7 juin 1990 - Seul le prononcé fait foi
Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur l'histoire et le rôle de la Ligue des Droits de l'Homme, Paris, le 7 juin 1990.
Monsieur le Président,
- mesdames,
- messieurs,
- chers amis,
- Yves Jouffa vient à l'instant de définir en deux mots l'esprit dans lequel ont été conçus et réalisés les travaux de restauration du siège de la Ligue des Droits de l'Homme. Vous l'avez dit, il fallait faire de ce siège un lieu de mémoire, il fallait aussi que la rénovation fût synonyme de rajeunissement, de renouvellement.
- De ce double point de vue, la rénovation du siège de la Ligue m'y paraît - bien que je n'aie guère eu le temps de voir - comme une réussite. De toute façon c'est une réussite déjà que d'avoir entrepris au même endroit, en partant de locaux qui n'étaient pas très commodes, une nouvelle étape qui commence, qui reste fidèle aux traditions et qui devrait normalement permettre à cette grande Ligue de continuer à travers le temps qui vient, l'oeuvre nécessaire qui est la sienne.
- C'est vrai que tant de femmes et d'hommes sont passés par ces lieux, les uns déjà illustres, d'autres inconnus, peu importe, les uns parvenus en certaines circonstances historiques au faîte que l'on appelle la gloire, les autres, qui avaient parfois connu ces moments mais bannis ou persécutés, qui tout simplement menaient leur vie de citoyens, leur vie personnelle, sans chercher autre chose, et qui militaient tout simplement, qui oeuvraient, qui se rassemblaient autour d'un idéal. Ce n'est pas si commun un idéal. Cet idéal était tout simple, inspiré des grands principes de 1789, comprenant la République dans son exacte définition, politique certes, démocratique et sociale. Et considérant que tout homme atteint dans sa dignité et dans son être avait le droit d'être défendu, assisté et, le cas échéant, sauvé par ceux qui s'étaient institués Ligue des Droits de l'Homme.
- Je crois que vous êtes là depuis une soixantaine d'années. L'essentiel c'est que la continuité soit assurée, la continuité des hommes, des femmes, au travers du témoin qu'ils passent, mais aussi la tradition dont ils s'inspirent et qui est la leur, surtout cet idéal régulièrement menacé sous des formes directes ou sous des formes hypocrites et qu'il s'agit de porter haut. Témoigner, après tout il n'y a pas d'autre terme, il n'y a pas d'autre verbe mieux adapté. C'est cela votre mémoire, le souvenir de ceux qui vous ont précédés, Yves Jouffa, et dont les portraits figurent sur ces murs.\
Les temps de la persécution ont marqué cruellement votre histoire. Cela n'a jamais été facile. Je pense qu'il manque encore peut-être une certaine forme de littérature, une histoire écrite pour magnifier les personnages qui ont marqué votre vie.
- Je suis un compatriote de Ludovic Trarieux, lorsque dans mon enfance, tout petit, j'attendais sur la grande place, il y avait là un monument sur lequel figurait un buste, et je m'asseyais là au bord du monument tandis que mes parents faisaient les courses, ce qui est il faut le dire un martyre pour les enfants £ ils revenaient les bras chargés d'un tas de choses avant de retrouver la voiture à cheval pour franchir les trois ou quatre kilomètres qui nous séparaient de la maison.
- J'ai donc rencontré Trarieux ou plutôt sa statue. Ma curiosité s'est éveillée, et j'ai une petite bibliothèque à propos de Trarieux. Je l'ai découvert, c'est un homme intéressant, né d'une famille de bonne bourgeoisie, devenu lui-même grand bourgeois à Bordeaux, député, conseiller de l'Ordre des avocats, opportuniste dans le sens ou on employait ce terme pour définir le grand mouvement politique illustré en particulier par Jules Ferry et quelques autres, pas spécialement engagé, modéré dans son action, ne s'identifiant jusqu'alors à aucune grande cause.
