29 mai 1990 - Seul le prononcé fait foi
Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur la réduction des inégalités sociales, notamment par la formation professionnelle, l'accession au logement, la revalorisation des bas salaires ainsi que sur l'enrichissement sans cause et la spéculation immobilière, Auxerre, le 29 mai 1990.
Mesdames et messieurs,
- Je suis venu pour clore les premières assises des missions locales dont j'ai suivi le parcours depuis le début. Je me souviens des premières conversations que j'avais eues à ce sujet avec Bertrand Schwartz. Je considérais qu'il s'agissait là d'une des initiatives les plus riches d'avenir pour le développement de la justice sociale autour de l'emploi et de la formation des jeunes. Je vois que vous avez persévéré, amplifié votre action puisque nous réunissons aujourd'hui les Assises nationales des missions locales. J'en suis très heureux et c'est pour moi l'occasion non seulement de revenir à Auxerre, ce dont je me réjouis, mais aussi de traiter de quelques sujets qui à partir de ces missions locales sont d'une importance primordiale. J'ai plaisir à répondre à l'invitation du maire de la ville qui plus est, est ministre du travail et de l'emploi, que j'ai connu au cours des années précédentes alors que je siégeais avec vous messieurs, pour la plupart du moins, au sein des diverses assemblées régionales de Bourgogne et je dois dire que je garde de cette époque un souvenir très fort. Au delà des clivages politiques je crois avoir gardé quelques des relations très cordiales parfois même amicales avec plusieurs d'entre vous, particulièrement représentants de l'Yonne. C'est donc pour moi une sorte de retour aux sources. C'est vrai, nous sommes conduits à travailler maintenant ensemble. Avec vous, monsieur le ministre, nous nous retrouverons dès demain matin au Conseil des ministres comme nous le faisons chaque semaine et nous nous entretiendrons bien entendu du domaine dont vous avez la charge et qui rassemble le gros des préoccupations nationales.\
Je sais que bon nombre d'entre vous sont des élus locaux. Je l'ai été moi-même pendant près de trente-cinq ans, je sais quelle somme de dévouement représente votre engagement et c'est de cette somme de dévouement que l'on tire la somme française. Après tout, toutes ces différences sont nécessaires dans un pays démocratique, elles sont souhaitables à condition de ne pas accuser exagérément le trait mais c'est de tout cela que l'on parviendra à tirer le meilleur par la contradiction, le sens critique, le débat et finalement sur certains points, non point sur tous ce serait excessif, un certain consentement pour la réussite de la France.
- D'autres, parmi vous mesdames et messieurs consacrent une grande part de leur vie à la jeunesse, qu'ils soient éducateurs, conseillers d'orientation, enseignants, conseillers professionnels, travailleurs sociaux, je tiens à vous saluer particulièrement en ce jour qui est le vôtre.\
Les missions locales : elles représentent une vraie réussite. Que de chemins parcourus depuis les moments que j'évoquais il y a un instant lorsque le Professeur Bertrand Schwartz recommandait la création d'équipes légères capables d'entrer en relation avec des jeunes menacés de marginalisation à la recherche d'un statut social. Ils ont tissé avec chacun d'entre eux individuellement des fils de projets d'avenir. Ces équipes sont nées, elles ont créé des réseaux locaux, elles rassemblent des partenaires souvent antagonistes le reste du temps.
- Bien entendu, rien n'est achevé, nous ne sommes qu'en cours de route, rien n'est d'ailleurs jamais gagné, c'est la leçon de la vie. Mais enfin, les jeunes qui ont été les premières victimes de la crise sont je le crois aussi les premiers à bénéficier peut-être encore trop timidement sur le marché du travail de la croissance retrouvée. Même si ce n'est pas le cas de tous, surtout pas de ceux qui cumulent les handicaps, faibles qualifications, difficultés personnelles ou familiales c'est-à-dire tout ce qui déséquilibre un homme dès le point de départ.
- Je peux dire au risque d'exprimer une évidence que la France a besoin de leurs valeurs, de leur énergie et que c'est la condition même de nos avancées collectives et communes. En tout cas c'est le message que portent les missions locales et je sais que les travaux menés ici, pendant ces deux jours, fourniront de nouveaux éléments de réflexion, d'analyse qui permettront de pousser plus loin la démarche engagée : les missions locales et l'exclusion.\
Vous venez d'en parler excellemment, monsieur le ministre, cette lutte contre l'exclusion doit être menée et est menée, avec opiniâtreté. Elle exige une mobilisation sans faille, un travail qui engage véritablement chaque jour de la vie d'un responsable, partout où sont visibles les déchirures du tissu social, partout où notre société, dans sa marche en avant, laisse les uns et les autres à la dérive. Aussi c'est une tâche impérative qui requiert l'attention de tous : de l'Etat, bien entendu, du gouvernement qui le fait, mais aussi de celles et ceux qui avec bonne volonté, avec un engagement personnel et un désir de bien faire, un besoin de donner et de se donner, se sont réunis dans des centaines d'associations et qui expriment en France, je le crois, la vitalité et la force de notre démocratie dans ce qu'elle a de meilleur.
- Multiples sont les causes de ce que l'on appelle "l'exclusion". On a un peu trop tendance à focaliser sur certains points. L'exclusion frappe ou peut frapper tout individu ou toute catégorie de la nation. On le sait bien, vous le vivez dans une ville et un département comme celui où nous sommes, il en va ici comme partout. Il y a les exclus, nous ne pouvons le supporter. Si les causes sont personnelles, il faut des solutions personnelles. Si les causes sont sociales, économiques, il faut penser ces causes sur le plan même où elles se situent.
