29 août 1990 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue de son voyage en Islande, notamment sur les négociations entre la CEE et l'AELE et le conflit du Moyen-Orient, Reykjavik, le 29 août 1990.

Mesdames et messieurs,
- C'est avec beaucoup d'intérêt que je suis revenu en Islande après le voyage que j'avais fait l'an dernier en qualité de Président de la Communauté européenne alors que Madame la Présidente de l'Islande assurait elle-même la présidence. Déjà depuis longtemps nous étions convenus que nous nous retrouverions à Reykjavik pour une visite d'Etat en réponse à celle que Mme Finnbogadottir avait faite en 1983 à Paris.
- J'ai rencontré de nouveau le chef du gouvernement, ses principaux ministres et nous avons donc pu de ce fait reprendre une conversation un moment interrompue avec des interlocuteurs déjà éprouvés, d'autant plus que nous nous étions rencontrés à Londres à l'occasion du Sommet de l'OTAN. On a poursuivi comme il vient de vous l'être dit une série de discussions qui ont abouti dans le domaine culturel, dans le domaine scientifique, et dans le domaine économique ou technique à un certain nombre d'accords. Le détail vous en sera fourni.
- Nous avons bien entendu saisi cette occasion pour évoquer les quelques problèmes internationaux dont la liste s'impose. Quel devenir aux négociations entre la Communauté et l'AELE ? Les négociations ont commencé en juillet 1990, elles vont se poursuivre. Combien de temps peut-on prévoir ? Certainement pas avant la fin de l'année prochaine. L'OTAN, puisque nous en faisons partie. La future et prochaine Conférence sur la Sécurité (CSCE) qui aura lieu à Paris en novembre et qui pour mes interlocuteurs comme pour moi-même nous apparaît comme un rendez-vous majeur de l'année 1990. Nous avons parlé aussi du Moyen-Orient, nous avons redit à nos partenaires islandais ce qui a été déjà déclaré en diverses circonstances depuis le début du mois d'août et c'est un débat que nous suivons de jour en jour. Les bases de notre conversation sont celles qui ont déjà eu lieu avec nos autres partenaires, ceux qui exécutent les résolutions du Conseil de Sécurité.\
QUESTION.- Est-ce que vous croyez que ce que l'on appelle la zone économique européenne peut-être réalisée avant l'année 1993 ?
- LE PRESIDENT.- Nous avons tous l'ambition de créer cette zone économique. Cela passe par un certain nombre de conditions politiques. Les conditions politiques entre l'Islande et la France sont très aisées à définir mais nous appartenons à deux entités différentes donc les sujets de discussions débordent très largement de ce que pourraient comprendre des simples relations entre l'Islande et la France. Pour entrer dans la même zone économique européenne à laquelle on travaille et que nous désirons faire aboutir, il faut que se poursuivent les conversations déjà engagées dont la Commission européenne s'occupe particulièrement. Donc, on a le droit d'être optimiste, il ne faut pas spéculer sur une date trop rapide.\
QUESTION.- Le Premier ministre islandais a dit que la pire chose qui pourrait arriver à l'Islande cela sera de joindre la Communauté européenne. Qu'en pensez-vous ?
- LE PRESIDENT.- A priori je souhaite que la Communauté européenne s'élargisse aux pays qui le désirent mais je suis moi-même extrêmement prudent. La Communauté a reçu deux demandes actuellement, celle de l'Autriche et celle de la Turquie. A priori bien entendu ce sont des candidatures à examiner mais nous avons à mettre au point la mise au net du futur marché intérieur unique prévu pour le 1er janvier 1993. Il y a déjà tant de problèmes à régler entre les douze partenaires que je ne pense pas qu'il soit souhaitable de compliquer ces délibérations par ce que signifierait un nouvel élargissement. Donc, on peut estimer que jusqu'en 1993 il n'y aura aucune sorte d'élargissement de l'Europe des Douze. A plus forte raison il n'y en aura pas avec les pays qui ne le demandent pas, cela me paraît logique.
