26 avril 1990 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Conférence de presse conjointe de MM. François Mitterrand, Président de la République et Helmut Kohl, Chancelier de RFA, notamment sur l'unité allemande et l'unité européenne, l'union politique et l'union monétaire, l'avenir de l'Alliance atlantique et de l'OTAN et la situation en Lituanie, Paris le 26 avril 1990.

Mesdames et messieurs,
- Le 55ème Sommet franco-allemand vient de s'achever. Il a été organisé autour de trois moments : d'abord les entretiens directs et particuliers entre le Chancelier Kohl et moi-même, tandis que parallèlement se réunissaient les ministres selon leurs compétences, et que le Premier ministre, qui avait lui-même reçu le Chancelier, regroupait autour de lui l'ensemble de ceux qui se préoccupaient de questions économiques. Après quoi, s'est tenu ce matin le Conseil de défense, puis la séance plénière qui vient de s'achever.
- Au cours de cette séance plénière, les ministres ont rendu compte de leurs travaux et de leurs discussions, sur les affaires diplomatiques, de défense, économiques et quand on dit économie, il faut entendre économie, finance, industrie, énergie, espace, environnement, du moins telles ont été les questions choisies pour les travaux de ce sommet. Enfin, les questions culturelles et scientifiques.
- Voilà un rapide énoncé sur lequel vous pourrez naturellement poser les questions de votre choix. Le climat de ce sommet a été conforme à une tradition établie depuis longtemps, mais j'ajouterai particulièrement positive, d'où il résulte un sentiment de forte entente, afin que nos démarches prennent tout leur sens. Un certain nombre de dossiers secondaires qui parfois attendaient depuis plusieurs mois, ont été réglés à cette occasion.
- Les entretiens que j'ai eus avec le Chancelier Helmut Kohl, nous ont permis de traiter les grandes questions qui se posent à l'Europe et à l'Allemagne. Nous avons continué de préparer le prochain Sommet européen de la Communauté, qui aura lieu à la fin de cette semaine sur l'ensemble des questions touchant à l'unité politique, à l'union économique et monétaire, mais aussi à la situation de l'Alliance atlantique, aux problèmes de défense, aux problèmes militaires et au devenir conjugué de l'unité allemande et de l'unité européenne, nous avons constaté une grande unité de vues.
- Au delà de la Communauté nous avons examiné le sort du continent européen tout entier, qui nous intéresse l'un et l'autre, et que nous avons l'intention d'aborder dans l'esprit même qui a présidé à la constitution de la Communauté, il y a maintenant de longues années, non pas pour faire la même chose, mais pour y faire preuve du même esprit d'entreprise.
- L'amitié franco-allemande est plus vivace que jamais. Une Communauté européenne plus unie : c'est ce que nous voulons. Une Europe structurée, équilibrée, pacifique : c'est ce à quoi nous travaillons.
- Maintenant, je vais demander au Chancelier, s'il le veut bien après cette présentation après que j'aie dit le plaisir que nous avons eu de recevoir nos amis allemands et de travailler avec eux sérieusement, si le Chancelier Kohl veut bien ajouter quelques mots.\
LE CHANCELIER KOHL.- C'est à juste titre que le Président Mitterrand a souligné le caractère particulièrement attentif et amical de nos discussions et le climat excellent de cette réunion et dans les nombreuses discussions bilatérales qui ont eu lieu, entre les membres du gouvernement fédéral et du gouvernement français qui se sont réunis ici. Les discussions ont été particulièrement fertiles, couronnées de succès. Je ne peux donc que souligner ce qu'a dit le Président, et abonder dans son sens.
