25 mai 1990 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse conjointe de MM. François Mitterrand, Président de la République, et Mikhaïl Gorbatchev, Président de l'URSS, notamment sur la construction et la sécurité européennes, le problème des alliances militaires et du statut de l'Allemagne, Moscou le 25 mai 1990.

LE PRESIDENT.- Cette réunion succède à beaucoup d'autres. La nature des questions à traiter découle de la situation créée au cours de ces derniers mois et que vous connaissez autant que moi. Nous en avons débattu, des questions se posent, spécialement en Europe mais pas seulement en Europe, autour de l'unification allemande et de ses conséquences, des garanties, des traités ou des règlements de paix, du sort des alliances, de l'avenir de l'Europe, en particulier du Sommet de la CSCE. Mais aussi : quel rôle pour les "quatre et les deux" ? Quelles relations entre l'Union soviétique et la Communauté ? Comment faire pour que nous parvenions à une construction commune de l'Europe, ce qui ne veut pas dire à l'exclusion des autres ? Bref, l'Europe a constitué l'essentiel de nos conversations.
- Nous avons également parlé de l'évolution de la politique soviétique sous plusieurs de ses aspects : l'aspect économique, le devenir des nationalités.
- Je remercie M. Gorbatchev de son accueil, pour les conditions dans lesquelles se sont déroulés nos travaux. C'est l'occasion pour moi de saluer les peuples de l'Union soviétique, de leur dire l'amitié de la France, le souci que nous avons d'une démarche commune dans le souci de nos intérêts légitimes.\
LE PRESIDENT GORBATCHEV.- Je vous remercie, monsieur le Président. C'est notre septième rencontre. Notre rencontre de l'automne 1985 a donné une impulsion puissante au dialogue politique. Ce dialogue politique franco-soviétique n'a pas perdu de sa force. Il est devenu un facteur important de la politique en Europe et dans le monde. J'examine cette réunion avec le Président de la France dans le contexte actuel caractérisé par la rapidité du déroulement des processus dans le monde. Ceci nous impose des exigences nouvelles à nous, hommes politiques. C'est pourquoi cette réunion était tout simplement indispensable. Nous l'avons senti à Moscou, et je peux dire que c'est ce que l'on a senti également à Paris, au Palais de l'Elysée.
- Nous avons parlé de l'Europe, comme le Président l'a dit des processus qui se déroulent en Union soviétique dans le cadre de la Pérestroïka. Nous avons parlé du fond, des changements, des événements intervenus à l'étape actuelle des processus de Pérestroïka. Enfin, nous n'avons pu nous empêcher d'aborder d'autres questions puisque dans une semaine, il y aura des négociations importantes à Washington. A cet égard, il était intéressant pour nous de m'entretenir avec mon interlocuteur le Président de la France, dirigeant extrêmement sage dont j'apprécie hautement les propos. Nous avons été très attentifs l'un à l'autre, nous avons été francs, nous avons essayé de garder le recul nécessaire par rapport aux événements qui se déroulent dans le monde et dans nos rapports sans pour autant perdre de vue les processus qui se déroulent sur notre terre pécheresse mais prometteuse.\
QUESTION.- Face à la situation qui se développe au Proche-Orient, est-ce que vous, les deux Présidents, vous comptez prendre des mesures efficaces pour éviter l'escalade d'une nouvelle guerre dans cette région ?
- LE PRESIDENT.- La position de la France est connue, elle reconnait depuis le premier jour l'existence de l'Etat d'Israël, et d'autre part, elle juge nécessaire que le peuple palestinien dispose d'une terre où vivre en peuple libre. Voici deux notions qui peuvent paraître contradictoires puisque généralement cela est compris comme deux peuples sur une même terre, mais enfin, rien n'est sans solution quand on le veut. C'est pourquoi la procédure diplomatique qui nous est apparue comme la plus raisonnable, c'est la réunion de cette conférence internationale qui permettrait la multiplication des relations multilatérales sans interdire des relations bilatérales. Tous les autres procédés ont pratiquement échoué.
- En attendant, nous ne pouvons naturellement qu'être bouleversés par les actes de terrorisme qui se déroulent là-bas, ou bien par les répressions qui nous paraissent invisibles, et nous ne pensons pas que les systèmes envisagés puissent répondre à la gravité de la question. Alors dégénérer en guerre ? Non personne ne souhaite que le conflit larvé qui existe actuellement entre Israël et le monde arabe puisse se transformer en conflit général. Le rôle des grandes puissances, et surtout des membres du Conseil de Sécurité est précisément de veiller à tenter d'éteindre la propagation de l'incendie. Puisque vous parlez du Proche-Orient, il y a aussi le problème du Liban. Vous connaissez là aussi, la position de la France, les Libanais ont le droit de vivre dans leur Etat, et les intrusions étrangères doivent être éliminées.
- Cependant, un processus, le processus de TAEF a été mis au point par trois chefs d'Etat choisis à cet effet par l'ensemble du monde arabe. Il a reçu l'aval de la plupart des Etats responsables dans le monde. Ces conclusions sont sages, on vient de les mettre en oeuvre. Voilà le point où nous en sommes. Je ne pense pas que quiconque pense, à partir de cet incendie, à généraliser ce conflit.\
M. GORBATCHEV.- Ma réponse à cette question sera brève. Tout d'abord je voudrais dire qu'elle est proche de ce qu'a dit le Président de la France. Ceci explique aussi que la France et l'Union soviétique coopèrent de façon active en vue de trouver les approches permettant de résoudre ce conflit régional grave, fait de contradictions. Cette coopération de l'Union soviétique et de la France est fructueuse. Nous appuyons un dialogue actif avec les participants à ce conflit et avec les membres du Conseil de Sécurité. Je pense que toute l'expérience antérieure nous a confirmé dans l'idée qu'il nous faut chercher la solution à ce problème dans des règlements politiques. Comme on le sait, on a entrepris toutes sortes de tentatives d'une autre nature qui n'ont pas abouti à des modifications notables. Si l'on n'a pas réussi à diminuer les passions, si l'on n'a pas réussi à passer à une phase plus tranquille, eh bien, on ne pourra le faire qu'avec la participation de l'ONU. C'est pourquoi on ne peut qu'en conclure que c'est ce qui doit figurer à la base des approches que l'on pourra élaborer pour trouver une solution à ce conflit en ce qui concerne les événements les plus récents. Je partage également l'avis selon lequel cela nous préoccupe tous et cela doit nous inciter à agir.\
QUESTION.- Anatoly Potapov - TV et radio soviétiques - Cette question s'adresse au Président de France. Monsieur le Président, récemment vous développiez de façon active l'idée d'une Confédération européenne de l'Atlantique à l'Oural. Mais vous avez également appuyé l'idée d'une Maison commune européenne, de l'Atlantique à l'Oural. Ma question est la suivante : quelle est la différence, si vous en voyez une, entre ces deux initiatives, ou bien s'agit-il à votre sens peut-être, de deux formes semblables de l'édification d'une Europe nouvelle et s'il en est ainsi, en quoi y a-t-il des aspects communs entre ces deux idées-clés ?