- Puis, il y a a eu l'affaire Dreyfus, le sentiment que l'on ne pouvait pas vivre jusqu'à la fin de ses jours en s'accommodant d'une société très inégale qui se révélait très injuste, cruelle, systématique, sectaire, pratiquant l'exclusion et le racisme. Alors, il s'est révolté. Avec quelques amis Trarieux a créé la Ligue - mais cette histoire, vous la connaissez autant que moi -. Ils ont décidé en parcourant tous les lieux où l'affaire Dreyfus s'était déroulée pour assurer la force de leur serment, que décidément on ne verrait plus cela. C'était un bel espoir et il faut dire que la Ligue créée à partir de là a empêché beaucoup de situations de cet ordre, même si l'histoire toute puissante a démenti leurs espérances moins de vingt ans après et, plus encore, quelque quarante ans après qu'ils eurent fait le serment qu'on ne verrait plus jamais cela. L'ensemble des femmes et des hommes qui se sont engagés ce jour-là ont été essentiellement fidèles, c'était devenu pratiquement leur principale fonction civique. Cette ligue était enthousiaste, ils allaient partout dans les communes de France expliquer pourquoi ils avaient connu cette évolution, comment devant la force de l'événement ils avaient cru bon de donner un nouveau tour à leur carrière, dans leur façon de vivre et même parfois dans leur façon de vivre familiale ou sociale. On peut donc dire que la naissance de la Ligue des Droits de l'Homme a correspondu à une nouvelle forme de civisme plus engagée, plus aigüe, plus forte et mieux pensée.\
La suite, c'est vous qui l'assumez, après quelques autres qui sont là autour de vous. Est-ce que nous sommes à un moment fort ? En vérité, la Ligue des Droits de l'Homme a d'autant plus de signification que les situations qui sollicitent cette intervention sont nombreuses et j'espère bien tout de même qu'à l'heure actuelle ces situations sont plus rares, car une société c'est mouvant, et c'est contradictoire, il faut bien se dire que tout est toujours possible, que des événements importants ou mineurs se sont déroulés au cours des dernières années, pour ne pas dire des derniers mois, qui montrent bien que ce que firent quelques-uns avec et derrière Ludovic Trarieux reste de circonstance. Ce n'est pas le gouvernement de la République qui peut parer à tout. Donc, c'est une continuité dans votre tradition que je tiens à célébrer dans ces nouveaux locaux. Je dis renouvellement, renouvellement des locaux et renouvellement des hommes. Il faut que vous assuriez absolument la continuité des générations et, de ce point de vue, je pense à l'Université, je pense que dans les entreprises, je pense que dans de très nombreux milieux socio-professionnels il existe assez de jeunes qui sentent, face à l'adversité et aux menaces qui pèsent là comme cela, qui assombrissent certaines fractions d'avenir, que l'on doit agir en 1990 comme on le faisait il y a près de 100 ans. Pourquoi ? Parce que l'histoire recommence toujours, les passions sont les mêmes parce que les sectarismes s'opposent, parce que l'homme est l'homme, parce que nul ne peut prétendre organiser une société au point qu'il n'y ait jamais de fissure ni d'éclatement au sein de cette construction. Nous agissons de la façon qui nous paraît la meilleure puisque nous avons présentement la principale responsabilité.... moi, puis d'autres, ceux du gouvernement, les ministres qui nous entourent, je dirai vous, ceux qui occupent une responsabilité majeure aujourd'hui et, parmi eux, le Président du Conseil constitutionnel que vous avez eu raison de citer tout à l'heure car son rôle comme Garde des sceaux et comme Président du Conseil constitutionnel a, à mes yeux, beaucoup compté dans l'évolution du droit.\
Droit, droits de l'Homme, il faut toujours les reconquérir. Quand j'ai demandé au Parlement d'élargir la saisine du Conseil Constitutionnel, parce qu'il me semble qu'il y a une certaine notion des droits fondamentaux et que ces droits fondamentaux tous les citoyens doivent pouvoir les réclamer lorsqu'ils ont le sentiment que ces droits leur ont manqué. Alors, nous sommes en plein milieu d'un débat parlementaire. Je suis optimiste mais je n'ignore pas les difficultés qui se présentent à nous, dans la mesure où on mélange un peu trop les grands problèmes de fond et de droit, qui sont partagés par l'immense majorité de la nation, et le débat politique et quotidien qui, bien entendu, suppose une autre répartition des forces. C'est un peu dommage, j'espère que chacun prendra conscience de l'importance de cette mesure.\