- Il y a eu de nombreux acquis sociaux, à toute époque et pour s'en tenir à une période limitée, depuis la deuxième guerre mondiale. Il y en a eu - je connais peut-être d'un peu plus près la question - beaucoup depuis 1981. Il est intéressant de remarquer que si beaucoup des réformes qui ont été dessinées à l'époque et qui ont valu beaucoup de débats et même de polémiques, aucune d'entre elles n'a été, en dehors d'une période à laquelle ce n'était pas la même majorité qui s'exprimait, abolie. Toutes les réformes ont été maintenues, elles ont été assimilées. Nul ne songe aujourd'hui à revenir là-dessus. Elles n'ont pas empêché le retour à une certaine forme de prospérité et d'équilibre économiques, ce qui prouve que l'on peut concilier les deux préoccupations.\
Alors, il nous reste cependant beaucoup à faire. Depuis 1988 vous vous êtes attachés, en ma compagnie, à développer certains thèmes qui vous permettaient, monsieur le ministre, messieurs les ministres, de répondre aux questions les plus pressantes. On a créé, vous venez de le rappeler, le revenu minimum d'insertion aujourd'hui versé à près de 350000 personnes qui, dans la France des années 1980 à 1990, vivent une extrême pauvreté. Seulement voilà, l'ambition de ce revenu minimum ou plutôt de ceux qui l'ont conçu, doit aller bien au-delà. Il faut ajouter "d'insertion". Il faut une réinsertion sociale quand cela est nécessaire, d'où l'importance de vos missions locales. Les résultats ont été inégaux selon les départements, ce qui montre que les responsables locaux, les représentants de l'Etat ou des collectivités locales, n'ont pas accordé la même attention, la même priorité partout. C'est pourquoi je les appelle tous aujourd'hui à redoubler d'efforts.\
Puis il y a les exclus du système scolaire, je n'en ferai pas la liste ce matin. Ceux qui ont quitté l'école - ils sont très nombreux - sans avoir en poche le moindre diplôme, sans avoir véritablement poursuivi le cycle de leurs études. J'ai représenté comme vous, mesdames et messieurs, un département à forte densité rurale et je me souviens d'avoir, pour quelques cantons du Bazois, constaté que les enfants des familles ouvrières (moins nombreuses que les familles paysannes qui constituaient la majorité), 50 % de ces enfants ne suivaient pas le cours scolaire prévu par la loi. Ils s'arrêtaient bien avant, pour une raison ou pour une autre. Alors m'étant rendu à Meaux, il y a quelque temps, pour remettre le diplôme du 70000ème jeune ayant bénéficié du crédit-formation, j'avais pu constater à quel point tous les jeunes qui se trouvaient là, avaient tous arrêté leurs études en 5ème ou en 4ème. Ils n'étaient pas allés plus loin. D'où venaient-ils ? Bien entendu, on peut imaginer des milieux sociaux défavorisés ou bien qu'ils avaient été victimes de tel ou tel drame familial. Mais, c'était ainsi, et chacun d'entre eux n'était en rien responsable du sort qui lui était réservé : intelligence et volonté restaient intactes, ils étaient là pour travailler, et ils réussissaient. Je pensais à quel point il était nécessaire, d'ailleurs on le sait, de doter ces enfants, ces très jeunes adolescents, à la fin d'un cycle sérieux d'études, d'un diplôme véritable. Tous ceux qui étaient là avaient reçu une qualification professionnelle qui leur promettait pour la sortie, l'année suivante, un emploi, en tout cas à 85 %. C'est dire l'utilité de cette réforme.
- 80000 jeunes aujourd'hui sont déjà engagés dans cette voie. On peut en attendre le meilleur. J'ai demandé que le crédit-formation s'élargisse : d'abord en nombre, qu'il atteigne 200000 d'ici l'an prochain.\
`Suite sur le crédit-formation`
- Ensuite, il faudra en un an qu'il atteigne aussi les adultes, salariés ou chômeurs, qu'il ne soit plus seulement réservé aux plus jeunes car nombreux sont ces adultes dont la qualification est inexistante ou insuffisante. Vous savez, l'inadaptation des jeunes, en général, mais aussi des adultes, aux métiers exercés, métiers commandés par l'évolution des techniques, explique pour l'essentiel le chômage. C'est le retard apporté par une société, - toute société est lourde à manier, il ne s'agit d'incriminer personne - le temps mis à former les travailleurs aux disciplines qui les attendent en raison de la rapidité de l'évolution, de la science et de la technologie, c'est ce retard qui explique que, même en créant, depuis simplement moins de deux ans, plus de 600000 emplois, il n'y ait pas 600000 chômeurs de moins. Et l'effort doit essentiellement porter sur cette formation professionnelle qui nous verra nous adapter aux besoins de la nation. Que de fois vous constatez, là où vous êtes responsables, le triste chiffre en baisse - mais pas assez - du chômage, tandis que bien des entreprises souhaitent embaucher et ne trouvent pas les jeunes gens qualifiés qui leur conviendraient. Il y a là une anomalie qui résulte du fait que nous avons vécu très longtemps sur une certaine notion industrielle, industrie lourde, massive, et d'un certain retard de notre équipement industriel et de notre équipement scolaire. Car cela commence à l'école ! Je crois que c'est ce message que Bertrand Schwartz a défendu lorsqu'il a créé avec des chefs d'entreprises, des syndicalistes, des personnalités diverses, l'association "Moderniser sans exclure" elle a montré déjà ses heureux effets.\
L'exclusion, je vais encore en dire un mot parce qu'il s'agit de problèmes pratiques que les élus que j'ai devant moi appréhendent chaque jour. L'exclusion, c'est la difficulté à se loger. C'est aussi une forme d'exclusion : la perte du logement ou l'impossibilité de se loger dans des conditions convenables, ou de pouvoir trouver tout simplement un logement parce que c'est trop cher. Phénomène qui se produit dans plusieurs grandes villes, à l'étranger, et malheureusement déjà en France à commencer par Paris. Ce phénomène exclut non seulement ceux dont nous parlons depuis le début de cette matinée, les déshérités, les plus démunis, les bas et les moyens salaires, mais commence à exclure des cadres, même des cadres supérieurs qui dès lors que leur salaire ne dépasse pas 50000 francs par mois ne trouvent pas toujours la possibilité d'acquérir ou de louer ! Voyez l'étendue de la crise ! Comme elle a gagné d'échelon en échelon pour ne plus être un problème de logement social, mais être un problème de logement tout court ! On s'y applique beaucoup. J'ai participé, il y a quelques mois, à des réunions avec des spécialistes des HLM. Des instructions ont été données qui sont parfaitement suivies par M. Besson, ministre du logement, mais il faut pousser plus loin notre effort. Il faut créer des logements de qualité. Rendre solvables lorsqu'ils ne le sont pas, leurs locataires potentiels. S'assurer que l'utilisation du parc social va bien à ceux qui en ont le plus besoin, mais aussi que le mode de construction, l'urbanisme, l'endroit où l'on place ces nouveaux logements puissent répondre au besoin qui s'affirme de plus en plus, d'un cadre de vie, d'un mode de vie, d'une place dans la vie, qui ne fasse pas que l'on soit déjà diminué, malheureux parce que la société n'a pas fait ce qu'elle devait pour organiser la cité.\
Je voudrais aborder un autre point, car il me semble que la liste des exclusions dont j'ai parlé étant loin d'être close, la lutte contre les inégalités ne se limite pas au refus de l'exclusion. Si ce premier combat doit nous mobiliser, si c'est le combat à mener prioritairement et le plus large, malgré tout il reste à mener une lutte contre les inégalités, contre l'injustice sociale. Là je retrouve tout de suite l'école, car l'école est tout de même, au point de départ, l'arme la plus puissante dont nous disposions pour lutter contre les inégalités.