- LE PRESIDENT.- J'ai en effet préconisé, le 31 décembre de l'année dernière une "Confédération européenne", selon un raisonnement qui implique d'abord le renforcement de la Communauté des Douze. Les deux démarches me paraissent complémentaires. Pourquoi Confédération européenne ? Parce que les transformations profondes des situations politiques à l'intérieur de ce même continent, l'Europe, doivent nous permettre d'apporter des réponses aux questions qui se posent aujourd'hui dans l'ensemble des pays de l'Europe centrale et orientale.
- Il ne faut pas que ces pays se retrouvent en déshérence ou qu'ils subissent des tentations centrifuges qui feraient éclater la réalité européenne, permanente même quand elle n'apparaît pas. Vous traduisez cela en disant : de l'Atlantique à l'Oural. L'expression n'est pas de moi ! Je pourrais dire du Nord au Sud dans les limites de l'Europe : pourquoi pas de l'Union soviétique jusqu'aux îles de la Méditerranée ? Ca vaut dans tous les sens. L'Europe tout simplement et toute l'Europe. On envisage naturellement que cette Europe ne puisse parvenir à un accord diplomatique que sur la base d'une démarche commune vers l'établissement de la démocratie. Il ne peut y avoir d'antinomie trop profonde dans la nature même des institutions à l'intérieur des différents pays de cette Europe.\
`Suite sur la création d'une confédération européenne`
- Deuxième volet de la même question : quelle différence avec la Maison commune ? Pour moi la Confédération européenne - je vais m'en expliquer à l'instant - suppose des structures. La Maison commune préconisée par M. Gorbatchev est plus conceptuelle, la Confédération européenne plus juridique. Je pense que les projets sont voisins, puisqu'ils s'adressent aux mêmes pays du même continent. Le processus peut ne pas être le même. De mon côté, je pense qu'il convient de commencer avec réalisme, en constatant d'abord qu'il y a déjà des structures dans lesquelles les peuples de l'Europe se retrouvent tous ou à peu près : la CSCE par exemple (avec des pays extérieurs à l'Europe). Continuons, il ne s'agit pas de construire en détruisant, mais à mesure que le temps passera, les pays européens sentiront le besoin de partager leurs vues entre eux sur leur avenir et puis, je pense à des réunions entre les ministres responsables des affaires étrangères, de l'économie et des finances, d'autres encore avec s'il le faut un secrétariat. Il existe déjà des compétences de fait qui sont traitées dans les instances que j'évoquais entre pays de l'Europe qui ne sont pas tous de l'Ouest, pas tous engagés dans une seule alliance.
- Je pourrais parler aussi du Conseil de l'Europe, d'Eureka technologique, de l'environnement qui ne connaît pas de frontières. Il ne m'appartient pas de définir une structure type maison commune. Elle engloberait l'ensemble des pays d'Europe comme la Confédération européenne. Le problème est de savoir par quel itinéraire M. Gorbatchev entend s'engager. Moi, je parle de celui qui m'est propre, de celui de la France, membre de la Communauté des Douze. A partir de là nous agissons par cercles concentriques, en élargissant peu à peu. Non pas pour ramener les autres pays de l'Europe à la Communauté. Nous ne vivons pas dans cette illusion, même si, à certains moments, cela pourrait paraître souhaitable. Pour l'instant, c'est hors de proportion avec les réalités politiques et économiques que nous vivons. Et d'autre part, la Confédération européenne comme la Maison commune ne peuvent qu'avoir des structures moins contraignantes que la Communauté, les peuples de l'Europe qui la composeraient n'ayant pas atteint le même stade d'évolution, le même stade d'organisation. Mais elle aurait quand même des structures. Moi, je le vois à partir de Paris. Je ne dis pas que le centre de la Confédération serait à Paris, mais c'est à partir de Paris que nous y songeons. M. Gorbatchev, c'est à partir de Moscou qu'il songe à cette construction. Quand on est dans la même salle on se parle face à face, on ne voit pas le même mur. Si on regarde par deux fenêtres, on ne voit pas le paysage sous le même angle.\
`Suite sur la création d'une confédération européenne`
- C'est le cas pour l'instant des vues soviétiques et des vues françaises, mais cela va vers une construction de l'Europe, une tentative de sécurité commune. J'ai réservé ce mot précisément pour dire que puisque la CSCE est compétente pour cela, il n'est pas indispensable de fixer la sécurité comme objet initial de la Confédération. Mais bien entendu la sécurité est une première nécessité. Il faut que la paix s'instaure entre les pays de l'Europe qui n'ont pas connu de paix pendant si longtemps, qui souffrent encore des guerres qui les ont opposés. Envisager une certaine unité dans la démarche économique, l'ouverture des échanges £ débattre des institutions, de l'avenir démocratique des peuples de l'Europe, et débattre aussi de la situation des autres continents, prendre sa place sur la scène du monde : je pense que cela intéresse tous nos peuples et tous nos pays et qu'il faudra bien qu'ils se rencontrent autrement que pour parler, ce qui est déjà très bien, de réduction d'avions ou de canons. Il y a beaucoup d'autres sujets à traiter.\
QUESTION.- TV Norvégienne - M. Gorbatchev, je vous ai photographié il y a trois ans à Prague lorsque vous avez présenté l'idée de la Maison commune européenne et on vous a dit Micha reste parmi nous, malheureusement aujourd'hui il y a un malheur qui se produit dans une maison de la Maison commune européenne en Lituanie. Qu'avez-vous l'intention de faire pour dénouer le conflit avec la Lituanie ?