L'année dernière, 1989, nous avons connu, et commémoré de façon grandiose la Révolution française, ce qu'elle a apporté au pays, ce qu'elle a apporté au monde. C'est tout de même passionnant d'être porteur d'un message universel, il ne faudrait pas qu'on l'oublie, ici en France, universel et présenté comme tel par quiconque pense, réfléchit et agit sur la terre. Je pense que cette célébration a eu un certain retentissement. Le 31 décembre la porte est close puisque l'année est finie. En a-t-on fini pour autant avec le message de la Révolution française ? J'espère que non. Donc en 1990, 91, 92 et la suite il y aura beaucoup à dire, il y aura beaucoup à faire.\
Les progrès de la France, je crois, ne sont pas niables sur ce terrain comme sur quelques autres. L'égalité : elle est constamment voulue, recherchée, elle n'est pas toujours atteinte, loin de là, mais les forces qui pèsent et qui tendent à maintenir en place les systèmes anciens, qui tendent à préserver les dominations acquises, les privilèges, sont si puissantes qu'il faut beaucoup de ténacité, de volonté, de constance pour parvenir à les corriger. En fait, telle est notre disposition d'esprit et tel est notre dispositif dans le combat démocratique. La liberté s'est toujours associée à l'égalité, il n'y a pas d'égalité s'il n'y a pas de liberté, on ne peut pas évidemment agir sur un terrain et ne pas agir sur l'autre. Qu'est-ce qui vaut le plus, qu'est-ce qui vaut le mieux, je pense que la liberté c'est le terreau à partir duquel toutes les autres fonctions demandent à s'épanouir et mettre en oeuvre une action pour que chaque être humain se sente en situation de disposer d'une égalité des chances et, si cette égalité des chances n'existe pas, eh bien c'est à la société qu'il appartient d'apporter sa contribution, de corriger la réalité naturelle ou instinctive et de faire que finalement chacun se trouve devant son destin avec les moyens de s'épanouir et de s'assumer.
- Moi personnellement, j'ai tendance à pécher par optimisme, j'ai confiance en nos concitoyens. Je crois que, finalement, je combats contre les exclusions, contre les discriminations pour la justice sociale. Je pense que si nous y mettons la main, nous et bien d'autres encore dans toute la France, il n'y a pas de raison que l'on perde ce combat-là. Nous avons pour nous une longue histoire, nous avons aussi les faits d'armes de nos anciens. Il y a les sacrifices accumulés, les martyrs, il y a l'action volontaire de ceux qui sont allés vers la mort ou la perte de leur liberté consentie consciemment, clairement. Il y a nos camarades de la Résistance, que nous avons vu tomber. Il y a pour nous une telle histoire, un tel rayonnement de ces hauts faits, de ces gestes et ces sacrifices que je ne veux pas croire que ce soit pour rien, à la condition, bien entendu, que nous en soyons dignes à notre tour.
- Lorsque je vois la Ligue des Droits de l'Homme qui fut à l'origine de l'un de ces plus beaux combats pour la justice, pour la liberté et pour l'égalité, qui cherche aussi à préserver toutes les données de la fraternité, qui tend à développer un état d'esprit, une façon de vivre, une façon d'être, lorsque je la vois se perpétuer d'abord, chercher à se renouveler ensuite, même si c'est au travers de quelques symboles aussi simples qu'une ancienne maison qui a tendance à devenir une maison toute neuve, alors je pense que la sève est là, la vie. Nous avons pris le parti de la vie, nous avons choisi la vie. Et qui dit "vie" dit "espérance", nous croyons aux lendemains. Ces lendemains n'appartiennent pas à la volonté de l'homme sans doute mais on peut les fabriquer, on peut les modeler. Si la société est un frein, c'est la société qu'il faut changer. Voilà pourquoi mesdames et messieurs je n'ai pas voulu manquer ce rendez-vous. C'est quelque chose pour moi de rencontrer des personnes qui me sont chères, que je n'ai pas souvent l'occasion de rencontrer. C'est l'occasion de revenir dans des milieux marqués par l'Histoire, l'Histoire que nous aimons. Enfin on peut être auprès de vous pour vous dire "eh bien, vous avez décidé de continuer ? Continuez donc, mais surtout réussissez".\
- mesdames,
- messieurs,
- chers amis,
- Yves Jouffa vient à l'instant de définir en deux mots l'esprit dans lequel ont été conçus et réalisés les travaux de restauration du siège de la Ligue des Droits de l'Homme. Vous l'avez dit, il fallait faire de ce siège un lieu de mémoire, il fallait aussi que la rénovation fût synonyme de rajeunissement, de renouvellement.
