13 septembre 1990 - Seul le prononcé fait foi

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Interview accordée par M. François Mitterrand, Président de la République, au quotidien tchécoslovaque "Lidove Noviny" le 13 septembre 1990, notamment sur la démocratisation des pays de l'est et l'aide au développement des pays les moins avancés.

QUESTION.- Lors de votre visite à Prague, il y a deux ans, en décembre 1988, vous avez dans l'un de vos discours, parlé de l'ouverture à l'Est de la politique étrangère française, tout en soulignant la nécessité de différencier sur notre continent le rôle de l'Europe orientale de celui de l'Europe centrale. Les événements ultérieurs ont confirmé en bien des points le bien-fondé de vos vues. Comment la situation présente vous apparaît-elle et quelles possibilités d'évolution y voyez-vous ?
- LE PRESIDENT.- Ma précédente visite à Prague, comme celle que j'ai effectuées au cours des deux dernières années dans plusieurs pays d'Europe centrale et orientale, répondait à un double objectif : renforcer nos relations avec un pays auquel nous rattache tant de liens et apporter un témoignage de liberté à ceux qui luttaient pour faire triompher la démocratie.
- La seule distinction qui vaille ne relève plus de la géographie mais du degré plus ou moins avancé atteint par les uns et les autres dans la mise en place d'institutions démocratiques. A ces nouvelles nations démocratiques, il est de notre devoir d'apporter notre aide, pour conforter leur choix et favoriser leur développement économique, pour les intégrer dans les circuits d'une économie internationale ouverte. Les instruments sont nombreux pour cela, qu'il s'agisse des programmes de coopération bilatérale, des accords à conclure entre votre pays et la Communauté européenne, du retour dans des institutions mondiales - Banque mondiale, FMI - ou européennes, comme le Conseil de l'Europe, la participation à la BERD ou d'ensembles à créer, comme la Confédération européenne. Sachez que la France soutiendra activement cette réinsertion de la Tchécoslovaquie dans la communauté internationale.\
QUESTION.- Des voix se sont élevées ces derniers temps dans certains pays en voie de développement, affirmant que l'évolution de l'Europe centrale et orientale a relégué à l'arrière plan, aux yeux de l'Occident, des problèmes tels l'endettement, la malnutrition, les maladies, le développement de l'instruction dans de nombreuses régions de notre planète. Comment considérez-vous la connexion des rapports Est-Ouest et Nord-Sud ?
- LE PRESIDENT.- Il serait très regrettable que l'évolution de l'Europe, qui "retrouve sa géographie", fût ressentie comme un signe d'abandon des pays européens à l'égard des nations moins favorisées du Sud.
- La France est très préoccupée de voir traiter les divers problèmes que vous évoquez. Au sein du groupe des sept Etats les plus développés, elle a, à Toronto l'année dernière, à Houston cette année, fait des propositions pour la dette des pays les plus pauvres et de ceux que l'on dit à revenu intermédiaire. Au sein de la Communauté des Douze, elle s'est faite, avec succès, l'avocat d'une aide accrue dans le cadre de la convention Lomé IV aux Etats d'Afrique, des Caraïbes, du Pacifique. Il y a quelques jours, j'ai présenté à la IIème Conférence des Nations unies pour les pays les moins avancés, un certain nombre de propositions concrètes portant sur l'annulation des dettes, l'amélioration de la qualité de l'aide, la mise en place de programmes dans les secteurs prioritaires de l'éducation et de la santé.. Au moment où s'estompe le conflit Est-Ouest, tout doit être fait pour éviter que lui soit substitué un antagonisme Nord-Sud.\
QUESTION.- Les événements dans la région du golfe persique comptent parmi les questions d'actualité soulevant le plus l'attention. Existe-t-il encore un espoir d'un règlement pacifique ? Quelles alternatives de règlement peut-on envisager après un conflit militaire même limité ?
- LE PRESIDENT.- La politique française, depuis l'agression du Koweit par l'Irak, est claire. Elle s'inscrit dans le cadre des décisions adoptées par le Conseil de Sécurité des Nations unies et a, pour objectif, le rétablissement de la situation antérieure à l'invasion du Koweit par une application complète de l'embargo prévu par la résolution 661. J'espère que les effets de cet embargo convaincront les dirigeants de Bagdad qu'ils sont engagés dans une impasse.\
QUESTION.- La date de votre visite précédente à Prague, comme il est d'ailleurs fréquent pour vous, n'a pas été choisie par hasard. Elle était étroitement liée au 10 décembre, journée des Droits de l'Homme. Le mois de septembre reste lié dans l'histoire des relations franco-tchécoslovaques à Munich en 1938 ? Pourriez-vous, monsieur le Président vous exprimer à ce sujet ?
- LE PRESIDENT.- Comment un homme de ma génération pourrait-il effacer de sa mémoire les manquements commis à Munich aux engagements pris à l'égard de votre pays ? Cinquante-deux ans ont passé mais les leçons de cet abandon et de ce qui en a découlé doivent plus que jamais nous inspirer en Europe et hors d'Europe.\