- M. GORBATCHEV.- Je crois que vous voyez bien que nous faisons quelque chose, nous ne faisons pas que planifier. Tout d'abord je pense que nous comprenons bien que tout ce qui est lié à la Lituanie se rapporte au processus intérieur qui se déroule en Union soviétique. Ce sont les premières prémices pour comprendre les positions respectives puisque cela se produit à l'intérieur d'un pays où il y a une constitution en vigueur, des institutions d'Etat et des lois conformément à cette Constitution. Toute autre question, y compris celles qui concernent le fonctionnement de notre Fédération soviétique, dans laquelle se trouvent quinze Républiques, de même que les problèmes qui apparaissent doivent être réglés sur la base d'un processus constitutionnel. Ce qui s'est produit en Lituanie est dû au processus de Pérestroïka, aux recherches d'une structure de Fédération afin de passer à un niveau différent de fonctionnement puisque nous n'avons pas vécu jusqu'ici au sein d'une Fédération, mais dans le cadre d'un Etat centralisé rigide. Il nous faut assimiler ce nouveau niveau de relations fédérales, et il nous faut créer un climat psychologique et politique dans le pays. Nous avons créé la base de droit nécessaire à cela : ce que nous avons l'intention de faire pour passer à une économie de marché, donnera la possibilité à tous les peuples de réaliser leurs plans, d'exprimer leurs intérêts, de se libérer de tout ce qui s'est accumulé au cours des décennies précédentes. D'harmoniser donc les relations de collaboration inter-ethniques entre nos peuples.\
Dans cette situation, ce qui s'est produit en Lituanie est à notre sens un sursaut qui porte l'empreinte du séparatisme. Dans cette République on a assisté à un événement tout à fait incompréhensible et paradoxal. Les questions de savoir à quel âge on doit accorder le droit de vote, quelle personne peut être éligible dans tel organe ou tel autre, ce sont des questions qui ont été examinées pendant des mois à des sessions de nuit du Soviet de cette République, cela a été tout un processus et je pourrais citer de nombreux faits montrant que même des questions mineures mais qui touchent l'homme, les libertés, la démocratie, tout ceci exige notre attention, une attention soutenue cela exige un acte, un sentiment de responsabilité ! Or brusquement la question de la sécession est réglée au scrutin secret à huis-clos ! Lorsque je me trouvais en Lituanie, ceux qui travaillent ici se rappellent ce voyage, j'avais dit alors : qu'est-ce que cela veut dire faire sécession avec l'Union soviétique ? Cela ne veut pas dire que l'on s'est réuni dans une salle, on demande qui est pour la sécession, on lève la main et la question est réglée ! Des personnes irresponsables peuvent l'admettre. Mais lorsqu'il s'agit d'une politique qui touche la Fédération, qui touche les destinées des peuples, c'est une question capitale, c'est la question de la vie de notre grand Etat multinational. Ces questions ne peuvent pas être réglées ainsi. Donc le malheur de la Pérestroïka est que nous nous sommes heurtés malheureusement à ce qu'en Lituanie, il s'est trouvé un groupe d'aventuristes qui en spéculant sur le sentiment sacré de la Nation sur les sentiments d'indépendance ont poussé le peuple à prendre des décisions de ce genre.\
Le troisième Congrès a examiné cette situation. Il a reconnu que ces décisions n'avaient pas force de loi, qu'elles étaient anti-constitutionnelles et a confié pour mission au Soviet Suprême et au gouvernement de rétablir le régime constitutionnel. Ceux qui se penchent sur ce problème doivent se rappeler que le Congrès, reconnaissant le droit de chaque peuple à l'autodétermination a décidé néanmoins que cette question ne pouvait être réglée que sur la base d'un processus constitutionnel. Est-ce que nous avons tous les prémices de droit ? On s'est hâté, on a procédé à des élections, on a pris une décision la nuit, le 12, le Congrès du peuple devait s'ouvrir et on a voté le 11 au soir. Lorsque le représentant américain me pose cette question, me demande de les informer, il m'est facile de leur répondre que le Président américain règlerait cette question en 24 heures.
- Mais comme vous le voyez, nous, en Union soviétique, avec votre participation sous une forme ou une autre, nous cherchons des voies nous permettant dans cette situation grave de retrouver un processus constitutionnel. On ne peut pas agir autrement. Même dans cet Etat, il y a eu des événements uniques en soixante-dix ans pendant ces cinq ans. Dans les républiques baltes, il y a des événements qui ont tout à fait modifié l'aspect de ces républiques.
- Dans notre Union soviétique, le niveau de coopération est au niveau européen parce qu'au cours de ces décennies, on a procédé à une répartition du travail £ il y a une usine à Riga qui permet de produire certains articles, mais pour produire certains articles, il doit recevoir des éléments venant de cinq cent ou mille usines de tout le pays. Voilà ce que c'est que l'interpénétration. Et puis, il y a la défense. Je ne vais pas vous dire maintenant ce qui se trouve dans ces républiques en matière de défense, je ne fais que souligner ces aspects.\
Et puis enfin, l'essentiel maintenant : il y a 66 millions de personnes en Union soviétique qui ne vivent pas dans leur république d'origine. On a participé à la conquête de certaines régions, à leur mise en oeuvre, à leur mise en exploitation, on s'est rendu dans d'autres républiques pour former de nouveaux cadres. Evidemment, il y a eu de nombreux excès. Ce sont là des difficultés que nous essayons donc de régler, mais tout cela c'est la réalité. Il y a eu maintenant un très grand déplacement, un certain mélange. Je vous prie de m'excuser d'utiliser ce terme s'agissant de personnes, mais il y a eu ces mélanges. Nous sommes donc tous liés les uns aux autres. La Lituanie nous semble être une "mononation" et pourtant, il y a 800000 habitants qui ne sont pas des Lituaniens. Quel sera leur sort ? Est-ce qu'on leur a posé la question ? Personne ne leur a posé la question. C'est un processus grave.
- Le Président de la France pour régler le problème de la Nouvelle-Calédonie qui est un territoire d'Outre-mer, eh bien il lui a fallu dix ans. Je l'en félicite. D'autres lois prévoient des délais moindres. Si une république déclare qu'elle désire faire sécession, il faut cinq ans. Mais je pense que ce sera plutôt les délais français qui seront appliqués parce qu'il faut tirer au clair toutes ces questions et tous ces processus. C'est pourquoi, nous leur disons : revenons au 10 mars et engageons un processus constitutionnel. Il faut le faire pour qu'il n'y ait pas d'animosité entre les peuples. Nous agissons afin que les relations ne se dégradent pas. De toute façon, que ce soit en Union soviétique au sein d'une fédération, ou que ce soit près de l'Union soviétique, la Lituanie ne pourra aller nulle part ailleurs. Pendant des décennies, pendant des siècles, elle a coopéré, elle a été liée à ce marché russe, à ce marché soviétique maintenant. Donc, nous avons des réserves de bonne volonté. Ces réserves sont immenses, elles ne sont pas illimitées. Nous cherchons donc une solution à ce problème sur une base politique. C'est ce qui semblait s'esquisser. Brusquement, ils sont parvenus à la conclusion : pourquoi faire un cadeau à Gorbatchev à la veille de sa visite aux Etats-Unis, et c'est pourquoi à nouveau, ils sont revenus en arrière. Eh bien, qu'ils commencent à réfléchir et à penser : qu'ils pensent !\
QUESTION.- Je voudrais revenir au thème de la nouvelle Europe, c'est-à-dire aux nouvelles structures européennes de sécurité £ quelle est la place qui est revenue à cette question, c'est-à-dire au problème de l'accélération de la création de nouvelles structures de sécurité si l'on tient compte de ce que le processus de l'unification de l'Allemagne se développe. Or, les divergences sur l'avenir du statut politico-militaire de l'Allemagne unifiée demeurent. Peut-être pourriez-vous dire quelques mots ?
- LE PRESIDENT.- Je vais répondre à cette question, mais je voudrais auparavant fixer le point de vue de la France sur la question précédente. L'histoire est différente. Au lendemain de la première guerre mondiale, la Lituanie a accédé à l'indépendance. La France a fait partie des Etats qui ont reconnu la souveraineté de ce pays. Et lorsque vingt ans plus tard, il a perdu son indépendance, et a été annexé, la France n'a pas reconnu cette annexion. Cela, c'est l'histoire £ tel est en droit le point de vue de mon pays.
