un vaste champ d'action. Il y a des difficultés, nous avons souvent des économies semblables : la richesse de la Pologne c'est sa puissance alimentaire, industriellement c'est son textile, son acier : nous en fabriquons nous aussi. Très vite, naturellement, même après avoir passé des accords tendant à favoriser l'intensification de nos échanges, on bute sur le souci de ne pas nuire à nos propres intérêts nationaux. Mais il doit y avoir de nombreux moyens de reconvertir, de diriger autrement nos efforts, d'aider la Pologne à se diriger précisément vers des secteurs de moindre concurrence à l'intérieur de la Communauté européenne £ tous les chemins nous sont ouverts. C'est déjà très important d'avoir pu les explorer, en parler franchement, de connaître les besoins de la Pologne tels qu'ils sont très clairement exprimés par le Président polonais. Les conversations d'aujourd'hui et de demain nous permettront de persuader et de convaincre, d'assurer l'élan. Il faut que la confiance soit là, la confiance politique existe, la confiance économique est à construire, cela dépendra de la Pologne et cela dépendra aussi de la France.
- Je puis vous garantir, si vous désirez le savoir, que le contenu de nos conversations est de ce point de vue utile, car il va dans cette direction. C'est notre intention, c'est notre volonté, il faut maintenant que la machine suive.\
QUESTION.- Ma question est pour Lech Walesa. Monsieur le Président, vous vous souvenez probablement dans les années précédentes quand nous venions vous voir en Pologne, quand on vous posait des questions sur la possible idée d'accéder au pouvoir, vous écartiez tout cela d'un geste de la main en disant "ce n'est pas possible". Aujourd'hui vous êtes là, vous êtes sous toutes ces dorures, vous logez dans un palais. Après votre dîner hier soir, en vous endormant, vous avez pensé à quoi ?
- LE PRESIDENT WALESA.- Je me suis dit que l'impossible est devenu réalité. La réforme polonaise pour laquelle nous avons lutté ensemble m'a forcé à rechercher des solutions sur ce plan également. Evidemment je ne suis pas un président du type classique. D'ailleurs, je n'en ai pas l'air. Mais en revanche, j'essaie de résoudre les problèmes difficiles de la Pologne conjointement avec les syndicalistes, les masses populaires. Ce sont des problèmes difficiles. Pour les résoudre il faut avoir l'appui de la population, de la société et c'est la raison pour laquelle je me trouve là où je me trouve. Mais nous avons aussi des problèmes, c'est une situation un peu difficile parce que je ne suis pas habitué à bon nombre de choses, après tout. Un navire ce n'est pas un palais, ce n'est pas Paris. Et cela me force à voir les choses différemment. En tout cas, j'essaie de faire bien ce que je fais et je concentrerai tous mes efforts afin que cette possibilité de construire une Europe, une et unie, le soit sans qu'un seul coup de feu ne soit tiré. Vous savez, nous avons une énorme chance devant nous. Jamais dans l'histoire nous n'avions eu une telle occasion de bâtir une Europe de sagesse, une Europe unie et pacifique. L'Allemagne est occupée par ses problèmes internes, la France est la plus proche de nous, c'est elle qui a le plus d'expérience, c'est elle qui a le plus participé à la construction de l'Europe et c'est la raison pour laquelle nos yeux se tournent vers la France. Non pas pour en profiter et pour l'exploiter comme c'est souvent arrivé dans le passé. Aujourd'hui il faut tout simplement essayer de récupérer tout ce que nous avons perdu et c'est une des raisons pour lesquelles je suis Président moi-même.\
LE PRESIDENT.- Vous savez aussi que nous ne laissons pas beaucoup de temps au Président Walesa pour rêver. Nous l'avons mobilisé hier soir jusqu'à pratiquement minuit et demi, une heure. Il était contraint de se lever avant sept heures. J'espère qu'il est tombé d'un sommeil lourd et qu'il ne s'est pas fatigué à rêver à autre chose qu'à ce qui l'occupe ici, c'est-à-dire être en forme, pour la négociation qu'il mène avec la France. Bon alors les ors, vous voulez dire qu'il n'était pas habitué, à Gdansk, mais moi non plus à Jarnac en Charente. On sait bien que nous ne sommes que des passagers, des locataires de circonstance. Dans cette salle, vous savez, ont défilé beaucoup d'autres présidents de la République et beaucoup d'autres chefs d'Etat, et aucun je le suppose, enfin j'espère qu'aucun n'a emporté les ors qui vous intéressent tant. Donc il faut se réhabituer très vite à l'absence d'or. Je crois que c'est une vision sympathique, mais il faut éviter les images d'Epinal, cela ne se passe pas exactement comme ça. Alors si nous pouvons offrir au Président Walesa l'accueil le plus conforme aux traditions de la France, c'est parce que nous voulons rendre hommage à un homme et à un pays. Je vous dis cela simplement pour fixer un peu les idées. Vous êtes allés à Varsovie, à Cracovie. Justement, Cracovie n'a rien à envier au Palais où nous recevons M. Walesa. Et Gdansk ma foi ce n'est pas si mal. Bon alors disons que nous parlons de ce point de vue-là à égalité d'ancienneté, d'histoire et de civilisation.