- Mais je voudrais y ajouter une réflexion, une remarque de principe. Ce Sommet franco-allemand fait partie de toute une série de réunions au sommet, et ces réunions au sommet sont toujours suivies avec grand intérêt en France et en République fédérale, partout en Europe d'ailleurs, et l'on considère qu'il reste absolument normal qu'elles aient lieu et ce n'est plus considéré comme quelque chose de spécial. Or, pour moi, justement ce qui est exemplaire, c'est que nous travaillons si bien et si régulièrement qu'il puisse y avoir quelquefois des divergences d'opinions comme c'est courant entre amis, et que l'on puisse en parler. Du point de vue du moment, dans l'histoire, cette réunion aussi est particulièrement importante, car l'on peut dire, sans pas trop exagérer qu'en avril 1990, non seulement nous sommes au début d'une décennie qui est la dernière de ce siècle, mais je vous dis comme je le ressens, nous sommes à une heure tout à fait historique pour l'Europe. Pour moi, en tant qu'Allemand, et en tant que Chancelier allemand, bien entendu, il est particulièrement heureux que nous puissions aujourd'hui vivre deux choses à la fois.\
D'une part, l'unité de ma patrie, l'unité de l'Allemagne et également, une percée décisive vers l'intégration européenne. Ces deux dates pour nous ne font qu'une. Le 31 décembre 1992 marque le grand marché unique européen, mais maintenant au lieu de 320 millions, nous avons 337 millions d'Européens qui vont venir, en plus avec Dublin, c'est une nouvelle percée dans l'intégration européenne qui se produit avec l'union économique et monétaire, le Marché commun, l'intégration politique du Marché commun devrait être maintenant menée à bien et nous espérons que cette union politique connaîtra un moment décisif à Dublin. C'est pour moi et je pense pour des millions de gens, chez nous aussi, maintenant, la réalisation d'un rêve de voir que l'unité allemande et l'unité européenne se font de pair. Pour nous, c'est particulièrement important, nous avons l'impression qu'il s'agit d'une même médaille qui a deux côtés.
- Je cite ces jours-ci très souvent Conrad Adenauer qui, il y a 35 ans a dit : "l'unité allemande ne peut se faire que sous un toit européen", et c'est justement ce qui se passe aujourd'hui. Et, ce processus de l'unification européenne est aussi très important, parce que chez nous dans les pays occidentaux de l'Europe qui après la deuxième guerre mondiale ont connu la paix, la liberté et la démocratie, eh bien il est particulièrement important de comprendre que les gens à l'Est en Tchécoslovaquie, en Pologne, en Hongrie, en Roumanie dans de nombreuses parties de notre ancien continent, tout ces gens-là n'ont pas eu la chance que nous avons eue jusqu'à présent. Et ils regardent avec particulièrement de nostalgie et de désir vers nous, et donc, je voudrais revenir à ce que M. le Président Mitterrand a dit dans ses voeux aux Français, à la fin de l'année dernière. C'est que il nous faut maintenant réfléchir et discuter pour savoir comment ces pays-là, de l'Europe de l'Est, qui se sentent faire partie de l'Europe, mais qui sont à l'extérieur de la Communauté, comment est-ce que eux aussi, peuvent trouver un avenir, comment est-ce que l'on peut l'organiser de manière raisonnable ?\
Enfin, une dernière remarque : le 1er juillet, malgré toutes les difficultés car c'est un laps de temps court pour le travail que nous avons à accomplir, nous arriverons le 1er juillet donc à introduire l'union économique et monétaire entre la RFA et la RDA. Et je pense que les craintes qu'il y a eues chez les voisins, se transformeront très vite en espoir, pas seulement pour les pays du Marché commun en général, mais pour la France également en particulier, il est évident que la population de la RDA avec ces capacités de travail etc... arriveront à transformer leur pays en un pays prospère. Et je ne peux qu'inviter les entrepreneurs français à participer à cette chance et à aller là-bas, lorsque les conditions cadres nécessaires auront été créées.
- Je sais, c'est pour cela que j'ai parlé de ces craintes, qu'un certain nombre de gens sont un peu pris au dépourvu. Bien entendu, ce ne sera pas facile. Cela sera un dur travail, il faudra avoir des initiatives, des idées, mais franchement, croyez-moi, nous ferons tout pour que la situation monétaire dans toute l'Europe reste telle qu'elle est, que ce soit la question des taux d'intérêts, que ce soit les questions de parités, je vous le prédis, et vous verrez, nous le verrons ensemble, nous pourrons dans quelques années voir que tout ce que je vous dis aujourd'hui est exact.
- Ici, devant l'opinion publique de votre pays, monsieur le Président, je voudrais vous remercier du fond du coeur pour la manière très amicale dont vous avez ressentie cette heure historique. Nous deux, nous n'avons jamais cru que nous serions à nous deux seuls capables de faire avancer les choses en Europe. Mais, sans aucune arrogance, nous pouvons dire que le processus d'unification européen ne pourra se faire que si la France et l'Allemagne le poussent, le font avancer. Toutes ces dernières années, nous avons considéré que c'était notre tâche principale et je pense qu'il en sera également de même dans l'avenir.\
LE PRESIDENT.- Je vous remercie avant de demander à mesdames et messieurs les journalistes de bien vouloir poser les questions. Je voudrais dire que c'est au cours du dîner d'hier soir que nous avons été informés de l'attentat contre M. Oskar Lafontaine, que le Chancelier Kohl s'en est aussitôt inquiété en téléphonant pour s'informer. Et j'ai fait de même et je voudrais dire que nous souhaitons vivement que M. Lafontaine puisse se rétablir.