- En fait, la société internationale s'est organisée autrement. Cela fait maintenant quelque cinquante-et-un ans qu'après avoir dans la période précédente fait partie de l'empire russe, la Lituanie est devenue partie intégrante de l'Union soviétique sans que l'ensemble des pays de la société internationale que j'évoque ait jugé bon de ne pas l'accepter. C'est donc avec l'Union soviétique qu'en fait, chacun a traité et continue de traiter. La Lituanie se trouve, de ce fait, englobée dans la réalité constitutionnelle interne de l'Union soviétique. Voilà donc deux points de vue difficiles à concilier, comment en serait-il autrement, que par le dialogue, à moins que ce ne soit pas l'affrontement violent ? C'est pourquoi, voulant à la fois rester fidèle au droit international tel que nous l'avons conçu, et en même temps ne pouvant nier la réalité constitutionnelle de l'Union soviétique, je dis : discutez. Je ne veux pas être l'arbitre, je n'y prétends pas, d'une affaire qui pour l'instant a pour acteurs essentiels, l'Union soviétique dans son ensemble et la Lituanie en particulier. Mais je dis : organisez le dialogue. C'est ce que j'ai rappelé, d'abord par les démarches du ministre des affaires étrangères français, et ensuite par une missive envoyée avec les signatures du Chancelier Kohl, et de moi-même. Et nous souhaitons très vivement que le Président de l'Union soviétique et ses collaborateurs parviennent à organiser ce dialogue, en conformité avec l'évolution des propres institutions décentralisées de l'Union soviétique. On en est là. C'est mon point de vue parce que nos histoire ayant été différentes, les explications restent différentes. Mais la conclusion reste la même : il faut dialoguer. On ne peut pas imaginer un conflit violent entre ce pays, la Lituanie, ce vaste état qui s'appelle l'Union soviétique. Cette démarche sage a été adoptée par la plupart des pays responsables. Je souhaite qu'elle soit continuée.\
Quant à la sécurité en Europe, c'est une question très, très vaste. La sécurité, pour l'instant, on en débat au sein de la CSCE. Trente-cinq pays y discutent, avec des aspects particuliers pour les pays qui ne sont pas neutres, qui sont engagés dans des alliances militaires. Ils discutent de désarmement. Cette discussion est très avancée. On peut espérer son aboutissement cette année même. La conférence héritée des accords d'Helsinki, a d'autres ambitions, et je souhaite qu'elle les ait car dans l'équilibre européen futur, la France a déjà fait son choix, elle pense que la CSCE doit posséder un contenu, donc des compétences plus élargies, une organisation plus étroite et plus ferme. Maintenant, ces discussions sur le désarmement doivent beaucoup aux initiatives de M. Gorbatchev, même s'il n'est pas le seul à en avoir pris, d'autres en ont pris. Dans d'autres instances, on a parlé d'armes chimiques. Une conférence à Paris au début de l'année dernière, a marqué des avancées considérables. Il est bien entendu que lorsque les deux plus grandes puissances militaires actuelles dans le monde, c'est-à-dire l'Union soviétique et les Etats-Unis d'Amérique discutent, elles discutent de ce qui leur est propre, c'est-à-dire d'immenses armées fondées sur la possession de l'arme nucléaire. Elles discutent donc sur les forces stratégiques. Il semble qu'il y ait de ce point de vue aussi de nouvelles avancées après l'excellent accord de Washington sur la disparition des armes nucléaires à moyenne portée en Europe, il faudra continuer. Cela vaut également pour les armes biologiques.
- Donc la sécurité doit être assurée par le désarmement, mais ce n'est pas suffisant. Il y a les alliances : l'Alliance atlantique et le Pacte de Varsovie. C'est vrai qu'à partir de là, la future unification allemande, déjà en fait adoptée par le peuple allemand, dans les deux Etats à la suite des dernières élections législatives en RDA, pose le problème des appartenances.
- Il y a pour l'instant deux alliances qui partagent l'Allemagne, chacun le sait, mais pour la commodité du raisonnement, je suis bien obligé de le rappeler. Il y a des troupes occidentales, non seulement occidentales et soviétiques à Berlin, mais des troupes occidentales en Allemagne occidentale et des troupes soviétiques en Allemagne de l'Est. Elles sont là, que vont-elles devenir ?\
`Suite sur la sécurité européenne`
- Et comme l'Allemagne fédérale a déjà fait savoir son désir, lorsqu'il y aura unification, de rester dans l'OTAN, et même d'y faire rentrer l'intégralité de l'Allemagne qui n'obéira qu'à une seule souveraineté, autour de ce problème se greffe la discussion présente qui est une des plus importantes de l'heure et qui peut conditionner la plupart des autres. On en est là.
- L'unification n'est pas juridiquement accomplie. Le peuple aura à se prononcer. Je ne sais si ce sera simplement au mois de décembre comme cela était prévu dans le cadre de l'Allemagne fédérale. Je ne sais si ce processus sera accéléré, si ce sera tous les Allemands qui se prononceront. Quand on en sera là, l'Allemagne étant unifiée et souveraine, elle se réclamera sans doute d'un certain nombre d'accords, et d'abord des accords d'Helsinki qui établissent que chaque pays souverain est libre de ses alliances. Il n'empêche que le dispositif des deux alliances partage aujourd'hui ce pays. Un certain nombre d'Etats occidentaux ont fait savoir qu'ils estimaient que l'Allemagne souveraine devait pour la partie occidentale et pour l'autre les rejoindre. La France ne fait pas d'objection à cela et a même dit que l'Allemagne serait dans l'OTAN mais a ajouté qu'il convenait d'apporter des garanties. En particulier, il ne serait pas souhaitable que le dispositif de l'OTAN, en raison de cet événement, pût avancer, se rapprocher, et donc accroître les déséquilibres. D'autre part, l'Union soviétique, comme nous en avons parlé je peux le dire, la préférence que pourrait exprimer M. Gorbatchev va à un point de vue qui est encore plus net sur ce sujet, pour peu qu'il ne soit pas différent, à vous d'apprécier, à savoir que cette partie de l'Allemagne appartient au système du Pacte de Varsovie. Si cela disparait au bénéfice de l'OTAN, alors il y a à nouveau un déséquilibre européen, qui n'est pas le moins grave. Il faut donc traiter ce problème qui risque de conditionner l'ensemble des autres problèmes, y compris celui du désarmement. Sur ce problème qu'on traite depuis peu de temps, le dialogue s'est amorcé. Je serais bien étonné que ce ne soit pas au centre des conversations qui auront lieu dans quelques jours entre le Président américain et le Président soviétique.\
LE PRESIDENT GORBATCHEV.- C'est une question peut-être "clé" de la politique d'aujourd'hui. Je suis persuadé que la tendance positive naissante à l'assainissement des relations internationales et la sortie vers une période stable de paix et de développement est liée au fait que ce processus est né en Europe. Si ce processus ne continue pas en Europe, il ne continuera pas dans le monde entier. C'est pourquoi on ne peut pas approcher ces questions à partir des positions utilitaires et bassement pragmatiques. C'est une position irresponsable, et ceci doit être dit, c'est une grande question. M. le Président le confirmera, il dira qu'environ 70 % du temps de cette rencontre a été consacré à cette question.
