20 janvier 1991 - Seul le prononcé fait foi
Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, accordée à Antenne 2, TF1 et La Cinq le 20 janvier 1991, sur la mission des forces française dans le Golfe, l'attaque d'Israël par des missiles irakiens et le malaise de la communauté musulmane en France.
QUESTION.- Vous venez de présider à l'instant une réunion des principaux responsables civils et militaires, alors la question que tous les Français se posent : est-ce que tout va bien pour nos forces sur place ? Quelle est leur situation ?
- LE PRESIDENT.- Je tiens, en effet, chaque jour une réunion que j'appellerais d'état-major avec les principaux responsables. Il y a là le chef d'état-major des armées et les chefs d'états-majors des trois armes, indépendamment de deux ou trois officiers opérationnels. Et puis, il y a les responsables civils, c'est-à-dire le Premier ministre, le ministre des affaires étrangères, de l'intérieur et de la défense et quelques-uns de mes collaborateurs. Nous venons de terminer à l'instant la réunion de ce soir.
- Où en sommes-nous des Français, des forces françaises ? Peut-être ne sait-on pas qu'il y a en fait toujours en opération quelques 52 avions français, avec une réserve pour monter à 60, compte tenu du fait aussi que la France organise le soutien et l'entretien de l'aviation de différents Emirats voisins. Actuellement participent aux différents vols, c'est-à-dire aux différentes missions, surtout nos Jaguars, mais aussi des Mirages 2000. Deux missions par jour, des missions difficiles, dangereuses, - j'ai dit par jour - le jour, car précisément leur mission c'est d'attaquer de jour des objectifs militaires, de ce fait ils sont exposés, ils mènent bien leur affaire avec une grande compétence et jusqu'ici avec un peu de chance puisque nous n'avons pas eu de pertes. QUESTION.- Pour vous cette guerre, c'est une question de semaines ou de mois ?
- LE PRESIDENT.- Je ne fais pas d'estimation. Je pense tout de même que cela devrait être une question de semaines.\
QUESTION.- Monsieur le Président, les forces françaises, l'aviation française a frappé des objectifs limités au Koweit tandis que nos alliés américains et d'autres pays de la coalition ont frappé l'Irak, alors est-ce que nous avons les mêmes buts de guerre que les Etats-Unis ou pas ?
- LE PRESIDENT.- Je voudrais d'abord répondre à votre première question parce qu'enfin c'était une question sous-entendue. Avant le commencement des opérations, nous nous sommes concertés, les états-majors se sont rencontrés, cela va de soi, encore faut-il le dire puisqu'on semble en douter. J'ai donné mon accord, notamment à M. Bush, mais aussi aux autres chefs d'Etat, hauts responsables, sur un plan d'emploi de nos troupes. Il y a là 29 nations. Le moins était que ces 29 nations ne se gênent pas, qu'elles sachent ce qu'elles avaient à faire aussi exactement que possible. La mission qui a été donnée à la France, d'un consentement mutuel, cela a été - je viens de vous le dire - de rechercher des objectifs visibles de jour au Koweit en arrière de ce que l'on pourrait appeler une sorte de "ligne Maginot" ou de ligne compacte terrestre de forces irakiennes qui se trouvent à la frontière du Koweit et de l'Arabie saoudite.
- Voilà la mission des forces françaises, en harmonie avec les autres. Nos aviateurs ont été, je dois le dire, très remarquables. On leur demande beaucoup. Je suis un peu surpris et même choqué de ces expressions "travail à temps partiel" ou "à mi-temps", c'est un peu insultant pour nos aviateurs. C'est un peu insultant parce qu'ils font un travail énorme et précisément il leur a été demandé de continuer une mission de jour en jour et sans relâche. Il n'y a pratiquement pas de repos, il y a toujours une sorte de relève entre eux. Ils ne sont pas tous à la même heure, en même temps en vol, et en mission.