- De ce double point de vue, la rénovation du siège de la Ligue m'y paraît - bien que je n'aie guère eu le temps de voir - comme une réussite. De toute façon c'est une réussite déjà que d'avoir entrepris au même endroit, en partant de locaux qui n'étaient pas très commodes, une nouvelle étape qui commence, qui reste fidèle aux traditions et qui devrait normalement permettre à cette grande Ligue de continuer à travers le temps qui vient, l'oeuvre nécessaire qui est la sienne.
- C'est vrai que tant de femmes et d'hommes sont passés par ces lieux, les uns déjà illustres, d'autres inconnus, peu importe, les uns parvenus en certaines circonstances historiques au faîte que l'on appelle la gloire, les autres, qui avaient parfois connu ces moments mais bannis ou persécutés, qui tout simplement menaient leur vie de citoyens, leur vie personnelle, sans chercher autre chose, et qui militaient tout simplement, qui oeuvraient, qui se rassemblaient autour d'un idéal. Ce n'est pas si commun un idéal. Cet idéal était tout simple, inspiré des grands principes de 1789, comprenant la République dans son exacte définition, politique certes, démocratique et sociale. Et considérant que tout homme atteint dans sa dignité et dans son être avait le droit d'être défendu, assisté et, le cas échéant, sauvé par ceux qui s'étaient institués Ligue des Droits de l'Homme.
- Je crois que vous êtes là depuis une soixantaine d'années. L'essentiel c'est que la continuité soit assurée, la continuité des hommes, des femmes, au travers du témoin qu'ils passent, mais aussi la tradition dont ils s'inspirent et qui est la leur, surtout cet idéal régulièrement menacé sous des formes directes ou sous des formes hypocrites et qu'il s'agit de porter haut. Témoigner, après tout il n'y a pas d'autre terme, il n'y a pas d'autre verbe mieux adapté. C'est cela votre mémoire, le souvenir de ceux qui vous ont précédés, Yves Jouffa, et dont les portraits figurent sur ces murs.\
Les temps de la persécution ont marqué cruellement votre histoire. Cela n'a jamais été facile. Je pense qu'il manque encore peut-être une certaine forme de littérature, une histoire écrite pour magnifier les personnages qui ont marqué votre vie.
- Je suis un compatriote de Ludovic Trarieux, lorsque dans mon enfance, tout petit, j'attendais sur la grande place, il y avait là un monument sur lequel figurait un buste, et je m'asseyais là au bord du monument tandis que mes parents faisaient les courses, ce qui est il faut le dire un martyre pour les enfants £ ils revenaient les bras chargés d'un tas de choses avant de retrouver la voiture à cheval pour franchir les trois ou quatre kilomètres qui nous séparaient de la maison.
- J'ai donc rencontré Trarieux ou plutôt sa statue. Ma curiosité s'est éveillée, et j'ai une petite bibliothèque à propos de Trarieux. Je l'ai découvert, c'est un homme intéressant, né d'une famille de bonne bourgeoisie, devenu lui-même grand bourgeois à Bordeaux, député, conseiller de l'Ordre des avocats, opportuniste dans le sens ou on employait ce terme pour définir le grand mouvement politique illustré en particulier par Jules Ferry et quelques autres, pas spécialement engagé, modéré dans son action, ne s'identifiant jusqu'alors à aucune grande cause.