- Si l'Allemagne unifiée est née à partir du développement logique de ce processus, nous le saluons, bien entendu, puisque le peuple allemand réalise ses possibilités dans des conditions historiques réelles, réalise sa chance. C'est une affaire interne allemande, mais cette affaire a des aspects externes, et ces aspects externes sont nombreux. Nombreux ceux qui se précipitent dans la conformation de la position que l'Allemagne unifiée doit être absolument partie intégrante de l'OTAN. Mais on reconnaît en même temps que l'Allemagne souveraine doit prendre sa décision elle-même. J'ai posé la question à un de mes interlocuteurs. Cela veut-il dire que vous reconnaîtrez que si l'Allemagne souveraine unifiée décide d'appartenir au Pacte de Varsovie, vous accepterez cela également ? Mon interlocuteur était pris au dépourvu par cette question. En continuant notre conversation, j'ai compris que mon interlocuteur considérait que l'Allemagne unifiée devrait rester membre de l'OTAN. Continuons notre raisonnement, et nous devons reconnaître que c'est l'Alliance perturbée, de cette sorte, et l'équilibre qui ne sont plus respectés. Maintenant alors que sur le continent européen, il y a plusieurs processus profonds qui peuvent le changer, et donner l'impulsion à la politique mondiale, je pense aux processus d'Helsinki et de Vienne. Nous parlons maison commune, nous parlons confédération. Ce sont des témoignages des processus profonds sur notre continent, processus qui doivent changer le caractère des relations entre les états sur ce continent.
- Eh bien, je pose la question : ces processus ne deviendront-ils pas les otages de ce déséquilibre, si l'Allemagne unifiée devenait partie du Pacte de Varsovie ? Alors à ce moment-là, est-ce que tous les pays occidentaux ne se réuniraient pas quelque part pour voir comment continuer ? et si aujourd'hui, tout le monde reconnaît comme M. le Président de la République française que l'Allemagne doit faire partie de l'OTAN, quelle conclusion doivent en tirer l'Union soviétique, et d'autres pays membres du Pacte de Varsovie ? Ils doivent revenir à Moscou, commencer à réfléchir à ce qui se passe, voir comment agir par la suite, par rapport à tous les processus de négociation, Vienne, Helsinki. A ce moment-là, on devrait reconsidérer nos positions : est-ce qu'on doit continuer, continuer sur les mêmes principes ? C'est une conséquence logique. Autrement dit on peut poser la question : qui a intérêt à obtenir ce déséquilibre ?
- Certainement il existe des groupes qui ont intérêt à cela.\
`Suite sur la position soviétique sur l'appartenance de la future Allemagne réunifiée au Pacte de Varsovie ou à l'OTAN`
- On nous dit qu'il faut faire confiance aux Allemands, je suis d'accord. Les Allemands en RDA ont fait preuve de leur capacité de tirer les leçons de la tragédie où ils se sont trouvés après les années du fascisme. Ils ont fait réellement beaucoup de choses dans les deux Etats, dans les deux Allemagnes, pour créer des Etats différents des Etats fondés sur d'autres principes, et tout d'abord dans chacun de ces Etats allemands, on a eu la volonté bien ferme que la guerre ne reparte plus à partir de l'Allemagne. Oui, donc on peut dire qu'on peut faire confiance aux Allemands. Mais pourquoi dans ce cas, disons-nous que si l'Allemagne unifiée se trouve en dehors des alliances, c'est dangereux ? Est-ce qu'on peut faire confiance aux Allemands ou pas. J'aurais pu vous faire une dizaine de citations, citations qui prouvent simplement que le sujet que vous avez évoqué par votre question est vaste. Actuellement, il y a beaucoup d'amateurs qui proposent des solutions faciles, rapides. Nous sommes d'accord avec M. le Président de la République pour une chose : dans cette affaire, il faut accomplir des pas raisonnés, des pas réfléchis, des pas qui nous permettront de poursuivre ce processus qui a commencé en Europe et dans le monde. Si on porte un coup fatal à ce processus en Europe, on portera un coup fatal à tous ces processus.
- On nous dit : qu'est-ce qui va se passer ? qu'est-ce que vous pouvez faire ? Tout a déjà eu lieu.. Je peux répondre non, tout n'a pas eu lieu. Ensuite on doit régler des problèmes d'après-guerre, et personne ne décidera à la place des quatre Nations. C'est d'après les actes juridiques que l'Union soviétique restera là où elle se trouve, avec ses troupes. C'est justifié par le droit.
- Je pose toutes ces questions, non pas pour vous faire peur, non pas pour commencer maintenant, non pas pour voir quels sont les atouts qu'on doit tirer. Mais pour vous prouver une seule chose : actuellement, on doit tous ensemble, compte-tenu des intérêts des Allemands, compte-tenu de la communauté internationale, trouver des solutions positives, correctes, qui n'affaibliraient pas le processus actuel, mais qui le renforceraient. Sur ce problème, le problème de la synchronisation de la sécurité européenne nous avons beaucoup discuté avec M. le Président. Je peux vous dire qu'il faut y réfléchir.
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J'ai posé la question suivante : pourquoi l'Allemagne unifiée ne peut-elle pas se trouver comme la France, ne pas faire partie de l'Alliance militaire ? c'est une solution.
- Pourquoi au moment où l'Allemagne unifiée touche les deux alliances, alliances militaires et politiques, en devenant unifiée, être en quelque sorte le trait d'union entre ces deux alliances. C'est peut-être ici qu'il faudrait trouver des structures, des mécanismes pour renforcer cette relation, cette liaison. Dans ce cas, cette Allemagne unifiée fera partie de deux alliances, c'est peut-être aussi une solution, c'est peut-être une chance pour démilitariser ces deux organisations, et renforcer leurs aspects politiques. A ce moment-là, il faudra considérer la doctrine de l'OTAN, sa stratégie. C'est ce que nous avons fait pour le Pacte de Varsovie. A ce moment-là, on aura besoin d'avoir des organes pour surveiller les situations de crise et les prévenir. On peut trouver des mécanismes d'inter-action entre ces alliances militaires et politiques. S'il y a une bonne volonté, nous trouverons les solutions. Si nous nous dirigeons vers la maison européenne, si nous disons que nous sommes une seule civilisation, et que la confrontation ne nous a rien donné, et si nous considérons qu'il faut chercher les réponses dans tout ce qui nous préoccupe, si ce qui nous préoccupe est de nous rapprocher puisque nous sommes tous partis de la même civilisation, à ce moment-là le processus et les idées que nous proposons seront fructueux. Je pense que si la génération de ces politiciens ne se retrouve pas à la hauteur, l'histoire retiendra leurs noms pour longtemps avec pour qualificatifs d'avoir été incapables de continuer le processus qu'ils entamaient eux-mêmes.\
LE PRESIDENT.- J'ajouterai quelques mots parce que c'est le point central de nos conversations. J'ai écouté avec la plus grande attention ce qui a été dit par le Président Gorbatchev. J'ai mis l'accent sur le fait que l'Allemagne unifiée fera son choix. Un pays souverain ne peut pas être souverain à moitié, ce sont les Allemands qui décideront.