- LE CHANCELIER KOHL.- Sur ce sujet, également j'aimerais faire une petite réflexion. D'ailleurs, c'est ce que j'ai dit. J'espère beaucoup qu'Oskar Lafontaine sera rétabli complètement, aussi rapidement que possible. J'aimerais d'ici lui adresser mes meilleurs voeux de rétablissement ainsi que ceux de tous mes collègues du gouvernement de la République fédérale présents ici. Et je regrette profondément cet attentat brutal et j'espère que très bientôt il sera complètement rétabli.\
QUESTION.- Monsieur le Président, on a beaucoup parlé de l'unité politique de l'Europe depuis 1957 au moins, pensez-vous que l'heure est maintenant venue après l'initiative que vous venez de prendre, le Chancelier Kohl et vous-même, pensez-vous qu'on verra une union politique européenne vraiment en 1993, puisque c'est la date avancée ?
- LE PRESIDENT.- C'est ce à quoi nous travaillons et nous avons pris pour cela les initiatives nécessaires. On peut penser que nous venons d'entrer dans une nouvelle phase cette fois-ci décisive, dans le cheminement entrepris il y a plus de trente ans. Et je le répète, l'Allemagne et la France sont engagées du même pas pour qu'aboutisse cette construction.\
QUESTION.- On dit que dans l'OTAN très bientôt il y aura une décision officielle pour renoncer à une modernisation des armes à courte portée nucléaire, est-ce que vous en avez parlé aujourd'hui et est-ce que dans ce contexte, vous avez également parlé de l'avenir des HADES français ?
- LE PRESIDENT.- La modernisation des armes nucléaires à très courte portée n'est pas une question d'actualité qui occupe nos esprits. Il n'en a pratiquement pas été question sinon à un moment au sein du Conseil de défense, pour dire précisément que là n'était pas l'urgence. La discussion n'est pas engagée, du moins sur les nouvelles bases. S'il se tient une réunion de l'OTAN, nous souhaitons qu'elle ait lieu avant la fin de cette année, d'ici là, on aura le temps, dans les travaux préparatoires, d'approfondir cette question. Elle sera peut-être posée mais je n'en connais pas la réponse. Pour ce qui touche aux HADES, nous n'en avons pas discuté. Je me suis contenté de dire de mon propre chef, sans que la question m'eût été posée, que nous avions besoin de connaître le résultat des négociations engagées entre les différents partenaires au sein de la CSCE, - désarmement conventionnel en particulier puisque tel est l'ordre du jour - nous avions besoin de connaître toutes ces données avant de traiter au fond le débat qui ici et là bien entendu nous conduira fatalement à établir des réponses définitives. Nous n'en sommes pas là. La situation en Europe est potentiellement sur le plan désarmement tout à fait transformée, puisqu'elle épouse et épousera, par nécessité, les évolutions politiques. Mais ce type de négociation n'a pas encore abouti. Il n'y a pas encore de nouvel équilibre européen, et la réponse que j'ai pu vous faire en tant que Président de la République française, c'est que la France ne bougera pas tant que les données n'auront pas changé.\
LE CHANCELIER KOHL.- Moi je voudrais d'abord souligner ce que vient de dire le Président Mitterrand sur la question de l'actualité de la question. Je pars de l'idée, c'est également le souhait allemand, que cette année il y aura une réunion du sommet de l'OTAN. La date devrait être à choisir d'après des questions de convenance, et comme le Président Mitterrand l'a dit, je pense que la fin de l'année ce ne serait pas une mauvaise idée. Concrètement, cela veut dire que nous ferons un espèce d'inventaire à ce moment-là, nous saurons ce qui semble bon, d'un point de vue armement et nous verrons ce qui s'est fait, non seulement au niveau des intentions, mais au niveau des réalités, il y a un problème chez nous également en République fédérale, c'est que beaucoup de gens considèrent que les déclarations d'intention sont déjà des réalités. Or, je m'oppose totalement à cette façon de voir les choses pour les questions aussi importantes que la paix et la liberté, il faut se baser sur la réalité, sur ce que l'on peut prouver et il ne faut pas partir d'hypothèses. Donc concrètement, cela signifie que nous parlerons de la modernisation des armes nucléaires à courte portée, je n'ai aucun doute, à cette occasion nous arriverons également à des solutions satisfaisantes, pour nous aussi en République fédérale. En ce qui concerne le véritable fond de la question sur les HADES, je dois vous dire que les HADES ne nous causent aucun souci. Dans le domaine des armes dans le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui, s'il n'y avait que des partenaires comme la République française, eh bien ! je ne pense pas que nous aurions à perdre beaucoup de temps sur ce sujet. Je ne vois strictement aucun problème sur ce point. Je sais que l'on a dit d'autres choses sur la République fédérale allemande mais je n'en ai aucun souci.
