11 septembre 1990 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, lors du cinquantenaire de la grotte de Lascaux, Montignac, le 11 septembre 1990.

Monsieur le maire,
- Mesdames, messieurs,
- Je m'adresserai d'abord à vous, monsieur le maire, qui nous avez si aimablement accueillis dans votre commune. Vous avez bien voulu évoquer des souvenirs qui me sont chers et j'y suis sensible. Les quelques pas accomplis dans Montignac nous ont permis d'en apercevoir la beauté. La grotte de Lascaux permet maintenant à des centaines de milliers de voyageurs chaque année de connaître et d'approcher cette petite ville et cette belle région.
- Merci pour ce que Montignac a fait pour recevoir ses hôtes d'aujourd'hui et je vous prierai de bien vouloir transmettre à la population l'expression de ma gratitude.
- Mesdames et messieurs, là je m'adresse à vous tous, mais particulièrement aux chercheurs et aux savants qui s'occupent d'archéologie. Je suis heureux d'être parmi vous pour fêter le cinquantenaire de cette découverte, la grotte de Lascaux.
- Je peux imaginer l'excitation, l'émotion cet après-midi-là dans le sous-bois, de cette bande de jeunes gens, qui cherchaient un trou de renard dit-on, à côté du grand peuplier. Le chien qui les accompagnait s'y enfonça puis disparut. C'est une histoire que vous connaissez par coeur. Elle est devenue légendaire, mais elle garde tant de charme qu'il est bon de l'évoquer. Dans le trou il n'y avait pas de renard, mais un souterrain. Une pierre jetée en indiqua la profondeur. Je crois que M. Ravidat qui cherchait son chien, c'est bien la moindre des choses, descendit muni d'abord d'une boîte d'allumettes puis d'une pompe à graisse transformée en lampe à pétrole, des moyens aussi préhistoriques sans doute que les artistes d'autrefois. Il se retrouva dans la grande salle entouré par l'immense cavalcade d'animaux fantastiques. On imagine encore sa surprise, la surprise de ses compagnons. Surprise peut-être mêlée de peur ou d'angoisse, la vision de cette beauté soudain révélée provoqua chez ces jeunes gens qui sortaient à peine de l'enfance une indescriptible joie. Ils ne s'en sont pas défaits depuis lors, je suppose. On avait découvert un trésor et quel trésor. Tous les amis de ce jour-là passèrent leurs corps dans le trou et plongèrent eux-aussi dans ce sol jonché de feuilles mortes.
- Au fond du trou, la grotte de Lascaux obstruée pendant des millénaires et qui attendait si j'ose dire patiemment ses visiteurs. Alors ces enfants : vous, messieurs, et votre quatrième compagnon qui a si longtemps vécu parmi vous et qui vous a quitté récemment, l'avez vécu de la même façon. Vous êtes repartis au village porteurs d'un grand secret, vous avez eu peut-être un peu de mal à faire comprendre aux adultes que ce que vous aviez trouvé là, dans les entrailles de la terre était très important, mais le savait-on ? Les enfants ne se doutaient pas que leur équipée chanceuse allait révolutionner notre perception du passé et ce rapport que nous entretenons avec l'origine de l'homme et l'origine de l'art.
- Car Lascaux c'est un peu tout cela à la fois. Un monument unique tant par la qualité de ses oeuvres que par la période de son exécution. Un signe au-delà des millénaires, par delà l'épaisseur de la terre et l'immensité du temps, de l'humanité elle-même : des hommes se sont installés là, pour tracer sur des parois difficiles à atteindre des signes et des figures. Des hommes ont vécu là, en utilisant des plates-formes, en s'éclairant avec des lampes à graisse et ils nous ont laissé leur vision du monde.\
Parler de Lascaux, revient à parler de ce qui intéresse tous les hommes : la naissance de l'art, son éclosion. Ces peintures qui n'ont pas été altérées par la nuit des temps, comme surgies du néant, ces peintures provoquent l'émotion la plus intime. Ce clan des hommes de Lascaux que l'on connaît, grâce à vous, mesdames et messieurs, chercheurs et scientifiques, que l'on connaît de mieux en mieux, faisait naître un monde, créait un art si proche de nous encore, qu'il semble abolir le temps. J'y étais venu il y a plusieurs décennies. J'en avais gardé un souvenir ébloui. Je vais vous dire le sentiment que j'ai éprouvé que d'y revenir en cette circonstance cet après-midi.
- La profusion d'images, les proportions gigantesques des grands animaux, les couleurs qui jouent dans toute la gamme des ocres, la beauté des compositions peintes, leur qualité figurative, tout cela concourt à faire de Lascaux l'une des grottes ornées les plus exceptionnelles pour comprendre cet art pariétal issu, comme vous le rappeliez à l'instant du magdalénien, dernière grande civilisation paléolithique qui s'étendit à travers toute l'Europe.
