18 juillet 1990 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur le rôle de l'art pour l'épanouissement des handicapés, Paris, le 18 juillet 1990.

Mesdames,
- Messieurs,
- C'est pour moi un moment important que d'être parmi vous aujourd'hui, puisque cela me permet de rendre hommage à l'activité de votre grande association, madame la Présidente, c'est-à-dire au courage, au dévouement, à l'amour, à la compétence aussi de ces milliers et milliers de parents, de bénévoles, de professionnels, de responsables de toutes sortes qui se sont donné pour objet de rendre notre société plus accueillante et solidaire.
- C'est ainsi que cette association, à mes yeux, est loin d'être anodine. En choisissant d'exposer des oeuvres souvent remarquables, d'artistes handicapés mentaux, l'UNAPEI fait l'éclatante démonstration, mais qui en doutait, que tous les hommes sont d'égale dignité. Que la forme la plus élaborée de la production humaine - l'activité artistique - est, à eux comme à nous, un moyen commun d'expression et de communication.
- Qui mieux que vous, parents, amis, personnes handicapées, qui mieux que vous sait combien long, difficile, acharné, est le combat pour cette dignité de tous les hommes. Et pourtant les premiers pas dans cette voie sont déjà loin derrière vous, comme tant d'autres combats pour l'égalité des droits. Ils remontent à la période révolutionnaire de notre histoire de France.
- C'est la déclaration de l'indépendance américaine qui le proclame en 1776, je cite : "Nous tenons pour évidentes par elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux £ ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables £ parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté, et la recherche du bonheur". La Convention nationale en 1793 allait encore plus loin en posant les principes de la solidarité nationale que je cite encore : "Tout homme a droit à sa subsistance par le travail s'il est valide £ par des secours gratuits s'il est hors d'état de travailler".
- Mais de la proclamation d'un principe à sa mise en oeuvre il y a, vous le savez bien, une marge, et quelquefois une large marge. La tâche n'est jamais aisée pour ceux qui s'y appliquent. Quelques visionnaires ont jalonné cette route £ je pense, ce n'est qu'un exemple, à l'action de l'Abbé de l'Epée donnant aux sourds-muets une capacité d'expression et d'accès à l'instruction.
- Je pense aussi à la loi de 1975 qui sert encore de référence dans de nombreux pays. Depuis lors, nous avons continué, poussé encore plus avant ce qui montre bien la chaîne des générations, politiques ou autre pour accomplir cette mission nécessaire.\
Avec votre association, forte de ses 60000 adhérents et qui constitue pour les pouvoirs publics une force de proposition et un interlocuteur qualifié, nous avons tenté de faire progresser de concert les droits qui sont, tout simplement, ceux de toute personne humaine : droit au travail, droit au logement, droit aux loisirs, droit à l'éducation, à l'information, droit de se déplacer, que sais-je ? La liste est longue mais se ramène à une idée toute simple de ce qu'est l'homme dans la société. Claude Evin, ici présent, avec Michel Gillibert, qui m'accompagnent l'un et l'autre parmi quelques autres membres du gouvernement, sont les animateurs au sein de ce gouvernement d'une politique d'ensemble qui ne doit laisser indifférent aucun département ministériel. Je me souviens d'être allé à Dunkerque à la fin de 1989 là où le ministre des transports et le secrétaire d'Etat aux handicapés avaient organisé une manifestation sous le titre éloquent de : "transporter sans exclure".
- Mais nous avons décidé de consacrer des moyens importants sur plusieurs années à la création de places d'accueil dans les différents établissements qui répondent aux besoins des personnes handicapées £ dans les centres d'aide par le travail et les ateliers protégés, lorsqu'elles sont en mesure d'acquérir par l'activité professionnelle les moyens d'un épanouissement et d'une autonomie personnels. Dans les maisons d'accueil spécialisées, comme celle de Baraqueville, que j'avais visitée en votre compagnie, lorsque la nature et la profondeur de leur handicap exigent des soins et une attention constantes.
- Mais vous le savez bien, en dépit de ce qui est accompli, beaucoup trop reste à faire : notamment pour renforcer l'intégration des enfants et des adolescents handicapés dans le milieu scolaire ordinaire. Car s'il n'est pas question de mettre en cause le droit de ces enfants à recevoir une éducation spéciale, dans des établissements particuliers, il faut aussi, et je vous cite madame la Présidente, "que les parents puissent choisir une autre voie que celle du maintien à vie dans un cocon sécurisant ou dans un nid clos".
- Nous l'avons affirmé en 1989, l'an dernier, dans la récente loi d'orientation sur l'éducation.
- Car ce dont ces enfants ont besoin, ce n'est pas tant de compassion, ce n'est pas peut-être non plus de surprotection, c'est tout simplement pour maîtriser le mieux possible leur vie personnelle, de pouvoir développer leurs capacités, leurs dons, et nous savons qu'ils ne sont jamais nuls et qu'ils peuvent être immenses.\
Vous l'avez très bien dit, madame, ce que nous révèle l'Art, ce langage qui rapproche les hommes au-delà de toutes les différences, de civilisation, de culture, de race au-delà des inégalités sociales, économiques, au-delà de tous les handicaps.. Car l'Art exprime, vous le savez, une vérité sans frontières, celle qui jaillit d'un homme pour aller vers un autre homme, et qui fonde, plus sûrement peut-être que tout autre principe élaboré, l'égalité entre eux. C'est ce qui fait que cette exposition, que nous venons de visiter, est une démonstration vivante de la justesse de vos combats. Que la personne handicapée soit "un citoyen à part entière", selon le slogan que vous avez fait vôtre, nul, après avoir vu ces oeuvres, après avoir pénétré dans cet univers, ne peut en douter. Voilà une grande leçon.
- Et comme nous vous comprenons, madame, lorsque vous évoquez l'émotion que provoque cette rencontre privilégiée, qui abolit les difficultés de communication, révèle la richesse des personnalités et l'intensité des talents.
- Et nous partageons, ou du moins nous essayons de partager, ce que doit être la fierté des artistes, de leurs parents, de leurs amis, et de tous ceux qui les aiment, d'avoir su faire tomber les murs de l'incompréhension, de l'indifférence pour nous donner une leçon de courage, de générosité de coeur - je vais employer le même mot, il revient constamment sur mes lèvres - de vie, tout simplement.
- C'est tout ceci que je suis venu ici saluer, en vous redisant, mesdames et messieurs et plus particulièrement vous-même madame, ma grande attention à la cause que vous défendez qui sera tout au long de cette année "La grande cause nationale" et le restera au-delà de 1990, soyez sûrs.\