- Encore faut-il, et je sais que cette crainte tenaille beaucoup d'enseignants, que l'école ne se comporte pas d'elle-même comme une machine à sélectionner ou à exclure et c'est bien le sens de l'effort de rénovation du système éducatif voulu par le ministre de l'éducation nationale. Alors il faut revoir le contenu des programmes. Dépasser les conceptions traditionnelles pour ne pas limiter la prise en charge de l'élève au travail fait en classe. Pratiquer un soutien scolaire actif, renforcer d'autant plus ce soutien qu'on est en présence, j'y reviens, de jeunes défavorisés. Tout cela participe d'une politique d'égalité des chances. D'autant plus que l'entreprise et l'éducation, vous le savez aussi, ont été trop longtemps étrangères l'une à l'autre. C'est encore un handicap et la comparaison de nos performances en matière de qualification avec celles de, par exemple l'Allemagne fédérale, est de ce point de vue assez "éclairante" pour employer un terme anodin, inquiétante même. Il faut faire tomber les barrières entre trois mondes, aujourd'hui, trop étanches : celui de la formation initiale, celui de la formation professionnelle et celui de l'entreprise. C'est précisément l'une des ambitions du crédit formation qu'il faut élargir à l'ensemble du monde du travail. Seulement, il faut le dire, les inégalités les plus graves, celles dont trop de Français sont victimes se situent dans leur travail et dans leur rémunération.\
`Suite sur les inégalités sociales`
- C'est pourquoi le gouvernement s'est vraiment attaché, ce n'est pas facile, à continuer de remédier aux situation inéquitables de certaines professions. Ce qui naturellement inspire les autres, on les comprend ! Vous vous souvenez en particulier du mouvement des infirmières qui ont besoin de très solides connaissances, qui ont besoin d'être plus nombreuses et qui exercent de grandes responsabilités et qui, au fond, ont exprimé un besoin authentique qu'il fallait comprendre cela était facile mais auquel il fallait répondre, c'était plus difficile. La revendication - surtout quand elle est juste - d'une catégorie professionnelle, entraîne, en raison de nos habitudes de pensée et de nos pratiques un mouvement général. Le gouvernement, vous le savez, a négocié avec les organisations syndicales une remise en ordre de la grille des salaires à laquelle je faisais allusion. Cela peut donner de nouvelles perspectives d'avancement des carrières, donc de rémunération, aux fonctionnaires, puisqu'il s'agit d'eux, et en particulier aux plus modestes. Il est certain que de ce point de vue-là nous avons de réels progrès à accomplir. Eh bien c'est à un effort du même type que j'ai engagé récemment les dirigeants et le Président du Conseil national du Patronat français que je recevais à l'Elysée. Je leur disais qu'il faut que dans les différentes branches professionnelles, en fonction de leur situation particulière, au regard de leur place dans la compétition économique internationale, comme au regard des retards accumulés ou des avancées déjà accomplies, car il y en a, s'effectue ce même travail de remise en ordre, de rénovation du niveau de rémunération et de perspectives de carrière de ceux dont les salaires sont bas, trop bas, ou seulement moyens.
- Il ne faut pas songer seulement au salaire il faut songer aussi à l'espoir d'une carrière, à la possibilité de ne pas être enfermé dès vingt-cinq ans dans un cadre dont on ne sortira pas avant cinquante-cinq, soixante ou soixante-cinq ans. Il y a là un problème moral, un problème psychologique. Quand on n'a pas d'espoir et quand on n'a pas d'ambition. Quand on ne peut changer de qualification, lorsque c'est déjà fini alors que l'on vient de bâtir son foyer, qu'on commence dans l'existence, comment voulez-vous obtenir l'enthousiasme et le plein emploi des facultés, des richesses de l'intelligence et de la volonté. C'est donc aussi un besoin social de caractère tout à fait national qu'il convient, aujourd'hui, de traiter si l'on veut bien comprendre ce problème. Quand je parle des bas et des moyens salaires que l'on ne croie pas qu'il s'agisse de porter atteinte à la situation des cadres car notre pays en manque aussi.\
Je traiterai bientôt de quelques problèmes touchant à l'éducation nationale et je dirai que je trouve tout à fait dommage, mais on va y remédier, que les grandes écoles et même des écoles de moindre réputation, mais dont les résultats sont souvent remarquables, aient si peu d'élèves alors que la nation qui atteint cinquante-six millions d'habitants a tant de besoins techniques, a besoin de renforcer son encadrement en intelligence et en compétence. Notre pays manque de cadres, c'est un problème qui se pose de la même façon. Mais enfin, pour l'instant, je tiens à traiter - nous sommes devant les missions locales réunies en assemblée nationale - du problème de pénurie de qualification qui règne dans certains secteurs au point que l'on pourrait penser qu'il s'agit d'une règle, ce qui n'est pas le cas.\
Alors se pose automatiquement le problème des salaires. Mais comment le traiter ? Ce n'est pas une contradiction, cela pourrait être complémentaire : nous tenons à la politique contractuelle. Nous souhaitons que la politique sociale soit menée en conformité avec notre orientation, c'est-à-dire par le libre débat, le libre dialogue entre les organisations syndicales et le patronat. Qu'ils débattent entre eux. Nous connaissons aussi les devoirs de l'Etat qui est là, soit pour donner un coup de pouce, soit pour lancer véritablement de grandes opérations sociales où tous devraient se trouver, parce que c'est nécessaire et utile au pays.
- Alors, il faut de temps à autre, d'abord par la loi, revaloriser le salaire minimum, le SMIC. Et puis il y a la démarche contractuelle à laquelle j'ai fait appel dans un document publié il y a maintenant quelques semaines, au mois de mai. Je demandais que, compte tenu de l'amélioration de l'économie française, fussent engagées au plus tôt des négociations dans chaque branche, entre partenaires sociaux, sur les bas et moyens salaires, que des initiatives fussent prises dans ce sens, que les conventions collectives fussent ouvertes davantage aux petits et moyens salariés pour tracer des perspectives de promotion au fur et à mesure que progressaient leur expérience et leur connaissance professionnelle. J'ajoutais qu'il convenait de définir une démarche économique et sociale qui passerait par une meilleure coopération entre les industriels, les banques, le gouvernement, une meilleure formation - nous en avons parlé -, une meilleure information à l'intérieur des entreprises, un meilleur dialogue entre direction, cadres, employés, ouvriers.
