14 mars 1991 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Conférence de presse conjointe de MM. François Mitterrand, Président de la République, et George Bush, Président des Etats-Unis, notamment sur l'après guerre du Golfe et l'instauration de la paix au Proche et au Moyen-Orient, et la situation en Irak, Les Trois-Ilets le 14 mars 1991.

Mesdames,
- Messieurs,
- Il était convenu entre le Président George Bush et moi-même que nous nous reverrions le plus tôt possible après la guerre du Golfe. Le Président Bush m'a proposé de venir me voir, c'est-à-dire de venir nous voir, nous Français en terre française. C'est ce qui vient d'avoir lieu à La Martinique. Je tiens à remercier le Président américain. Nous sommes heureux de l'accueillir comme il se doit, c'est-à-dire comme un ami. Je veux en même temps dire aux personnalités martiniquaises élues à divers titres - Parlement, Assemblée régionale, Conseil général en particulier - combien je me réjouis de l'accueil qu'elles nous ont réservé. Avant l'arrivée du Président Bush, j'ai pu disposer d'assez de temps pour pouvoir m'entretenir avec eux des problèmes propres à La Martinique et reprendre un dialogue engagé depuis déjà de longues années, avec eux, notamment avec le Président Césaire.
- Nous avons parlé des questions du jour, au premier rang desquelles se situe l'après guerre du Golfe.
- Après avoir rétabli le droit, après avoir obtenu un grand succès, il nous faut bien penser désormais, comme nous l'avons dit auparavant, à rebâtir ou à bâtir - on choisira l'expression que l'on voudra - un équilibre au Moyen-Orient, une façon de vivre ensemble pour les peuples qui s'y trouvent. C'est à quoi s'appliquent les diplomates, c'est la raison de la visite actuelle ou récente du Secrétaire d'Etat américain M. Baker. C'est aussi l'une des raisons pour lesquelles nous avions à parler beaucoup aujourd'hui à La Martinique, situer une sorte d'échelle des valeurs entre les problèmes qui se posent et qui sont de diverse nature.
- Nous répondrons, le Président Bush et moi-même, aux questions qui seront posées à ce sujet. Nous savons bien que le problème palestinien, et par voie de conséquence les relations entre Israël et les pays arabes, est le problème essentiel, au travers duquel tous les autres se posent. Nous avons examiné les différentes approches possibles mais tout cela doit faire l'objet de la conférence de presse elle-même. Il ne s'agit pas d'imaginer les questions que vous avez à poser. Il est préférable de les entendre et ensuite, bien entendu, d'essayer d'y répondre.
- Aussi, après avoir redit au Président George Bush l'extrême plaisir que j'ai eu à le recevoir en Martinique et l'agrément que j'ai pris aux heures d'entretien qui nous ont réunis, utiles et agréables, je pense qu'à son tour il souhaite vous dire quelques mots avant que vous ne vous exprimiez vous-mêmes.\
LE PRESIDENT BUSH.- Je vous remercie monsieur le Président, je voudrais simplement dire deux choses. D'abord exprimer ma reconnaissance à tous ceux qui nous reçoivent ici en Martinique et au Président Mitterrand et à son équipe pour l'hospitalité qui nous a été accordée. Et dire également que nous avons parlé de paix. La paix de l'autre côté du monde, la stabilité, la sécurité dans le Golfe. Nous avons parlé de la paix au Liban, une région que le Président Mitterrand connaît profondément et d'un autre problème : le problème palestinien et celui de la Cisjordanie. Il s'agit là d'entretiens de consultation extrêmement fructueux qui sont tout à fait conformes à l'esprit que nous avons tous deux mis en oeuvre concernant les relations entre la France et les Etats-Unis pendant la guerre. Et ceci me donne l'occasion de remercier le Président Mitterrand pour la position ferme et résolue de la France, pas seulement dans le domaine diplomatique mais également sous l'égide, sous le commandement du Général Roquejeoffre et de son Président François Mitterrand. Les Américains sont très reconnaissants pour cette coopération, qui était prévisible peut-être, mais qui est véritablement extraordinaire.\
QUESTION.- Vous avez réussi, monsieur le Président Bush, à faire sortir les prisonniers américains de l'Irak et du Koweit. Après le voyage du secrétaire d'Etat Baker en Syrie, ces discussions en Syrie ont-elles donné de nouveaux espoirs de voir les otages américains libérés du Liban ?