- J'ai insisté sur les garanties qui doivent être apportées à l'Union soviétique certes, mais pas simplement à elle. A tous les pays d'Europe qui ont supporté les terribles conséquences de deux guerres mondiales et particulièrement de la dernière dans les circonstances que vous savez. Les garanties sur les frontières, c'était l'axe de mes prises de position depuis la chute du mur de Berlin et même avant. La garantie des frontières. L'unification est un problème allemand. Ses conséquences sont internationales. D'autres pays sont en cause. Donc, sur les frontières, des garanties doivent être apportées dans un "règlement de paix". On emploie ce terme pudique pour ne pas dire "traité de paix". Je ne sais pas comment cela s'appellera et cela m'est bien égal. Mais disons dans un accord international qui mettra un terme à l'après-guerre et aux conséquences tirées de la deuxième guerre mondiale en vue d'une construction commune. Une construction commune des pays européens dont nous avons parlé tout à l'heure suppose qu'on se serait mis d'accord sur le sort des armées des deux alliances qui sont, nous l'avons dit pour commencer, situées dans les deux parties actuelles de l'Allemagne. On ne peut pas aller de l'avant sans savoir ce qu'elles vont devenir. Naturellement ce qui se passe dans une partie de l'Allemagne intéresse les pays qui se trouvent dans l'autre partie de l'Allemagne. On ne peut séparer comme cela le sort des quatre pays qui ont été désignés par l'histoire au lendemain de la guerre comme les pays qui avaient été victorieux. Il ne s'agit pas non plus de les séparer de l'Allemagne. C'est pourquoi ils discutent ensemble, pour l'instant, à six.
- Des garanties doivent être apportées sur les frontières pour un règlement de paix définitif et global, pour le sort des armées, donc d'une certaine manière des alliances en vue d'une construction commune qui doit toujours rester dans notre esprit, commune aux deux parties actuelles de l'Europe - on pourrait même dire aux trois - parce qu'il y a des pays neutres, et des pays qui appartiennent à l'Europe de libre échange. Tous doivent se retrouver comme c'est le cas à la CSCE dans la même maison ou dans la même confédération selon le choix que l'on fera.\
En tous cas, la position de la France doit être bien comprise par tous. Rien ne doit être fait dans l'intention d'isoler l'Union soviétique ou d'obéir à ce vieux réflexe, hérité de 1917, d'encerclement. Tout doit être fait par les pays de l'Europe occidentale en tout cas c'est la position de la France, pour maintenir toutes les chances de travail en commun, d'échanges et de construction de sécurité et de paix avec l'Union soviétique. C'est un point capital. Lorsque j'ai proposé la confédération, beaucoup m'ont dit : naturellement l'Union soviétique n'est pas comprise dans votre proposition. J'ai répondu naturellement si.
- Enfin, il faut créer des mécanismes anti-crises, des mécanismes de sécurité pour que l'on puisse, à partir d'un point de l'Europe qui pourrait être en Allemagne, observer de quelle manière se déroulent les choses en particulier le désarmement. Pour que tout soit clair, nous avons donc débattu, M. Gorbatchev et moi-même, avec des points de départ différents, mais en cherchant un point d'arrivée commun, et en évitant qu'entre les points de départ et le point d'arrivée, il y ait de tels événements que finalement, on casse tous les mécanismes mis en place de part et d'autre pour garantir la paix. Voilà l'essentiel de notre préoccupation.\
QUESTION.- Peut-être, monsieur le Président, vous voudriez poser la question à un des journalistes français qui l'accompagne ?
- LE PRESIDENT.- Les journalistes français ont une entière liberté de parole, ils ont même celle de ne pas la prendre. Ils en usent, d'ailleurs, comme je le vois.
- QUESTION.- (B. Guetta). Je voudrais profiter de cette proposition. J'ai été un petit peu surpris en entendant le Président Mitterrand tout à l'heure, parce que j'ai eu le sentiment qu'il avait avancé un certain nombre de propositions très concrètes à M. Gorbatchev sur le démarrage d'un processus de construction de cette Confédération, disons l'amorce d'un démarrage et il m'a semblé comprendre, monsieur le Président, que votre interlocuteur n'avait pas accepté ces propositions, ne les avait pas.. Est-ce que je me suis trompé ?
- LE PRESIDENT.- Non. Je vais d'abord vous répondre que j'ai résumé les propositions quant au contenu de la Confédération européenne. Je les ai résumées rapidement, non pas comme le résumé d'une conversation qu'il y aurait eue entre M. Gorbatchev et moi, mais comme le résumé des propositions que j'ai eu l'occasion de faire il y a une quinzaine de jours devant une assemblée d'étudiants européens. Il s'agit de créer des structures européennes de type confédéral avec des compétences autour d'organismes communs permanents. J'ai l'impression que M. Gorbatchev en est tout à fait d'accord, mais c'est à lui de le dire. Moi je maintiens ce point de vue, c'est ce que je souhaite. J'ai indiqué qu'il existait déjà un certain nombre d'organismes qui recouvraient partiellement un certain nombre des compétences que je souhaite pour cette Confédération. J'ai cité la CSCE, le Conseil de l'Europe, EUREKA. La liste pourrait être plus longue. Je ne veux pas que cette proposition aille en contradiction, en substitution à ce qui est déjà le résultat d'une bonne volonté de dialogue réussi entre les différents Etats de l'Europe. Je pense que cette construction européenne se "fera par elle-même" comme on l'a dit de l'Italie, au travers de toutes ces démarches.\
LE JOURNALISTE.- Est-ce qu'on peut continuer à poser la question à M. Gorbatchev. Si je me souviens bien de votre discours au Bolchoï, le 9 mai, vous avez, je crois, assez clairement lié le problème d'une solution à trouver au problème allemand à la construction ou l'amorce d'une construction d'un système de sécurité européenne. De ce point de vue est-ce que les propositions qu'a évoquées le Président Mitterrand vous ont séduit ? Est-ce que vous pensez qu'on peut d'ores et déjà démarrer sur cette base-là ?