- Je le répète volontairement parce qu'il convient maintenant que les choses se fassent. Les dirigeants du Conseil national du Patronat français ont accepté cette suggestion et ont publié leur accord. Encore faut-il maintenant que nous sachions exactement de quoi nous parlons.\
`Suite sur la revalorisation du SMIC`
- Par exemple, j'ai pu constater au cours de ces dernières semaines que sur 164 branches professionnelles, 134 - vous entendez 134 - ont un niveau de salaire minimum inférieur au SMIC. Naturellement, cela reste légal car les primes viennent compenser et ce que l'on considère, lorsqu'il s'agit de voir si la loi a été respectée, c'est la feuille de paye. Mais les effets ne sont pas les mêmes ! Les salariés des branches qui n'ont pas obtenu la garantie du SMIC sous forme de salaire sont désavantagés. Ils gagnent moins en fait que ceux que l'on appelle d'un terme que je n'aime guère, les smicards qui, eux aussi, bénéficient de primes au-delà du SMIC. Leurs perspectives de carrière sont pratiquement nulles. Ils entrent exactement dans la définition que je donnais il y a un moment : pas d'espoir, pas d'avenir et quelle vie, dans quelles conditions, avec une société qui avance sans eux ! Aussi parce que aussi les primes d'ancienneté sont calculées sur la base des salaires minimum et non sur la base du salaire minimum conventionnel, le SMIC dont je parlais. Je connais les inconvénients du SMIC.
- C'est vrai qu'il y a un phénomène d'écrasement des salaires et qu'il faut revoir en même temps la grille des salaires. On risque de fabriquer un type de travailleur qui, en vérité, risque de freiner - en entraînant toute la hiérarchie - la bonne volonté des partenaires sociaux et du gouvernement. Donc, je donne toujours la préférence à la voie contractuelle. Je veux faire confiance aux partenaires auxquels j'ai fait appel. J'espère qu'ils vont engager branche par branche des dialogues rapides et constructifs. Il y a urgence. Au fond, je l'attends depuis déjà pas mal de temps et c'est ce que j'attends des semaines et des mois prochains.\
Alors s'il s'agit d'accompagner, d'inciter, d'aider toutes ces négociations, bien entendu le ministre du travail et le gouvernement tout entier y sont prêts. D'ailleurs, je sais qu'à votre tour, à votre manière et dans le domaine de vos fonctions vous allez relancer le dialogue. Il va de soi que si cette voie contractuelle se révélait au bout du compte impraticable ou trop décevante, il faudrait procéder autrement. Cela se traduirait par une intervention de l'Etat plus active que je ne place pas au premier rang - vous venez de l'entendre -, mais que je jugerais nécessaire dans l'hypothèse où je me place. J'ajoute que si l'on doit faire confiance aux partenaires sociaux qui ont l'habitude de ces choses, qui ont acquis beaucoup d'expérience, beaucoup de sagesse, il n'en reste pas moins que la collectivité nationale ressent profondément les inégalités qui s'accusent et qu'il n'est pas acceptable que l'on en reste là. Et je suis tout à fait proche du gouvernement, non pas seulement pour l'inciter, lui-même en est d'accord, mais pour qu'il accélère la démarche. Pour qu'il accompagne le mouvement et pour que finalement l'effort de tous aboutisse d'ici peu.
- D'ailleurs nous allons nous trouver devant le problème posé par les augmentations du SMIC qui se situera le 1er juillet prochain et puis six mois plus tard nous nous trouverons, en fait, devant le même problème, de telle sorte que si l'on veut qu'il y ait véritablement accompagnement comme je viens de le dire, nous avons besoin d'une réponse dans les branches où le dialogue n'est pas encore ouvert. Il ne faudrait pas contraindre le gouvernement à agir de son seul chef dans un domaine où le contrat devrait être la règle. Voilà un point.\
Il en est d'autres£ je vois, par exemple, se développer considérablement les formes d'enrichissement sans cause. Aujourd'hui, on peut s'enrichir en dormant, il suffit d'être propriétaire de bonnes valeurs mobilières ou propriétaire de bons terrains, ou de bons locaux et il suffit de regarder le temps passer. Quand on pense à l'effort exigé des travailleurs manuels qui doivent consacrer tant d'heures de leur journée sans obtenir la moindre récompense, sans avoir la moindre réponse à leurs aspirations, il y a une injustice que je ressens particulièrement. Alors nous parlerons de cela d'autres fois.
- De toutes manières ce qui est tout à fait regrettable et qui doit être empêché, ce sont les plus-values seulement spéculatives qui ont au demeurant tendance à se substituer aux autres formes de spéculation, qui consistent tout simplement à disposer de patrimoines, c'est parfaitement légitime et parfois même souhaitable, de patrimoines intelligemment gérés. A partir de là il n'est pas interdit que quiconque en a la valeur et la compétence et l'esprit puisse tirer profit de son travail. Mais voilà la plus-value spéculative ne peut pas être la source principale et confortable de revenus, il faudra bien et ce sera fait que l'on prenne les mesures qui rendront plus difficile cette forme d'industrie.\
Mesdames et messieurs j'agis dans le cadre de mes fonctions £ en relation étroite avec le gouvernement que j'ai formé et en confiance avec lui. Mon rôle est de veiller qu'à tout moment nous soyons fidèles et attentifs aux engagements que nous avons pris, à ce que les obligations quotidiennes ne nous fassent ôter de l'esprit, ce que vous appeliez "l'essentiel" par rapport à l'accessoire et je m'exprime ce matin, ici à Auxerre en présence de l'un des principaux ministres responsable dans la matière que nous traitons. Il sait la confiance que je lui porte. J'ai rappelé que nos premières relations s'étaient établies à une époque où nous avions été conduits à travailler ensemble dans une situation au demeurant assez aimable et particulière puisque quand j'étais dans la majorité de la région, ce qui était rare, il était dans l'opposition et lorsque j'étais dans la minorité, ce qui était commun, il était dans la majorité. Je me suis rendu compte, qu'il faisait partie de ces hommes, ils sont beaucoup plus nombreux qu'on ne croit, qui s'efforçaient dans une situation ou dans l'autre d'être justes et de préserver le dialogue et la compréhension.
- Cette expérience bourguignonne n'est pas tout à fait étrangère à la suite et, j'espère que dans l'ensemble du pays se révèleront beaucoup de femmes et d'hommes qui ont en eux-mêmes le sens de la justice, qui font passer cette obligation morale et nationale avant leurs passions ou mêmes leurs préférences, tout en restant, bien entendu, en accord avec eux-mêmes, ce qui me paraît être le cas aujourd'hui.
- Donc, je résumerai mon propos. Vous savez, aucun Président de la République, aucun gouvernement n'a la vérité révélée mais je vais poser pour conclure un principe qui, à moi, me paraît certain. Quels que soient ces choix de 1981 à 1990 nous avons démontré, surtout dans les trois premières années difficiles que la justice sociale rendait possible la réussite économique.
