17 mai 1990 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur la situation des îles australes au sein de la Polynésie française et notamment sur le développement de Rurutu, Rurutu le 17 mai 1990.

Monsieur le maire,
- Je vous remercie de votre accueil. Et je pourrais m'adresser dans les mêmes termes aux élus qui étaient auprès de vous et à la population qui s'est ici rassemblée.
- En effet, on peut imaginer aisément ce qu'a dû être l'isolement de cette île, Rurutu, parmi les îles australes, à l'époque où les moyens de communication n'existaient pas ou bien si rares et si lents. C'est bien l'un des progrès sensibles de la situation d'aujourd'hui que vous sentiez, désormais, en dépit des distances, la proximité de la Polynésie tout entière, et, je l'espère, d'une certaine manière, vos liens avec la lointaine Métropole.
- Je savais que M. le ministre des départements et territoires d'Outre-mer était déjà venu ici apporter par sa présence, l'assurance que vous n'étiez pas oubliés et que vous pouviez figurer au rang qui vous est dû parmi les travaux de la République et de la Polynésie afin de procéder aux investissements nécessaires.
- Cette présence du gouvernement de la République française était déjà bien la marque que nous entendions replacer les Australes dans le cadre qui est le leur. La présence ici de M. Léontieff, Président du gouvernement territorial, vient ici vous réaffirmer que cette responsabilité qui est la sienne et celle du gouvernement est assumée et qu'il n'est pas un seul endroit, une seule île des Archipels qui soit désormais abandonnée à son sort. C'est bien la raison pour laquelle nous avons créé, d'un commun accord, les Conseils des Archipels qui vont servir de relais entre la population et leurs élus locaux, le gouvernement territorial et le gouvernement de la République. De relais, pour informer, pour dire de quelle manière l'on vit chaque jour dans ces îles, à Rurutu particulièrement.
- Ainsi, par cette organisation administrative et humaine, pourra-t-on doubler les phénomènes des techniques de communication et maintenir une connaissance extrêmement précise de vos besoins. Tout donc concourt aujourd'hui pour que les Australes soient de plain-pied avec la vie moderne et les grands courants. Qu'elles se sentent, sans rien abandonner de leur propre identité, vraiment partie prenante de la vie nationale comme de la vie de la Polynésie. C'est ce qui ressortait, monsieur le maire, de vos premières paroles.
- Oui, désormais, on connaîtra mieux la géographie. On a toujours besoin de faire des progrès là-dessus, particulièrement en France. On saura où vous êtes et d'où vous êtes. Et l'on aura mieux ressenti la communauté à laquelle vous appartenez. J'ai voulu - par ce rapide voyage, cette rapide visite à Rurutu, dans l'impossibilité où j'étais de me rendre dans tous les Archipels - en venant ici témoigner de la démarche du gouvernement de la République qui entend bien persévérer dans son oeuvre, accroître sa présence et contribuer davantage à votre développement.\
Je vous remercie pour l'accueil des enfants de Rurutu, aux accents de la Marseillaise. D'une vraie Marseillaise bien chantée, avec son rythme et son caractère. Je n'ignorais pas qu'ici, vous aviez fait de vous-même un effort notable dans le domaine scolaire et que vous êtes loin d'être en retard par rapport à beaucoup d'autres. Vous avez compris que la formation des enfants était, presque par définition, le commencement de tout. Raisonnement qu'il faudra appliquer lorsque, devenus adolescents, ils auront à aborder un métier. Je redirai ce que j'ai dit ailleurs, la formation technique et professionnelle aux métiers de demain, c'est la clé de l'avenir. Si vos enfants qui sont là devant moi aspirent à des métiers pratiqués dans le monde entier, afin de trouver un emploi, un travail, une occupation qui les passionnent, c'est la voie qu'il faut suivre. Bien entendu, la petite collectivité que vous formez ne peut pas, par ses seuls moyens, parvenir à doter les enfants du savoir, des connaissances et des moyens qui leur permettront d'être pleinement citoyens de la Polynésie, de la République et, pourquoi ne pas dire, citoyens du monde.