- M. GORBATCHEV.- Cette partie de la politique européenne a été discutée avec nous de façon très profonde et ce n'est pas la première fois. Je peux même vous dire que c'est à Paris dès 1985 et plus tard que nous avons donné une impulsion en commun à cette idée et je pense que cette idée à trouvé son écho chez les Européens. Nous sommes actuellement dans une telle phase du développement de cette idée qu'elle se transforme en politique réelle. Nous sommes pratiquement à la phase de la création des institutions européennes et ce processus continue. Il concerne tout d'abord l'économie, le domaine culturel, l'écologie, l'environnement. On peut dire qu'il y a actuellement un plan de réalisation de cette approche dans la construction de l'Europe commune qui est la construction de la nouvelle structure de sécurité. Cette construction devrait être approchée de plusieurs façons. On doit d'abord changer les natures des alliances autant le Pacte de Varsovie en en accentuant les aspects politiques. Ensuite on doit continuer les négociations à Vienne. Bien entendu je pense que nous approchons tout à fait l'étape où le processus d'Helsinki devrait trouver cette solution compte tenu des expériences nouvelles. Nous avons dit avec M. le Président que les mécanismes sont possibles même ici, notamment pour trouver les mécanismes pour ces réunions au sommet et trouver ensuite un mécanisme organisationnel, qui pourrait travailler sur ces questions de façon permanente. Compte tenu de toutes ces directions, on va approcher cette construction de notre Maison commune européenne. Autrement dit je peux dire qu'il y a plutôt des points de convergence que des points de divergence.
- Bien sûr, nous savons très bien qui nous représentons et quels sont les pouvoirs que nous exerçons, quelles sont les alliances que nous représentons, mais c'est un dialogue fructueux depuis toujours puisque c'est une compréhension de la problématique européenne. J'apprécie énormément la collaboration avec M. le Président français, et je considère que cette collaboration est un facteur très important, dans la politique européenne.
- QUESTION.- Est-ce que vraiment un des généraux pourrait être à votre place ? Ou bien pouvez-vous dire que les militaires soviétiques ont déjà une telle influence qu'ils ont le pouvoir de veto sur vos décisions, notamment en ce qui concerne le statut militaire de l'Allemagne ?
- LE PRESIDENT GORBATCHEV.- Non, je pense que les militaires ont la même influence qu'aux Etats-Unis.\
QUESTION.- (La Radio de Moscou) Je voudrais poser deux questions, une question à chacun des Présidents : à M. Mitterrand : le 4 mars, pendant la réception à l'Elysée, pendant la conversation avec notre délégation, nous vous avons parlé de la création de la station Radio Nostalgie Moscou £ à partir du 1er mai, ce programme est diffusé en Union soviétique, c'est la musique soviétique, ce sont les nouvelles, et en même temps, ce sont les chansons françaises. Comment vous considérez l'ouverture de cette radio dans le cadre des relations franco-soviétiques et dans votre idée de construire notre avenir par nous-mêmes ?
- LE PRESIDENT.- M. Mikhaïl Gorbatchev a eu raison de compléter ma propre explication sur la future maison commune de l'Europe en ajoutant les éléments culturels. D'ailleurs, parmi les éléments technologiques que je mets toujours en avant, je pense à la technologie de la télévision haute définition propre à l'Europe et qui ferait avancer nos moyens de compréhension.
- Je ne peux que me réjouir de voir ces radios françaises gagner du terrain et un public et diffuser par un mélange heureux des chansons françaises et en même temps, l'art soviétique capable de s'exprimer. Ce sont deux cultures authentiques aussi profondes dans l'histoire européenne l'une que l'autre, donc je ne peux que m'en réjouir.
- QUESTION.- La même question, M. Gorbatchev, comment estimez-vous l'apparition de cette station justement pour le développement de ce processus européen commun ?
- LE PRESIDENT GORBATCHEV.- Je salue les voix qui unissent les gens.\
QUESTION.- (AFP) Je voudrais demander à M. Gorbatchev : ses collaborateurs nous ont annoncé il y a quelques jours la prochaine tenue d'un référendum dans ce pays. Je voudrais lui demander s'il a une idée sur la période à laquelle ce référendum pourrait se tenir et je voudrais lui demander surtout, de quelle façon il pense formuler sa question dans un pays où très souvent l'économie de marché est confondue avec la spéculation ? et qu'est-ce qu'il pense que les gens vont lui répondre ?
- QUESTION.- sur le même sujet (Tribune de l'Expansion). Je voudrais savoir dans la suite de cette question, je voudrais demander à M. Gorbatchev, comment peut-il décider d'instaurer une économie de marché en URSS en continuant de rejeter catégoriquement le système capitaliste qui lui est indissociable ?
- LE PRESIDENT GORBATCHEV.- Je réponds d'abord à votre question. Lorsque je faisais mes études de droit, à l'Université de Moscou, j'étudiais le droit romain, et dans le droit romain, il existe beaucoup d'éléments qui régulaient les relations monétaires dans la Rome antique. Donc le marché existait dans l'antiquité. Le marché, c'est le milieu dans lequel toute économie doit se développer. Nous avons sous-estimé cela. Nous faisions le contraire. Nous partions d'autres prémices, de nos conceptions purement spéculatives, on considérait qu'on pouvait tout distribuer à partir du centre, estimant que c'était plus juste. Je pense qu'une certaine étape est possible, mais en principe, l'expérience nous le prouve, surtout dans un pays aussi immense comme le nôtre, c'est irréel. L'absence de marché a eu une influence négative sur l'économie, et sur tous les processus humains qui se déroulaient dans notre société.
- Donner de l'influence négative et sur l'économie et sur tout le processus humain qui s'est déroulé dans notre société. On peut dire que je ne mets pas une barrière insurmontable entre les différentes facettes de notre civilisation actuelle. Je pense que la capitalisme, en tant que système, a renforcé ses mécanismes de défense par le fait qu'il a utilisé beaucoup de choses qui existaient dans nos pays. Par exemple, le Japon a bien étudié des structures, bien emprunté sans copier, en les adaptant à la réalité japonaise et, d'autre part, la régulation économique, les plans est-ce que vous ne le tirez pas de notre expérience ? Ceci est actuellement utilisé dans beaucoup de pays quel qu'y soit le type de système économique. Autrement dit il n'existe pas de barrières insurmontables. Chacun doit garder son choix, chacun doit choisir ses dieux. Il doit prier ses dieux le matin et le soir c'est lui qui doit choisir le type de l'économie, ses valeurs. Ceci doit appartenir à chacun. Cela c'est le principe fondamental. Mais il y a également des valeurs humaines. Je pense que nous les utilisons, nous les enrichissons. Nous avons reconnu en tout cas que nous vivons actuellement dans la même civilisation. Ceci nous a enrichi et nous devons considérer notre collaboration d'une autre façon. Je pense que c'est pour cela que notre nouvelle mentalité, celle qui a provoqué ces mouvements de rencontre qui nous font cesser la confrontation, cesser de créer l'image de l'ennemi.