- Eh bien, il nous faut continuer de démontrer aujourd'hui que la réussite économique doit permettre d'accroître la justice sociale. C'est un programme simple, mais il faut l'accomplir.\
- Je suis venu pour clore les premières assises des missions locales dont j'ai suivi le parcours depuis le début. Je me souviens des premières conversations que j'avais eues à ce sujet avec Bertrand Schwartz. Je considérais qu'il s'agissait là d'une des initiatives les plus riches d'avenir pour le développement de la justice sociale autour de l'emploi et de la formation des jeunes. Je vois que vous avez persévéré, amplifié votre action puisque nous réunissons aujourd'hui les Assises nationales des missions locales. J'en suis très heureux et c'est pour moi l'occasion non seulement de revenir à Auxerre, ce dont je me réjouis, mais aussi de traiter de quelques sujets qui à partir de ces missions locales sont d'une importance primordiale. J'ai plaisir à répondre à l'invitation du maire de la ville qui plus est, est ministre du travail et de l'emploi, que j'ai connu au cours des années précédentes alors que je siégeais avec vous messieurs, pour la plupart du moins, au sein des diverses assemblées régionales de Bourgogne et je dois dire que je garde de cette époque un souvenir très fort. Au delà des clivages politiques je crois avoir gardé quelques des relations très cordiales parfois même amicales avec plusieurs d'entre vous, particulièrement représentants de l'Yonne. C'est donc pour moi une sorte de retour aux sources. C'est vrai, nous sommes conduits à travailler maintenant ensemble. Avec vous, monsieur le ministre, nous nous retrouverons dès demain matin au Conseil des ministres comme nous le faisons chaque semaine et nous nous entretiendrons bien entendu du domaine dont vous avez la charge et qui rassemble le gros des préoccupations nationales.\
Je sais que bon nombre d'entre vous sont des élus locaux. Je l'ai été moi-même pendant près de trente-cinq ans, je sais quelle somme de dévouement représente votre engagement et c'est de cette somme de dévouement que l'on tire la somme française. Après tout, toutes ces différences sont nécessaires dans un pays démocratique, elles sont souhaitables à condition de ne pas accuser exagérément le trait mais c'est de tout cela que l'on parviendra à tirer le meilleur par la contradiction, le sens critique, le débat et finalement sur certains points, non point sur tous ce serait excessif, un certain consentement pour la réussite de la France.
- D'autres, parmi vous mesdames et messieurs consacrent une grande part de leur vie à la jeunesse, qu'ils soient éducateurs, conseillers d'orientation, enseignants, conseillers professionnels, travailleurs sociaux, je tiens à vous saluer particulièrement en ce jour qui est le vôtre.\
Les missions locales : elles représentent une vraie réussite. Que de chemins parcourus depuis les moments que j'évoquais il y a un instant lorsque le Professeur Bertrand Schwartz recommandait la création d'équipes légères capables d'entrer en relation avec des jeunes menacés de marginalisation à la recherche d'un statut social. Ils ont tissé avec chacun d'entre eux individuellement des fils de projets d'avenir. Ces équipes sont nées, elles ont créé des réseaux locaux, elles rassemblent des partenaires souvent antagonistes le reste du temps.
- Bien entendu, rien n'est achevé, nous ne sommes qu'en cours de route, rien n'est d'ailleurs jamais gagné, c'est la leçon de la vie. Mais enfin, les jeunes qui ont été les premières victimes de la crise sont je le crois aussi les premiers à bénéficier peut-être encore trop timidement sur le marché du travail de la croissance retrouvée. Même si ce n'est pas le cas de tous, surtout pas de ceux qui cumulent les handicaps, faibles qualifications, difficultés personnelles ou familiales c'est-à-dire tout ce qui déséquilibre un homme dès le point de départ.
- Je peux dire au risque d'exprimer une évidence que la France a besoin de leurs valeurs, de leur énergie et que c'est la condition même de nos avancées collectives et communes. En tout cas c'est le message que portent les missions locales et je sais que les travaux menés ici, pendant ces deux jours, fourniront de nouveaux éléments de réflexion, d'analyse qui permettront de pousser plus loin la démarche engagée : les missions locales et l'exclusion.\
Vous venez d'en parler excellemment, monsieur le ministre, cette lutte contre l'exclusion doit être menée et est menée, avec opiniâtreté. Elle exige une mobilisation sans faille, un travail qui engage véritablement chaque jour de la vie d'un responsable, partout où sont visibles les déchirures du tissu social, partout où notre société, dans sa marche en avant, laisse les uns et les autres à la dérive. Aussi c'est une tâche impérative qui requiert l'attention de tous : de l'Etat, bien entendu, du gouvernement qui le fait, mais aussi de celles et ceux qui avec bonne volonté, avec un engagement personnel et un désir de bien faire, un besoin de donner et de se donner, se sont réunis dans des centaines d'associations et qui expriment en France, je le crois, la vitalité et la force de notre démocratie dans ce qu'elle a de meilleur.
- Multiples sont les causes de ce que l'on appelle "l'exclusion". On a un peu trop tendance à focaliser sur certains points. L'exclusion frappe ou peut frapper tout individu ou toute catégorie de la nation. On le sait bien, vous le vivez dans une ville et un département comme celui où nous sommes, il en va ici comme partout. Il y a les exclus, nous ne pouvons le supporter. Si les causes sont personnelles, il faut des solutions personnelles. Si les causes sont sociales, économiques, il faut penser ces causes sur le plan même où elles se situent.