- Donc, sur ce caractère un peu injurieux, faudrait-il que nous ayons déjà des pertes et des avions abattus et des équipages disparus pour qu'on puisse enfin estimer qu'ils travaillent - pour employer ce terme que je n'aime pas - à temps plein ? Donc, nous travaillons dans le cadre d'un plan d'ensemble. Ce plan d'ensemble aurait pu aussi bien nous affecter ailleurs et au demeurant nous ne nous sommes pas interdit, cela vient d'être rappelé par le ministre de la défense, le cas échéant d'aller en Irak. Le dispositif vise actuellement l'aviation, puisque c'est une période pendant laquelle c'est l'aviation qui opère. Mais l'aviation vise aussi, déjà, en perspective, des troupes terrestres. Et, déjà ses missions sont fixées. Attendez-donc que les choses se déroulent. Quand je dis attendez-donc, je m'adresse bien au-delà de vous, monsieur Bromberger, attendez-donc pour en juger que les affaires se déroulent, pour pouvoir prononcer un jugement, le cas échéant, aussi sévère ou péjoratif que celui qui a été énoncé récemment par certains.\
QUESTION.- Je voudrais revenir sur la partie de la question qui concerne les buts de guerre sur un exemple très précis. Est-ce que vous pensez qu'au cours de ce conflit, il faut tuer le Président Saddam Hussein, est-ce qu'il faut le faire passer en jugement à l'issue de la guerre ou est-ce qu'on pourra s'accommoder de sa présence encore à l'Etat irakien ?
- LE PRESIDENT.- Ne faisons pas toutes ces hypothèses. Ce que je veux dire, c'est que les buts de guerre américains et français sont d'abord les buts du Conseil de sécurité. Nous sommes là en raison des décisions prises par le Conseil de sécurité et l'objectif essentiel, c'est la libération du Koweit ce qui suppose bien entendu des opérations de guerre en Irak aussi, puisqu'on ne peut pas isoler le Koweit de l'Irak sur le plan de la force armée irakienne.
- Quant à savoir si on s'en prend à la personne du Président Saddam Hussein, je dis non, il n'y a pas de lutte de destruction de celui-ci ou de celui-là. Il y a un objectif de paix afin de libérer le Koweit, de rétablir autant que possible l'équilibre dans cette région et d'en finir avec les hostilités.
- Nous n'avons donc rien d'autre à faire que de mener à son terme l'action qui nous a été demandée par les Nations unies.
- QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que vous ne pensez pas que les Etats-Unis ont des arrière-pensées et une conception peut-être un peu extensible des résolutions de l'ONU en cherchant en fait à briser toute la structure militaro-industrielle de l'Irak ?
- LE PRESIDENT.- Mais, c'est difficile de faire lâcher prise à l'Irak sans s'attaquer à ce potentiel militaro-industriel ! Il faut naturellement le détruire, en tout cas, jusqu'au jour où les autorités de ce pays demanderont que l'on arrête parce qu'ils seraient prêts à céder devant les demandes qui ont été faites depuis déjà longtemps par les Nations unies.\
QUESTION.- Monsieur le Président, les sondages affirment et révèlent qu'une majorité de Français vous soutiennent pendant cette crise grave, mais il y a quand même une interrogation sur le rôle du ministre de la défense, sur son attitude, notamment lorsque le 17 au matin il avait affirmé que les forces françaises n'interviendraient pas au-delà du Koweit ?
- LE PRESIDENT.- Comme toujours il y a deux questions dans votre question. Nous parlerons d'abord du premier point. Je ne doutais pas du soutien des Français. Les Français sont un peuple pacifique et parfaitement capable de comprendre les devoirs de la France. La France a une lourde et riche expérience historique. J'ai essayé de les lui expliquer et j'ai l'impression que nous nous sommes vraiment compris. Il était nécessaire que la France fût présente. Donc, de ce point de vue-là, je dois dire, je ne suis pas surpris. Je suis même reconnaissant aux Français de nous aider dans cette tâche difficile et parfois douloureuse, mais nécessaire.