- Récemment lors d'une rencontre avec les entrepreneurs américains, j'ai dit que j'avais reçu cinquante-quatre mille voeux de bon anniversaire. Donc, les gens par leur simple bon sens sentent qu'il faut changer les choses pour notre dignité. Cela me rappelait un certain messianisme, une prière. On nous invite à continuer la collaboration, à faire des échanges, je pense que tout ce que nous avons dit entre nous aujourd'hui c'est une recherche philosophique appliquée à la politique réelle. Sur le continent européen cela se transforme réellement maintenant dans les institutions.\
Vous avez posé une question sur le référendum. J'ai beaucoup de collaborateurs et beaucoup d'aides et les conditions de la transparence et de la démocratie font que je ne me souviens pas qui en a parlé mais je pense qu'il s'agissait de la chose suivante : me voilà au bout de cinq ans et nous avons une certaine expérience dans l'organisation de nouvelles règles économiques, dans le fonctionnement économique. Nous sommes actuellement arrivés à la conclusion qu'il faut continuer la restructuration. Il faut toucher le droit de propriété pour avoir plusieurs types de propriété. Nous avons une nouvelle loi sur la possession de la terre, pour que les gens puissent décider eux-mêmes sous quelle forme ils préfèrent travailler ces terres. Donc, nous avons une certaine préparation, une certaine expérience, je ne peux pas dire que nous sommes satisfaits et que nous sommes prêts à affronter tout, mais nous sommes également prêts pour une certaine création législative. Je pense qu'actuellement nous sommes prêts à faire des pas réels et décisifs pour passer à l'économie de marché. Mais ce sera une économie de marché contrôlée, régulée. Cela passera par une phase transitoire qui prendra deux ou trois ans. Ensuite les institutions de l'économie de marché vont prendre de la force et seront exploitées par la société, par les différentes forces de travail, dites agents économiques, ce sera un processus à long terme. Mais actuellement dans l'année à venir nous devons faire ce tournant vers l'économie de marché pas parce que c'est à la mode, pas parce que nous voulons absolument l'économie de marché et que nous devons la réaliser, ce n'est pas pour cela. Le marché nous en avons besoin pour sortir notre économie de cette situation difficile dans laquelle elle se trouve et par le développement, par l'initiative des gens pour obtenir d'autres résultats, d'autres productivités et d'autres conditions de la vie basés sur ces mêmes résultats autrement dit ceci est fait pour améliorer la vie des gens. Cela est la base de ce tournant. Ce tournant est décisif et très important puisqu'on considère que notre société de façon psychologique n'est pas préparée à ce tournant.
- Pendant cinq ans nous avons préparé ces analyses. La société n'est tout de même pas préparée. Si on considère que beaucoup des citoyens de cette société se sont formés dans le système administratif qui fonctionnait par ordre et qui limitait leur activité personnelle, leur créativité, leur initiative, on peut dire que cela c'est la plus grande difficulté qui se dresse sur le chemin de l'économie de marché. Autrement dit c'est un tournant très grand.\
`Suite sur l'économie de marché`
- Par la suite on doit prendre en "paquet" d'autres décisions : système fiscal, législation sur les sociétés par action, sociétés financières etc.. Autrement dit, c'est tout un système qui nous permettra d'entamer ce processus qui nous dirigera vers l'économie de marché. Ceci concernera également la réforme des prix. Il est bien clair qu'en touchant les prix on touchera les intérêts des consommateurs. C'est une question qui préoccupe beaucoup notre peuple. Et nous avons pris la décision suivante : nous avons dit que lorsqu'on va toucher le problème des prix, nous ne ferons pas de surprises que les gens "attendent" en ouvrant le journal le matin en constatant que les prix ont changé. Non, nous ne pouvons pas faire cela, notre société est démocratique, prévoit la discussion préalable. Autrement dit, on doit avoir un accord à l'intérieur de la nation. C'est un grand tournant, c'est un tournant douloureux. Ceux qui ont commencé déjà ce processus sont des gens d'une autre matière, des gens qui font les coopérations, des entrepreneurs individuels, des gens qui regardent les choses différemment. Mais ce processus doit toucher tout le monde. Ceci prendra beaucoup de temps. Autrement dit, je pense qu'il faut discuter de ce problème, il faut avoir un accord national et c'est pour cela que le terme de référendum a été lancé. Nous n'avons pas, pour l'instant, de lois sur les référendums. Nous n'avons pas de mécanismes pour cela, c'est pourquoi au Soviet Suprême actuellement on discute de ce problème, on discute parallèlement à ceci, il y a la position par rapport à un référendum. Il ne s'agit pas de passer ou de ne pas passer un marché, ceci tout le monde le comprend £ la question qui se pose c'est comment on va avancer vers le marché pour que ce soit le moins douloureux pour la société. C'est la seule question qui se pose actuellement. Donc, je pense que très bientôt, après les discussions au niveau du Soviet Suprême, on discutera ce problème de façon plus large et notamment on discutera la question des prix et celle de la défense sociale. On doit savoir comment les gens sont défendus, aussi bien les retraités, les étudiants que les catégories non privilégiées. Quelque chose est déjà dit dans le rapport de M. Rijhkov. Ensuite c'est une autre question qui préoccupe les gens. Les gens posent des questions sur le chômage, sur la protection du droit au travail. Ceci est vrai, bien entendu et j'ai répondu à ce genre de question aussi bien dans l'Oural qu'à Moscou dans ma circonscription. J'ai parlé beaucoup à ce sujet mais visiblement ce qui nous manque ce sont des chaînes de télévision ou bien c'est le contraire : on a trop de chaînes, et trop d'informations et on n'a pas le temps de travailler. En tout cas il faut absolument trouver des solutions à ce problème.\
Je peux confirmer ma position concernant le chômage. Je pense qu'on trouvera des gens qui, pour un certain temps, perdront leur travail à cause de restructuration structurelle. Cette restructuration sera liée à la restructuration de la production des entreprises. Il faudra protéger ces gens, leur trouver une indemnité de chômage, des solutions pour préparer de nouvelles professions. Vous savez qu'actuellement nous avons dix millions de places disponibles. Si l'on prend le rapport entre la France et nous, je pense qu'en France beaucoup plus de gens travaillent dans le secteur tertiaire. Chez nous ce secteur est tellement peu développé qu'il n'occupe que quelques pour cent des gens à peu près 20 - 25 % pas plus et encore. Dans les pays les plus développés, au contraire c'est 75 %. Donc nous avons un large champ d'application pour la création de places de travail. Bien sûr, le système doit fonctionner pour résoudre tous ces problèmes. En tout cas il est clair que c'est ce problème qui devra être discuté chez nous dans notre société. C'est un problème de garanties sociales qui équilibreraient le passage à l'économie de marché. Mais je pense qu'après des discussions, qui ne seront pas faciles, nous trouverons une solution. En tout cas il faut aller vers le marché, vers la nouvelle productivité, vers les nouveaux résultats économiques, il faut avoir des solutions sociales. Ceci pour moi est tout à fait clair. Je me suis proposé d'élargir cette question parce que je sais que ce sont des questions qui vous préoccupent et qui vont se retrouver dans la presse.\