- Il y a eu de nombreux acquis sociaux, à toute époque et pour s'en tenir à une période limitée, depuis la deuxième guerre mondiale. Il y en a eu - je connais peut-être d'un peu plus près la question - beaucoup depuis 1981. Il est intéressant de remarquer que si beaucoup des réformes qui ont été dessinées à l'époque et qui ont valu beaucoup de débats et même de polémiques, aucune d'entre elles n'a été, en dehors d'une période à laquelle ce n'était pas la même majorité qui s'exprimait, abolie. Toutes les réformes ont été maintenues, elles ont été assimilées. Nul ne songe aujourd'hui à revenir là-dessus. Elles n'ont pas empêché le retour à une certaine forme de prospérité et d'équilibre économiques, ce qui prouve que l'on peut concilier les deux préoccupations.\
Alors, il nous reste cependant beaucoup à faire. Depuis 1988 vous vous êtes attachés, en ma compagnie, à développer certains thèmes qui vous permettaient, monsieur le ministre, messieurs les ministres, de répondre aux questions les plus pressantes. On a créé, vous venez de le rappeler, le revenu minimum d'insertion aujourd'hui versé à près de 350000 personnes qui, dans la France des années 1980 à 1990, vivent une extrême pauvreté. Seulement voilà, l'ambition de ce revenu minimum ou plutôt de ceux qui l'ont conçu, doit aller bien au-delà. Il faut ajouter "d'insertion". Il faut une réinsertion sociale quand cela est nécessaire, d'où l'importance de vos missions locales. Les résultats ont été inégaux selon les départements, ce qui montre que les responsables locaux, les représentants de l'Etat ou des collectivités locales, n'ont pas accordé la même attention, la même priorité partout. C'est pourquoi je les appelle tous aujourd'hui à redoubler d'efforts.\
Puis il y a les exclus du système scolaire, je n'en ferai pas la liste ce matin. Ceux qui ont quitté l'école - ils sont très nombreux - sans avoir en poche le moindre diplôme, sans avoir véritablement poursuivi le cycle de leurs études. J'ai représenté comme vous, mesdames et messieurs, un département à forte densité rurale et je me souviens d'avoir, pour quelques cantons du Bazois, constaté que les enfants des familles ouvrières (moins nombreuses que les familles paysannes qui constituaient la majorité), 50 % de ces enfants ne suivaient pas le cours scolaire prévu par la loi. Ils s'arrêtaient bien avant, pour une raison ou pour une autre. Alors m'étant rendu à Meaux, il y a quelque temps, pour remettre le diplôme du 70000ème jeune ayant bénéficié du crédit-formation, j'avais pu constater à quel point tous les jeunes qui se trouvaient là, avaient tous arrêté leurs études en 5ème ou en 4ème. Ils n'étaient pas allés plus loin. D'où venaient-ils ? Bien entendu, on peut imaginer des milieux sociaux défavorisés ou bien qu'ils avaient été victimes de tel ou tel drame familial. Mais, c'était ainsi, et chacun d'entre eux n'était en rien responsable du sort qui lui était réservé : intelligence et volonté restaient intactes, ils étaient là pour travailler, et ils réussissaient. Je pensais à quel point il était nécessaire, d'ailleurs on le sait, de doter ces enfants, ces très jeunes adolescents, à la fin d'un cycle sérieux d'études, d'un diplôme véritable. Tous ceux qui étaient là avaient reçu une qualification professionnelle qui leur promettait pour la sortie, l'année suivante, un emploi, en tout cas à 85 %. C'est dire l'utilité de cette réforme.
- 80000 jeunes aujourd'hui sont déjà engagés dans cette voie. On peut en attendre le meilleur. J'ai demandé que le crédit-formation s'élargisse : d'abord en nombre, qu'il atteigne 200000 d'ici l'an prochain.\
`Suite sur le crédit-formation`
- Ensuite, il faudra en un an qu'il atteigne aussi les adultes, salariés ou chômeurs, qu'il ne soit plus seulement réservé aux plus jeunes car nombreux sont ces adultes dont la qualification est inexistante ou insuffisante. Vous savez, l'inadaptation des jeunes, en général, mais aussi des adultes, aux métiers exercés, métiers commandés par l'évolution des techniques, explique pour l'essentiel le chômage. C'est le retard apporté par une société, - toute société est lourde à manier, il ne s'agit d'incriminer personne - le temps mis à former les travailleurs aux disciplines qui les attendent en raison de la rapidité de l'évolution, de la science et de la technologie, c'est ce retard qui explique que, même en créant, depuis simplement moins de deux ans, plus de 600000 emplois, il n'y ait pas 600000 chômeurs de moins. Et l'effort doit essentiellement porter sur cette formation professionnelle qui nous verra nous adapter aux besoins de la nation. Que de fois vous constatez, là où vous êtes responsables, le triste chiffre en baisse - mais pas assez - du chômage, tandis que bien des entreprises souhaitent embaucher et ne trouvent pas les jeunes gens qualifiés qui leur conviendraient. Il y a là une anomalie qui résulte du fait que nous avons vécu très longtemps sur une certaine notion industrielle, industrie lourde, massive, et d'un certain retard de notre équipement industriel et de notre équipement scolaire. Car cela commence à l'école ! Je crois que c'est ce message que Bertrand Schwartz a défendu lorsqu'il a créé avec des chefs d'entreprises, des syndicalistes, des personnalités diverses, l'association "Moderniser sans exclure" elle a montré déjà ses heureux effets.\
L'exclusion, je vais encore en dire un mot parce qu'il s'agit de problèmes pratiques que les élus que j'ai devant moi appréhendent chaque jour. L'exclusion, c'est la difficulté à se loger. C'est aussi une forme d'exclusion : la perte du logement ou l'impossibilité de se loger dans des conditions convenables, ou de pouvoir trouver tout simplement un logement parce que c'est trop cher. Phénomène qui se produit dans plusieurs grandes villes, à l'étranger, et malheureusement déjà en France à commencer par Paris. Ce phénomène exclut non seulement ceux dont nous parlons depuis le début de cette matinée, les déshérités, les plus démunis, les bas et les moyens salaires, mais commence à exclure des cadres, même des cadres supérieurs qui dès lors que leur salaire ne dépasse pas 50000 francs par mois ne trouvent pas toujours la possibilité d'acquérir ou de louer ! Voyez l'étendue de la crise ! Comme elle a gagné d'échelon en échelon pour ne plus être un problème de logement social, mais être un problème de logement tout court ! On s'y applique beaucoup. J'ai participé, il y a quelques mois, à des réunions avec des spécialistes des HLM. Des instructions ont été données qui sont parfaitement suivies par M. Besson, ministre du logement, mais il faut pousser plus loin notre effort. Il faut créer des logements de qualité. Rendre solvables lorsqu'ils ne le sont pas, leurs locataires potentiels. S'assurer que l'utilisation du parc social va bien à ceux qui en ont le plus besoin, mais aussi que le mode de construction, l'urbanisme, l'endroit où l'on place ces nouveaux logements puissent répondre au besoin qui s'affirme de plus en plus, d'un cadre de vie, d'un mode de vie, d'une place dans la vie, qui ne fasse pas que l'on soit déjà diminué, malheureux parce que la société n'a pas fait ce qu'elle devait pour organiser la cité.\
Je voudrais aborder un autre point, car il me semble que la liste des exclusions dont j'ai parlé étant loin d'être close, la lutte contre les inégalités ne se limite pas au refus de l'exclusion. Si ce premier combat doit nous mobiliser, si c'est le combat à mener prioritairement et le plus large, malgré tout il reste à mener une lutte contre les inégalités, contre l'injustice sociale. Là je retrouve tout de suite l'école, car l'école est tout de même, au point de départ, l'arme la plus puissante dont nous disposions pour lutter contre les inégalités.