- Alors, vous me parlez maintenant du ministre de la défense, Jean-Pierre Chevènement. Qu'est-ce que vous voulez, il a dit "protocole" £ moi, je dis "plan d'emploi", "planification" décidée entre les états-majors des 29 nations. Je ne sais pas quel est le vrai mot. Ce qui est vrai, c'est que toutes les missions ont été étudiées d'un commun accord. M. Chevènement n'est donc pas en désaccord avec cette explication, dès lors qu'il dit que notre mission est au Koweit. Il a ajouté encore ce matin, et il a bien fait, parce que c'est la réalité, que nous pourrions être amenés à intervenir en Irak et que si c'est nécessaire, nous y sommes disposés. J'ajoute qu'il y a des opérations aériennes, je répète, mais il faut être compris, et il y aura les opérations terrestres et on verra bien, à ce moment-là, comment nous avons conçu notre devoir. Nous sommes solidaires de ceux qui se battent comme nous, avec nous, dans le même objectif, celui de la paix sans doute, mais en passant par la libération de ceux qui sont opprimés.\
QUESTION.- Est-ce que vous êtes sensible, monsieur le Président, à un certain malaise qui semble se manifester dans une partie de la communauté musulmane en France ?
- LE PRESIDENT.- Oui, j'y suis sensible. J'en ai aperçu certains signes et je voudrais convaincre ces communautés que la France est là pour venir au secours d'un Etat arabe, attaqué, occupé par un autre Etat arabe. Tout cela assorti de mille et une violences, et nous menons cette action en compagnie et aux côtés de nombreux autres pays arabes. On ne peut donc pas confondre notre action avec celle qui viserait à combattre l'Islam. Nous sommes avec un certain nombre de pays islamiques contre celui qui a contrevenu aux règles essentielles de la loi internationale et c'est l'instance suprême de la loi internationale qui nous l'a demandé. Il ne peut pas y avoir de confusion là-dessus, tout ce qui pourra être fait pour expliquer à cette communauté qu'elle est chez nous, avec nous et qu'il n'y a pas lieu de distinguer, sera utile. Et moi, personnellement, je ne veux pas qu'il puisse y avoir dans cette opinion-là une maldonne. La France ne fait rien contre l'Islam, elle agit contre un dictateur agresseur qui n'a tenu compte d'aucun conseil, d'aucun avis, d'aucune chance de paix et nous sommes restés conformes au devoir que j'estime absolument nécessaire et qu'il faudra tenir jusqu'au bout. Le devoir de la France est celui que nous remplissons.\
QUESTION.- Vous ne craignez pas que l'introduction, un peu involontaire d'ailleurs d'Israël, de l'Etat d'Israël dans le jeu, puisqu'il a reçu quelques missiles, ne favorise un peu ce malaise, disons des Français, des Musulmans de France ?
- Attendez, monsieur le Président, je voudrais préciser quelque chose, parce que j'apprends à l'instant que cinq missiles Scud irakiens viennent d'être tirés cette fois-ci contre l'Arabie saoudite, et pour compléter donc la question de Georges Bortoli, il faudrait savoir, compte-tenu de l'émotion que ces attaques de missiles ont provoquée en Israël et de la volonté israélienne de répliquer, est-ce que vous êtes rentré en contact avec les dirigeants israéliens ?
- LE PRESIDENT.- Quand on frappe l'Arabie saoudite, du côté de l'Irak, par ces missiles Scud, ce sont des faits de guerre. On ne peut pas s'en étonner. Lorsque ces missiles vont vers Israël, on en est surpris et on s'en indigne, car Israël n'est pas dans la guerre, c'est un pays non belligérant, c'est donc une sorte de provocation faite, pour faire semblant, pour faire croire à tous qu'il s'agit d'une lutte entre Israël et les Arabes, et d'une façon générale de l'Occident contre l'Islam. Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai dit tout à l'heure, mais je pense que la recherche irakienne dans cette affaire à l'égard d'Israël est de caractère psychologique, parce que, sur le plan militaire, ce n'est pas très efficace. Vous savez, ces Scud ne peuvent pas parcourir une si grande distance avec une charge lourde. Ce sont donc des charges légères qui peuvent faire du mal mais pas assez pour avoir une vertu militaire directe, elles ont une vertu psychologique. Et je voudrais profiter de cela, puisque vous m'en offrez l'occasion, pour dire que j'ai entendu avec beaucoup de surprise et d'indignation, certains responsables israéliens affirmer que ces missiles ou d'autres auraient été fournis par la France : nous n'avons vendu aucun missile à l'Irak pendant la guerre entre l'Iran et l'Irak où nous avons soutenu l'Irak pour tenter de préserver le front arabe à la demande du Koweit, à la demande de l'Arabie saoudite et des autres. Nous n'avons vendu aucun missile balistique capable d'atteindre le territoire d'Israël, que ce soit bien entendu. Un mois peut-être après mon élection, la centrale nucléaire de Tamouz, fournie il faut le dire par la France, a été détruite par Israël. Eh bien depuis neuf ans, j'ai toujours refusé de fournir les éléments d'une reconstruction de quelqu'élément nucléaire que ce soit à l'Irak. Ce qui a sans doute contribué au fait que je n'ai pas eu avec M. Saddam Hussein de relations, fussent celles d'un Etat à l'autre, puisque je ne l'ai jamais rencontré.