- LE PRESIDENT.- Bien entendu, si la réunion de l'OTAN à la demande de nos partenaires devait être avancée, la France n'y verrait aucun inconvénient. On a simplement établi que, raisonnablement, étant donné le calendrier diplomatique déjà engagé, le dernier trimestre serait la meilleure période mais cela n'a pas valeur d'obligation. Quant au désarmement, la France prendra sa part mais pas plus tôt qu'il ne convient.\
QUESTION.- Lors de la réunion du Conseil de Défense, est-ce que vous avez évoqué l'avenir de l'Alliance atlantique et, notamment, la place de l'Allemagne unifiée dans cette Alliance et qu'est-ce que vous avez dit ?
- LE PRESIDENT.- On a répété ce qui avait déjà été dit, assorti de considérations pratiques et techniques qui relevaient de la compétence de ce comité et qui n'ont pas besoin d'être diffusées. On a rappelé, le Chancelier avait tenu à le faire dès hier soir, que l'Allemagne unifiée entendait rester dans l'OTAN. Nous avons, pendant un moment bref mais utile, parlé des propositions faites pour que l'Alliance atlantique prit un nouveau contenu. On a prononcé le mot, c'est M. Baker, "politique".
- J'ai précisé, comme je l'avais fait avec M. Bush la semaine dernière, que je comprenais très bien que les Etats-Unis d'Amérique fussent intéressés et pussent prendre part aux débats qui auront lieu pour la détermination du nouvel équilibre européen. J'avais rappelé que la France entendait garder son statut d'alliée à part entière mais disposait d'une autonomie stratégique, conformément à ce qui a été décidé depuis déjà de longues années et que, d'autre part, l'Alliance atlantique comportait une certaine définition géographique et que l'on ne pourrait changer ce domaine-là que par un nouveau traité. Donc, nos obligations réciproques s'appliquent là où elles ont été fixées.
- Cela étant dit, nous ne pouvons pas demander aux Etats-Unis d'Amérique de rester en Europe, de continuer dans les conditions présentes de représenter un élément déterminant de notre sécurité et, en même temps, de ne pas les tenir informés et de ne pas demander leur avis, leur opinion sur les conditions du nouvel équilibre européen. Cela peut englober certains aspects politiques au sens général du terme mais il ne faut pas penser que l'alliance militaire aura à se préoccuper de tout et du reste, demain, en Europe et dans chacun de nos pays. Voilà le reflet de ma pensée et je fais grande confiance au Président Bush qui montre beaucoup de compétence et de compréhension, particulièrement dans ce domaine.
- Le Chancelier a rappelé la volonté allemande, sous bénéfice de ce qui lui paraîtra le plus utile par rapport aux troupes, notamment soviétiques, qui se trouveront dans une fraction de l'Allemagne unifiée. Par voie de conséquence la question qui sera posée, sans doute, par les Soviétiques sur les troupes occidentales. Nous avons maintenu le point de vue qui est déjà connu, à savoir que l'Allemagne étant de plein droit dans l'OTAN pour l'Allemagne unifiée, il n'y avait pas lieu d'en transformer les données. C'est une alliance défensive. Tant qu'il existera des armes en Europe marquant, en particulier, une différence encore assez sensible de potentiel militaire, il conviendra que l'Alliance poursuive sa tâche.\
QUESTION.- C'est une question pour vous deux. A l'origine, la CEE c'était une chose basée sur l'idée de deux Etats l'Allemagne et la France, à peu près de la même taille, de la même puissance. Maintenant, dans quelques années, on sera en face d'une Allemagne avec beaucoup plus de terres, plus de gens et plus de puissance économique. Comment croyez-vous que cela va changer le caractère de la CEE ?