- LE PRESIDENT WALESA.- J'ai eu la chance d'être interné dans un palais. J'ai eu cette chance lors de l'état de siège après le 13 décembre. J'ai été dans un palais donc bien qu'en prison et je me suis habitué un petit peu aux palais. En ce qui concerne la journée d'hier, en effet nous nous sommes couchés un peu tard mais j'ai encore une femme jeune et Paris a ses droits alors je crois que ma femme s'est souvenue des beaux temps d'amour.\
QUESTION.- Monsieur le Président, le pacte de Varsovie a disparu. Est-ce que vous avez échangé des idées sur la façon dont ces nouvelles démocraties à l'est - la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Hongrie etc... - pourraient avoir un nouveau cadre de sécurité. Quel type de sécurité peut-on assurer à ces pays qui, aujourd'hui, deviennent une zone tampon entre l'Europe occidentale et l'Union soviétique ?
- LE PRESIDENT.- Il n'y a plus de pacte de Varsovie. Il y a encore une Alliance atlantique et à l'intérieur de cette alliance un certain nombre de pays en Europe qui disposent de forces armées conséquentes. Deux d'entre eux, la Grande-Bretagne et la France disposent d'un armement nucléaire. Un embryon de défense, par un débat sur la stratégie, et sur l'utilisation des forces en commun est aujourd'hui placé dans le cadre de ce que l'on appelle l'UEO : l'Union de l'Europe Occidentale. Nous n'avons pas entrepris de démarches de caractère militaire ou stratégique avec la Pologne. Mais vous n'ignorez pas plus que moi que c'est un sujet qui préoccupe les Polonais et que nous sommes appelés tout naturellement a évoquer ce type de problèmes. Mais disons que ce n'est pas l'aspect dominant de l'heure.\
QUESTION.- En tant que Président de la France quelle est votre estimation de ces discussions sur l'Europe ? Quelle est l'état de votre discussion avec M. Kohl et sur ces plans ?
- LE PRESIDENT.- Nous, nous appartenons à l'Alliance atlantique. Nous avons, nous Français, un statut spécial au sein de l'organisation militaire. Nous sommes des alliés loyaux et nous assurons notre autonomie stratégique avec la force de dissuasion nucléaire. Nous participons à l'ensemble des entreprises engagées par nos alliés, chaque fois que nous en décidons, à l'intérieur de l'aire, prévue par la Traité de l'alliance. Nous sommes engagés dès l'abord.
- Pour tout ce qui est en dehors de ce théâtre d'opérations, nous sommes amenés à examiner particulièrement le problème qui nous est posé. On peut dire "oui", on peut dire "non". Nous avons dit "oui" lors de la guerre du Golfe. Il peut nous arriver de dire "non" dans d'autres circonstances, là où nous n'avons pas d'engagements ou de contrats préalables. Chacun sait que le pacte de Varsovie est dissous, n'a plus de valeur réelle et tous les pays d'Europe centrale et orientale qui en relevaient sont aujourd'hui disponible pour assurer par d'autres moyens leur propre sécurité.
- La CSCE regroupe pratiquement tous les pays d'Europe, les Etats-Unis d'Amérique et le Canada. Nous avons signé à Paris à 34 pays, dont la Pologne, une charte sur la sécurité et la coopération. Il y a un premier accord de désarmement conventionnel, il y a d'autres négociations envisagées pour réduire les armements conventionnels. De même, nous sommes heureux de voir s'appliquer les accords américano-soviétiques sur la suppression des forces nucléaires intermédiaires. Nous nous réjouissons de voir ces deux pays poursuivre leurs négociations sur la réduction de l'arsenal nucléaire stratégique. Tout cela protège la Pologne comme la France. Simplement nous n'avons pas de traité ou d'accord particulier à caractère militaire entre ces pays, dont la Pologne, et l'Alliance atlantique.
- Par rapport à l'Allemagne c'est encore différent puisque depuis le Traité de l'Elysée de 1963, auquel nous avons donné un contenu militaire en 1983, il existe des garanties spéciales entre nos deux pays, une Brigade mixte, une coordination dans l'énoncé des stratégies, enfin, une alliance dans l'alliance.