- QUESTION.- Est-ce qu'Israël en l'occurence a le droit de répliquer, comme tout Etat souverain ?
- LE PRESIDENT.- Le droit est indiscutable. On est attaqué, on n'est pas dans la guerre et on est quand même attaqué : on réplique. Mais Israël comprend, j'imagine, le souci extrême qu'ont ceux qui sont dans ce conflit d'une façon active comme les Etats-Unis, comme la Grande-Bretagne, comme la France et puis les autres, que l'on n'arrive pas précisément à tomber dans le piège tendu par M. Saddam Hussein, à savoir qu'il s'agirait d'une guerre entre Israël et les Arabes et que les puissances occidentales seraient dans le camp d'Israël. Non, le problème ne se pose pas dans ces termes.\
QUESTION.- Monsieur le Président, ce soir il n'est pas question de paix, je veux dire vous avez reçu un certain nombre de messages, notamment je crois un message d'Arafat, toutes les tentatives sont vouées à l'échec dans un avenir immédiat.
- LE PRESIDENT.- Vous savez, la vraie tentative de paix, elle ne peut être faite que par le Président irakien. S'il renonce à sa proie, s'il renonce à sa guerre, je serai l'un des premiers à dire parlons de paix. Mais au moment-même où s'engage cette action, sans avoir aucune garantie d'aucune sorte, comment voulez-vous que l'on puisse avancer dans le domaine d'une trêve ? Le jour viendra je l'espère et le plus tôt possible.
- Je pense que ce type d'entretien doit être bref car beaucoup d'autres nouvelles courent à l'heure actuelle les salles de rédaction, et d'autre part l'opinion publique est attirée par bien d'autres choses. Je vous remercie en tout cas de m'avoir permis d'apporter ces quelques explications à l'opinion publique.\
- LE PRESIDENT.- Je tiens, en effet, chaque jour une réunion que j'appellerais d'état-major avec les principaux responsables. Il y a là le chef d'état-major des armées et les chefs d'états-majors des trois armes, indépendamment de deux ou trois officiers opérationnels. Et puis, il y a les responsables civils, c'est-à-dire le Premier ministre, le ministre des affaires étrangères, de l'intérieur et de la défense et quelques-uns de mes collaborateurs. Nous venons de terminer à l'instant la réunion de ce soir.
- Où en sommes-nous des Français, des forces françaises ? Peut-être ne sait-on pas qu'il y a en fait toujours en opération quelques 52 avions français, avec une réserve pour monter à 60, compte tenu du fait aussi que la France organise le soutien et l'entretien de l'aviation de différents Emirats voisins. Actuellement participent aux différents vols, c'est-à-dire aux différentes missions, surtout nos Jaguars, mais aussi des Mirages 2000. Deux missions par jour, des missions difficiles, dangereuses, - j'ai dit par jour - le jour, car précisément leur mission c'est d'attaquer de jour des objectifs militaires, de ce fait ils sont exposés, ils mènent bien leur affaire avec une grande compétence et jusqu'ici avec un peu de chance puisque nous n'avons pas eu de pertes. QUESTION.- Pour vous cette guerre, c'est une question de semaines ou de mois ?
- LE PRESIDENT.- Je ne fais pas d'estimation. Je pense tout de même que cela devrait être une question de semaines.\
QUESTION.- Monsieur le Président, les forces françaises, l'aviation française a frappé des objectifs limités au Koweit tandis que nos alliés américains et d'autres pays de la coalition ont frappé l'Irak, alors est-ce que nous avons les mêmes buts de guerre que les Etats-Unis ou pas ?
