19 juillet 1990 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur l'histoire du tunnel du Mont-Blanc, des communications entre la France et l'Italie puis entre tous les pays de la Communauté, et la proposition du percement d'un nouveau tunnel, Mont-Blanc, le 19 juillet 1990.

Monsieur le Président de la République et cher ami,
- Mesdames et messieurs,
- Cette cérémonie, le 25ème anniversaire de la mise en service du tunnel sous le Mont-Blanc, me donne le plaisir de retrouver, pour la seconde fois cette année, le Président Cossiga qui nous a fait l'honneur de venir en visite d'Etat en France au mois de janvier dernier.
- Ces très agréables retrouvailles d'aujourd'hui, entre amis et voisins, se font en un lieu qui nous unit, quand il nous séparait. Ces montagnes admirables ont été le creuset d'un mode de vie très semblable de part et d'autre de la frontière, de mentalités et de langues voisines. Au point même qu'au fil de l'histoire s'est façonné un Etat transalpin unissant naguère Chambéry, Turin et Nice. Aujourd'hui, il en va, bien sûr, tout autrement, mais je tiens à ce qu'en mémoire de ce passé et des nécessités du présent, se développe dans des circonstances différentes la coopération transfrontalière.
- Ce tunnel, notre tunnel, on y pensait depuis longtemps. En 1787, le physicien-naturaliste genevois, Horace de Saussure, inspiré par sa connaissance de la montagne, tentait cette prophétie, je le cite : "Je vois deux vallées où l'on parle la même langue, les peuples sont les mêmes. Un jour viendra où l'on creusera sous le Mont-Blanc une voie charretière et ces deux vallées, la vallée de Chamonix et la vallée d'Aoste, seront réunies". Et pourtant, il a fallu beaucoup de temps avant la réalisation, puisque l'inauguration date de 1965, vous l'avez rappelé. Pendant le XIXème siècle les Valdôtains défendront cette idée, surtout quand il s'agira concrètement, après 1850, de définir les premières traversées ferroviaires des Alpes. Des projets, des comités, des conférences qui sont allés presque jusqu'au succès, avec un grand enthousiasme en France, en 1879, puis en 1907, avec un cortège de déceptions. A partir des années 30, est apparu le projet d'un tunnel routier, promu par les Genevois, suivi encore de tergiversations. Enfin, ce fut l'heure des décisions, et la belle aventure des travaux, qui n'ont duré que six ans, pour réaliser ce qui était alors le plus long tunnel routier du monde. J'ai eu l'occasion tout à l'heure, de l'autre côté, de rencontrer les hommes qui ont fait le tunnel, qui ont participé à cette tâche, et je tiens à les honorer.\
Maintenant, l'exploitation est assurée, discrètement, efficacement, par la société italienne et la société française du Tunnel du Mont-Blanc qui comporte une participation suisse. Le tunnel remplit sa mission avec déjà 30 millions de véhicules qui l'ont emprunté à un rythme annuel de 2 millions par an en croissance permanente. Il permet, avec le tunnel de Fréjus, de couvrir les trafics France-Italie. Il a contribué de la même façon, comme l'attendaient ses promoteurs, au développement économique et touristique des régions avoisinantes. C'est une manifestation parmi d'autres de l'intensité de nos relations : la France et l'Italie, l'Italie et la France, sont l'une pour l'autre le deuxième partenaire économique, et leurs échanges ont franchi le seuil de 270 milliards de francs. Qu'il s'agisse de l'agro-alimentaire, de la mécanique, de l'équipement automobile, la France est devenue l'un des premiers points d'ancrage de l'investissement industriel italien en Europe. En Italie, les investissements français se sont accélérés, se sont diversifiés. Nos liens de coopération sont devenus denses et forts : défense, aéronautique avec le grand succès du programme d'avion de transport ATR 42 puis ATR 72, électronique où nous avons regroupé nos forces dans les composants, industrie chimique, recherche, innovation technologique, défense de l'environnement. Voilà ce qu'il convient maintenant d'intensifier.\