- LE PRESIDENT.- Je ne pense pas que cette donnée ait prévalu au moment de la constitution de la CEE qui a été faite entre six pays d'importance très inégale. Donc cette question n'a pas été considérée comme importante. Il s'est trouvé que l'Allemagne fédérale et la France disposaient d'une population en nombre assez proche mais cette donnée n'ayant pas été au départ une donnée importante, ne l'est pas devenue.
- Croyez-moi, les Français ne nourrissent pas de complexe particulier. Ils ont le sentiment qu'avec leurs 56 à 57 millions d'habitants appelés à devenir assez vite 60 millions, par rapport aux 77 millions d'Allemands issus de ces deux Etats, eh bien ! la compétition en vaut la peine, une compétition loyale et amicale et il y a bien des terrains où nous nous sentons à l'aise, cela ne peut que nous inciter à faire mieux. Donc le problème au sein de la Communauté n'est pas posé et, dans les relations franco-allemandes, ne le sera pas.
- Cette notion d'une inégalité qui serait ainsi créée dans les conditions de travail en commun ne nous visite pas l'esprit sous la forme d'une crainte, cela doit visiter notre esprit sous la forme d'une volonté d'avancer en commun et, comme je l'ai dit tout à l'heure, du même pas. Au bout du compte, la France se retrouvera, croyez-moi, très à l'aise au sein de la Communauté. Nous n'avons été aucunement choqués, contrairement à ce qu'on a voulu nous faire dire, par les décisions prises quant à l'unité monétaire entre les deux Etats et la parité établie, nous n'en attendons rien de nuisible pour notre pays. Au contraire, comme l'a dit le Chancelier tout à l'heure, il doit y avoir une aspiration d'investissements, de travail, de production ouverte bien au-delà de l'Allemagne fédérale aux pays européens qui comprendront leur juste intérêt.\
LE CHANCELIER.- Je crois qu'il n'y a strictement aucune raison pour aucune crainte quelle qu'elle soit. En 1990, la République française est dans un tel état qu'elle n'a aucune raison d'avoir un complexe. Dans la Communauté européenne, si l'on essayait de réfléchir en terme de chiffres, ce serait tout à fait faux car nous avons des pays très différents dans la Communauté européenne de toute façon du point de vue du nombre des habitants et de la force économique, et si l'on réfléchit à l'intégration européenne, cela ne pourra marcher que si nous nous basons sur le principe de la qualité et pas de la quantité. L'Europe deviendra une Europe fédérale, il n'est pas possible d'imaginer autre chose, et si vous permettez cette comparaison, la structure fédérale de la République fédérale comporte également des différences internes importantes d'après les différents landers du point de vue économique et du point de vue du nombre des habitants. En France, c'est la même chose d'ailleurs. En France, vous avez des régions avec une grande prospérité, et puis d'autres régions beaucoup moins prospères qui ont des problèmes économiques beaucoup plus importants.
- Je crois que ce qu'il faut bien voir, c'est qu'avec la chance de l'unification de l'Allemagne, on est en train d'assister à la disparition de foyers de crise en Europe. Il n'y aura plus de problèmes dans ce domaine et c'est la paix qui viendra du sol allemand parce qu'il n'y a aucune revendication. Si on continue à empêcher un peuple de s'autodéterminer, eh bien, il reste un espèce de danger latent.
- Le Président Mitterrand vient de parler de l'OTAN. Il est évident que ce ne peut être que très positif de voir que des pays du Pacte de Varsovie, voisins des Allemands comme la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Pologne, voir que tous ces pays demandent qu'une Allemagne unifiée reste dans son ensemble dans le cadre de l'OTAN. Je pense que tout cela, ce sont des signes très positifs pour l'avenir. Et du reste, je crois, si j'essaie de voir ce qui se passera dans les années à venir, par l'intermédiaire de l'Europe communautaire, nous arrivons à créer une évolution telle que l'on voit bien que la liberté, c'est plus important que les frontières, et si les frontières tombent après 1992, je pense que beaucoup de choses qui traditionnellement relèvent du mode de pensée du XIXème siècle, toutes ces choses-là disparaîtront. Moi, personnellement, je suis convaincu que ce processus est riche d'espoir, la France et l'Allemagne, et l'Allemagne réunifiée, ont devant elles une tâche très importante jusqu'à la fin de ce siècle. Il faudra faire en sorte que tout ce qui a conduit à ces grands désordres dans le siècle passé, puisse être remis en ordre, du moins en grande partie.