- LE PRESIDENT BUSH.- Le secrétaire d'Etat Baker a discuté du sort des otages américains détenus, nous le supposons, au Liban, mais je n'ai aucun détail. Je ne puis vous dire s'il y a des raisons positives d'être optimiste. Les rumeurs continuent à circuler, il est clair qu'il est de l'intérêt des pays qui exercent un certain contrôle sur ces otages ou qui influencent certains groupes qu'ils permettent de les libérer. Nous espérons donc qu'après la visite de M. Baker, après les démarches que nous faisons, que ces otages seront libérés. Ce serait très utile, très productif. Cela permettrait aux Etats-Unis de jouer un rôle beaucoup plus constructif pour la paix dans la région.
- QUESTION.- Je voudrais demander au Président Bush deux choses : monsieur le Président, êtes-vous décidé à résoudre le problème palestinien comme vous étiez décidé à libérer le Koweit et, si c'est le cas, sur quelles bases ? Et quelle est la formule : une conférence internationale ou bien une conférence régionale ? Et en dernier lieu, quelle est l'importance que vous accordez à la question libanaise ?
- LE PRESIDENT BUSH.- Pour la première partie de votre suggestion, nous sommes décidés à jouer un rôle utile. A la deuxième partie de votre question, la réponse est que c'est une des raisons pour lesquelles je suis si soucieux de m'entretenir avec le Président Mitterrand, pour définir exactement comment nous devrions procéder. Les Etats-Unis ont exprimé leur point de vue sur cette conférence internationale en disant que, le moment venu, cela pourrait être utile. Mais le Président Mitterrand a des idées propres qui pourraient être utiles également. Pour le moment, nous n'avons pas trouvé une voie, une approche à suivre pour résoudre ce problème palestino-israélien. Il est très important qu'il soit résolu. Nous avons discuté de beaucoup d'idées. Je ne voudrais pas en parler en public.
- Sur la troisième partie de votre question sur le Liban, j'ai rassuré le Président Mitterrand qui est un expert sur la région : s'il y a quoi que ce soit que nous puissions faire pour être utile, c'est une priorité. Et, comme je l'ai dit, la sécurité du Golfe, le Liban et le problème israélo-palestinien, seront les questions prioritaires. Nous continuons à croire que, sur la base des accords de Taef, c'est la meilleure démarche à suivre.\
QUESTION.- Monsieur le Président, considérez-vous toujours que Yasser Arafat reste le chef légitime et unique du peuple palestinien ? en tout cas le représentant unique et légitime du peuple palestinien ?
- LE PRESIDENT.- Il appartient aux Palestiniens de dire que Yasser Arafat reste le responsable de l'OLP. Et l'OLP, à ma connaissance, continue toujours d'apparaître comme l'organisation représentative. Il existe sans doute d'autres forces. Qu'elles se fassent connaître ! Mais pour l'instant telles sont les choses. Il existe aussi, vous le savez bien, des élus qui, sur place, disent leur mot. Je crois que l'un d'entre eux a très récemment rencontré M. Baker, mais ce n'est pas à moi qu'il appartient de déterminer qui représente quoi. Je prend les faits comme ils sont.\
QUESTION.- Monsieur le Président Mitterrand, que pensez-vous de ce rapprochement des Etats-Unis avec le Président Assad et que pensez-vous de la carte blanche qui semble lui avoir été donnée au Liban de la part des Etats-Unis ?
- LE PRESIDENT BUSH.- Je vous laisserai répondre d'abord, monsieur le Président, et je répondrai ensuite.