- Nous avons l'intention de continuer et nous encourageons vivement les puissances européennes qui appartiennent à la Communauté, à se doter raisonnablement, selon la nécessité, sans nuire à l'Alliance atlantique, d'une forme proprement européenne de défense. Je ne peux pas vous en dire davantage.\
QUESTION.- Monsieur le Président Walesa, vous êtes le garant de la démocratie polonaise actuelle, mais ce processus n'est pas encore achevé. Vous remportez actuellement des grands succès internationaux, mais ces succès suffiront-ils pour obtenir la majorité pour les réformes au sein du parlement polonais. Qu'en pensez-vous ? Est-ce que cette aide accordée actuellement par l'Occident est suffisante pour pousser les réformes polonaises assez loin pour obtenir une majorité au Parlement polonais lors des prochaines élections ?
- LE PRESIDENT WALESA.- Oui, je suis convaincu que cela doit avoir une influence sur les forces réformatrices au sein de la population polonaise. Evidemment cela ne va pas se faire tout seul. Il faut dire aussi cette vérité, que le système communiste a formé la population même si cette instruction est quelque peu défectueuse ici ou là. Mais, c'est une société raisonnable qui sait comment se comporter et je dois dire qu'à chaque retour de l'étranger, je vois que de nouveaux partis se forment, une vingtaine après chaque visite étrangère !
- QUESTION.- Oui, mais quand même, Président Walesa, par rapport à ce que vous venez de dire. Au fond, quel modèle vous voulez pour la Pologne des anciens de la Nomenklatura, des profiteurs actuels qui peuvent s'enrichir très bien et aussi une Pologne, disons des laissés pour compte. Le million et demi de chômeurs actuel, les retraités, ceux qui voient leur revenu diminué, ce qui peut avoir le risque d'aggraver quand même des tensions sociales ?
- LE PRESIDENT WALESA.- Non. Si la conception que nous présentons ici, que nous discutons ici, si cette conception réussit, eh bien cela résoudra par soi-même un bon nombre de problèmes. Je sais que vous travaillez depuis longtemps à la télévision. Si par exemple, je vous offre une chaîne de télévision, vous n'allez pas accepter des gens de la Nomenklatura. Si l'on retrouve les propriétaires, personne ne va employer des gens de la Nomenklatura. Les gens de la Nomenklatura peuvent s'offrir mutuellement du travail, mais cela c'est leur affaire ! Les réformes permettent donc de régler les problèmes avec la Nomenklatura et la bureaucratie. Alors que, lorsqu'il n'y a pas de réformes, eh bien à ce moment-là, tout le monde tend à s'entourer de carcans et cela pose des problèmes.
- Moi, ce que j'essaye de faire, c'est d'attirer les entrepreneurs, d'attirer tout ceux qui sont intéressés à constituer des joint-ventures. Si je ne réussis pas à faire ce que j'entends à ce moment-là, c'est la bureaucratie et la Nomenklatura qui risque de sévir.\
QUESTION.- Question à M. le Président Walesa de la part de la radio israélienne. Monsieur le Président Walesa, vous irez très bientôt en Israël où vous serez accueilli, soyez-en sûr avec autant de respect et de chaleur qu'ici. Qu'attendez-vous de cette visite ? Aidera-t-elle à dissiper les malentendus survenus, suite à certains propos sur le peuple juif qui ont été entendus pendant votre dernière campagne électorale ?
- LE PRESIDENT WALESA.- Le problème est que, plus je prouve que je n'ai rien à faire avec l'antisémitisme, plus on me soupçonne d'antisémitisme. C'est affreux, mais j'avoue que je suis à bout de forces sur ce point. J'ai des preuves que, de temps à autre, ici et là, on voit apparaître des informations ou des désinformations. A maintes reprises, j'avais prouvé que tant en Pologne qu'ailleurs, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour effacer ces mauvais antécédents d'antisémitisme et pour qu'il n'y en ai plus à l'avenir. Parce qu'au XXème siècle, l'homme ne peut être antisémite, ne peut être raciste puisque cela porte atteinte à l'honneur. C'est ainsi que je vois les choses. C'est la raison pour laquelle, je vous demande à vous et à ceux qui travaillent dans l'information de faire quelque chose pour nous débarasser de ces fléaux du XXème siècle et qui portent atteinte à notre honneur à nous tous. Et, pour ceux qui voudraient des preuves de manipulations, j'ai mon porte-parole qui est ici. Il a tout un dossier constitué avec des photos, des bouts de phrases qui ont été prononcées ici et là à Paris, ce qui m'avait surpris énormément, parce que je me suis dit, j'ai tant d'amis ici à Paris... Mais cela c'est du passé, et la Pologne, la France, le peuple juif ont un tel passé, nous avons été traumatisés et nous avons tous souffert tant de fois, alors, c'est pourquoi il faut arrêter.
- LE PRESIDENT.- Je remercie le Président Walesa de sa participation éminente à cette conférence de presse et il faut que le reste du programme de la journée, très chargé, croyez-moi, puisse se poursuivre.\