- LE PRESIDENT.- Je voudrais d'abord répondre à votre première question parce qu'enfin c'était une question sous-entendue. Avant le commencement des opérations, nous nous sommes concertés, les états-majors se sont rencontrés, cela va de soi, encore faut-il le dire puisqu'on semble en douter. J'ai donné mon accord, notamment à M. Bush, mais aussi aux autres chefs d'Etat, hauts responsables, sur un plan d'emploi de nos troupes. Il y a là 29 nations. Le moins était que ces 29 nations ne se gênent pas, qu'elles sachent ce qu'elles avaient à faire aussi exactement que possible. La mission qui a été donnée à la France, d'un consentement mutuel, cela a été - je viens de vous le dire - de rechercher des objectifs visibles de jour au Koweit en arrière de ce que l'on pourrait appeler une sorte de "ligne Maginot" ou de ligne compacte terrestre de forces irakiennes qui se trouvent à la frontière du Koweit et de l'Arabie saoudite.
- Voilà la mission des forces françaises, en harmonie avec les autres. Nos aviateurs ont été, je dois le dire, très remarquables. On leur demande beaucoup. Je suis un peu surpris et même choqué de ces expressions "travail à temps partiel" ou "à mi-temps", c'est un peu insultant pour nos aviateurs. C'est un peu insultant parce qu'ils font un travail énorme et précisément il leur a été demandé de continuer une mission de jour en jour et sans relâche. Il n'y a pratiquement pas de repos, il y a toujours une sorte de relève entre eux. Ils ne sont pas tous à la même heure, en même temps en vol, et en mission.
- Donc, sur ce caractère un peu injurieux, faudrait-il que nous ayons déjà des pertes et des avions abattus et des équipages disparus pour qu'on puisse enfin estimer qu'ils travaillent - pour employer ce terme que je n'aime pas - à temps plein ? Donc, nous travaillons dans le cadre d'un plan d'ensemble. Ce plan d'ensemble aurait pu aussi bien nous affecter ailleurs et au demeurant nous ne nous sommes pas interdit, cela vient d'être rappelé par le ministre de la défense, le cas échéant d'aller en Irak. Le dispositif vise actuellement l'aviation, puisque c'est une période pendant laquelle c'est l'aviation qui opère. Mais l'aviation vise aussi, déjà, en perspective, des troupes terrestres. Et, déjà ses missions sont fixées. Attendez-donc que les choses se déroulent. Quand je dis attendez-donc, je m'adresse bien au-delà de vous, monsieur Bromberger, attendez-donc pour en juger que les affaires se déroulent, pour pouvoir prononcer un jugement, le cas échéant, aussi sévère ou péjoratif que celui qui a été énoncé récemment par certains.\
QUESTION.- Je voudrais revenir sur la partie de la question qui concerne les buts de guerre sur un exemple très précis. Est-ce que vous pensez qu'au cours de ce conflit, il faut tuer le Président Saddam Hussein, est-ce qu'il faut le faire passer en jugement à l'issue de la guerre ou est-ce qu'on pourra s'accommoder de sa présence encore à l'Etat irakien ?
- LE PRESIDENT.- Ne faisons pas toutes ces hypothèses. Ce que je veux dire, c'est que les buts de guerre américains et français sont d'abord les buts du Conseil de sécurité. Nous sommes là en raison des décisions prises par le Conseil de sécurité et l'objectif essentiel, c'est la libération du Koweit ce qui suppose bien entendu des opérations de guerre en Irak aussi, puisqu'on ne peut pas isoler le Koweit de l'Irak sur le plan de la force armée irakienne.
- Quant à savoir si on s'en prend à la personne du Président Saddam Hussein, je dis non, il n'y a pas de lutte de destruction de celui-ci ou de celui-là. Il y a un objectif de paix afin de libérer le Koweit, de rétablir autant que possible l'équilibre dans cette région et d'en finir avec les hostilités.
- Nous n'avons donc rien d'autre à faire que de mener à son terme l'action qui nous a été demandée par les Nations unies.
- QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que vous ne pensez pas que les Etats-Unis ont des arrière-pensées et une conception peut-être un peu extensible des résolutions de l'ONU en cherchant en fait à briser toute la structure militaro-industrielle de l'Irak ?