Bref, une histoire un peu sinueuse, où la ténacité a fini par payer, non sans peine, un présent prestigieux, une sorte d'inscription physique dans la montagne et par les hommes des liens qui existent entre nos deux pays, voilà ce que nous voulons fêter aujourd'hui. Maintenant, il nous faut préparer l'avenir. Nous sommes, pour la France, décidés à réaliser de grandes infrastructures, afin de développer les échanges avec les autres pays et jouer notre rôle au sein de l'Europe. La France ne le fera qu'après une étude rigoureuse de l'utilité de chaque investissement, en préservant au maximum notre patrimoine naturel, notre patrimoine culturel, en conciliant l'ambition des bâtisseurs et la vigilance des défenseurs de l'environnement. C'est possible. Entre l'Italie et la France, nous aurons d'abord à améliorer les accès aux tunnels. En 1993, nous aurons achevé l'autoroute qui mènera directement à seulement quelques kilomètres du tunnel du Mont-Blanc. Les travaux progressent aussi en Italie. Quant au Fréjus nous aurons amélioré sa desserte vers 1996. Après, il faudra envisager de nouvelles percées des Alpes. Problème difficile. Je sais l'attachement de l'Italie à de nouvelles connexions par le sud, de Turin vers la côte méditerranéenne française, pour mieux relier les régions concernées, développer les transports entre l'Italie et la France méridionale, l'Espagne et le Portugal. Voilà les sujets difficiles qu'il faut traiter, compte-tenu des coûts et des données écologiques extrêmement sensibles. Nos préoccupations se portent sur l'accroissement des trafics de l'Italie vers la France et vers l'Europe du Nord qui va conduire à la saturation de nos tunnels au cours de la première décennie du siècle prochain. Il faudra donc réaliser une nouvelle traversée dans les Alpes du Nord. On propose plusieurs solutions, sont-elles bonnes ? Examinons-les ! Le projet d'un nouveau tunnel proche de celui-ci, qui commence à être examiné par la Société Française du Tunnel du Mont-Blanc, c'est une hypothèse de réflexion future de nos gouvernements. Enfin, quelle que soit la solution retenue, elle devra, par sa conception technique et le choix de l'implantation, mettre tous les atouts de son côté afin de réduire les nuisances pour les populations et les atteintes aux sites. Je souhaite également que soit recherchée la combinaison la plus efficace des modes de transport et que nous ne négligions pas les avantages du rail, qu'ont bien compris nos amis Suisses. L'idée d'une traversée ferroviaire dans les Alpes du Nord, qui figure au projet de schéma directeur des trains à grande vitesse français, rencontre, je le crois, un grand intérêt en Italie. Eh bien ! je propose d'accélérer les études et d'examiner les possibilités de combiner ce nouveau projet pour les voyageurs avec les utilisations pour le fret. Voilà les questions que je voulais poser. Nous avons le temps certes d'étudier les meilleures réalisations, mais il faut être en mesure de prendre des décisions dans les deux ou trois années à venir.\
C'est la perspective européenne qui est en cause. Nos réflexions s'inscrivent dans ce cadre : les travaux communautaires. Nous les avons engagées, lors de la présidence française, sur les grands réseaux structurants de transports et de télécommunications. Et voilà que, maintenant, c'est la présidence italienne. L'Europe, aujourd'hui, est notre horizon commun, non seulement la Communauté, notre noyau d'action et de travail, mais encore ce que j'ai appelé récemment "L'Europe d'un seul espace". Tout ceci est à construire, tout ce qui se transforme chaque jour sous nos yeux. Eh bien, à l'Italie et à notre ami le Président de la République italienne, M. Cossiga, à l'Italie qui vient de prendre la présidence de la Communauté pour un semestre important, celui des conférences intergouvernementales sur l'Union économique et monétaire et sur l'union politique, je dirai : l'Italie vient de prendre en charge une tâche bien lourde mais je sais qu'elle la mènera à bien car nombreux sont les responsables qui partagent notre hypothèse de travail, notre ambition pour l'avenir et dont la compétence est certaine parmi les fondateurs de l'Europe. Voilà un grand dossier, mesdames et messieurs, un grand dossier européen. Vous avez parlé, monsieur le Président et cher ami, de cette Europe en mouvement qui se transforme chaque jour. Ces barrières qui tombent, ces frontières qui s'ouvrent et d'abord les frontières de l'esprit, la communication, l'échange dont ce tunnel a formé, il n'y a pas si longtemps, l'exemple. Engageons-nous résolument dans cette voie, l'Europe d'un seul espace, l'Europe telle que l'histoire et la géographie la dessinent. Cette Europe-là, c'est la nôtre aussi, Italiens et Français, et l'exemple que nous vivons pour l'instant, j'espère qu'il se communiquera à travers le temps et l'espace et que, de plus en plus, l'Europe se fera.\