- Vous êtes ici, mesdames et messieurs, réunis toute cette semaine pour discuter techniques, expérimentations, datations, pour confronter vos points de vue. Grâce à vous, les connaissances s'affinent, vous pouvez situer précisément les activités de la grotte, la comparer aux autres grottes ornées. Vous progressez dans la compréhension de l'exécution des peintures et vous arrivez même à connaItre la façon dont les hommes vivaient et se nourrissaient. Alors, bien sûr des interrogations subsistent. La grotte était-elle aussi un sanctuaire ? Que se passait-il dans cette petite salle basse que l'on nomme le puits ? L'évolution de l'art quaternaire s'est-elle faite de façon linéaire ? Eh bien vous êtes là pour en juger et pour nous l'apprendre. Ce qui semble s'éloigner définitivement grâce à votre discipline, c'est l'idée d'un homme encore très animal, brute maladroite qui aurait vécu sans bien savoir ce qu'était l'existence. Ces chefs-d'oeuvre le montrent, les artistes traduisaient déjà le monde, le leur, celui qu'ils voyaient, peut-être aussi celui qu'ils imaginaient. Ils en ont laissé des traces, par leur art, traces de leur image mentale. Ils étaient nos semblables. Et la main de l'artiste qui a écrit sur le rocher est là pour le prouver. Lascaux aujourd'hui subsiste comme un théâtre intact mais serait-ce un théâtre éteint ? Victime de son succès, il n'est plus accessible qu'à un très petit nombre de personnes. Le processus d'altération, de destruction, a pu être enrayé, encore une grande réussite de la science. Mais sa conservation assurée grâce à des diagnostics méticuleux et à l'application de mesures appropriées reste encore fragile. Il faut veiller à continuer cette tâche de protection pour que subsiste le patrimoine préhistorique souterrain et qu'à travers vos réflexions, des voies de recherche inexplorées puissent nous faire encore mieux connaître notre propre humanité. Et puis cela a été Lascaux II et tout ce que l'on m'en dit, puisque je ne le connais pas encore, m'indique qu'après quatre années de travail assidu, on a réussi une étonnante construction, admirable dans la mesure où elle crée l'émotion comme son modèle et permet donc à des milliers, dizaines de milliers, des centaines de milliers, d'hommes et de femmes, de pénétrer à leur tour, la connaissance et le secret de Lascaux.\
Je voudrais dire que l'archéologie, mieux que toute autre discipline, nous enseigne la relation perpétuellement difficile, tendue, entre l'homme et son milieu naturel dont il dépend toujours étroitement, même si l'on détruit facilement et malheureusement l'équilibre.
- L'art pariétal, quant à lui, fait apparaître avec éclat une vérité à méditer : la grande unité qui, à travers les temps et les lieux, préside aux choses humaines. Vous le savez, mesdames et messieurs, l'archéologie a pris, depuis une vingtaine d'années, un essor nouveau dans toute l'Europe. En France, c'est surtout depuis dix ans qu'elle connaît son expansion. Cela ne va pas sans problèmes techniques et financiers. Le gouvernement s'en préoccupe, c'est son devoir vis-à-vis de la Nation, comme de la communauté internationale. Il convient de préserver un patrimoine qui nous est commun et donc d'en faciliter l'étude. Mais ce qui est important, c'est que ces crédits aient été décuplés en si peu d'années, que l'on soit parvenu à éviter, dans la majorité des cas, les destructions qui étaient de règle naguère, que vos professions se développent en même temps que les institutions de recherche, que l'archéologie ait étendu son champ d'investigation à toutes les périodes, à toutes les régions, à toutes les couches sociales, à tous les thèmes, afin que des vestiges matériels nous permettent de connaître notre propre histoire.
- La vallée de la Vézère, classée, vous l'avez dit, au titre du patrimoine mondial par l'UNESCO, suscite je le crois dans le public, un intérêt croissant. Dans leur effort pour répondre à la demande, l'Etat, la région, le département de la Dordogne - et je vois de quelle façon on travaille dans la commune aussi - se sont associés afin de travailler à la protection et à la mise en valeur des sites de cette vallée de l'homme. Ce patrimoine unique doit être présenté à tous de façon attrayante certes, mais avec une rigueur scientifique digne de la place de premier plan qu'occupe l'archéologie préhistorique française dans le monde. Sur ce point également, le programme de votre colloque atteste le souci que les spécialistes de cette discipline - discipline très ardue - ont de communiquer avec le public, je tiens à les remercier, à les féliciter de ce qu'ils font chaleureusement.\
Mesdames et messieurs, l'occasion m'était donnée de venir en Dordogne, spécialement à Montignac, occasion de valeur pour moi exceptionnelle. J'aime ainsi plonger dans les siècles, des siècles et dans les millénaires.
- Chaque fois qu'il m'est donné de me rendre ici ou là, je cherche aussi à m'instruire, c'était il n'y a pas si longtemps à Brassempouy retrouver la trace de la petite dame qui illustre le musée de St-Germain en Laye, je crois qu'on la situe à 23000 ans. Pour vous ici à Lascaux, c'est 17000 ans, c'est très loin, c'est très près pour l'homme, sur une planète que vous situez à trois, quatre milliards d'années ? Quelques générations, avant les temps de l'histoire, et c'est la préhistoire et très vite on plonge dans l'inconnu et toute la mémoire de l'homme se perd.
- Jusqu'au jour, mesdames et messieurs ou grâce à vous, nous aurons rejoint d'autres jalons, dont Lascaux restera l'un des plus notoires, l'un des plus importants, l'un des plus beaux.
- Vous êtes habitués, vous, à vivre dans cette histoire, chaque vallée, chaque colline vous réservent d'heureuses surprises. Vous vivez dans la beauté, vous avez vos soucis quotidiens, il suffit d'entendre, sans avoir l'oreille très fine, pour savoir que ces soucis sont présents autour de nous. Ainsi va le monde. Le devoir des responsables politiques et administratifs c'est d'y veiller, sans jamais perdre de vue la permanence des choses, c'est ce que vous faisons tous ensemble cet après-midi, merci.\