- J'ai bien noté vos richesses naturelles, elles sont immédiatement visibles. C'est l'immense océan et tout ce qu'il contient et tout ce que l'homme peut désormais maîtriser dans ses profondeurs. C'est votre terre, c'est-à-dire l'agriculture. Comment faisaient vos ancêtres ? Ils vivaient là, sur place, contraints d'y demeurer. Ils utilisaient chaque parcelle utile du terrain pour cultiver ce que la nature leur proposait. On peut faire maintenant quelques pas en avant, c'est-à-dire qu'on peut implanter, développer - vous y avez pensé pour le café -, on peut désormais se substituer aux simples phénomènes naturels et apporter à vos îles les moyens de développer des productions rentables qui permettraient, en tout cas, d'assurer la consommation sans s'en tenir aux données d'autrefois.
- La mer, l'agriculture, ce sont les grands éléments naturels. Peut-on parler d'industries ? Ce serait peut-être trop d'ambition dans les circonstances présentes. Ce qu'il faut, c'est que les enfants, vos enfants, soient préparés à des métiers industriels pour que ceux d'entre eux qui en auront le tempérament, qui en éprouveront le besoin, puissent aller au-delà, à la condition bien entendu de savoir entrer de plain-pied dans le grand monde des concurrences et des compétitions.
- C'est bien de l'ambition dira-t-on pour une île perdue dans l'océan et une population confinée sur son sol ! Quoique ce ne soit plus le cas. Ce n'est plus une île perdue, l'océan est aussi un moyen de communication et d'échanges de plus en plus employé. Il est d'autres moyens, vous avez parlé de ceux de l'information, vous pouvez désormais vous entendre avec les îles voisines ou plutôt davantage avec l'île centrale de Tahiti qu'avec les autres îles australes qu'il faudra à leur tour équiper.
- Rien ne doit vous être interdit quelles que soient les conditions d'existence qui sont les vôtres. Il faut que l'avenir des enfants soit le même, qu'il comporte autant de chances que celui des autres enfants des autres territoires de la République.
- Voilà la tâche qu'il convient de mener à son terme. Ce ne sera pas facile, mais le principal déjà c'est de se connaître, c'est de vous avoir entendus, c'est d'avoir ici avec moi des responsables - et d'abord le ministre - qui ont enregistré vos propos. Ils ont renouvelé leur vision de l'île qu'ils moderniseront encore. Ce qui fait que vous aurez un peu partout des correspondants, des hommes, des femmes qui, vous connaissant, vous aideront à développer, à équiper comme il convient l'île de Rurutu. D'ailleurs, je crois que d'ici peu vos routes seront améliorées. Commençons au moins par cela, indépendamment du reste dont j'ai parlé.\
Et maintenant je veux simplement vous dire quelques mots pour conclure. Comment ne serais-je pas très heureux de vous rencontrer ? Vous, mesdames et messieurs, et vous les enfants assis sur ce sable, habitués à cette position d'attente et d'écoute, avec tout le charme et la couleur déjà rencontrés depuis quarante-huit heures, qui correspondent bien à vos coutumes, à votre façon d'être en exprimant une part de l'âme polynésienne, elle-même formée par des traditions différentes, par des langages différents tant est vaste son domaine et multiples les ethnies qui sont venues concourir à son unité.
- Comment ne pas être à la fois heureux et ému de cette rencontre ? Je l'avais désirée, elle remplit ce que j'en attendais, elle avive simplement mon regret de n'avoir pu me rendre dans d'autres îles australes et dans d'autres archipels. Comment ne pas regretter de ne pas avoir suivi les itinéraires des Marquises autour de Gauguin, de Brel et de bien d'autres ? Dirais-je "ce sera pour la prochaine fois ?" Ce serait imprudent, mais pourquoi pas ! Il me semble que je n'aurai connu vraiment la République française dans son étendue qu'à compter du moment où tous les territoires qui relèvent d'elle auront été approchés par les responsables de Paris et des divers centres d'autorité.
- Nous allons passer quelques instants ensemble, retrouver les rythmes et la chaleur qui émanent de la population de Rurutu. Je suis pressé de les entendre. Je vous remercie donc profondément. Je vous dis l'affection que j'éprouve pour votre population, le souhait que je forme pour qu'elle soit capable de maîtriser les éléments dont elle dispose dans cette île et tout autour pour assurer son avenir. Je dirai comme vous l'avez fait, monsieur le maire,
- Vive Rurutu,
- Vive les Australes,
- Vive la Polynésie française,
-,
- Vive la République,
- Vive la France.\