- LE PRESIDENT.- Le Président Assad fait partie des chefs d'Etats qui ont engagé leur pays au côté de nos propres forces dans la guerre du Golfe, on ne va pas le lui reprocher. Mieux valait à nos yeux qu'il agisse ainsi plutôt que le contraire. Si c'est l'occasion d'aborder un certain nombre de problèmes de fond, particulièrement au sujet du Liban, il est vraisemblable que ce rapprochement devrait être suivi, maintenant, d'autres rapprochements. Et puisque je m'exprime là au nom de la France, j'attends en effet que la souveraineté du Liban soit affirmée pleinement, conformément aux accords de Taef qui ont bien marqué cette finalité. Je n'ai rien d'autre à dire, à ce sujet.
- LE PRESIDENT BUSH.- Je veux simplement ajouter quelque chose à ce que monsieur a dit. Il a parlé de carte blanche, d'un chèque en blanc qu'aurait donné les Etats-Unis, ce qui est absolument faux. Je ne puis qu'ajouter à ce que dit le Président Mitterrand que nous sommes satisfaits du rôle de la Syrie dans la coalition, très satisfaits qu'ils aient été côte à côte avec nous sur le terrain. Le secrétaire d'Etat Baker a eu des entretiens très prolongés, intéressants - et j'espère qu'ils seront fructueux - avec la Syrie. La Syrie est un pays important dans la région pour ce qui se passe au Liban, et qui joue un rôle d'importance vitale pour les solutions qui pourraient être trouvées sur le problème palestinien. Nous avons des contacts ouverts avec ce pays pour essayer de trouver un terrain d'entente. Je crois que c'est une attitude tout à fait rationnelle, raisonnable, conséquence avec la solidarité de la coalition dans le Golfe.\
QUESTION.- Monsieur le Président, c'est au Président américain que je voudrais m'adresser pour lui demander si la démarche américaine vis-à-vis du Moyen-Orient et des problèmes qui s'y posent a changé depuis la guerre et à cause de la guerre. Je pourrais d'ailleurs poser la même question à M. le Président français.
- LE PRESIDENT BUSH.- Je ne suis pas sûr que notre démarche, notre approche ait changé. J'espère que nous avons aujourd'hui davantage de crédibilité au Moyen-Orient à la suite de notre participation aux affaires du Golfe. Et je suis persuadé d'ailleurs que c'est le cas. Ce que nous faisons maintenant, c'est essayer de trouver cette nouvelle approche dont vous parlez, pas en dictant mais en consultant.
- LE PRESIDENT.- Je réponds également à la question posée. Je reste absolument fidèle aux propositions que j'ai exprimées au mois de septembre de l'an dernier, à la tribune des Nations unies. A cela près, malheureusement, que mes propositions étaient faites pour sauver la paix et que les mêmes propositions, aujourd'hui, se situent après une guerre. Mais le dessein reste le même.\
QUESTION.- Monsieur le Président, au cours de la semaine dernière, vous avez fait une distinction entre l'OLP et son chef Yasser Arafat. Est-ce que vous serez prêt à reprendre le dialogue avec l'OLP si Yasser Arafat n'est plus son Président ?
- LE PRESIDENT BUSH.- Vous vous souviendrez peut-être que j'ai dit que nous étions très déçus par la position de l'OLP et sa solidarité avec Saddam Hussein. Je crois qu'ils sont allés plus loin - et surtout leur chef Yasser Arafat - qu'ils n'avaient besoin de le faire. Et cela a suscité une préoccupation parmi les pays arabes qui soutenaient vivement notre position. Je pense qu'il faut du temps. Nous n'excluons rien, mais nous n'avons pas l'intention de reprendre notre dialogue. J'aime la manière dont le Président Mitterrand vient de le dire. Des représentants palestiniens ont effectivement rencontré le secrétaire d'Etat Baker. Nous allons suivre cette démarche pendant quelques temps et voir comment le processus d'apaisement se déroule. Mais j'exprime une fois de plus ma déception de voir Arafat s'être rallié beaucoup plus qu'il ne le devait pour protéger ses rapports avec Saddam Hussein. Il a seulement parié sur le cheval qui n'était pas gagnant. Eh oui, il faut qu'il y ait des discussions avec les Palestiniens, sinon cela ne réglera pas le problème. Et, c'est ce que James Baker a fait, et c'est ce dont nous avons parlé longuement, le Président Mitterrand et moi-même.
