27 mai 1990 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur la coopération médicale entre la France et les pays arabes dans la recherche sur le cancer, Paris, le 27 mai 1990.

Mesdames et messieurs,
- Les raisons pour lesquelles a été créée cette Fondation franco-arabe du cancer viennent de vous être dites et ce sont ces raisons qui m'ont conduit ici. Elles ont été fort bien exposées par ses initiateurs et la tenue de votre congrès, la qualité des participants, l'ampleur des sujets traités justifient bien cette rencontre comme l'a souligné pour commencer Edgard Pisani que je remercie une fois de plus pour l'ensemble des initiatives prises dans cette maison. Car Fondation franco-arabe du cancer et Institut du monde arabe répondent à la même inspiration pour des objectifs différents et complémentaires. Comment faire pour que ce que l'on appelle le monde arabe dans sa diversité, si riche d'histoire et de culture, de peuples variés et ayant cependant les mêmes objectifs, relevant de la même pensée, comment faire pour que l'ensemble de ces peuples représentés ici par leurs dirigeants puissent rencontrer, - c'est le terme que vous avez employé, Edgard Pisani - des Français appliqués aux mêmes spécialités et pouvant apporter leur concours, le concours de leur science et de leur volonté pour que dans ce domaine comme dans les autres, l'Institut du monde arabe reçoive absolument toutes les disciplines qui permettent le rapprochement, la meilleure compréhension et le débat entre Arabes et Français. Comment faire pour que de plus en plus cette interpénétration nous permette de faire avancer les domaines qui seront utiles à l'humanité. L'humanité est un terme trop général, je veux dire aux femmes et aux hommes, aux individus qui feront confiance et qui relevant de nos pays auront tout à gagner d'échanges de vues et de connaissances qui feront que peu à peu tous ceux qui connaissent et qui savent, tous ceux qui cherchent, s'appliqueront à apporter des réponses à un certain nombre de maladies graves, notamment le cancer.\
Les pays arabes ainsi que la France sont des pays de grande tradition médicale, très ancienne. Vos professions, mesdames et messieurs ont acquis depuis longtemps leurs lettres de noblesse. Il suffit d'étudier même très rapidement l'histoire de vos peuples pour constater la vivacité, la vitalité de vos écoles médicales. Ecoles arabes du Moyen-Age, célèbres dès le IXème siècle £ et en France dans nos universités, nos praticiens suivaient pratiquement la même évolution non pas toujours en explorant les mêmes domaines mais en avançant du même pas. Ces médecins arabes dont je parlais cultivaient déjà la qualité primordiale que l'on attend de tout scientifique ou de tout praticien, c'est-à-dire le sens critique.
- Ce sont eux qui ont réussi à cerner, à individualiser toute une série d'affections. Des affections aussi différentes que la grippe, le cancer de la thyroïde ou la méningite. Les chirurgiens de ces époques étaient capables déjà de procéder à des interventions extrêmement délicates en ophtalmologie. C'est dire à quel point nous savons échanger et connaître en commun. Vous êtes ici tous héritiers d'une tradition dont je disais qu'elle est très ancienne et très forte. Vous la maintenez vivace, elle sera d'autant plus vivace que vous travaillerez en commun.\
Cette Fondation et cette réunion ont pour moi valeur de symbole. Vous imaginez bien qu'en raison de mes fonctions, je suis assez souvent sollicité d'aller ici ou là témoigner pour telle ou telle cause, et je regrette, bien souvent, de ne pouvoir le faire autant que je le voudrais. Mais je ne voulais pas manquer celle-ci. Parmi les tâches qui sont les miennes j'ai souhaité la réussite de cet Institut. Nous en avons confié, vous en avez confié la charge à un homme qui s'y consacre avec talent et dévouement. Cette création sur le plan architectural répond également, je le crois, à certaines qualités esthétiques assez rares, et s'est inscrite désormais dans le patrimoine et le paysage de Paris et satisfait les exigences - je l'espère - de la plupart des pays participant à l'oeuvre et leur offre un beau lieu de rencontre.
- J'ai véritablement désiré venir même si le jour n'était pas très commode par rapport à nos emplois du temps. J'ai souhaité pouvoir être parmi vous l'espace d'un moment. Je ne vous apporterai pas des données scientifiques qui vous seront fournies amplement, tout le long de ces travaux.\
Parce qu'il me semble que vous cherchez à apporter des réponses durables et de fond à des maladies, à l'un des malheurs qui frappe l'humanité, mon devoir n'est pas d'y prendre part de l'intérieur, il faudrait en avoir la compétence, mais je souhaite atteindre la conscience de vos compatriotes, de nos compatriotes, par les moyens dont nous disposons. Moi je dispose d'un moyen : c'est le témoignage. Je suis là pour vous dire, "vous avez eu raison d'entreprendre cette oeuvre et je vous souhaite bonne chance afin de la poursuivre".