- LE PRESIDENT.- Mais, c'est difficile de faire lâcher prise à l'Irak sans s'attaquer à ce potentiel militaro-industriel ! Il faut naturellement le détruire, en tout cas, jusqu'au jour où les autorités de ce pays demanderont que l'on arrête parce qu'ils seraient prêts à céder devant les demandes qui ont été faites depuis déjà longtemps par les Nations unies.\
QUESTION.- Monsieur le Président, les sondages affirment et révèlent qu'une majorité de Français vous soutiennent pendant cette crise grave, mais il y a quand même une interrogation sur le rôle du ministre de la défense, sur son attitude, notamment lorsque le 17 au matin il avait affirmé que les forces françaises n'interviendraient pas au-delà du Koweit ?
- LE PRESIDENT.- Comme toujours il y a deux questions dans votre question. Nous parlerons d'abord du premier point. Je ne doutais pas du soutien des Français. Les Français sont un peuple pacifique et parfaitement capable de comprendre les devoirs de la France. La France a une lourde et riche expérience historique. J'ai essayé de les lui expliquer et j'ai l'impression que nous nous sommes vraiment compris. Il était nécessaire que la France fût présente. Donc, de ce point de vue-là, je dois dire, je ne suis pas surpris. Je suis même reconnaissant aux Français de nous aider dans cette tâche difficile et parfois douloureuse, mais nécessaire.
- Alors, vous me parlez maintenant du ministre de la défense, Jean-Pierre Chevènement. Qu'est-ce que vous voulez, il a dit "protocole" £ moi, je dis "plan d'emploi", "planification" décidée entre les états-majors des 29 nations. Je ne sais pas quel est le vrai mot. Ce qui est vrai, c'est que toutes les missions ont été étudiées d'un commun accord. M. Chevènement n'est donc pas en désaccord avec cette explication, dès lors qu'il dit que notre mission est au Koweit. Il a ajouté encore ce matin, et il a bien fait, parce que c'est la réalité, que nous pourrions être amenés à intervenir en Irak et que si c'est nécessaire, nous y sommes disposés. J'ajoute qu'il y a des opérations aériennes, je répète, mais il faut être compris, et il y aura les opérations terrestres et on verra bien, à ce moment-là, comment nous avons conçu notre devoir. Nous sommes solidaires de ceux qui se battent comme nous, avec nous, dans le même objectif, celui de la paix sans doute, mais en passant par la libération de ceux qui sont opprimés.\
QUESTION.- Est-ce que vous êtes sensible, monsieur le Président, à un certain malaise qui semble se manifester dans une partie de la communauté musulmane en France ?
- LE PRESIDENT.- Oui, j'y suis sensible. J'en ai aperçu certains signes et je voudrais convaincre ces communautés que la France est là pour venir au secours d'un Etat arabe, attaqué, occupé par un autre Etat arabe. Tout cela assorti de mille et une violences, et nous menons cette action en compagnie et aux côtés de nombreux autres pays arabes. On ne peut donc pas confondre notre action avec celle qui viserait à combattre l'Islam. Nous sommes avec un certain nombre de pays islamiques contre celui qui a contrevenu aux règles essentielles de la loi internationale et c'est l'instance suprême de la loi internationale qui nous l'a demandé. Il ne peut pas y avoir de confusion là-dessus, tout ce qui pourra être fait pour expliquer à cette communauté qu'elle est chez nous, avec nous et qu'il n'y a pas lieu de distinguer, sera utile. Et moi, personnellement, je ne veux pas qu'il puisse y avoir dans cette opinion-là une maldonne. La France ne fait rien contre l'Islam, elle agit contre un dictateur agresseur qui n'a tenu compte d'aucun conseil, d'aucun avis, d'aucune chance de paix et nous sommes restés conformes au devoir que j'estime absolument nécessaire et qu'il faudra tenir jusqu'au bout. Le devoir de la France est celui que nous remplissons.\
QUESTION.- Vous ne craignez pas que l'introduction, un peu involontaire d'ailleurs d'Israël, de l'Etat d'Israël dans le jeu, puisqu'il a reçu quelques missiles, ne favorise un peu ce malaise, disons des Français, des Musulmans de France ?