- Quant à comprendre la position de l'Islande, c'est mon cas. Il est certain que l'économie de l'Islande repose essentiellement sur une unique production considérable mais très spécifique qu'est l'exploitation de la mer, la pêche en particulier. Il est très difficile à l'Islande d'entrer dans un débat sur un partage des bancs de pêche alors que pour elle c'est l'essentiel de sa vie. Alors que ce n'est qu'un des aspects de la vie économique de la Communauté. Et entrer dans un marché unique sans frontières extérieures c'est en effet un risque pour l'Islande. D'autre part, j'ai bien réfléchi à l'autre objection élevée par M. le Premier ministre également compréhensible, lorsqu'il s'agit du libre droit d'entrer des personnes à l'intérieur des pays de la Communauté. L'Islande est un pays qui ne comporte que 250000 habitants, donc une faible démographie et la Communauté c'est 340 millions d'habitants. C'est un pays qui a besoin de préserver une économie qui pourrait devenir fragile mais en même temps un équilibre culturel, une identité culturelle qui ne suppose pas sans doute une telle facilité d'accès et d'installation dans l'île. Je comprends bien les objections de M. le Premier ministre et il me semble que le plus sage est de s'orienter vers un accord particulier entre la Communauté et l'Islande, le cas échéant entre la Communauté et les six pays de l'AELE et en tout cas la France est disposée, elle, à tous les accords imaginables avec l'Islande.\
QUESTION.- Monsieur le Président, je souhaiterais pouvoir vous poser une question sur la situation au Proche-Orient et plus précisément en Irak. Le Président irakien multiplie les interventions sur les écrans de télévision et il a récemment annoncé la libération des femmes et des enfants retenus en otages au Koweit et en Irak. Que pensez-vous en général de sa façon de faire en ce moment et surtout de cette dernière nouvelle ?
- LE PRESIDENT.- Il multiplie les interventions, il les multipliera. Je crois savoir qu'aux antennes vous lui donnez une place dès ce soir. Autant le dire. Je pense qu'on ne peut qu'être heureux pour les familles qui verraient - car je n'ai pas eu de confirmation de cette annonce - revenir femmes et enfants mais cela ne règle pas du tout le problème. Les otages français, comme les autres otages, doivent être tous libérés. On ne peut pas négocier une fraction ou une autre. Donc, M. Saddam Hussein décide ce qu'il veut décider mais s'il y a lieu de tirer une leçon de cet événement c'est que tant qu'il n'aura pas choisi de renoncer à ce moyen de pression en utilisant ces milliers de personnes qui se trouvaient dans son pays comme une arme de guerre, tant qu'il n'aura pas décidé, il n'y aura pas lieu de faire de commentaires sur une décision qui ne reste que partielle.\
QUESTION.- Est-on toujours dans une logique de guerre ?
- LE PRESIDENT.- Vous connaissez un événement qui nous aurait permis d'en sortir ? Il y a des interventions extrêmement intéressantes et qui peuvent être productives, je continue de le souhaiter. Notamment celle de M. Perez de Cuellar. Il existe aussi une logique de paix. On ne doit rien négliger pour cela, sauf qu'il est absolument impossible de renoncer au droit, au droit international public, bafoué par l'Irak en la circonstance et tant que l'on ne se sera pas mis dans une situation de droit, il me paraîtra difficile de sortir de cette logique de guerre que je déplore, dont je souhaite qu'on en sorte. Je n'ai pas aperçu de progrès conséquents depuis ces derniers jours.
- QUESTION.- Que pensez-vous du plan de paix proposé aujourd'hui par M. Arafat au Premier ministre français, et pensez-vous justement que cette initiative s'inscrive dans la logique de paix ?
- LE PRESIDENT.- Lorsque le Premier ministre m'aura rendu compte de ces conversations, je pourrai en tirer des conclusions. Pour l'instant, je connais les dépêches de presse, et j'espère dans la soirée avoir au téléphone le Premier ministre mais je ne ferai pas de commentaires dans l'état actuel de mes informations.
- QUESTION.- Monsieur le Président, les autorités légitimes du Koweit estiment que M. Saddam Hussein doit être poursuivi pour crime de guerre. Est-ce que vous pensez que la prise d'otages à laquelle il a procédé relève de cette qualification ?
- LE PRESIDENT.- C'est certainement une violation très grave du droit des gens. Les conclusions à en tirer seront examinées par les Nations unies car c'est à elles d'abord de se prononcer.
- QUESTION.- Monsieur le Président, si vous comparez la situation qui prévaut aujourd'hui à celle d'il y a une semaine ou quinze jours, comment la jugez-vous ? Est-ce qu'elle vous paraît encore plus dangereuse, est-ce qu'on se rapproche encore plus du stade ultime pourrait-on dire ?
- LE PRESIDENT.- Je croyais l'avoir dit à l'instant. Je n'aperçois pas de signes évidents d'une amélioration de la situation. Plus elle dure, plus elle s'aggrave. Je répète que tous mes souhaits soient pour qu'on sorte enfin de cette logique.\
QUESTION.- (en anglais).