- Puis, il y a a eu l'affaire Dreyfus, le sentiment que l'on ne pouvait pas vivre jusqu'à la fin de ses jours en s'accommodant d'une société très inégale qui se révélait très injuste, cruelle, systématique, sectaire, pratiquant l'exclusion et le racisme. Alors, il s'est révolté. Avec quelques amis Trarieux a créé la Ligue - mais cette histoire, vous la connaissez autant que moi -. Ils ont décidé en parcourant tous les lieux où l'affaire Dreyfus s'était déroulée pour assurer la force de leur serment, que décidément on ne verrait plus cela. C'était un bel espoir et il faut dire que la Ligue créée à partir de là a empêché beaucoup de situations de cet ordre, même si l'histoire toute puissante a démenti leurs espérances moins de vingt ans après et, plus encore, quelque quarante ans après qu'ils eurent fait le serment qu'on ne verrait plus jamais cela. L'ensemble des femmes et des hommes qui se sont engagés ce jour-là ont été essentiellement fidèles, c'était devenu pratiquement leur principale fonction civique. Cette ligue était enthousiaste, ils allaient partout dans les communes de France expliquer pourquoi ils avaient connu cette évolution, comment devant la force de l'événement ils avaient cru bon de donner un nouveau tour à leur carrière, dans leur façon de vivre et même parfois dans leur façon de vivre familiale ou sociale. On peut donc dire que la naissance de la Ligue des Droits de l'Homme a correspondu à une nouvelle forme de civisme plus engagée, plus aigüe, plus forte et mieux pensée.\
La suite, c'est vous qui l'assumez, après quelques autres qui sont là autour de vous. Est-ce que nous sommes à un moment fort ? En vérité, la Ligue des Droits de l'Homme a d'autant plus de signification que les situations qui sollicitent cette intervention sont nombreuses et j'espère bien tout de même qu'à l'heure actuelle ces situations sont plus rares, car une société c'est mouvant, et c'est contradictoire, il faut bien se dire que tout est toujours possible, que des événements importants ou mineurs se sont déroulés au cours des dernières années, pour ne pas dire des derniers mois, qui montrent bien que ce que firent quelques-uns avec et derrière Ludovic Trarieux reste de circonstance. Ce n'est pas le gouvernement de la République qui peut parer à tout. Donc, c'est une continuité dans votre tradition que je tiens à célébrer dans ces nouveaux locaux. Je dis renouvellement, renouvellement des locaux et renouvellement des hommes. Il faut que vous assuriez absolument la continuité des générations et, de ce point de vue, je pense à l'Université, je pense que dans les entreprises, je pense que dans de très nombreux milieux socio-professionnels il existe assez de jeunes qui sentent, face à l'adversité et aux menaces qui pèsent là comme cela, qui assombrissent certaines fractions d'avenir, que l'on doit agir en 1990 comme on le faisait il y a près de 100 ans. Pourquoi ? Parce que l'histoire recommence toujours, les passions sont les mêmes parce que les sectarismes s'opposent, parce que l'homme est l'homme, parce que nul ne peut prétendre organiser une société au point qu'il n'y ait jamais de fissure ni d'éclatement au sein de cette construction. Nous agissons de la façon qui nous paraît la meilleure puisque nous avons présentement la principale responsabilité.... moi, puis d'autres, ceux du gouvernement, les ministres qui nous entourent, je dirai vous, ceux qui occupent une responsabilité majeure aujourd'hui et, parmi eux, le Président du Conseil constitutionnel que vous avez eu raison de citer tout à l'heure car son rôle comme Garde des sceaux et comme Président du Conseil constitutionnel a, à mes yeux, beaucoup compté dans l'évolution du droit.\
Droit, droits de l'Homme, il faut toujours les reconquérir. Quand j'ai demandé au Parlement d'élargir la saisine du Conseil Constitutionnel, parce qu'il me semble qu'il y a une certaine notion des droits fondamentaux et que ces droits fondamentaux tous les citoyens doivent pouvoir les réclamer lorsqu'ils ont le sentiment que ces droits leur ont manqué. Alors, nous sommes en plein milieu d'un débat parlementaire. Je suis optimiste mais je n'ignore pas les difficultés qui se présentent à nous, dans la mesure où on mélange un peu trop les grands problèmes de fond et de droit, qui sont partagés par l'immense majorité de la nation, et le débat politique et quotidien qui, bien entendu, suppose une autre répartition des forces. C'est un peu dommage, j'espère que chacun prendra conscience de l'importance de cette mesure.\