- Attendez, monsieur le Président, je voudrais préciser quelque chose, parce que j'apprends à l'instant que cinq missiles Scud irakiens viennent d'être tirés cette fois-ci contre l'Arabie saoudite, et pour compléter donc la question de Georges Bortoli, il faudrait savoir, compte-tenu de l'émotion que ces attaques de missiles ont provoquée en Israël et de la volonté israélienne de répliquer, est-ce que vous êtes rentré en contact avec les dirigeants israéliens ?
- LE PRESIDENT.- Quand on frappe l'Arabie saoudite, du côté de l'Irak, par ces missiles Scud, ce sont des faits de guerre. On ne peut pas s'en étonner. Lorsque ces missiles vont vers Israël, on en est surpris et on s'en indigne, car Israël n'est pas dans la guerre, c'est un pays non belligérant, c'est donc une sorte de provocation faite, pour faire semblant, pour faire croire à tous qu'il s'agit d'une lutte entre Israël et les Arabes, et d'une façon générale de l'Occident contre l'Islam. Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai dit tout à l'heure, mais je pense que la recherche irakienne dans cette affaire à l'égard d'Israël est de caractère psychologique, parce que, sur le plan militaire, ce n'est pas très efficace. Vous savez, ces Scud ne peuvent pas parcourir une si grande distance avec une charge lourde. Ce sont donc des charges légères qui peuvent faire du mal mais pas assez pour avoir une vertu militaire directe, elles ont une vertu psychologique. Et je voudrais profiter de cela, puisque vous m'en offrez l'occasion, pour dire que j'ai entendu avec beaucoup de surprise et d'indignation, certains responsables israéliens affirmer que ces missiles ou d'autres auraient été fournis par la France : nous n'avons vendu aucun missile à l'Irak pendant la guerre entre l'Iran et l'Irak où nous avons soutenu l'Irak pour tenter de préserver le front arabe à la demande du Koweit, à la demande de l'Arabie saoudite et des autres. Nous n'avons vendu aucun missile balistique capable d'atteindre le territoire d'Israël, que ce soit bien entendu. Un mois peut-être après mon élection, la centrale nucléaire de Tamouz, fournie il faut le dire par la France, a été détruite par Israël. Eh bien depuis neuf ans, j'ai toujours refusé de fournir les éléments d'une reconstruction de quelqu'élément nucléaire que ce soit à l'Irak. Ce qui a sans doute contribué au fait que je n'ai pas eu avec M. Saddam Hussein de relations, fussent celles d'un Etat à l'autre, puisque je ne l'ai jamais rencontré.
- QUESTION.- Est-ce qu'Israël en l'occurence a le droit de répliquer, comme tout Etat souverain ?
- LE PRESIDENT.- Le droit est indiscutable. On est attaqué, on n'est pas dans la guerre et on est quand même attaqué : on réplique. Mais Israël comprend, j'imagine, le souci extrême qu'ont ceux qui sont dans ce conflit d'une façon active comme les Etats-Unis, comme la Grande-Bretagne, comme la France et puis les autres, que l'on n'arrive pas précisément à tomber dans le piège tendu par M. Saddam Hussein, à savoir qu'il s'agirait d'une guerre entre Israël et les Arabes et que les puissances occidentales seraient dans le camp d'Israël. Non, le problème ne se pose pas dans ces termes.\
QUESTION.- Monsieur le Président, ce soir il n'est pas question de paix, je veux dire vous avez reçu un certain nombre de messages, notamment je crois un message d'Arafat, toutes les tentatives sont vouées à l'échec dans un avenir immédiat.
- LE PRESIDENT.- Vous savez, la vraie tentative de paix, elle ne peut être faite que par le Président irakien. S'il renonce à sa proie, s'il renonce à sa guerre, je serai l'un des premiers à dire parlons de paix. Mais au moment-même où s'engage cette action, sans avoir aucune garantie d'aucune sorte, comment voulez-vous que l'on puisse avancer dans le domaine d'une trêve ? Le jour viendra je l'espère et le plus tôt possible.
- Je pense que ce type d'entretien doit être bref car beaucoup d'autres nouvelles courent à l'heure actuelle les salles de rédaction, et d'autre part l'opinion publique est attirée par bien d'autres choses. Je vous remercie en tout cas de m'avoir permis d'apporter ces quelques explications à l'opinion publique.\