- Bien entendu, il y a des tas de souvenirs historiques qui sont compréhensibles et je pense que ces craintes historiques qui sont justifiées, devraient disparaître. Il y a un an, qui aurait cru qu'il y aurait des événements aussi exceptionnels qui se passeraient. Eh bien, maintenant ils sont arrivés et il faut essayer d'être maîtres de ce qui se passe.\
LE PRESIDENT.- Puisque, madame, vous avez voulu éveiller notre esprit de compétition, je vous dirai que la France se porte bien, même si nous devons veiller maintenant à ce que davantage de Français se portent mieux. Nous engageons donc cette période de notre politique avec le sentiment que nous n'avons pas spécialement à redouter la compétition, surtout avec un peuple ami, exactement dans le cadre de pensée qui vient d'être exposé par le Chancelier Kohl.
- QUESTION.- Monsieur le Président, monsieur le Chancelier, que répondez-vous à ceux qui craignent que l'actuelle attitude de l'Occident face à la situation en Lituanie laisse craindre un nouvel esprit de Munich ?
- LE PRESIDENT.- Nous avons déjà fait du côté français des démarches qui nous paraissaient utiles, orientées autour de deux axes. Le premier concerne la souveraineté lituanienne. La France est un des rares pays qui n'a jamais reconnu la disparition de l'indépendance lituanienne en 1939, et la France a préservé les avoirs lituaniens qui lui ont été confiés pour le jour où les Lituaniens pourraient décider eux-mêmes de ce qu'ils entendent en faire. Donc l'intention est tout à fait simple et claire. Deuxième point. Depuis plusieurs siècles, la Lituanie, au temps de l'empire russe comme au temps de l'empire soviétique, a été absorbée par son puissant voisin. Aujourd'hui M. Gorbatchev est l'héritier de ces deux traditions historiques. Il se pose à lui un problème qui n'est pas seulement celui de la Lituanie, mais celui de la manière de traiter le problème des nationalités. Je sais qu'il y pense beaucoup. Nous en avions parlé à Kiev l'an dernier mais les événements se précipitent à une telle allure qu'il n'entend pas se laisser imposer les décisions qui seraient prises ailleurs au sein du pouvoir central et nous n'entendons pas compliquer à nouveau la situation.
- Aucune comparaison me semble-t-il entre M. Gorbatchev compte tenu de la politique qu'il conduit depuis plusieurs années et le comportement d'Adolf Hitler au moment de Munich. Nous ne sommes pas, on a le droit de penser, à la veille d'une guerre, il n'y a pas d'impérialisme conquérant. Il y a simplement une extraordinaire difficile adaptation de l'Union soviétique aux conditions nouvelles qu'elle connaît. Et nul n'a intérêt, en particulier par les Lituaniens, à ce que ce qui est en train de se dessiner se brise pour retrouver un climat de tension dont on ne sait exactement ce qu'il donnerait. Voilà pourquoi nous encourageons le dialogue. Et pour que le dialogue soit repris, nous souhaitons que, les principes étant ce qu'ils sont, et que les Lituaniens comme les autres ont bien le droit de définir surtout pour ce qui les concerne, on puisse geler les antagonismes et commencer à se mettre autour de la table en définissant les moyens de parvenir aux fins, d'établir les calendriers. Bref il faut parler.
- C'est à M. Gorbatchev qu'il incombe de prendre les initiatives dans ce sens à condition qu'il soit entendu. Voilà ce que nous pensons. Le Chancelier Kohl avec lequel j'en ai parlé m'avait exprimé le souhait que nous puissions faire une démarche commune auprès du Président lituanien dont serait informé naturellement M. Gorbatchev. C'est ce texte qui vient de m'être remis maintenant mais vous me permettrez d'en débattre d'abord avec le Chancelier Kohl avant de vous le faire connaître. Il vous sera diffusé peu de temps après la fin de cette conférence.\
LE CHANCELIER.- Permettez-moi une brève réflexion sur ce sujet. Je souscris tout à fait à ce qu'a dit le Président. C'est le dialogue qui est nécessaire maintenant. Je ne crois pas qu'il soit avisé de créer une pression qui empêche dès le départ une véritable discussion. Il faut voir comment se fait le développement dans l'Europe de l'Est, dans l'Europe du Sud Est. Il y a beaucoup de questions dans ce cadre qui se posent dans beaucoup de pays sans la politique de la Perestroïka, ce qui s'est passé en Pologne, en Tchécoslovaquie, etc, n'aurait jamais pu se faire. C'était un facteur important bien sûr et il y avait d'autres facteurs. Donc il est très important qu'aujourd'hui l'on puisse parler de manière ouverte et franche. La comparaison avec l'esprit de Munich de 38 `1938`, je considère qu'elle n'est absolument pas opportune. Elle ne vaut absolument pas. De toute façon, ici à l'Ouest, je ne vois pas qui pourrait agir avec l'esprit de Munich, je crois que tout ce que nous avons fait s'est stabilisé. Pensez aux discussions sur l'OTAN dans les années 1983 et nous n'avons absolument pas à ce moment-là fait preuve d'aucun esprit de Munich mais je pense que toutes les chances vers la paix, nous devons les utiliser.\
QUESTION.- La réponse de Londres à votre déclaration de la semaine dernière est que c'était trop vague, ésotérique et pas pratique. Quelles sont vos réponses à Londres ?