- QUESTION.- C'est une question pour le Président Bush. Est-ce que vous avez discuté aujourd'hui de la proposition du Président Mitterrand de réunir un sommet du Conseil de sécurité ? Et est-ce que vous avez donné la réponse des Etats-Unis ? Et qu'est-ce que vous en pensez ?
- LE PRESIDENT BUSH.- Je pense que toutes les idées qui contribuent à la paix devraient être mises sur la table. Nous avons évoqué ce sujet. Je laisserai le Président Mitterrand en parler lui-même. Il y a un moment de souplesse quant au calendrier. Le Président Mitterrand et moi-même sommes d'accord pour dire que si nous adoptons une position commune, cette position donnera des fruits. Donc, l'idée est sur la table. Les Nations unies ont joué un rôle très utile dans ce qui s'est passé auparavant. Il n'y a aucune demande de leur part. Je n'ai pas exposé de position quant au calendrier d'une telle réunion. Il y a eu beaucoup de réunions du Conseil de sécurité pendant la crise du Golfe et je pense que ces réunions ont été fructueuses. Et je dirais seulement qu'il y eut une bonne discussion de ce sujet.\
QUESTION.- La question s'adresse aux deux Président sur l'Irak. Il n'y a pas de cessez-le-feu en place, il y a une préoccupation sur les troubles internes en Irak. Qu'est-ce que les forces de la coalition vont faire si Saddam Hussein continue à essayer de réprimer les troubles avec ses forces militaires ?
- LE PRESIDENT.- C'est ce qui est en train de se produire, semble-t-il, avec des fortunes diverses. Je ne suis pas personnellement assez informé pour vous dire qui l'emporte ici ou là, en Irak. Je pense qu'il y a une sorte de logique de situation qui doit conduire M. Saddam Hussein à comprendre que ses erreurs de jugement et que son grave échec militaire rendraient très difficile demain sa situation de chef d'Etat, notamment pour débattre avec les autres pays des moyens de reconstruire son pays, même si le spectacle qui nous est offert est souvent bien triste, arbitré par les armes, tous les conflits qui se déroulent dans cette région et dans les autres. Mais enfin, il y a des règles sinon du cessez-le-feu du moins de l'armistice provisoire. Pour nous, c'est bien fini et pour ce qui touche la France, cette période de notre intervention au Moyen-Orient est close.
- LE PRESIDENT BUSH.- J'ai écouté cette réponse très soigneusement. Nous ne sommes pas là pour imposer une solution à l'intérieur de l'Irak. Je suis tout à fait d'accord avec le Président Mitterrand. J'ajouterai seulement que je suis préoccupé, je pense qu'il l'est également, par ces rapports qui nous parviennent sur ce qui se passe en Irak. Ce qu'a dit le Président Mitterrand au début est exact : personne ne dispose de toutes les informations sur ce qui se passe. Il a cité les buts de la coalition et je suis tout à fait d'accord avec lui.\
QUESTION.- Une question pour vous deux, monsieur le Président Mitterrand et monsieur le Président Bush. Est-ce que vous n'êtes pas irrités par l'intransigeance d'Israël et est-ce que vous allez exercer des pressions peut-être plus qu'amicales sur M. Shamir pour lui faire comprendre qu'il doit remédier à cette intransigeance ?