- Encore faut-il, et je sais que cette crainte tenaille beaucoup d'enseignants, que l'école ne se comporte pas d'elle-même comme une machine à sélectionner ou à exclure et c'est bien le sens de l'effort de rénovation du système éducatif voulu par le ministre de l'éducation nationale. Alors il faut revoir le contenu des programmes. Dépasser les conceptions traditionnelles pour ne pas limiter la prise en charge de l'élève au travail fait en classe. Pratiquer un soutien scolaire actif, renforcer d'autant plus ce soutien qu'on est en présence, j'y reviens, de jeunes défavorisés. Tout cela participe d'une politique d'égalité des chances. D'autant plus que l'entreprise et l'éducation, vous le savez aussi, ont été trop longtemps étrangères l'une à l'autre. C'est encore un handicap et la comparaison de nos performances en matière de qualification avec celles de, par exemple l'Allemagne fédérale, est de ce point de vue assez "éclairante" pour employer un terme anodin, inquiétante même. Il faut faire tomber les barrières entre trois mondes, aujourd'hui, trop étanches : celui de la formation initiale, celui de la formation professionnelle et celui de l'entreprise. C'est précisément l'une des ambitions du crédit formation qu'il faut élargir à l'ensemble du monde du travail. Seulement, il faut le dire, les inégalités les plus graves, celles dont trop de Français sont victimes se situent dans leur travail et dans leur rémunération.\
`Suite sur les inégalités sociales`
- C'est pourquoi le gouvernement s'est vraiment attaché, ce n'est pas facile, à continuer de remédier aux situation inéquitables de certaines professions. Ce qui naturellement inspire les autres, on les comprend ! Vous vous souvenez en particulier du mouvement des infirmières qui ont besoin de très solides connaissances, qui ont besoin d'être plus nombreuses et qui exercent de grandes responsabilités et qui, au fond, ont exprimé un besoin authentique qu'il fallait comprendre cela était facile mais auquel il fallait répondre, c'était plus difficile. La revendication - surtout quand elle est juste - d'une catégorie professionnelle, entraîne, en raison de nos habitudes de pensée et de nos pratiques un mouvement général. Le gouvernement, vous le savez, a négocié avec les organisations syndicales une remise en ordre de la grille des salaires à laquelle je faisais allusion. Cela peut donner de nouvelles perspectives d'avancement des carrières, donc de rémunération, aux fonctionnaires, puisqu'il s'agit d'eux, et en particulier aux plus modestes. Il est certain que de ce point de vue-là nous avons de réels progrès à accomplir. Eh bien c'est à un effort du même type que j'ai engagé récemment les dirigeants et le Président du Conseil national du Patronat français que je recevais à l'Elysée. Je leur disais qu'il faut que dans les différentes branches professionnelles, en fonction de leur situation particulière, au regard de leur place dans la compétition économique internationale, comme au regard des retards accumulés ou des avancées déjà accomplies, car il y en a, s'effectue ce même travail de remise en ordre, de rénovation du niveau de rémunération et de perspectives de carrière de ceux dont les salaires sont bas, trop bas, ou seulement moyens.
- Il ne faut pas songer seulement au salaire il faut songer aussi à l'espoir d'une carrière, à la possibilité de ne pas être enfermé dès vingt-cinq ans dans un cadre dont on ne sortira pas avant cinquante-cinq, soixante ou soixante-cinq ans. Il y a là un problème moral, un problème psychologique. Quand on n'a pas d'espoir et quand on n'a pas d'ambition. Quand on ne peut changer de qualification, lorsque c'est déjà fini alors que l'on vient de bâtir son foyer, qu'on commence dans l'existence, comment voulez-vous obtenir l'enthousiasme et le plein emploi des facultés, des richesses de l'intelligence et de la volonté. C'est donc aussi un besoin social de caractère tout à fait national qu'il convient, aujourd'hui, de traiter si l'on veut bien comprendre ce problème. Quand je parle des bas et des moyens salaires que l'on ne croie pas qu'il s'agisse de porter atteinte à la situation des cadres car notre pays en manque aussi.\
Je traiterai bientôt de quelques problèmes touchant à l'éducation nationale et je dirai que je trouve tout à fait dommage, mais on va y remédier, que les grandes écoles et même des écoles de moindre réputation, mais dont les résultats sont souvent remarquables, aient si peu d'élèves alors que la nation qui atteint cinquante-six millions d'habitants a tant de besoins techniques, a besoin de renforcer son encadrement en intelligence et en compétence. Notre pays manque de cadres, c'est un problème qui se pose de la même façon. Mais enfin, pour l'instant, je tiens à traiter - nous sommes devant les missions locales réunies en assemblée nationale - du problème de pénurie de qualification qui règne dans certains secteurs au point que l'on pourrait penser qu'il s'agit d'une règle, ce qui n'est pas le cas.\
Alors se pose automatiquement le problème des salaires. Mais comment le traiter ? Ce n'est pas une contradiction, cela pourrait être complémentaire : nous tenons à la politique contractuelle. Nous souhaitons que la politique sociale soit menée en conformité avec notre orientation, c'est-à-dire par le libre débat, le libre dialogue entre les organisations syndicales et le patronat. Qu'ils débattent entre eux. Nous connaissons aussi les devoirs de l'Etat qui est là, soit pour donner un coup de pouce, soit pour lancer véritablement de grandes opérations sociales où tous devraient se trouver, parce que c'est nécessaire et utile au pays.
- Alors, il faut de temps à autre, d'abord par la loi, revaloriser le salaire minimum, le SMIC. Et puis il y a la démarche contractuelle à laquelle j'ai fait appel dans un document publié il y a maintenant quelques semaines, au mois de mai. Je demandais que, compte tenu de l'amélioration de l'économie française, fussent engagées au plus tôt des négociations dans chaque branche, entre partenaires sociaux, sur les bas et moyens salaires, que des initiatives fussent prises dans ce sens, que les conventions collectives fussent ouvertes davantage aux petits et moyens salariés pour tracer des perspectives de promotion au fur et à mesure que progressaient leur expérience et leur connaissance professionnelle. J'ajoutais qu'il convenait de définir une démarche économique et sociale qui passerait par une meilleure coopération entre les industriels, les banques, le gouvernement, une meilleure formation - nous en avons parlé -, une meilleure information à l'intérieur des entreprises, un meilleur dialogue entre direction, cadres, employés, ouvriers.