- LE PRESIDENT.- On aura l'occasion d'en débattre samedi.
- QUESTION.- Pas maintenant ?
- LE PRESIDENT.- Maintenant ? Que voulez-vous que je vous dise de plus. Vous voulez bien vous faire l'interprète de Mme Thatcher et du gouvernement britannique et je préfère les entendre eux-mêmes.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez vu la déclaration du Bundestag sur l'Oder-Neisse, vous l'avez considérée insuffisante. Est-ce que dans votre discussion avec le Chancelier vous avez dit exactement ce que vous vouliez que l'on fasse pour que le problème de la reconnaissance définitive de la ligne Oder-Neisse soit faite avant l'établissement de l'unification allemande ?
- LE PRESIDENT.- Je l'ai dit depuis le premier jour. Aucune condition n'avait à être imposée, aucune condition préalable au droit du peuple allemand des deux Etats à s'unir, bref, à décider l'unification. Aucune condition préalable n'a été posée par la France. Dès le mois de juillet de l'année dernière, cela a été répété à Bonn le 3 novembre, c'est-à-dire avant même la chute du mur de Berlin, j'ai répété que la France n'avait pas à craindre cette unification. Je m'adressai là à mes compatriotes et j'ajouterai qu'en même temps c'était le droit du peuple allemand d'examiner l'opportunité, les procédures, les moyens afin d'atteindre ce résultat qui, historiquement, correspond à la logique des choses. Cela, c'est le premier point. J'ai dit, dans les mêmes circonstances, qu'il était nécessaire par voie de conséquence et non pas comme condition préalable que fussent garanties les frontières, et particulièrement la frontière entre la Pologne et l'Allemagne. Cela a fait l'objet constant de nos conversations. Je pense, en effet, que certains actes diplomatiques et politiques doivent être accomplis. Il est normal que le gouvernement allemand ait sa propre conception sur la façon de faire, mais ce que nous en avons dit encore dans notre conversation d'hier, m'a montré que telle était la disposition du Chancelier allemand que de dire ce qu'il convenait de dire pour que ne s'installe pas un climat de méfiance et pour que les frontières soient considérées comme acquises. Maintenant, c'est à lui qu'il importe naturellement de dire de quelle façon il compte s'y prendre, soit aujourd'hui, soit demain. Enfin, il répondra comme il voudra. Et ce n'est pas un sujet de dispute entre les Allemands et les Français. C'est une question qui a été posée depuis plusieurs mois, nous sommes parvenus je crois à une conception sinon commune du moins très voisine. Ce sont les événements qui le démontreront.\
LE CHANCELIER KOHL.- Je voudrais dire quelque chose à ce sujet, parce que je considère important qu'ici en France aussi, j'explique ma position de manière très précise. Je n'ai pas de problème non plus après la discussion d'hier avec le Président Mitterrand. Votre position est claire, et j'en ai parlé avec M. de Maizière récemment. Nous avons l'intention, avant la fin de l'année, avant même l'été, et dans le cadre également des négociations à six, de faire en sorte que le Bundestag et le Volkskammer approuve une résolution qui soit très claire, dépourvue de toute ambiguité, qui dit clairement que la Volkskammer et les dirigeants du Bundestag ont l'intention immédiatement après l'établissement de l'unification allemande que le parlement de l'Allemagne unie et le gouvernement de l'Allemagne unie passent un traité de droit international sur la frontière, dans le sens des frontières existant actuellement, bien entendu. Deuxièmement, les deux gouvernements, après cette décision de la Volkskammer et du Bundestag, le gouvernement de la RDA et de la Bundesrepublik Deutschland fassent chacun une note avec les mêmes termes et la transmettent au gouvernement polonais. Il n'y a aucune meilleure idée au monde qui puisse mieux exprimer la volonté politique d'un peuple. Ce sont les organes compétents qui le feront. Et je suis sûr que nous arriverons ainsi à une bonne solution. Notre souhait, je voudrais l'ajouter, est le suivant : que le plus