L'année dernière, 1989, nous avons connu, et commémoré de façon grandiose la Révolution française, ce qu'elle a apporté au pays, ce qu'elle a apporté au monde. C'est tout de même passionnant d'être porteur d'un message universel, il ne faudrait pas qu'on l'oublie, ici en France, universel et présenté comme tel par quiconque pense, réfléchit et agit sur la terre. Je pense que cette célébration a eu un certain retentissement. Le 31 décembre la porte est close puisque l'année est finie. En a-t-on fini pour autant avec le message de la Révolution française ? J'espère que non. Donc en 1990, 91, 92 et la suite il y aura beaucoup à dire, il y aura beaucoup à faire.\
Les progrès de la France, je crois, ne sont pas niables sur ce terrain comme sur quelques autres. L'égalité : elle est constamment voulue, recherchée, elle n'est pas toujours atteinte, loin de là, mais les forces qui pèsent et qui tendent à maintenir en place les systèmes anciens, qui tendent à préserver les dominations acquises, les privilèges, sont si puissantes qu'il faut beaucoup de ténacité, de volonté, de constance pour parvenir à les corriger. En fait, telle est notre disposition d'esprit et tel est notre dispositif dans le combat démocratique. La liberté s'est toujours associée à l'égalité, il n'y a pas d'égalité s'il n'y a pas de liberté, on ne peut pas évidemment agir sur un terrain et ne pas agir sur l'autre. Qu'est-ce qui vaut le plus, qu'est-ce qui vaut le mieux, je pense que la liberté c'est le terreau à partir duquel toutes les autres fonctions demandent à s'épanouir et mettre en oeuvre une action pour que chaque être humain se sente en situation de disposer d'une égalité des chances et, si cette égalité des chances n'existe pas, eh bien c'est à la société qu'il appartient d'apporter sa contribution, de corriger la réalité naturelle ou instinctive et de faire que finalement chacun se trouve devant son destin avec les moyens de s'épanouir et de s'assumer.
- Moi personnellement, j'ai tendance à pécher par optimisme, j'ai confiance en nos concitoyens. Je crois que, finalement, je combats contre les exclusions, contre les discriminations pour la justice sociale. Je pense que si nous y mettons la main, nous et bien d'autres encore dans toute la France, il n'y a pas de raison que l'on perde ce combat-là. Nous avons pour nous une longue histoire, nous avons aussi les faits d'armes de nos anciens. Il y a les sacrifices accumulés, les martyrs, il y a l'action volontaire de ceux qui sont allés vers la mort ou la perte de leur liberté consentie consciemment, clairement. Il y a nos camarades de la Résistance, que nous avons vu tomber. Il y a pour nous une telle histoire, un tel rayonnement de ces hauts faits, de ces gestes et ces sacrifices que je ne veux pas croire que ce soit pour rien, à la condition, bien entendu, que nous en soyons dignes à notre tour.
- Lorsque je vois la Ligue des Droits de l'Homme qui fut à l'origine de l'un de ces plus beaux combats pour la justice, pour la liberté et pour l'égalité, qui cherche aussi à préserver toutes les données de la fraternité, qui tend à développer un état d'esprit, une façon de vivre, une façon d'être, lorsque je la vois se perpétuer d'abord, chercher à se renouveler ensuite, même si c'est au travers de quelques symboles aussi simples qu'une ancienne maison qui a tendance à devenir une maison toute neuve, alors je pense que la sève est là, la vie. Nous avons pris le parti de la vie, nous avons choisi la vie. Et qui dit "vie" dit "espérance", nous croyons aux lendemains. Ces lendemains n'appartiennent pas à la volonté de l'homme sans doute mais on peut les fabriquer, on peut les modeler. Si la société est un frein, c'est la société qu'il faut changer. Voilà pourquoi mesdames et messieurs je n'ai pas voulu manquer ce rendez-vous. C'est quelque chose pour moi de rencontrer des personnes qui me sont chères, que je n'ai pas souvent l'occasion de rencontrer. C'est l'occasion de revenir dans des milieux marqués par l'Histoire, l'Histoire que nous aimons. Enfin on peut être auprès de vous pour vous dire "eh bien, vous avez décidé de continuer ? Continuez donc, mais surtout réussissez".\