- Je pense à un certain nombre de vos débats qui seront très concrets. J'ai noté les progrès les plus récents en oncologie, c'est-à-dire l'étude des tumeurs cancéreuses, l'utilisation des techniques d'imagerie dans la lutte contre le cancer, les progrès effectués dans le traitement du carcinome naso-pharyngien sur lequel vous avez insisté en raison de sa fréquence dans les pays arabes mais aussi de son existence dans notre propre pays, de même que le traitement du cancer avancé du sein ou du col de l'utérus.
- Combien d'autres sujets dont le vocabulaire ne nous dit pas grand chose mais qui en réalité se traduisent par tant de souffrances et d'angoisse qui placent tant de femmes et d'hommes devant la mort et la souffrance qui souvent leur interdisent de reconnaître dans leur vie tout ce qui leur fut apporté d'heureux, qui abolit soudain l'héritage reçu ? Comme il est important que des médecins et des chirurgiens puissent se pencher sur ces choses et rechercher tous les moyens scientifiques et pratiques pour guérir ce mal. Si nous pouvons nous-mêmes ici, au cours de ces assemblées, apporter une avancée, nous aurons fait du bon travail. Je crois que vous évoquerez, c'était le thème central de l'intervention du Professeur Jean Bernard, les formidables espoirs ouverts par la médecine prédictive qui permettrait d'éviter que les prédispositions pathologiques dont un être humain est porteur ne finissent par se réaliser parce que, décelées à l'avance, elles permettraient d'engager les traitements préventifs qui sont souvent victorieux.
- C'est un don qui a été donné à l'homme que de parvenir par sa recherche tenace à aller plus loin dans la compréhension de ses origines dans la transmission des gènes, dans la connaissance de sa nature profonde et de pouvoir intervenir à temps, une fois connu véritablement ce qu'il est, ce qu'il devient, ce qu'il doit devenir. C'est une victoire de l'intelligence, mais c'est aussi un grand bien pour le monde que ce dialogue fructueux qui s'est instauré traditionnellement entre nos pays.\
La collaboration médicale doit avoir valeur d'exemple. Il faut mettre à la disposition de l'ensemble de nos concitoyens, l'ensemble des avancées pharmacologiques, médicales, chirurgicales réalisées par les chercheurs, par les médecins. Il n'est pas simplement question que les médecins français par exemple, fassent bénéficier les hôpitaux arabes de leurs connaissances. Il faut aussi que dans l'autre sens et c'est ce que je souhaite, vous puissiez nous faire connaître vos propres approches, et je le répète cette expérience séculaire qui fait que certains de vos maîtres sont devenus les nôtres.
- Nos peuples bénéficieront certainement de cet échange constructif et, je le crois, amical. La politique constante de la France est de favoriser par tous les moyens le dialogue et la collaboration des pays dits du Nord et ceux du Sud dans tous les domaines. Nous parlons aujourd'hui du domaine de la santé, cela nous tient à coeur et nous confronte aux questions essentielles de la vie, de la mort comme je vous le disais tout à l'heure, c'est un lieu privilégié pour ce dialogue.
- Mais, bien entendu, tous les autres domaines dans la relation Nord-Sud sont offerts à notre curiosité, à notre passion et à notre volonté. Spécifiquement dans la relation franco-arabe, je vais prendre un domaine qui semblera tout à fait étranger à l'objet de nos propos : dans une semaine, va s'ouvrir à Paris le premier Colloque de l'Observatoire du Sahara et du Sahel, organisme dont j'ai voulu la création et qui est chargé de lutter contre la désertification. C'est un des problèmes que nous cherchons aussi à résoudre tous ensemble.
- On pourrait multiplier des exemples de cette sorte. Je voudrais simplement vous dire quelle est la disponibilité de la France et il m'appartient de le dire au nom de mon pays.\
On le sait bien, la souffrance est universelle. Et de ce fait, la médecine doit être organisée à l'échelle internationale. Je souhaite que vos efforts soient utiles à tous les malades et d'abord aux plus démunis. Cette collaboration pour l'amélioration, la sauvegarde de la santé, voilà une contribution comme on en voudrait davantage. Cela permet d'atténuer bien des conflits et bien des incompréhensions. Si on se retrouve sur ce terrain, on se retrouvera sur les autres.
- Voilà un moyen de se rapprocher : le travail en commun pour le bien commun. C'est l'exemplarité de cette démarche qui justifie sans doute votre présence et en tout cas la mienne, visiteur trop rapide, mais vous travaillerez si bien sans moi ! L'essentiel, c'est que les ministres des différents Etats qui sont ici présents, ainsi que les ministres français et moi-même nous puissions assurer le relais. Relancer le débat, animer les administrations, créer un état d'esprit, l'entretenir, c'est notre rôle.
- Voilà pourquoi je tenais à vous dire ces choses, mesdames et messieurs en soulignant à nouveau combien je suis heureux d'avoir pu passer ces quelques moments avec vous.\