- LE PRESIDENT.- La Conférence de Reykjavik a surtout marqué une avancée dans les esprits, qui a été suivie quelque temps plus tard par les accords de Washington. Et cette avancée dans les esprits cela a été : on va enfin commencer de désarmer par accord international entre les deux plus grandes puissances militaires du monde. Jusqu'ici le désarmement était resté un voeu pieux. On est entré dans les faits grâce à la Conférence de Reykjavik en particulier. Et comme vous le savez l'accord de Washington a donné au désarmement une tournure nouvelle par le renoncement aux armes nucléaires dites intermédiaires. Depuis cette époque, les progrès ont été constants.
- On avait examiné à Reykjavik la possibilité de renoncer par une proportion assez considérable aux armements stratégiques nucléaires. C'est une idée forte, qui n'a pas trouvé de traduction encore à l'heure où je m'exprime, bien que MM. Bush et Gorbatchev en aient de nouveau parlé. Je souhaite que cela aille de l'avant. Les armes nucléaires à moyenne portée, c'est fait. Les armes chimiques, conférence de Paris, débats subséquents de Genève, grands progrès. De même pour les armes biologiques. Armements stratégiques, ce n'est pas encore fait. Lorsque cela sera en début d'exécution, et lorsque les deux plus grandes puissances nucléaires auront vraiment sur la table une part de leur armement, une large part de leur armement, la France se déclare prête, s'est déjà déclarée prête à prendre part à ce mode de désarmement. Bien entendu, beaucoup de conditions devront être remplies, je les avais déjà définies à la Tribune des Nations unies en 1983. On en reste là. Mais enfin pour résumer, je pense que l'accord de Reykjavik a été un ébranlement salutaire dans ce qui était à l'époque l'affrontement de la politique, de bloc à bloc, nous sommes sortis de là ! Et je dois dire que la politique de l'Union soviétique, sur ce terrain, a été extrêmement féconde, comme celle des Etats-Unis d'Amérique et quelques autres. La réunion de la CSCE qui aura lieu en novembre à Paris devrait normalement démontrer les progrès accomplis pour le désarmement général dans des conditions équilibrées et concomitantes que les diplomates examineront.\
QUESTION.- Est-il important pour la CEE d'arriver à un accord avec l'AELE sur l'espace économique européen ou est-ce qu'il y a d'autres affaires plus importantes pour la CEE, que la CEE doit régler avec ses voisins européens ?
- LE PRESIDENT.- Je ne crois pas. La Communauté européenne a fixé l'accord avec l'AELE parmi ses priorités. Elle a commencé ses discussions, alors que Mme la Présidente d'Islande et moi-même assurions les deux présidences, nous avons lancé la négociation. Elle a lieu, elle se poursuit et autant que je me souvienne de débats récents à l'intérieur de la Communauté économique européenne c'est le premier sujet qui vienne maintenant lorsqu'il s'agit de parfaire le système économique européen, l'espace économique européen. Donc c'est tout à fait une priorité mais c'est difficile pour beaucoup de raisons, en particulier parce que les pays de l'AELE procèdent pour l'instant par exemptions, par soustraire au débat toute une série de questions et ce ne sont pas les mêmes. L'Islande, j'ai dit à quel point je la comprenais. Elle objecte qu'elle ne souhaite pas que l'on mette dans le paquet la pêche £ l'Autriche ne souhaite pas que l'on discute des transports £ la Suisse ne souhaite pas que l'on parle des circuits financiers etc... et comme a priori l'ensemble des pays de l'AELE ont dit on ne parlera pas de l'agriculture, vous voyez que le champ se réduit peu à peu. Je pense qu'on devrait aboutir mais il faut peut-être que l'on mette un peu d'harmonie entre les questions que l'on se pose mutuellement.\
QUESTION.- Concernant le Golfe, est-ce que vous envisagez de recevoir les leaders des partis politiques français prochainement ?
- LE PRESIDENT.- Oui, je pense en recevoir le plus grand nombre samedi et d'autres lundi. Ce sont des discussions qui ont lieu à l'heure actuelle entre les différents secrétariats pour prendre une connaissance des convenances de chacun. Ensuite, de toute manière, M. le Premier ministre les verra, cela a été entendu dans son discours de la session extraordinaire £ bien entendu nous en étions d'accord et il a souhaité maintenir un lien qui serait réitéré toutes les 48 heures. Je me réjouis que cela soit possible. Pour ma part je me contenterai, ce n'est pas la peine de multiplier outre mesure ces échanges, de recevoir par déférence et par souci d'information mutuelle les différents représentants des partis ayant une présence parlementaire. Je les recevrai samedi et lundi sans avoir fixé d'autres rendez-vous pour la suite. C'est le Premier ministre qui assurera cette relation qui est davantage de son ressort.\