- LE PRESIDENT BUSH.- Votre question sous-entend, en tout cas pour moi, qu'il n'y a qu'une seule partie intransigeante dans le Moyen-Orient. Ce que nous essayons c'est de faire en sorte que ceux qui sont censés être intransigeants viennent au devant les uns des autres. Espérons que les pays verront que la réponse est de cesser d'être en état de guerre. Espérons que les pays qui n'ont pas parlé à Israël seront prêts à parler à Israël et espérons qu'Israël sera accommodant. Mais je ne veux pas laisser sous-entendre qu'il y a intransigeance de la part d'un seul pays. Oui, ils ont hésité à faire certaines choses pour des raisons valables qui tiennent à leur propre sécurité. Mais trouvons des moyens de les aider à garantir leur sécurité, leurs besoins en matière de sécurité et encourageons ceux qui n'ont même pas voulu leur parler, voire qui sont en état de guerre avec Israël à cesser les deux attitudes.
- LE PRESIDENT.- Il faut choisir entre la paix et la guerre perpétuelle et si l'on veut parvenir à la paix il faut réunir deux conditions. La première, il faut chercher des compromis raisonnables dans l'intérêt de tous, donc on ne peut pas être intransigeant. Deuxièmement il faut assurer la sécurité de tous donc la sécurité d'Israël. Si ces deux conditions sont remplies, sera condamnable celui qui préférera la guerre à la paix.\
QUESTION.- La question est pour les deux présidents. On parle beaucoup des territoires en échange de la paix. Qu'est-ce qu'il faut envisager si l'on donne des territoires ? Est-ce qu'il y aura un Etat palestinien ? Et si c'est un Etat palestinien non armé, quelle est l'idée que l'on s'en fait ?
- LE PRESIDENT.- J'ai été un peu distrait sur le point de départ. Alors je vais d'abord écouter le Président Bush et puis je vais bien comprendre le sens de la question.
- LE PRESIDENT BUSH.- Nous n'avons pas de formule, nous ne parlons pas d'un Etat palestinien en tant que tel, nous sommes en train d'explorer. C'est ce que fait le secrétaire d'Etat Baker en parlant aux participants, pas seulement sur la question palestinienne mais sur le Golfe, sur le Liban, et j'espère que nous serons en mesure avec nos amis, l'un d'entre eux est à mes côtés, et avec d'autres amis de trouver ensemble une autre solution. Mais nous ne sommes pas allés jusque-là, nous n'avons pas une formule sur la manière de résoudre ce problème. La vision des Etats-Unis a été, je le répète, qu'un Etat palestinien, ce n'est pas la réponse. D'autres croient que c'est la réponse, donc essayons de trouver un terrain d'entente commun et trouvons des moyens d'amener la paix à cette région. Il est clair qu'il faudra se pencher sur la question de la patrie, d'un territoire pour les Palestiniens. Le Président Mitterrand a de très bonnes idées qu'il m'a exprimées en privé. J'ajouterai que la Jordanie est un pays important dans tout cela. Ce n'est pas une réponse directe à votre question, mais nous avons des relations tendues avec la Jordanie. Je crois que nous sommes d'accord pour dire que nous ne sommes pas arrivés à élaborer une formule. Nous essayons de voir ce qui risque de marcher.
- LE PRESIDENT.- Je vous remercie, cher Président et ami, maintenant j'ai compris. Moi, en effet, j'ai prononcé le mot "Etat" et si vous le voulez, je peux le répéter. En ce sens, j'ai été fidèle aux résolutions des Nations unies, puisqu'au moment de la création d'Israël, il était bien décidé par les Nations unies qu'il y aurait deux Etats. On a oublié l'un des deux termes de la proposition depuis cette époque. Je n'entends pas imposer une forme d'Etat, une frontière d'Etat. Ce que je sens, c'est qu'il est historiquement absurde et dangereux de refuser à un peuple qui montre de cette façon sa vitalité toutes formes d'identité. Il reste, maintenant, à bâtir dans sa réalité ce concept et c'est toute la question. Enfin, si vous voulez me poser cette question, je vous renvoie aux résolutions des Nations unies, elles datent d'il y a longtemps, certes, mais ces résolutions n'ont pas été abolies.\
QUESTION.- Cette question s'adresse aux deux présidents. Monsieur le Président Bush, précisez ce dont vous parliez hier au sujet de l'utilisation par les Irakiens d'hélicoptères armés. Vous avez dit que les troupes américaines resteraient en Irak du sud tant que cela durerait. Certains pourraient dire, l'avocat du diable pourrait dire : "Saddam Hussein a le droit d'écraser les révoltes internes, cela n'a rien à voir avec un cessez-le-feu", monsieur le Président Mitterrand, vous semblez indiquer que vous estimez que ces deux puissances devraient demeurer en dehors des affaires internes de l'Irak.