rapidement possible, indépendamment de l'expérience historique malheureuse que l'on ne peut pas effacer, il s'est passé des choses horribles en Pologne au nom du peuple allemand, après 39 `1939`, mais il s'est également passé des revanches horribles au moment où les Allemands ont été expulsés au nom du peuple polonais. Tout ceci ne doit pas être oublié, mais cela ne doit pas non plus nous empêcher de penser à l'avenir. Je crois que c'est ici le bon endroit pour le dire, nous, les Allemands, nous voulons essayer, et M. Mazowiecki m'a dit que c'était l'intention des Polonais aussi, de suivre l'exemple de la réconciliation franco-allemande et de l'amitié franco-allemande. Nous voulons faire en sorte que le plus rapidement possible, la même chose existe entre l'Allemagne et la Pologne. Pour moi, ce serait un désir qui vient du fond de mon coeur et je ferai tout pour que cela soit possible.\
LE PRESIDENT.- Nous n'allons pas tarder à cesser cet entretien, au demeurant très intéressant pour nous, mais il y a des obligations d'emploi du temps.
- QUESTION.- Pour entrer un tout petit peu dans la substance de vos propos sur l'union politique, est-ce que vous attendez du Sommet de Dublin, premièrement, une décision sur la nécessité d'une deuxième conférence intergouvernementale, étant donné qu'il n'y a pas beaucoup de temps entre ici et la fin 1992 ? Deuxième question, est-ce que vous avez dans l'esprit une évolution comme un acte important de ce qu'on a déjà comme institution à traiter ou est-ce que vous pensez vraiment à quelque chose de beaucoup plus important et peut-être à faire maintenant une sorte d'Etats-Unis de l'Europe qui seraient peut-être difficile pour quelques-uns des membres de la Communauté, comme la Grande Bretagne ?
- LE CHANCELIER KOHL.- Pour la première partie de votre question, c'est justement le sens de notre initiative, puisque nous avons écrit dans notre lettre commune avec notre collègue irlandais : nous voulons décider samedi de manière définitive quelles seront les dates, nous allons décider du calendrier. Deux sujets sur l'ordre du jour de samedi, peut-être encore un troisième que l'on pourrait ajouter. Le premier : c'est la discussion sur ce qui se passe en Allemagne. Deuxièmement, nous voulons dire très clairement, quoi que disent les autres, nous deux nous sommes décidés à mettre sur pied un calendrier dans lequel sera fixée très clairement l'évolution à venir. Notre vision d'après le 31 décembre 1992 est que les deux conférences intergouvernementales puissent se faire. Et bien entendu, il y a l'idée qu'il faut travailler à une unification de l'Europe, au renforcement des institutions. je peux vous citer le Parlement mais je peux vous citer également d'autres exemples.
- Il y a un troisième point que j'aimerais au moins évoquer et pour lequel nous ne ferons que prendre date samedi. Nous en parlerons véritablement à Dublin en juin, c'est notre souhait commun, nous en avons parlé, mais j'en ai parlé également avec Felipe Gonzalez et d'autres : il faut que nous parlions à fond de la question de la lutte contre la drogue et la mafia. C'est une question qui me trouble beaucoup, la pénétration de la mafia dans le marché commun et il serait vraiment temps que nous réagissions de manière suffisamment importante. On a déjà fait certaines choses mais il faut en faire encore parce qu'il va falloir se demander mais que font les peuples, les pays européens contre ce défi ?
- LE PRESIDENT.- Je suis d'accord sur l'essentiel de ce qui vient d'être dit. Nous attendons en effet de la prochaine conférence la décision d'organiser une nouvelle conférence intergouvernementale, nous laisserons le soin à cette conférence de fixer elle-même ses objectifs, de toute manière chacun à bien compris qu'il s'agissait d'un objectif tendant à créer une entité communautaire, pas simplement une communauté marchande. Je crois que cela ne fait de doute pour personne. Sur le reste des commentaires du Chancelier Kohl, je ne puis que donner mon approbation, et maintenant nous en avons terminé.\