- Je le répète volontairement parce qu'il convient maintenant que les choses se fassent. Les dirigeants du Conseil national du Patronat français ont accepté cette suggestion et ont publié leur accord. Encore faut-il maintenant que nous sachions exactement de quoi nous parlons.\
`Suite sur la revalorisation du SMIC`
- Par exemple, j'ai pu constater au cours de ces dernières semaines que sur 164 branches professionnelles, 134 - vous entendez 134 - ont un niveau de salaire minimum inférieur au SMIC. Naturellement, cela reste légal car les primes viennent compenser et ce que l'on considère, lorsqu'il s'agit de voir si la loi a été respectée, c'est la feuille de paye. Mais les effets ne sont pas les mêmes ! Les salariés des branches qui n'ont pas obtenu la garantie du SMIC sous forme de salaire sont désavantagés. Ils gagnent moins en fait que ceux que l'on appelle d'un terme que je n'aime guère, les smicards qui, eux aussi, bénéficient de primes au-delà du SMIC. Leurs perspectives de carrière sont pratiquement nulles. Ils entrent exactement dans la définition que je donnais il y a un moment : pas d'espoir, pas d'avenir et quelle vie, dans quelles conditions, avec une société qui avance sans eux ! Aussi parce que aussi les primes d'ancienneté sont calculées sur la base des salaires minimum et non sur la base du salaire minimum conventionnel, le SMIC dont je parlais. Je connais les inconvénients du SMIC.
- C'est vrai qu'il y a un phénomène d'écrasement des salaires et qu'il faut revoir en même temps la grille des salaires. On risque de fabriquer un type de travailleur qui, en vérité, risque de freiner - en entraînant toute la hiérarchie - la bonne volonté des partenaires sociaux et du gouvernement. Donc, je donne toujours la préférence à la voie contractuelle. Je veux faire confiance aux partenaires auxquels j'ai fait appel. J'espère qu'ils vont engager branche par branche des dialogues rapides et constructifs. Il y a urgence. Au fond, je l'attends depuis déjà pas mal de temps et c'est ce que j'attends des semaines et des mois prochains.\
Alors s'il s'agit d'accompagner, d'inciter, d'aider toutes ces négociations, bien entendu le ministre du travail et le gouvernement tout entier y sont prêts. D'ailleurs, je sais qu'à votre tour, à votre manière et dans le domaine de vos fonctions vous allez relancer le dialogue. Il va de soi que si cette voie contractuelle se révélait au bout du compte impraticable ou trop décevante, il faudrait procéder autrement. Cela se traduirait par une intervention de l'Etat plus active que je ne place pas au premier rang - vous venez de l'entendre -, mais que je jugerais nécessaire dans l'hypothèse où je me place. J'ajoute que si l'on doit faire confiance aux partenaires sociaux qui ont l'habitude de ces choses, qui ont acquis beaucoup d'expérience, beaucoup de sagesse, il n'en reste pas moins que la collectivité nationale ressent profondément les inégalités qui s'accusent et qu'il n'est pas acceptable que l'on en reste là. Et je suis tout à fait proche du gouvernement, non pas seulement pour l'inciter, lui-même en est d'accord, mais pour qu'il accélère la démarche. Pour qu'il accompagne le mouvement et pour que finalement l'effort de tous aboutisse d'ici peu.
- D'ailleurs nous allons nous trouver devant le problème posé par les augmentations du SMIC qui se situera le 1er juillet prochain et puis six mois plus tard nous nous trouverons, en fait, devant le même problème, de telle sorte que si l'on veut qu'il y ait véritablement accompagnement comme je viens de le dire, nous avons besoin d'une réponse dans les branches où le dialogue n'est pas encore ouvert. Il ne faudrait pas contraindre le gouvernement à agir de son seul chef dans un domaine où le contrat devrait être la règle. Voilà un point.\
Il en est d'autres£ je vois, par exemple, se développer considérablement les formes d'enrichissement sans cause. Aujourd'hui, on peut s'enrichir en dormant, il suffit d'être propriétaire de bonnes valeurs mobilières ou propriétaire de bons terrains, ou de bons locaux et il suffit de regarder le temps passer. Quand on pense à l'effort exigé des travailleurs manuels qui doivent consacrer tant d'heures de leur journée sans obtenir la moindre récompense, sans avoir la moindre réponse à leurs aspirations, il y a une injustice que je ressens particulièrement. Alors nous parlerons de cela d'autres fois.
- De toutes manières ce qui est tout à fait regrettable et qui doit être empêché, ce sont les plus-values seulement spéculatives qui ont au demeurant tendance à se substituer aux autres formes de spéculation, qui consistent tout simplement à disposer de patrimoines, c'est parfaitement légitime et parfois même souhaitable, de patrimoines intelligemment gérés. A partir de là il n'est pas interdit que quiconque en a la valeur et la compétence et l'esprit puisse tirer profit de son travail. Mais voilà la plus-value spéculative ne peut pas être la source principale et confortable de revenus, il faudra bien et ce sera fait que l'on prenne les mesures qui rendront plus difficile cette forme d'industrie.\
Mesdames et messieurs j'agis dans le cadre de mes fonctions £ en relation étroite avec le gouvernement que j'ai formé et en confiance avec lui. Mon rôle est de veiller qu'à tout moment nous soyons fidèles et attentifs aux engagements que nous avons pris, à ce que les obligations quotidiennes ne nous fassent ôter de l'esprit, ce que vous appeliez "l'essentiel" par rapport à l'accessoire et je m'exprime ce matin, ici à Auxerre en présence de l'un des principaux ministres responsable dans la matière que nous traitons. Il sait la confiance que je lui porte. J'ai rappelé que nos premières relations s'étaient établies à une époque où nous avions été conduits à travailler ensemble dans une situation au demeurant assez aimable et particulière puisque quand j'étais dans la majorité de la région, ce qui était rare, il était dans l'opposition et lorsque j'étais dans la minorité, ce qui était commun, il était dans la majorité. Je me suis rendu compte, qu'il faisait partie de ces hommes, ils sont beaucoup plus nombreux qu'on ne croit, qui s'efforçaient dans une situation ou dans l'autre d'être justes et de préserver le dialogue et la compréhension.
- Cette expérience bourguignonne n'est pas tout à fait étrangère à la suite et, j'espère que dans l'ensemble du pays se révèleront beaucoup de femmes et d'hommes qui ont en eux-mêmes le sens de la justice, qui font passer cette obligation morale et nationale avant leurs passions ou mêmes leurs préférences, tout en restant, bien entendu, en accord avec eux-mêmes, ce qui me paraît être le cas aujourd'hui.
- Donc, je résumerai mon propos. Vous savez, aucun Président de la République, aucun gouvernement n'a la vérité révélée mais je vais poser pour conclure un principe qui, à moi, me paraît certain. Quels que soient ces choix de 1981 à 1990 nous avons démontré, surtout dans les trois premières années difficiles que la justice sociale rendait possible la réussite économique.
- Eh bien, il nous faut continuer de démontrer aujourd'hui que la réussite économique doit permettre d'accroître la justice sociale. C'est un programme simple, mais il faut l'accomplir.\