- LE PRESIDENT BUSH.- Sur les hélicoptères, je vous réponds que ce n'est pas du tout ce que nous avions été fondés à croire qu'ils aient utilisé des hélicoptères. Et maintenant, je n'ai rien d'autre à dire, sauf que cela complique énormément la tâche de mettre en place un cessez-le-feu définitif formel, signé. Je n'ai pas dit, je pense, ce que je ferai concernant les troupes. Mais il est certain que ces troupes ne seront pas toutes retirées tant qu'il n'y a pas un cessez-le-feu en place, catégorique et signé. Nous avons parlé un petit peu aujourd'hui. Je voudrais étudier les dispositions pour le maintien de la paix £ je voudrais que nos troupes soient rapatriées. Je ne veux pas jouer le jeu de l'Iran et d'autres pays qui prétendent que ce que nous voulons, c'est une présence permanente de forces américaines dans la région. Non, je veux rapatrier nos troupes.
- Je voudrais qu'il y ait des dispositions de sécurité en place. Et tout ce que je dis, c'est que utiliser les hélicoptères, comme ils le font pour écraser leur propre population, cela ne contribue pas à la stabilité de la région, et cela complique énormément la situation. Et je n'ai pas cru comprendre qu'ils utilisaient les hélicoptères pour ce genre d'opération, mais qu'ils les utilisaient à d'autres fins.
- LE PRESIDENT.- A votre seconde question, je réponds que la France a envoyé ses soldats, aux côtés de deux de ses amis, notamment américains afin d'exécuter des résolutions des Nations unies. Les objectifs ne sont pas les nôtres. Ils nous ont été fixés et nous n'en sortons pas. Et de ce fait il ne nous a pas été demandé de rétablir l'ordre à l'intérieur d'un pays, dès lors que le pays voisin avait été délivré, ce qui est le cas.\
QUESTION.- La question est pour les deux présidents. La France et les Etats-Unis ont traditionnellement des positions différentes sur la question d'une conférence internationale sur le Moyen-Orient. Après la guerre la question est de nouveau : y a-t-il toujours une divergence entre les points de vue américain et français sur cette question ?
- LE PRESIDENT.- Je suis presque gêné de le redire. J'ai pendant longtemps cru à la possibilité de parvenir à la paix dans le conflit israélo-arabe par un dialogue bilatéral et c'est pourquoi j'ai été un des rares hommes politiques, à l'époque, il y a déjà bien longtemps, à avoir approuvé les accords de Camp David en ce sens qu'ils rétablissaient la paix entre l'Egypte et Israël. Je l'ai longtemps souhaité et cru. Je n'y crois plus guère, déjà également depuis longtemps.
- Faute d'avoir vu se réaliser cette espérance, et après y avoir beaucoup réfléchi, j'ai pensé, en raison de certaines approches de l'Histoire, que le dialogue devait être multilatéral, faire intervenir des intérêts multiples et différents qui exerceraient un pouvoir d'équilibre, de compromis entre eux, et pas simplement un rapport de forces direct entre deux pays.
- Voilà pourquoi j'ai proposé des conférences internationales pour aborder les conflits du Moyen-Orient. Mais je n'en ai pas non plus fixé le nombre de participants et je n'ai éliminé personne. Ce n'est pas à moi de décider de cela. Je pense que cette procédure serait plus efficace que l'autre.
- J'essaie d'atteindre le jour où la paix par accord général présidera aux destinées du Moyen-Orient. S'il est nécessaire, comme je le crois, que prennent part à ce débat des puissances extérieures de la région, très bien ! si les pays de la région estiment qu'ils sont en mesure de la faire eux-mêmes, d'Israël à l'Arabie saoudite en passant par l'Irak, par la Syrie et par les autres tant mieux ! Ce qu'il faut, c'est que la paix triomphe.
- LE PRESIDENT BUSH.- Je n'ai pas changé d'idée non plus, nous avons dit qu'une conférence serait nécessaire à un moment approprié. Mais nous avons l'occasion maintenant de repenser les choses et c'est ce que nous sommes en train d'essayer de faire ici.\
QUESTION.- Monsieur le Président Mitterrand vous avez dit que la période d'intervention française au Moyen-Orient est terminée. Est-ce que vous êtes en litige avec le Président Bush sur ce point ?
- LE PRESIDENT.- De mon côté c'est simple, je considère, pardonnez-moi si je me répète, que notre mandat a été rempli. S'il reste nécessaire, devant les différents mouvements qui se déroulent dans cette région, de veiller à ce que ne se rallument pas des foyers nouveaux, pendant tout le temps que nous serons là, nous essayerons de servir les intentions du Conseil de sécurité, mais nous n'irons pas au delà. Voilà, c'est tout. J'ai dit ce que je pensais et il n'y a pas de raison d'insister davantage.\
QUESTION.- Ma question s'adresse aux deux Présidents. Dans votre analyse, qu'est-ce qui vaut le mieux pour la sécurité du Golfe ? Que Saddam Hussein reste au pouvoir affaibli et perdant ou que les intégristes chiites prennent le pouvoir ?
- LE PRESIDENT.- Je ne décide pas des intérêts de la France selon des préférences de ce genre. Sans quoi, il y aurait des bouleversements constants, le jour où je vous livrerais l'ensemble de mes sentiments à l'égard des uns ou des autres. Mais ce n'est pas le problème de savoir qui je redouterais le plus des révoltés chiites ou de Saddam Hussein. Jusqu'ici Saddam Hussein ne nous a pas réservé, il faut le reconnaître, beaucoup de choses agréables. Il a refusé toutes les chances de la paix et il paye tout le prix de la guerre. Ceux qui veulent le remplacer, je n'ai pas à les juger pour l'instant. Donc, je me garde de vous répondre.
- LE PRESIDENT BUSH.- Je suis d'accord avec sa réponse. Je ne vais pas répondre aux questions non plus. Mais vous avez énoncé deux hypothèses, deux hypothèses négatives. Il y a peut-être des choses un peu plus positives que l'une de ces deux options. Espérons-le.
- LE PRESIDENT.- Nous allons bientôt en terminer et libérer le Président Bush qui a encore un voyage à faire.\
QUESTION.- Monsieur le Président Bush, puis-je vous demander : Est-ce que vous n'êtes pas un peu déçu par les pays qui ont été sauvés par la coalition : le Koweit, l'Arabie saoudite ? Car ils n'ont pas été très souples, en allant voir le secrétaire d'Etat Baker pour faire la paix.
- LE PRESIDENT BUSH.- Je dirais que très peu d'entre nous savent exactement ce qu'ils ont dit au secrétaire d'Etat Baker. Et, en ce qui me concerne, le secrétaire d'Etat m'a fait savoir qu'il y avait progrès. Donc, je ne vais pas examiner les points négatifs. Les Saoudiens, les Koweitis ont énormément coopéré et nous espérons que le voyage de M. Bush sera le premier et qu'il y en aura pas mal d'autres. Si nous voulons faire quoi que ce soit, alors ce qui est discuté, il faut le tenir absolument confidentiel. La paix nous échappe depuis trop longtemps. La dernière chose que je voudrais, c'est d'être prématuré dans des évaluations de ce que dit l'un ou l'autre des partenaires de la coalition, ce qu'il serait prêt à dire ou faire. Mais je ne suis pas découragé du tout par les rapports que j'ai reçus du secrétaire d'Etat Baker.
- LE PRESIDENT.- Je considère les démarches de M. Baker comme très utiles. Déjà, elles permettent de déblayer le terrain. Un terrain très encombré et nous entendons prendre part à ce travail indispensable de la diplomatie, pour éviter une fois de plus que les uns ou les autres recourent aux armes. Voilà, notre devoir est tout tracé. Donc, ce que fait M. Baker nous apporte des matériaux pour l'appréciation de ce que nous devons faire quant aux solutions à apporter au Moyen-Orient. Nous mêmes, nous tirerons le plus grand profit de ce type d'entretien.\
QUESTION.- Une question pour le Président Bush. Etes-vous surpris que ce processus de faire vraiment un cessez-le-feu ferme, s'enlise dans les détails comme vous disiez hier. Et, y a-t-il une possibilité d'avoir une situation comme celle de la Corée où d'ici quelque temps, on continuera encore à se disputer pour savoir quand les troupes quittent l'Irak et quand la guerre sera vraiment finie.
- LE PRESIDENT BUSH.- Je ne vois pas du tout la situation semblable à celle de la Corée. Je suis préoccupé par l'instabilité à l'intérieur de l'Irak. Mais le Président Mitterrand l'a très bien exprimé lorsqu'il a dit que ce n'est pas nos objectifs de contrôler ou de dicter la situation en Irak. Lorsque vous regardez la rapidité avec laquelle l'Irak est arrivé à cette entente pour les discussions et a donné suite aux conditions, il y a des raisons d'être optimiste. Mais nous n'allons pas permettre que cela traîne.
- LE PRESIDENT.- Nous en aurons terminé. Madame vous allez clore.\
QUESTION.- C'est une question qui s'adresse à tous les deux. Je voudrais vous demander si vous pensez que dans ce processus pour l'établissement de la paix et de la sécurité dans l'ensemble de la région du Proche et du Moyen-Orient, si il y aura une place pour la résolution du problème de Chypre et si oui, dans quel cadre ?
- LE PRESIDENT.- Visiblement le problème de Chypre se pose en tant que tel. Ce n'est pas un problème directement mêlé à ceux que nous venons d'examiner depuis le début de cette conversation avec la presse. C'est un problème en soi, mais qui relève également du problème du droit international et sur lequel les Nations unies se sont déjà plusieurs fois prononcées. Donc, ce problème n'est pas oublié. Disons simplement que vous avez de vous-même centré vos questions jusqu'alors sur le Moyen-Orient. Chypre ne fait pas partie du Moyen-Orient, même si ce n'est pas très loin. Je voudrais simplement dire pour terminer que nous avons aussi parlé d'autre chose. Nous avons quand même parlé de l'Europe.
- LE PRESIDENT BUSH.- Et nous avons parlé de l'Afrique du Nord.
- LE PRESIDENT.- .. et de l'Afrique du Nord. De l'Europe qui est bien vivante dans sa diversité. Les mouvements qui s'y déroulent, l'éveil des nationalités, les tentatives déjà très avancées de construction européenne dans tous les domaines. De tout cela, nous avons parlé amicalement, comme nous devions le faire. Voilà, je voulais ajouter cette note, puisque nous sommes ici du côté du continent américain et je comprends que cela n'a pas été l'essentiel de vos préoccupations. Mais enfin, je tiens à le noter quand même pour que vous le sachiez. Il y a des problèmes aussi à régler.
- Merci, monsieur le Président pour votre présence parmi nous. Merci mesdames et messieurs. Nous nous retrouverons bientôt, ailleurs sans doute.
- LE PRESIDENT BUSH.- Monsieur le Président, avec votre permission, la journaliste a demandé que nous répondions tous les deux à sa question. Je n'ai rien dit, mais sur Chypre, le mandat des Nations unies, c'est çà l'important. La mission du secrétaire général et le mandat des Nations unies, ce sont les mots clés pour la solution du problème de Chypre en ce qui concerne la politique des Etats-Unis et nous appuyons le mandat du secrétaire général en espérant que cela ménera à une solution à la paix à Chypre. Je vous remercie.\